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44 Réponses à “La guerre des dieux ou l’unité et la paix par le logos? Max Weber et Benoît XVI.”

  1. damien dit :

    Bonjour,
    tout d’abord, félicitation pour la qualité de votre site et donc de votre travail,aussi exigeant que clair.
    En rappelant, dans votre article, un sinistre souvenir électoral, vous condamnez l’extrême gauche et la mettez sur un pied d’égalité avec l’extrême droite.
    Pourriez vous développer? Merci.

  2. Simone MANON dit :

    Merci pour votre appréciation de mon site. Oui je mets sur le même pied les extrêmes, d’une part parce que l’expérience historique permet de penser sous le même nom de totalitarisme, les horreurs auxquelles les présupposés des uns et des autres ont conduit, d’autre part parce qu’en bonne cartésienne, il me semble que le choix de la raison enveloppe un principe de modération. La première maxime de la morale provisoire dans le Discours de la méthode le dit explicitement: suivre  » les opinions les plus modérées, et les plus éloignées de l’excès, qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j’aurais à vivre « .

  3. damien dit :

    Bonjour,
    Merci de votre réponse rapide et claire.
    En effet, Arendt montre bien que si le monde est devenu un enfer, c’est parce que les hommes ont voulu en faire leur paradis : le progressisme peut sombrer dans son opposé.
    Toutefois, il me semble que beaucoup de philosophes classés à l’extrême gauche apportent des idées et des concepts sérieux, et surtout ouvrent des problématiques philosophiques incontournables. On pourrait penser à Marx, bien entendu, à Sartre, à Bourdieu, à Badiou…etc.
    En somme, le radicalisme philosophico – politique, qui me semble à distinguer de la vulgate extrêmiste qui peut s’en inspirer de manière obscurantiste, ne me semble pas en soi opposé à la raison, en ce qu’il dévoile, justement, des processus eux – même irrationnels et se pose ainsi du côté de la rationalité.
    En revanche, je ne trouve aucun théoricien d’extrême droite qui ait apporté au débat philosophico politique des idées profodes ( bien que toujours contestables), et c’est pour cela que j’ai du mal à mettre les deux radicalités sur un même plan intellectuel.

  4. Simone MANON dit :

    Je vous suis dans la différence que vous établissez dans le monde des intellectuels extrémistes entre la fécondité des uns et la pauvreté des autres. Mais je me demande si ce que vous portez au crédit de l’extrême gauche n’est pas ce qu’il faudrait dénoncer comme une de ses redoutables impostures.
    Car s’il y a dans le texte marxiste des analyses authentiquement philosophiques, il y aussi toute sa part obscure qui a fait tant de dégâts non seulement sur la scène historique mais aussi sur la scène intellectuelle, surtout française.
    La remise en cause radicale de la raison, au nom de ses supposées déterminations économiques, sociales ou autres, ne continue pas l’oeuvre des lumières ; elle s’emploie au contraire à en disqualifier en profondeur le projet.
    Ainsi une raison autonome peut-elle vraiment suivre Marx dans ce qui fonde sa critique de l’aliénation du travail, à savoir de l’idée que le travail peut être par nature libre expression de soi ? Peut-elle le suivre dans sa dénonciation des droits de l’homme comme droits des bourgeois? dans le principe d’une dictature du prolétariat ou de la violence révolutionnaire comme solution aux maux de l’humanité?
    Vous me parlez de Sartre ou de Bourdieu. Mais n’y a-t-il pas quelque chose de calamiteux dans des discours qui sérieusement vous disent qu’une dictature du prolétariat vaut mieux que « la dictature bourgeoise »? Que la culture est affaire de distinction sociale et l’école une reproduction des héritiers? Y-a-t-il autre chose dans ces analyses se parant du prestige de l’autorité philosophique qu’une sophistique, qui comme toutes les sophistiques est infiniment plus séductrice que le travail austère des lumières?
    La perversité n’est-elle pas d’employer le langage de la raison pour faire douter de la raison et faire ainsi le jeu d’un obscurantisme qu’une raison conséquente devrait au contraire s’employer à mettre hors jeu?
    En ce sens, je ne vois pas de raison de privilégier une imposture par rapport à une autre.

  5. damien dit :

    Bonjour,
    J’incline à penser comme Kant que « le maître n’apprend pas des pensées, mais à penser ».
    Ainsi, j’estime que le propre des philosophes est de faire réfléchir les lecteurs : si les idées de Bourdieu ou de Sartre nous déplaisent, au moins ils nous font comprendre pourquoi, et c’est l’essentiel.
    Que la philosophie puisse être dangereuse, Nietzsche le dit très bien (que ne l’a t-on voué aux gémonies, à l’époque…)
    Rousseau n’a t-il pas fait trembler le monde (le Contrat, quelle révolution à l’époque…)?
    Quant à Marx, je ne trouve pas que sa philosophie de la liberté soit contradictoire, car on peut le classer, certes, dans les déterministes, comme Epicure, mais n’y a t-il pas chez lui, l’idée d’une liberté comme libération des illusions, donc possible?
    Ne force t-il pas à penser l’idée d’individu dans la théorie démocratique, et les dangers de l’exploitation dans un régime de liberté?
    N’a t-il pas eu aussi une postérité réformiste (je pense à Jaurès, à Blum) excluant de réduire son hétitage à un bolchévisme sanguinaire? Le radicalisme (rationnel) est il réductible, donc, à l’extrêmisme irrationnel)? Voilà une question intéressante…

  6. Claude ANDRE dit :

    (pseudo Coriolan sur mon site http://www.Exodoxe.fr)

    Bonjour.
    Votre synthèse est très intéressante. Merci. Quelques remarques néanmoins.

    – Plutôt que de parler d’une »racine grecque et chrétienne », je préfèrerais des « racines pagano-chrétiennes ». C’est un détail…

    – Page 2 (in fine) « Pour le croyant la vie est un don (…) incapable de la faire ».
    Cas du croyant : la vie est un don de Dieu. Vous concluez en disant que la raison ne peut se prononcer sauf à régler préalablement l’option métaphysique : Dieu est-il ou non ?
    Pour moi la raison peut se prononcer sans remonter à Dieu. En effet, si la vie est un don, elle est à moi. Ou alors il faut dire que la vie est un « prêt » de Dieu, or je n’ai vu écrit nulle part qu’il faudrait que je rende compte à Dieu de la conservation du souffle qu’il m’a donné.

    Cas de l’incroyant : Où voyez-vous que ce cas implique une option métaphysique ? La raison peut se déterminer en toute conscience.

    Page 3 : Vous relevez cette phrase du pape : « Au plus profond, la pensée et le sentiment humains savent (…) que Dieu doit exister ». rejoignant ainsi l’art 1er du Catéchisme, sous l’autorité de JP II, « Le désir de Dieu est inscrit au coeur de l’homme… », qui va vous permettre de conclure votre article : « l’humanité qui aurait perdu le sens de la transcendance serait amputée de sa meilleure part ». Ceci, à mes yeux, est non seulement excessif mais frise l’escroquerie morale ! L’humanité non seulement peut, mais doit, en finir avec ce sens de la transcendance si elle veut évoluer.

    Pour l’essentiel du reste, je suis en accord avec vous et je vous félicite pour la qualité de votre travail. J’ai particulièrement bien aimé la toute première phrase de votre exposé. Merci.

  7. Simone MANON dit :

    Bonsoir Damien
    Je suis entièrement d’accord avec vous sur le rôle du travail de la pensée à deux réserves près:
    D’une part, il me semble que pour un philosophe, à l’inverse du sophiste expert en l’art de jouer de la confusion du plaisant ou de l’avantageux et du vrai, la question est de savoir si une idée est vraie ou fausse, non si elle plaît ou déplaît.
    D’autre part, la rigueur philosophique veut qu’on ne transforme pas l’objet du débat au cours de l’échange.
    Ce qui était en jeu était la légitimité ou non d’un vote extrêmiste dans une démocratie avec à l’arrière-plan l’équivalence que j’établissais entre l’extrême gauche et l’extrême droite sur ce point.
    A l’évidence les termes du débat ont changé en cours de route.
    Bien à vous.

  8. Simone MANON dit :

    Bonsoir Claude
    Merci pour les quelques remarques que vous faîtes de manière sympathique sur cet article.
    Néanmoins je ne peux pas vous laisser dire que le deuxième parti-pris, dans le débat que je présente comme exemple d’indécidabilité rationnelle, est exempt de présupposés métaphysiques. Toute position de valeur enveloppe une option métaphysique, la position rationaliste comme la position religieuse car la liberté n’est pas une donnée phénoménale, c’est une réalité nouménale pour parler le langage de Kant. Elle suppose un choix qui comme tout choix a un caractère arbitraire et demeure en dernière analyse discutable.
    Je ne peux pas non plus vous laisser dire que l’affirmation: « une humanité ayant perdu le sens de la transcendance …. » est une escroquerie morale. L’esprit est en l’homme capacité de transcender. Est-ce une escroquerie morale que de rappeler à l’homme qu’il n’est pas chose parmi les choses, qu’il porte en lui des exigences (de la vérité, de la valeur, du sens etc.) qui transcendent ses préoccupations égotistes et l’orientent vers le haut plutôt que vers le bas? Je ne résiste pas à la tentation de citer une phrase du texte de Malraux que je publie demain: « Il y aura toujours ce moment prodigieux où l’espèce de demi-gorille levant les yeux, se sentit mystérieusement le frère du ciel étoilé ». Franchement je ne vois pas où est l’escroquerie dans le rappel de cette évidence.
    Avec mes meilleurs sentiments

  9. damien dit :

    Bonsoir Simone,
    Votre distinction entre la sophistique et la philosophie est très juste. A la réserve toutefois, que la raison soit bien cette faculté exempte de toute passion : Hume a écrit à ce sujet des lignes fort pertinentes que vous connaissez bien. J’ai ainsi du mal à penser qu’on puisse aborder les grands textes en faisant abstraction de la force émotive qu’ils portent, aux affects qu’ils produisent et aux valeurs qu’ils impliquent et vis à vis desquels ils nous appellent à faire des choix jamais certains et définitifs. L’adhésion purement rationnelle à une thèse, en somme, me semble difficile. L’honnêteté m’a souvent obligé à constater que ce n’était pas le cas pour moi, qu’il y avait toujours cette part de sensibilité qui jouait, ou d’inconscient.
    Deuxième point, j’ai dû mal m’exprimer. Je ne pense pas être hors sujet. En effet, il me semble que vous opérez un raccourci en posant l’équation penseurs radicaux = penseurs extrêmistes. Tout en gardant ma liberté de penser, si des politiques reprennent à Marx ou à Marcuse ce qu’il y a de plus pertinent dans leurs philosophie politique, une critique des perversités de la société de consommation ou rappellent qu’il y a de l’injustice à combattre et qu’elle n’est pas une fatalité mais le résultat d’une richesse peut être mal répartie, je ne vois pas pourquoi on s’interdirait au moins de réfléchir au message, de faire des choix, et de voter ou non en conscience. C’est ce que j’appelle des idées radicales. En revanche, c’est pour reproduire les erreurs du passé ou tomber dans l’irrationnel, c’est de l’extrêmisme
    A contrario, pour l’extrême droite, je ne trouve pas d’analyses rationnelles et ce que je voulais dire.
    Bien à vous et encore merci pour votre travail.

  10. Claude ANDRE dit :

    Bonsoir Simone,

    Concernant le premier point : Si le deuxième parti-pris présuppose une option métaphysique, je me permets d’attirer votre attention sur la hiérarchisation non négligeable qu’il y a lieu de faire entre les deux noumènes : Dieu et…moi (puisqu’il s’agit de mon suicide ! ) 🙂

    Concernant le deuxième point : persiste et signe ! L’homme n’est rien d’autre qu’un ensemble de choses parmi un univers d’autres choses de même nature, et je pense que s’agripper à l’idée de Dieu pour vivre, c’est s’orienter vers le bas plutôt que vers le haut ! L’homme ne peut s’élever qu’en se dépassant, et ne peut vraiment se dépasser que seul.

    C’est un avis discutable ; seule ma fierté d’homme ne l’est pas.

    La phrase de Malraux est une phrase de poète. On a tous, un jour ou l’autre dit de ces mots dans l’exaltation de la découverte : « Ce soir, un grand singe a hurlé à la lune, etc. »je ne vois pas que ce soit un sujet de dissertation…

    Bien cordialement.

    Merci de corriger un ‘h » fautif dans mon texte précédent (catéchisme).

  11. Simone MANON dit :

    Bonjour Damien
    Nous sommes entièrement d’accord et c’est précisément parce que l’aveuglement suprême serait de prétendre être exempt de tout point aveugle que l’on devrait se sentir tenu d’éviter les extrêmes ou la radicalisation des thèses.
    Toujours la même sagesse cartésienne énoncée dans la première maxime de la morale provisoire. L’impossiblité de prétendre au vrai, ou au bien absolu me semble fonder l’obligation morale de se tenir à distance des engagements massifs et partiaux.
    Notre échange m’a donné l’idée de faire plancher mes élèves, ce matin, sur le texte de Russell.
    Vous connaissez:  » C’est dans son incertitude même que réside largement la valeur de la philosophie [..]
    Du bon usage des blogs! Merci encore.
    Amitié en esprit.

  12. Simone MANON dit :

    Bonjour Claude
    Je ne vous suis toujours pas.
    1) Une option métaphysique étant indécidable rationnellement, on ne peut pas établir rationnellement une hiérarchie entre elles. On peut seulement se décider pour l’une ou pour l’autre.
    2) Si l’homme n’est qu’une chose parmi d’autres, pourquoi donc lui a-t-on conféré le statut d’une personne titulaire de droits et d’une dignité appelant le respect? En parlant d’une fierté d’homme vous êtes conduit à contredire votre première affirmation selon laquelle l’homme n’est qu’une chose. Les choses en effet ne demandent pas qu’on leur reconnaisse une dignité.
    3) Pourquoi voulez-vous que l’idée de transcendance renvoie nécessairement à celle de Dieu? La transcendance n’est-elle pas en l’homme, celle de l’esprit lui permettant par exemple de refuser la loi naturelle de la force pour lui substituer celle du droit?
    4) Par ailleurs les poètes ne disent souvent pas autre chose que les penseurs et les savants avec l’avantage de trouver des mots infiniment plus séducteurs.
    Bien cordialement.

  13. damien dit :

    Bonjour Simone,
    je suis ravi que notre échange ait débouché sur un aussi joli texte, authentiquement philosophique et si porteur pour les élèves. J’espère qu’ils s’en sortiront bien, car le sujet que vous avez choisi met en jeu le sens même de l’enseignement de la philosophie en terminale.
    Bon exemple, en outre, de l’éthique de la discussion appliquée au net!
    Je pense, comme vous, que ce qui prémunit l’esprit philosophique du dogmatisme, c’est le goût du « sel de l’esprit » (Alain.)qui fait fuir la fadeur dogmatique comme la peste des idées.
    Par ailleurs, étant aussi un élu (en plus du travail) je suis très attaché à la démocratie.
    Ce qui m’apporte un regard claudiquant mais enrichissant sur le monde politique, entre réflexion et envie d’agir.

    Bien à vous.

  14. Claude ANDRE dit :

    Simone et Manon, tout un programme… Bonjour !

    1) Devant deux options métaphysiques, j’opte rationnellement pour celle dont les conséquences me semblent les moins défavorables pour moi. Rapportant leurs conséquences aux actes, je peux ainsi les hiérarchiser.

    2) En tant que ‘chose’ au même titre qu’une autre, mais me passant d’une béquille pour vivre, j’en tire une fierté. Ma dignité, je me l’accorde et me fiche qu’on me la reconnaisse ou non. J’avouerai toutefois que j’ai une préférence vaniteuse pour la reconnaissance…

    3) Vous accordez à l’esprit un pouvoir sur-naturel (au sens vrai du terme) ! Mais la seule loi qui compte, c’est la loi de la nature et non celle de la raison humaine. Toute notre civilisation occidentale emberlificotée dans des considérations philosophiques est en train de se noyer dans des paradoxes insurmontables, tant au plan de la justice, de la finance que de la vie au quotidien. Il faudra en payer le prix !

    4) Quant aux mots séducteurs des poètes, ils sont une arme, hélas, quand ils ne parlent pas d’amour.

    Voilà un bien joli mot pour conclure un si mauvais texte !

  15. Oliana dit :

    Bonjour,
    C’est avec plaisir que je reviens sur votre blog qui, je le constate, continue d’être richement approvisionné!
    J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre article.. Je travaille actuellement sur un autre discours de Benoît XVI, datant du 12 septembre 2006, discours qu’il a tenu à l’université de Ratisbonne. C’est un exposé d’histoire qui m’a conduit à m’intéresser à ce texte et bien que mon travail pour cette matière soit bientôt terminé il y a encore un point qui continue à me préoccuper. Je ne sais pas si vous avez connaissance de ce discours, mais si cela vous intéresse vous pouvez le trouver à cette adresse: http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2006/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20060912_university-regensburg_fr.html
    La question que je voudrais vous poser n’est pas déterminante pour mon exposé (qui, outre la thèse développée par le pape du lien entre foi et raison, s’attache à expliciter ce qui relève des enjeux politiques et moraux dans une perspective historique). Néanmoins je serais intéressée de comprendre un peu mieux ce propos:
    J’en viens au fait, c’est le dernier paragraphe de mon extrait qui me pose quelques problèmes (voici les propos de Benoît XVI:

    « La rencontre du message biblique et de la pensée grecque n’était pas le fait du hasard. La vision de saint Paul, à qui les chemins vers l’Asie se fermaient et qui ensuite vit un Macédonien lui apparaître et qui l’entendit l’appeler : « Passe en Macédoine et viens à notre secours » (cf. Ac 16, 6-10) – cette vision peut être interprétée comme un condensé du rapprochement, porté par une nécessité intrinsèque, entre la foi biblique et le questionnement grec. »
    Je ne suis pas sûre de vraiment comprendre à quoi il fait référence dans ce passage ni la signification de cette vision dont il parle. Peut-être pourrez-vous m’en dire plus…

    J’espère que vous allez bien, et merci encore pour l’année de philosophie que nous avons passé en votre compagnie!

  16. Simone MANON dit :

    C’est un grand plaisir pour moi, Oliana, de vous rencontrer encore par la médiation de mon blog.
    Je ne suis pas sûre de bien comprendre votre question lorsque vous vous demandez à quoi le pape fait référence puisque vous indiquez vous-même qu’il s’agit d’une référence aux Actes des apôtres dans la Bible. Dans ce texte, Luc raconte, dans le chapitre 16, les voyages missionnaires de St Paul. Si vous ne l’avez pas déjà lu, voici le passage en question:
    « 6 Ils traversèrent la Phrygie et le pays de Galatie, le Saint-Esprit les ayant empêchés d’annoncer la parole dans l’Asie. 7 Parvenus aux confins de la Mysie, ils se disposaient à entrer en Bithynie, mais l’Esprit de Jésus ne le leur permit pas; 8 et ayant passé la Mysie, ils descendirent à Troas.
    9 Pendant la nuit, une vision apparut à Paul: un Macédonien se tenait debout et lui faisait cette prière:  » Passe en Macédoine et viens à notre secours!  » 10 Dès qu’il eut vu cette vision, nous cherchâmes aussitôt à partir pour la Macédoine, convaincus que Dieu nous appelait à y annoncer la bonne nouvelle. 11 Embarqués à Troas, nous vînmes droit à Samothrace, et le lendemain à Néapolis, 12 puis de là à Philippes, qui est première ville de cette partie de la Macédoine (et) une colonie. Nous demeurâmes quelques jours dans cette ville. 13 Le jour du sabbat, nous nous rendîmes hors de la porte, sur le bord d’une rivière, où nous pensions qu’était un lieu de prière, et nous étant assis, nous parlâmes aux femmes qui (y) étaient assemblées. 14 Or, une femme nommée Lydie, marchande de pourpre de la ville de Thyatire, craignant Dieu, écoutait. Le Seigneur lui ouvrit le cœur pour qu’elle fût attentive à ce que disait Paul. 15 Quand elle eut été baptisée, ainsi que sa maison, elle (nous) adressa cette prière:  » Puisque vous avez jugé que j’ai foi au Seigneur, entrez et demeurez dans ma maison.  » Et elle nous (y) contraignit. 16 Une fois que nous allions au lieu de prière, vint à notre rencontre une jeune esclave, qui avait un esprit Python et procurait un grand gain à ses maîtres en pratiquant la divination. 17 Nous ayant suivis, Paul et nous, elle criait, disant:  » Ces hommes sont des serviteurs du Dieu très haut, qui vous annoncent une voie de salut.  » 18 Elle fit cela pendant plusieurs jours. Mais Paul en fut importuné et, se retournant, il dit à l’esprit:  » Je te commande, au nom de Jésus-Christ, de sortir d’elle.  » Et il sortit à l’heure même. 19 Mais ses maîtres, voyant s’évader l’espoir de leur gain, se saisirent de Paul et de Silas, qu’ils traînèrent à l’agora devant les magistrats. 20 Et les ayant conduits aux préteurs, ils dirent:  » Ces hommes troublent notre ville; ce sont des Juifs, 21 et ils prêchent des coutumes qu’il ne nous est permis, à nous qui sommes Romains, ni de recevoir ni de suivre.  » 22 Et la foule se souleva contre eux, et les préteurs, ayant fait arracher leurs vêtements, ordonnèrent qu’on les flagellât. 23 Après qu’on leur eut appliqué force coups, ils les jetèrent en prison, en commandant au geôlier de les tenir en garde sûre. 24 Lui, ayant reçu pareil commandement, les jeta dans le cachot intérieur et leur entrava les pieds dans les ceps. 25 Or, vers le milieu de la nuit, Paul et Silas, étant en prière, chantaient des hymnes à Dieu, et les prisonniers les écoutaient. 26 Tout à coup il y eu un tremblement de terre si fort que les fondements de la prison furent ébranlés; au même instant, toutes les portes s’ouvrirent et les liens de tous (les prisonniers) tombèrent. 27 Le geôlier, s’étant éveillé et voyant les portes de la prison ouvertes, tira (son) épée, et il allait se tuer, pensant que les prisonniers avaient pris la fuite. 28 Mais Paul cria à pleine voix:  » Ne te fais point de mal, car nous sommes tous ici.  » 29 (Le geôlier), ayant demandé des torches, se précipita et, pris de tremblement, tomba aux pieds de Paul et de Silas; 30 puis il les mena dehors et dit:  » Seigneur, que faut-il que je fasse pour être sauvé?  » 31 Et ils dirent:  » Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta maison.  » 32 Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, ainsi qu’à tous ceux qui étaient dans sa demeure. 33 Les prenant à cette même heure de la nuit, il lava leurs plaies, et aussitôt il fut baptisé, lui et tous les siens. 34 Ensuite il les fit monter dans sa maison et (leur) servit à manger, et il se réjouit en famille d’avoir cru en Dieu. 35 Cependant, quand il fit jour, les préteurs envoyèrent les licteurs dire:  » Mets ces hommes en liberté.  » 36 Le geôlier rapporta les paroles à Paul:  » Les préteurs ont envoyé (l’ordre) de vous relâcher; sortez donc maintenant et allez en paix.  » 37 Mais Paul dit (aux licteurs):  » Après nous avoir fait battre publiquement, sans condamnation, nous qui sommes Romains, on nous a jetés en prison, et maintenant on nous jette dehors secrètement! Non point! Mais qu’ils viennent eux-mêmes nous faire sortir!  » 38 Les licteurs rapportèrent ces paroles aux préteurs, qui furent effrayés en apprenant que c’étaient des Romains. 39 Ils vinrent les prier; et, après (les) avoir fait sortir, ils (leur) demandaient de quitter la ville »

    Je pense que vous m’interrogez plutôt sur le sens de cette référence. Dans cette communication de Ratisbonne qui a fait couler beaucoup d’encre, le pape veut montrer qu’il n’y a pas antinomie entre la foi et la raison, autrement dit que le logos ne se réduit pas à ce qu’une époque positiviste en a fait.
    A l’idée de logos, nous lions immédiatement la grande philosophie grecque, une philosophie dont St Paul est pétri, lui qui parle et pense grec et platonise le christianisme. La parenté de la foi christique avec son message d’universalité, de justice et de charité avec la pensée issue de Socrate n’est pas, déjà en ce sens, le fait du hasard. Mais, il me semble, que le pape fait une lecture allégorisante de la vision de St Paul même si pour lui, il ne s’agit pas d’une allégorie mais d’un récit historique. Il y est question d’une vision et il est dit plus haut que l’apôtre est habité par l’Esprit saint, ce même Esprit, qui le détourne de se rendre en Asie. L’idée de vision connote donc celle d’inspiration divine. La proximité d’Athènes et de Jérusalem aurait ainsi un fondement divin, d’un point de vue mystique; et du point de vue de la raison, elle obéirait à une nécessité intrinsèque.
    De fait, comme les philosophes grecs, les prophètes juifs mettent en cause les traditions frappées au sceau de la particularité, de l’arbitraire et ouvrent la conscience sur un questionnement infini qui n’occulte pas le sens spirituel de la transcendance.
    J’ai montré dans l’article sur les deux matrices de l’Europe, la convergence, pour comprendre ce que nous sommes, de la source grecque et de la source biblique.
    PS: Je n’ai aucune autorité en matière théologique et j’espère que je ne vous induis pas en erreur.

  17. Oliana dit :

    Bonjour,

    Merci pour votre réponse! C’est en effet sur le sens de cette référence que j’avais quelques interrogations. Votre explication m’a aidé à mieux comprendre en quoi cela pouvait être interprété comme montrant l’existence d’un lien entre cette philosophie hellénistique et le message de la foi chrétienne.
    Bonne journée!

  18. jean-pierre castel dit :

    Bonjour,
    Sur le débat Foi et Raison, lorsque l’Eglise affirme qu’il n’y a pas contradiction entre les deux, ne peut-on pas répondre que la question n’est pas celle de la compatibilité entre une vérité révélée et la raison, au sens de la pure rationalité, mais entre la vérité et la liberté de la raison, celle qui n’est emprisonnée dans aucune vérité révélée, qui est libre de tout remettre en cause ? La Foi s’ancre dans une révélation, un évènement du passé, alors que la raison est un processus de « destruction-création » tourné vers l’avenir, qui ne vénère aucun évènement ou résultat passé, mais soumet tout à une règle du jeu, la logique et la confrontation avec l’expérience. Pour la première la vérité est un acquis, pour la seconde une quête. Un acquis à préserver d’un côté, un processus de liberté tourné vers l’avenir de l’autre ?

  19. Simone MANON dit :

    Bonjour,
    Votre propos ne me ferait pas problème s’il concernait la distinction: tradition/modernité scientifique. Dans l’une la mémoire est déterminante, dans l’autre, ce qui l’est, c’est le travail critique de la raison en débat avec ses hypothèses et avec l’expérience.
    Mais vous parlez du débat foi/raison et là, les choses sont singulièrement plus compliquées.
    Si vous prenez le noyau dur de la révélation religieuse dans le christianisme, il s’agit essentiellement d’un message moral. Spinoza, Kant, pour ne prendre que ces deux auteurs établissent qu’il n’y a pas incompatibilité entre les vérités de la foi et celles de la raison. Seul le véhicule de ces vérités est différent.
    Il me semble que les présupposés de vos affirmations sont problématiques.
    L’un consiste à croire que l’acte de foi exclut la liberté de l’esprit or il l’implique. C’est ce qui distingue la religion du mythe. La religion exige un acte de foi explicite, une adhésion libre à une parole à laquelle le croyant répond par un consentement intérieur et une confiance. L’expérience religieuse n’exclut pas le doute mais le surmonte dans une confiance régulièrement renouvelée avec tout ce que cela peut avoir de difficile souvent.
    L’autre consiste à croire que la liberté de la raison est exclusive de toute contrainte. Ce qui est faux car les vérités logiques, par exemple, sont contraignantes.
    Par ailleurs, il ne faut pas réduire la raison à sa seule dimension instrumentale et à l’usage qu’on en fait dans les sciences modernes.
    Dans la tradition socratique, et de manière générale dans la tradition métaphysique, l’exercice de la raison inclut aussi quelque chose qui est de l’ordre de la révélation.Cf. https://www.philolog.fr/socrate-ou-lexperience-philosophique-patocka/
    Cordialement.

  20. jean-pierre castel dit :

    Bonjour,
    Merci infiniment de votre réponse.
    Je suis bien d’accord que la foi relève du libre arbitre : croire ou ne pas croire en la vérité révélée.
    Ce qui m’intéresse c’est la nature, la qualité de cette vérité révélée, qui est un donné indiscutable, uneparole, un texte sacré, que l’homme a la seule liberté d’accepter, ou de refuser au risque de sa damnation.
    Les vérités logiques, quant à elles, sont contraignantes uniquement en ce qu’elles doivent se conformer aux règles de la logique, qui relèvent du processus et non pas de l’acquis, comme le discours doit respecter la grammaire pour être intelligible.
    Cette opposition entre acquis et processus me semble comparable à celle entre vocabulaire et grammaire, entre stock et règle de flux (je ne sais pas si l’on peut ranger sous cette bannière l’opposition sujet/prédicat?)
    Dans la tradition socratique, l’exercice de la raison inclut sans doute quelque chose qui est de l’ordre de la révélation, mais là encore ce n’est pas une révélation donnée une fois pour toutes par une parole divine ou dans un texte sacré, il s’agit plutôt de la foi en l’unicité de la vérité, une vérité qui reste de l’ordre de la quête, voire de l’utopie, et dont aucune autorité, aucune parole, aucun texte ne peut se prétendre le gardien.

    PS: puis-je vous demander de préciser ce que vous entendez par « Seul le véhicule de ces vérités est différent ».

    Bien à vous

  21. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Permettez-moi de ne pas discuter la conception caricaturale, à mes yeux, que vous vous faîtes des vérités révélées. C’est faire peu de cas du caractère pluriel des textes dans lesquels la parole christique est recueillie et de l’inlassable travail d’interprétation que ce pluralisme appelle. Le pape y fait allusion. Je cite mon texte: Le pape demande de se mettre à l’écoute de la vérité intérieure à l’esprit mais il ne prétend pas qu’elle soit déposée dans un texte sacré habilité à faire autorité. Il souligne au contraire que la parole divine est recueillie dans plusieurs textes. « Ce pluriel souligne déjà clairement que la Parole de Dieu nous parvient seulement à travers la parole humaine, à travers des paroles humaines, c’est-à-dire que Dieu nous parle seulement dans l’humanité des hommes, et à travers leurs paroles et leur histoire. Cela signifie, ensuite, que l’aspect divin de la Parole et des paroles n’est pas immédiatement perceptible » Benoît XVI. Discours au Collège des Bernardins. 12.09.2008. La parole est plurielle dit le pape et requiert un travail infini d’interprétation. Ce qui exclut le fanatisme fondamentaliste et ouvre la voie à une recherche en commun de la nature de cet absolu qui travaille les consciences humaines.
    Je crois vous avoir indiqué antérieurement le texte de Ricoeur, dont on sait qu’il parlait de l’intérieur de son engagement chrétien: « Celui-ci ne consiste pas dans l’obéissance à une autorité, mais dans la réponse à une invitation, à la proposition d’interpréter ma vie à la lumière de l’ensemble symbolique des Ecritures bibliques ».
    Ce qui me conduit à répondre à votre question. Le message religieux s’explicite au moyen d’images, de symboles. Il met en jeu la part sensible de l’être humain, part affective (les affects dominants étant la crainte et l’espoir), non sa dimension rationnelle. Il est énoncé dans certaines conditions historiques, avec le risque d’écran que cette dimension empirique (contingence des situations, particularité des personnages) fait peser sur la prétention à l’universel. En termes kantiens, avec le mystère de la prédication christique, l’empirique précède le transcendantal.
    Mystère de la révélation d’une vérité intelligible par un autre véhicule que l’intelligence rationnelle. Annonce dans l’histoire de ce que la raison découvre en elle-même, lorsqu’elle parvient à l’autonomie.
    Bien à vous.

  22. jean-pierre castel dit :

    Merci encore de votre réponse, et de m’indiquer ce texte très intéressant de Benoît XVI. Je ne sais pas si vous accepterez de poursuivre la discussion. Mais je voudrais faire les remarques suivantes :
    1. Même si Paul dit que la lettre tue et l’esprit vivifie, et si le pape insiste tant sur l’interprétation, tous deux ne nient évidemment pas que cette recherche de Dieu doive se faire à partir des Ecritures: comme le dit le Pape « il ne s’agissait pas d’une aventure dans un désert sans chemin, d’une recherche dans l’obscurité absolue. Dieu lui-même a placé des bornes milliaires, mieux, il a aplani la voie, et leur tâche consistait à la trouver et à la suivre. Cette voie était sa Parole qui, dans les livres des Saintes Écritures, était offerte aux hommes »
    2. Sans même gloser sur l’évidence qu’un texte quel qu’il soit, pas seulement le texte biblique, ne peut être compris que par l’interprétation, la question que je posais était me semble-t-il d’un autre ordre: les croyants disposent « de bornes milliaires », les Ecritures, plurielles si l’on veut mais finies et bien définies, qui sont de l’ordre d’une borne, d’une donnée, d’un stock, interprétable mais irréfutable au moins pour l’essentiel : le croyant a suivant les églises une liberté plus ou moins grande de les interpréter, mais pas de les réfuter.
    3. Les philosophes et les savants ne sont pas astreints à une quelconque obligation de ce type : toute vérité antérieure est susceptible non seulement d’être interprétée, mais aussi remise en cause. La science ne progresse que de cette façon. Il n’y a pas de bornes, de milliaires. Leur seule contrainte est la logique et la conformité aux faits ou aux expériences, c’est-à-dire non pas des données, mais des règles conditionnant l’efficacité de la démarche et son intelligibilité
    4. Il me semble donc qu’il s’agit de deux libertés radicalement différentes, aussi différentes que peuvent l’être une donnée et un programme, un fait et un processus, voire un sujet et un prédicat. Et que cette différence est escamotée dans tous les discours, en particulier lorsque le Pape prétend que la Foi et la Raison sont semblables (voire essentiellement identiques ,cf. par exemple son texte La vérité du christianisme publié dans Le Monde du 13.12.1999)

    PS: Oui vous m’aviez indiqué le texte remarquable de Paul Ricoeur. Mais d’une part ce texte est infiniment plus ouvert que de Benoît XVI : si je résume, Ricœur dit: « qui suis-je pour prétendre que cette parole est unique? » Alors que Benît XVI dit ici : « Cette voie était sa Parole qui, dans les livres des Saintes Écritures, était offerte aux hommes. » Benoit XVI insiste par ailleurs, par exemple dans La vérité du christianisme, sur l’unicité de cette Parole. L’autre remarque est que Paul Ricœur dans ce texte sur la tolérance ne fait pas référence une seule fois à l’Ancien Testament ni à la jalousie de Dieu.
    Bien à vous

  23. Simone MANON dit :

    Merci pour ces remarques mais je vous ai prévenu que je ne souhaite pas poursuivre le débat. Il me faudrait m’engager dans des développements sur ce qui distingue la raison philosophique et la raison scientifique (l’étude des faits est une chose, l’interrogation sur le sens une autre), or, travaillant une autre question, je ne veux pas me disperser.
    Cordialement.

  24. Garion dit :

    Tout d’abord merci beaucoup pour votre blog, qui me stimule intellectuellement depuis quelques temps déjà.
    Je lis avec passion les articles autant que les échanges de commentaires qui sont bien souvent instructifs et très formateurs. J’ai ici deux questions qui me viennent à propos de ce que vous avez dit dans les commentaires précédents.

    A propos de Bourdieu, vous semblez associer ses travaux sur la reproduction à des sophismes sans valeur philosophiques. Or il me semble difficile de nier l’existence des mécanismes de reproduction sociale qu’il a mis en évidence au niveau du système scolaire. Le fait que la réussite scolaire soit liée à la position sociale des parents (avec toutes les nuances qu’il faut y apporter, certes, la transmission des « capitaux » dont parle Bourdieu n’étant en rien automatique) me semble être aujourd’hui un fait social établi, qui a acquis le statut de vérité scientifique. Les explications/interprétations de cette réussite différentielle restent en partie l’objet d’un débat, mais je pense que le fond du propos ne peut pas véritablement être considéré comme sophistique. Cela dit, j’engage ici une discussion sur une phrase énoncée au détour d’un de vos commentaires, je ne sais donc pas ce que vous pensez véritablement à ce sujet. C’est donc là l’objet de ma question au fond, j’aimerais savoir ce que vous pensez des travaux de Bourdieu (qui de mon point de vue sont tout sauf dénués d’intérêt philosophique).

    Deuxième point qui a attiré mon attention : la distinction entre l’homme et la chose. Je me demandais quels étaient les grands textes qui permettaient de fonder cette distinction, voire cette hiérarchie, entre la chose et l’homme (capable de se transcender et de s’élever au dessus de la « choséité » du monde, c’est du moins ce que je crois avoir compris de votre propos, pardonnez moi si je me trompe). Un simple indication permettant de diriger mon appétit intellectuel me serait d’une grande utilité.
    A ce propos, avez vous connaissance des travaux de Tristan Garcia ? J’ai écouté récemment une intervention sur France Culture à propos de son ouvrage « Forme et objet. Un traité des choses. », et il me semble qu’il cherche au contraire à poser une « ontologie plate » c’est à dire qui suppose une égale dignité à toutes les choses (l’homme étant dans ce modèle bien considéré comme une chose, au même titre que les animaux, les objets, les atomes, etc). Je n’ai pas lu l’ouvrage et j’aurais bien du mal à apporter plus d’indications sur la manière dont il déroule ce principe de départ pour ensuite fonder un système philosophique, mais je me demandais si vous aviez un avis à ce propos.
    (D’ailleurs, la question de la dignité humaine pose bien souvent celle de la dignité animale, et il me semble que Tristan Garcia a également proposé un travail de réflexion sur cette question)

    Voilà, ce sont des questions de curieux, que votre point de vue sur ces questions intéresserait. Mais je comprendrait parfaitement que vous n’ayez pas le temps, ou pas l’envie selon vos préoccupations du moment, d’y répondre.
    Merci tout de même de m’avoir lu.

  25. Simone MANON dit :

    Merci, Garion, pour ce sympathique message.
    Pour ce qui est de Bourdieu, je ne souhaite pas engager le débat et je maintiens que l’apprentissage des mathématiques, des grands textes de la philosophie, la formation des esprits à la rigueur ont d’autres enjeux que la reproduction sociale. A être obnubilé par des interprétations sociologiques partiales, on finit par être aveugle à ce qui est au principe du désastre de l’école. Je suis convaincue, comme je l’établis dans mon article sur le philistinisme cultivé, que des auteurs comme Bourdieu ne sont pas innocents dans ce qui est arrivé.https://www.philolog.fr/le-philistinisme-cultive/
    Pour ce qui est de la différence de la personne et de la chose, je l’aborde dans le cours suivant:https://www.philolog.fr/ambiguite-de-la-condition-humaine/.
    Je n’ai pas lu Tristan Garcia.
    De manière générale je dois vous avouer que je suis scandalisée d’observer l’obstination avec laquelle on cherche aujourd’hui à brouiller certaines frontières (Homme/chose; Homme/animal) essentielles à mes yeux.
    Bien à vous.

  26. séverine dit :

    Bonjour,
    La caverne serait le logos même, et Platon le saurait. Mais son gagne-pain est la parole alors il préfèrerait ne pas trop sonder les murs de la grotte ?
    Ce sont les pensées-soupçons qui me viennent en comparant tout ce que je viens de lire au contenu de cet article et de cette vidéo qui répondent l’un à
    -L’unité et la paix par le logos:
    http://theatreartproject.com/langage.html
    -et l’autre à La guerre des dieux:
    http://www.youtube.com/watch?v=kpu_1A3JU7I
    (En fait je ne sais pas du tout!! Sinon qu’Internet est un puits sans fond..)

  27. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Je n’ai pas le temps pour l’instant de lire ou d’écouter les textes que vous mentionnez.
    Je ne peux donc pas savoir ce qui vous conduit à formuler un jugement aussi fantaisiste.
    A première vue, il faut ne rien comprendre à l’intentionnalité philosophique pour dire une chose pareille.
    Je vous répondrai mieux dès que j’aurai plus de temps, si cela s’impose.
    Bien à vous.

  28. Vincent Primard dit :

    Bonsoir Madame Manon,
    permettez moi s’il vous plaît d’amener deux commentaires que votre cours m’inspire;
    – l’option métaphysique de la reconnaissance de l’existence de Dieu oblige la raison à accepter un postulat, ce qui est me semble-t-il incompatible avec un raisonnement philosophique car impliquant un argument d’autorité. En cela je comprends fort bien que vous parliez d’option métaphysique. Ce qui me pose problème, c’est lorsque vous mettez sur le même plan que cette option de Dieu, celle de son non-choix .En effet,dans le second cas il n’y a pas option pour un postulat quelconque mais simple acceptation de la Vie donnée à elle-même, sans besoin pour elle de recourir à une entité ou un référent extérieurs, et excluant par là-même l’argument d’autorité impliqué plus haut. Plutôt que de reconnaître ses limites à pouvoir répondre aux questions ultimes, le croyant a recours à un argument d’autorité (Dieu existe!), ce qu’un chercheur de vérité ne peut admettre comme recevable. Pour moi la transcendance n’est pas extérieure à nous, elle est potentiellement (en puissance) en nous. Elle est à trouver en nous et, pour le philosophe, c’est par l’acquisition incessante de nouvelles connaissances qu’il s’efforce de lier rationnellement que son esprit se transcende, explorant chaque jour de nouvelles terres spirituelles. Chacun est porteur d’une miette de divin et en apportant une scission entre élus et non-élus de Dieu, les religions monothéistes pratiquent le sectarisme, l’élitisme ou le favoritisme, ce qui n’a rien de très divin mais est par contre très humain!
    – vous écrivez en réponse à l’un des commentaires précédents:’L’acte de foi n’exclut pas la liberté de l’esprit, il l’implique’.Un acte de foi est en lui même limitatif car il somme l’esprit de ne raisonner que dans l’enceinte de cette foi qu’il s’est choisi.Etant limitatif je vois mal comment on pourrait dire qu’il implique un esprit libre, car le propre de celui-ci est de toujours chercher à accroître sa liberté et jamais à la restreindre.Nous pouvons nous croire libres de choisir un acte de foi, mais c’est qu’ignorant les causes nous nous croyons libres de choisir l’effet.Je m’inspire en-cela bien sûr de Spinoza qui nous a si bien instruit que ce n’est pas parce qu’une chose est bonne que nous la désirons, mais bien plutôt qu’elle nous apparaît bonne à proportion de notre désir. Ainsi pour Dieu, ce n’est pas parce qu’Il existe que nous croyons en Lui mais bien plutôt c’est parce que nous croyons en Lui qu’Il existe!
    En vous remerciant encore pour votre attention et toute votre générosité, je vous salue respectueusement
    Vincent Primard

  29. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous semblez ignorer que le Dieu des philosophes et des savants n’est pas le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et que le recours à cette idée n’a rien à voir avec un argument d’autorité. Voyez simplement Kant. Il montre que l’idée de Dieu « ne veut rien dire de plus que la raison ordonne de considérer toute liaison dans le monde selon le principe d’une unité systématique », comme si ces principes étaient tous « issus d’un être unique comprenant tout en tant que cause suprême et parfaitement suffisante ».
    Etudiez Aristote, Descartes, Spinoza pour avoir une idée du statut de Dieu dans la démarche rationnelle.
    Vous semblez aussi ignorer que la vraie foi est le doute surmonté par un engagement chaque jour renouvelé d’une liberté. Là encore, il suffit de se mettre à l’écoute de la parole des grands hommes de foi pour éviter les caricatures.
    Bien à vous.

  30. Vincent Primard dit :

    Bonjour Madame Manon

    Merci beaucoup pour vos lumières philosophiques ainsi que pour vos conseils de lecture.
    Vous souhaitant une bonne journée, je vous salue respectueusement.
    Vincent Primard.

  31. gabrielle nathan dit :

    Bonsoir,
    Votre cours est formidable et répond aux nombreuses questions que je me posais au sujet du rationalisme métaphysique.
    Je comprends parfaitement que vous terminiez votre développement sur l’éthique de la discussion (pourquoi ne pas citer Habermas?) mais je ne cesse, en tant que simple citoyenne de m’interroger sur la fâcheuse tendance que nous avons, en France, de nous payer de mots! Nous passons notre temps à argumenter, et bien sûr pour toutes les raisons que vous dites ce n’est pas si mal, mais pendant ce temps, qui fait quoi ? La raison domine les débats, elle ne gouverne pas les conduites. L’économisme, l’oubli de l’écologie, les inégalités, le chômage, l’école en crise et à présent le terrorisme. Je vous parie qu’on ne cessera pas d’en parler … Et pendant ce temps …

  32. sarah cohen dit :

    Madame
    Votre texte parle de « temple de la vérité et de valeurs ultimes ». Je ne comprends pas car je ne trouve nulle part CE QUE SONT ces valeurs ultimes. Le beau, le juste, le bon, où est-ce que ces valeurs sont définies dans les dialogues platoniciens? Ont-elles oui ou non un contenu et si elles n’en ont pas, comment ça marche, comment puis-je discriminer le beau du laid ou le bon du mauvais si ces Idées restent vides ??? merci

  33. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Pour le rationalisme métaphysique, il y a une conaturalité de la raison et des valeurs ultimes de telle sorte que la dialectique est, chez Platon, la voie permettant de parvenir à l’intuition des Idées du bien, du vrai, du beau, du juste, au terme de la régression dialectique. Je ne fais pas mystère du caractère aporétique de cette conception. En témoignent les dialogues socratiques qui sont tous des dialogues aporétiques ou Aristote refusant d’admettre que la dialectique est science.
    Cela ne revient pas à faire le deuil de la raison comme faculté permettant d’examiner et de distinguer le vrai du faux. Simplement, il faut admettre, à la manière socratique ou pascalienne par exemple, que nous avons une idée de la vérité nous permettant de savoir en creux ce qu’elle n’est pas. Cette idée, dont la raison est le temple, n’est donc pas une idée positive susceptible de fonder des affirmations dogmatiques. C’est plutôt la trace en nous d’un savoir rendant possible l’acuité critique, sans que le doute de l’esprit sur ses affirmations n’altère sa confiance en lui-même. Nous ne savons pas dire ce qu’est le juste, absolument parlant, mais nous savons ce qu’il n’est pas et nous ne pensons pas qu’il y ait une autre mesure de la justice que ce qu’une raison rigoureuse peut déterminer comme tel dans chaque situation concrète, avec les nuances et les réserves que notre finitude nous impose de reconnaître.
    Au fond, il s’agit de comprendre que PENSER C’EST JUGER. Il n’y a pas de réponses toutes faites qui permettraient à l’homme de se décharger de la responsabilité de juger. Socrate revendique son inscience mais il ne cesse d’examiner les opinions et de discriminer en elles le vrai du faux, le bien du mal. Il affirme ainsi que ce ne sont pas les subjectivités empiriques qui sont la mesure du vrai mais une instance en nous s’affermissant dans l’examen lui-même et témoignant par cet exercice de la transcendance du vrai.
    Demandez-vous si l’acte de pensée a encore un sens dans un système dogmatique où, par définition, le questionnement est clos. Votre question semble suggérer une certaine nostalgie d’un tel confort synonyme d’inertie intellectuelle.

    https://www.philolog.fr/pensee-et-nihilisme-hannah-arendt/
    https://www.philolog.fr/socrate-ou-lexperience-philosophique-patocka/
    https://www.philolog.fr/y-a-t-il-une-alternative-au-nihilisme-du-sens-patocka-et-tolstoi/

    Bien à vous.

  34. sarah cohen dit :

    Je vois. Merci beaucoup.
    Je ne suis pas nostalgique d’un tel confort (je devine en quoi une réponse close poserait problème) mais lorsque je lis dans un passage portant sur la « Participation » de la chose à la Forme (eidos) ceci : « c’est toujours par le Beau que les belles choses sont », je me demande naturellement si Socrate donne une réponse à la question définitionnelle : QU’EST CE QUE le Beau? s’il nous explique finalement ce qu’il est, et en quoi telle chose tenue pour belle participe de l’Idée de Beau alors que telle autre n’est belle qu’en apparence… Vous avouerez que ce n’est pas évident d’être un bon juge sans recourir à aucun critère. Comment juger ?
    En réponse , je vous propose l’extrait d’un chapitre un peu savant de Monique Dixsaut où elle explique ceci : « Socrate ne prescrit pas de déduire les conséquences de l’hypothèse (La Forme intelligible), il prescrit d’en examiner les conséquences; il ne dit pas que l’hypothèse sera validée par la cohérence de ses conséquences, il ne parle que de la consonance et de la dissonance des conséquences ENTRE ELLES. » Puis M. Dixsaut s’appuie sur divers dialogues elle donne des exemples de ce qui n’est pas TOUJOURS Beau selon Socrate : l’or, la retenue, les beaux discours, et elle termine en disant : « Nommer tout cela Beau c’est introduire de la dissonance dans ce qui « découle » du Beau. Examiner la consonance ou la dissonance entre les choses procédant de l’hypothèse revient à considérer s’il y a conformité entre ces choses et les prédicats qu’on leur accorde. » (Platon. Vrin, p. 120-121) Une réponse baroque mais une réponse…qui complète la vôtre.

  35. Distic dit :

    Cette fois, pas de question, je me permets seulement de pointer une erreur : je pense que vous parlez des élections (présidentielles) de 2002 et non de celles de 2001 (je ne sais pas s’il y a eu des élections cette année-là, mais il me semble clair que vous parlez du fameux « 21 avril 2002 ») au début de la partie III.

  36. Simone MANON dit :

    Merci pour votre vigilance.
    Je m’empresse de rectifier.
    Bien à vous.

  37. Antoine dit :

    Bonjour Madame,

    Je me permets de vous laisser ce commentaire, car les questions qui sont abordées ici m’intéressent particulièrement (et il m’est nécessaire de faire un usage publique de la raison). Il me semble que votre exposé du problème laisse de côté, peut-être volontairement, une grande partie du caractère problématique de la thèse de Weber (quand je dis volontairement, je veux dire parce qu’il faut parfois choisir – l’art est long mais la vie est courte).

    Pour commencer, je suis prêt à admettre que Weber a raison de nier la possibilité de régler le « combat des dieux » par la raison seule. Mon expérience est également que même de bonne foi, on n’arrive que très rarement à un accord. J’en profite pour corriger une erreur de votre article : c’est le cas même en mathématique. Ce qu’on appelle « vérité mathématique », c’est l’existence d’une démonstration qui va des axiomes aux théorèmes. Mais le fait que les axiomes eux-mêmes soient justes est douteux, et d’ailleurs il y a des sortes de courants de pensée différents (certains mathématiciens n’acceptent pas l’axiome du choix, d’autres se refusent à employer le tiers exclu).

    Mais il reste, direz-vous, une sorte de vérité, qui est le fait que si l’on a les axiomes, alors on a le théorème (je passe sur le problème des règles de déduction logiques, qui, elles-mêmes objet de démonstrations et de théorèmes, font régresser la question à l’infini). Mais ce type de vérité, il vaut aussi pour les questions dont nous nous préoccupons. Pour ma part, je suis peu enclin à donner le moindre crédit à toutes les doctrines qui nient la liberté, et c’est pourquoi je m’y oppose chaque fois que je le juge nécessaire. Cependant, je peux fort bien admettre pour un moment que l’homme n’est pas libre, et à partir de ce point déduire d’autres choses. En ce sens, je peux dire que Marx dit toujours vrai (à condition d’admettre ses axiomes – ce que je me garde bien de faire).

    Il n’y a donc pas de différence de statut logique entre les mathématiques, par exemple, et telle ou telle doctrine philosophique (je n’ai pas mentionné plus haut que c’est d’ailleurs à cause de la notion kantienne d’existence que les mathématiciens intuitionnistes refusent le tiers exclu). Simplement en mathématiques les conséquences d’un accord sur les axiomes sont bénéfiques à tous (il permet une fructueuse démarche de recherche commune) tandis que, par exemple, en matière de philosophie, ce n’est pas le cas car l’adoption des axiomes nous force à admettre aussi leurs conséquences que nous ressentons plus durement.

    J’en reviens à Weber. Quand il affirme (toujours dans « la vocation du savant ») que la science peut apporter quelque chose pour trancher (elle permet de clarifier les termes du débat), il suppose ce que je viens d’expliquer : puisque nous sommes capables de tirer les conséquences logiques de choses sans savoir si elles sont vraies ou fausses (sinon la démonstration par l’absurde serait impossible), cela nous permet
    de trancher non plus entre liberté et absence de liberté, mais entre la liberté et tout ce qu’elle implique (responsabilité,…), et l’absence de liberté et tout ce qu’elle implique.

    A ce point, la situation est la suivante : la raison ne permet pas de trancher entre les diverses idéologies (les différents dogmatismes si vous préférez), mais elle permet tout de même d’éclairer les termes du débat. Cependant, le risque que ce débat dégénère en affrontement violent reste aussi intense. Il est urgent d’y remédier.

    Pour cela, vous nous exposez une méthode provisoire en droit mais définitive en fait : tant que nous ne pourrons pas trancher rationnellement (et nous avons de fortes raisons de penser que c’est pour toujours), nous nous mettons d’accord sur un seul principe très simple, à savoir que tout le monde a le droit de faire usage de sa raison, et de communiquer ce qui lui semble être la vérité, en faisant preuve de bonne foi et en utilisant uniquement des arguments rationnels.

    En continuant à vous paraphraser, ça ne nous fait pas du tout sortir du décisionnisme. En particulier, si quelqu’un refuse et préfère employer des arguments irrationnels, ou la violence, ou souhaite empêcher les autres d’exprimer leurs arguments, nous n’avons aucun argument à lui opposer – à part qu’il s’exclue de cette manière du cercle de la raison pour entrer dans l’arène des passions.

    L’éthique de la discussion consiste donc à établir un espace où la raison règne et de transformer le combat des dieux en un dialogue des dieux, et quoique ce dialogue conserve une dimension polémique, et qu’il risque parfois de régresser, il permet de manifester la dignité humaine dans la confrontation rationnelle de la pluralité des options.

    Cependant, il me semble que cette solution évacue la tentation qu’éveille le décisionnisme, je veux dire le nihilisme et toutes ses conséquences. Si tous les points de vue se valent devant la raison, si nous ne pouvons jamais trancher, alors pourquoi perdre son temps à essayer de trancher rationnellement ? Les doctrines imposées par la violence ne sont pas moins assurées que celles qui s’appuient sur la raison, et elles peuvent parfois s’avérer plus utile. En d’autres termes, l’éthique de la discussion n’est pas un remède à la guerre des dieux puisqu’elle suppose que la discussion pourrait éventuellement mener à un accord.

    Il me semble en fait que la vraie solution consiste à suivre Hannah Arendt qui résout ce problème (ou en tout cas un problème analogue) par le jugement. Certes, la raison ne peut pas nous aider, mais la raison n’épuise pas nos facultés intellectuelles : nous retrouvons alors la faculté de juger réfléchissante de Kant. Quand nous jugeons du beau, nous jugeons « ce qui plaît universellement sans concept ». Par là, nous retrouvons l’espoir d’un accord universel, mais nous prenons acte que cet accord ne saurait arriver par le truchement des concepts. Pour Arendt, la pensée rationnelle ne constitue donc plus qu’une salutaire propédeutique au jugement. C’est une solution (ou une piste de solution) pour donner un sens à la discussion rationnelle de questions insolubles qui ne consiste pas tout simplement à marcher dans les pas de Platon, contrairement par exemple à un Léo Strauss.

    Je crains d’avoir été trop long, mais ce commentaire m’a donné l’occasion de clarifier ma pensée tout en me donnant l’occasion d’espérer que vous saurez me flatter de l’une des réponses instructives dont vous avez le secret.

  38. Simone MANON dit :

    Bonjour Monsieur
    Votre message ne comportant pas de question, je ne discuterai qu’une affirmation qui me semble contestable.
    Dire que la raison ne peut pas trancher de manière ultime certains choix de valeurs ne revient pas à dire que tous les points de vue se valent devant la raison. Je ne peux pas prouver à celui qui s’assoit sur les exigences de la raison qu’il a tort, reste que l’absurdité, la bêtise, la bassesse ne sont pas reconnues comme dignes d’imposer leur loi.
    L’âge classique de la métaphysique a toujours fait une place à l’intuition des premiers principes. L’ascension dialectique chez Platon ne met pas en jeu seulement la raison démonstrative ou logico-déductive. Il y a un moment où l’esprit saisit l’Idée par un témoignage intérieur que l’esprit se rend à lui-même. Le jugement chez Arendt impliquant l’expérience « de vérités relativement transcendantes », je me demande si on ne parle pas de la même chose avec des mots différents.
    Il y a quelque chose qui transcende tout débat, qui travaille l’esprit humain même s’il est impossible d’en formuler la substance positivement. Nous appelons cela la vérité, la justice, la légitimité, le sens. Dès lors que vous réinscrivez le travail de la pensée dans l’espace public ou le monde commun, il nous revient d’assumer notre responsabilité qui est celle de juger en manifestant, en rendant visible, ce « je ne sais quoi » tacite qui transcende les accords et fonde la possibilité même de tout accord.
    Cf. Claude Lefort. Essai sur le politique, Seuil, 1986, p. 262.
    « Ce que la pensée philosophique veut préserver, c’est l’expérience d’une différence qui, par delà celle des opinions, par-delà ce qu’elle suppose: le consentement à la relativité des points de vue, n’est pas à la disposition des hommes; qui n’advient pas dans l’histoire des hommes et ne saurait s’y abolir; qui les met en rapport avec leur humanité de telle sorte que celle-ci ne saurait se rabattre sur elle-même, poser sa limite, absorber en elle son origine et sa fin. [Que] la société humaine n'[a] une ouverture sur elle-même que prise dans une ouverture qu’elle ne fait pas »
    Bien à vous.

  39. Geoffroy dit :

    Bonjour Madame,
    J’ai souvent recours à vos leçons pour élaborer moi-même mes propres cours pour mes élèves. Je vous en remercie, ce sont des ressources textuelles très appréciables.

    Je me demandais simplement pourquoi au début de cette leçon (mais peut-être l’avez-vous traité dans votre cours sur la religion ?) vous affirmez a priori que la question de l’existence de Dieu est indécidable. N’est-ce pas un présupposé kantien ?
    Il semblerait que vous partiez d’ailleurs de cette idée pour nier la possibilité de critique des métaphysiques. Dans votre exemple le fait d’adhérer ou non à la possibilité de l’avortement semble être déduit de ces différentes théologies (le terme me semble plus adéquat que celui de métaphysique dans la mesure où vous soutenez qu’une prémisse, reste dans ce genre d’argumentation, indécidable donc fondamentalement objet de croyance en sa vérité non fondée).
    Cette réduction se manifeste lorsque vous rapprochez d’ailleurs Aristote de notre modernité en affirmant que l’argumentation n’a pas de rapport à la démonstration. Pourtant, l’argumentation étant la 3e oeuvre de la raison, celle-ci concerne fondamentalement la manière d’ordonner les propositions de manière à les justifier. En ce sens, dialectique, rhétorique et analytique chez Aristote appartiennent toutes 3 à une capacité de discuter et défendre son point de vue face à autrui. La spécificité de la science à clore définitivement le débat provenant du fait qu’elle apporte les causes et donne ainsi la nécessité par laquelle on ne peut plus offrir une place à la proposition contraire.
    Mais si vous présupposez ainsi un abandon manifeste de la possibilité de trancher l’existence d’un Principe unique qui regrouperait avec lui la possibilité d’une universalité de la vérité, il est logique que vous concluiez avec Habermas et Rawls sur une éthique qui en définitive ne fait que contenir des frustrations puisque la vérité resterait de l’ordre du décisionisme, contre ce qu’invitait de ses voeux le pape émérite.

    Aussi, quel est l’argument qui vous permet de soutenir cette impossibilité fondamentale de la raison de pouvoir revenir à une philosophie de la nature qui donne connaissance du Kosmos grâce à laquelle l’homme pourrait accéder à la sagesse de devenir lui-même ordonné dans sa vie (ce que la tradition philosophique a imaginé dans la perspective du droit naturel indépendamment de sa formulation théologique dans le décalogue) ?

    Bien à vous,

  40. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il n’y a pas de possibilité pour la raison humaine de trancher la question de l’existence ou non de Dieu. Mais qu’il y ait là de l’indécidable, rationnellement parlant, ne signifie pas que nous devions faire le deuil de la sagesse. Celle-ci n’est pas nécessairement le corollaire d’une métaphysique dogmatique. Plus la raison a conscience de ses limites, plus elle donne des chances à la sagesse.
    Bien à vous.

  41. Arnauld dit :

    Bonjour Madame

    Je me suis penché il y a quelques temps sur la lecture d’un grand nombre d’articles de votre blog. Ce dernier m’a frappé par la profondeur des analyses. Après l’étonnement et la contemplation liés à la grandeur des sujets que vous abordez, je vous fait part de quelques unes de mes réflexions. Mon commentaire s’articule en deux axes principalement.

    Le premier porte sur le lien que je peux faire entre un grand nombre d’articles de votre blog et qui met en exergue votre vision du monde. Je ne sais pas si vous y aviez prêté attention, mais tous ceux-ci sont liée par une quête / une question qui vous habite. Cette quête déploie votre vision du monde et celle-ci m’interpelle car elle converge avec la mienne.
    Le second axe porte sur une critique, infime par rapport à l’immensité de votre vision, mais néanmoins fondamentale. En effet j’ai identifié une divergence entre vous et moi, une divergence qui expliquerait la raison pour laquelle cet article dans lequel je vous écris ne trouve pas de réponse aux polythéismes des valeurs et à la guerre des dieux.

    Ainsi si vous me le permettez, je vais vous exposer mes réflexions.

    PS : en pied de page de ce commentaire, c’est un ensemble d’articles sur lequel je m’appuie pour vous faire cette réponse.

    1er axe :
    La profondeur de votre point de vue, pour moi, permet une lecture politique de notre civilisation. Il est vrai que vous traitez de sujets dit « philosophiques », mais votre angle d’attaque n’est pas la philosophie. Il me semble que pour vous la philosophie est un moyen d’aborder le réel sous tous ses aspects (notamment la nature de l’homme / la physique du cosmos / les lois qui régissent les organisations humaines). Il y aurait tellement de sujets à aborder. Je vais me restreindre au sujet de la lecture politique de notre civilisation.
    Pour cela, je vais conserver le présupposée de ladite « rupture » entre le monde « Antique » et le monde « Moderne ». En effet le monde Moderne se caractériserait par une liberté individuelle accrue au détriment même du respect d’autrui et plus généralement du respect de l’organisation (la famille, l’école, le travail, le pays) auquel l’individu est rattaché à un moment de sa vie. Et le monde Antique pratiquerait un sens de la collectivité si accrue qu’il n’y aurait plus de place pour une vie intime dans son propre foyer. Si bien que l’organisation auquel l’individu est rattaché pourrait empiéter et mépriser la vie propre, intérieure et personnelle de ce-dernier.
    J’ai décrit les deux libertés par la négative afin de bien montrer qu’il y a autant de bon que de mauvais à vouloir se restreindre qu’à un seul des deux camps « Ancien » ou « Moderne ».

    Pourquoi parlais-je de « lecture politique de civilisation » ? Déjà pour cette première raison. Votre blog permet d’essayer de se faire sa propre idée de la place de l’homme moderne dans l’histoire ancienne de notre espèce. Mais il y aussi un autre aspect à traiter : celle de la place de l’homme dans la nature. Quelle relation l’homme d’aujourd’hui a-t-il avec elle et en quoi diffère-t-elle de celle de l’athénien, de l’égyptien ou encore du babylonien ? Pour tout vous dire la question est si précise et si vaste, que je n’ai qu’une idée vague et imprécise de ma propre opinion. La question du « manque de respect » est pour moi une question éternelle et je ne pense pas que le babylonien respectait plus la nature que nous aujourd’hui. Cependant son rapport était tout de même différent. Cela ne m’étonnerait pas que l’hostilité de la nature tenait encore les hommes à leur place d’homme / d’animaux. La technique n’était pas encore autant développée qu’aujourd’hui et je pense que ces hommes devaient avoir peur des tempêtes, des ravages de la peste ou encore des gros risques de famine. Si bien que l’agriculteur était peut être plus respecté à leur époque que le gérant de supermarché aujourd’hui. Mais je me digresse.
    Votre blog permet en effet de nourrir ses réflexions sur la place de l’homme dans la nature et d’avoir une idée de ladite rupture entre le monde Antique et le monde Moderne. La question du Bien et du Mal, la question du Politique et de la Morale, ou encore celle du spectre de Dieu ou de sa Réalité, de la Hiér-archie et de l’An-archie y sont abordées. Et en effet l’organisation tribale des sociétés ou les organisations en cités-Etat en comparaison avec nos Etats-nation et Etats-fédéral d’aujourd’hui, ou encore l’envergure des incarnations animées de la nature dans les religions polythéistes en comparaison à celle des religions monothéistes et des religions athéistes/laïques, démontrent la maîtrise que nous avons de notre milieu d’habitat naturel et démontrent aussi les conquêtes que nous avons effectué sur nos anciennes croyances. Je parle bien de progrès en termes de maîtrise et de conquête, et non en termes de respect et d’humanité.

    Je n’ai pas aujourd’hui la force de m’étendre plus en avant sur cet axe qui mériterait d’être traité plus en détail je crois. J’espère néanmoins vous avoir montré les profondeurs de la vision que vous déployez à travers vos articles.

    2ème axe : « Le choix de la raison malgré tout ».

    « Sur les questions des valeurs et des fins, en effet, les hommes ne semblent pas aptes à trouver un étalon de mesure commun comparable à celui qu’ils mettent en œuvre en matière de nombres ou de faits. Pourtant les nombres n’ont pas davantage d’existence objective que les valeurs ou les significations. Les hommes en découvrent l’idée dans le trésor de leurs esprits et s’entendent sur des définitions universellement valables. Dès lors ne pourrait-il pas en être de même lorsque leurs discours portent sur les valeurs ? »

    Madame, il y a un point sur lequel nous allons peut-être entrer en désaccord : c’est la raison. En effet, je ne me souviens plus des différents articles où j’ai surpris notre divergence sur ce point. Mais celui qui a bien retenu mon attention est celui-ci, sur le polythéisme des valeurs et de la guerre des dieux. Il me semble que nous soyons tous les deux d’accord sur l’existence de la raison chez l’homme, mais que nous ne la fondons pas tout à fait sur les mêmes principes. Le sujet est délicat, je sais, alors je m’excuse par avance de la manière abrupte dont je pense le traiter. Cette manière est plutôt liée au besoin d’aller droit au but qu’à celui de vouloir porter atteinte à la nuance.

    Avant toute chose, accepteriez-vous de décrire votre conception de la raison humaine ? Dans le paragraphe suivant je vais me baser sur la conception que je pense être la vôtre. C’est là où je souhaite en réalité m’excuser de mon indélicatesse.

    Cet article propose « la raison malgré tout » pour faire la paix entre les dieux et trouver de l’unité entre les différentes religions. Votre conception de la raison vous permet de proposer deux réalisations pratiques de cette paix : former les esprits à l’usage de la raison critique et poser une éthique de la discussion. Par ailleurs, la dialectique (qui est une forme du rationalisme critique) est pour Platon la méthode pour résoudre des conflits de valeurs.

    Pour moi, les solutions trouvées dans cet article à la Guerre des Dieux ne sont pas à la hauteur du problème. Elles sont nécessaires, mais pas suffisantes. Les conflits de valeurs, pour moi, ne sont pas solubles par la science, mais seulement par l’amour.

    La simplicité de cette réponse ne doit pas être confondue avec de la naïveté.

    Les valeurs humaines sont les nombres du coeur. Les valeurs numériques sont à la raison scientifique ce que les valeurs humaines sont à la raison du coeur. La science de la raison traite les grandeurs objectives, quand la science du coeur traite les grandeurs subjectives. La distinction que j’opère entre ces deux formes de raison me conduit à être en désaccord avec cette assertion :

    « Nul ne peut exercer sa raison s’il est un parfait ignorant et s’il n’a pas été formé à la rigueur rationnelle. »

    A cette assertion, je peux répondre : « Il existe des ignorants qui peuvent exercer leur raison, même s’ils n’ont pas été formés à la rigueur rationnelle ». Car d’où jaillissent les lumières naturelles ? Sont-elles révélées par les hommes aux autres hommes ou un un homme peut-il les acquérir de manière autonome ? Les deux je pense. Il existerait donc des ignorants dont les trésors de leur esprit leur permettrait d’y puiser des lumières, un savoir acquis par l’expérience, dont la rigueur dépendrait de l’attention, de la curiosité et de l’amour qu’ils lui ont apporté.

    La Guerre des Dieux ne s’éteindra pas par le rationalisme critique, ni par la dialectique, si l’amour s’est éteint dans le coeur des Dieux. Il n’y aura pas de paix, il n’y aura pas d’accord (ac-cord) entre les hommes sur l’éthique de la discussion à mettre en place, la paix ne sera nulle part où la volonté d’aimer son prochain s’est absentée, qu’il soit chrétien ou musulman, athée ou croyant.
    L’amour cependant n’est pas l’unique ingrédient qui permettra la stabilité du dialogue et la paix dans les coeurs. Il y a bien sûr la science, la connaissance, le rationalisme critique. Car il n’y a rien de stable dans l’amour si celui-ci se construit en-dehors de la science. Aimer ne suffit pas à créer la paix. Comme raisonner ne l’est pas non plus. Il est important d’éprouver sa relation à l’autre dans la science et l’amour. Je pense qu’il n’y qu’ainsi que l’homme se libère, non de ses croyances qui le fondent, mais de l’injustice qu’il répand.

    La Paix que recherche cet article ne s’apprend pas assis sur les bancs de l’école ou de son lieu de culte. Elle se trouve au sortir des épreuves que traversent l’amour, l’amitié, la fidélité. Épreuves dont chacun, comme Ulysse, ne sortira vainqueur que par la volonté d’aimer et de penser.

    Je serai ravi de savoir ce que vous pensez de cette analyse. Je sais que je prends parti, celui de prendre l’amour au sérieux. Cette conception de la raison a énormément d’impact sur la lecture que nous pouvons avoir de vos articles. Par exemple, dans les articles ci-dessous « Dirigeants & Dirigés » l’éclairage est frappant si l’on accepte de prendre en compte que votre vision de la société critique non l’absence de science, mais l’absence d’amour ; et notamment l’amour du beau, du bien et du vrai.

    Je vous remercie pour votre lecture,

    Métaphysique & Morale
    https://www.philolog.fr/la-guerre-des-dieux-ou-lunite-et-la-paix-par-le-logos-max-weber-et-benoit-xvi/
    https://www.philolog.fr/le-sentiment-du-respect/
    https://www.philolog.fr/rousseau-la-bonte-naturelle/
    https://www.philolog.fr/quest-ce-que-lautorite/

    Morale & Politique
    https://www.philolog.fr/de-la-liberte-des-anciens-comparee-a-celle-des-modernes-benjamin-constant/
    https://www.philolog.fr/morale-antique-morale-moderne/
    https://www.philolog.fr/machiavel-morale-et-politique/
    https://www.philolog.fr/comment-concevoir-les-rapports-de-la-morale-et-de-la-politique/

    Dirigeants & Dirigés
    https://www.philolog.fr/la-figure-du-rebelle-et-de-lanarque-ernst-junger/
    https://www.philolog.fr/pierre-hassner-la-dialectique-du-bourgeois-et-du-barbare/
    https://www.philolog.fr/le-philistinisme-cultive/comment-page-1/#comment-521831
    https://www.philolog.fr/la-crise-des-significations-imaginaires-sociales-c-castoriadis/

  42. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Tous les articles où il est question de la nature de la philosophie déploient l’idée socratique de raison. Qu’il y ait là une expérience ne semblant pas être la chose du monde la mieux partagée, ne serait-ce que parce qu’elle implique une formation exigeante, je vous l’accorde.
    Voyez par exemple cet article https://www.philolog.fr/socrate-ou-lexperience-philosophique-patocka/ ou https://www.philolog.fr/y-a-t-il-une-alternative-au-nihilisme-du-sens-patocka-et-tolstoi/
    ou https://www.philolog.fr/pourquoi-philosopher/
    La question de l’amour comme dépassement de la violence idéologique ne me semble guère opératoire car le grand problème de l’humanité est la souveraineté des passions, c’est-à-dire de l’affectif dans l’existence des hommes. Seule une ascèse de cette dimension peut incarner un espoir et c’est précisément parce que le déploiement de la raison l’implique qu’il me semble entrevoir un salut en elle.
    Bien à vous.

  43. Arnauld dit :

    Bonjour,

    Je comprends votre point de vue et je le soutiens. L’amour n’est pas opératoire pour dépasser la violence idéologique. Cependant, pour moi, la raison ne surmontera pas non plus à elle seule une telle violence. Il est nécessaire que l’amour et la raison s’allient.

    Pour moi la souveraineté des passions n’est pas le grand problème de l’humanité. Et au contraire elles peuvent être le moteur de leur propre ascèse. Car pour que la raison puisse commencer à discipliner les passions, il faut que nous en ayons envie. Et l’envie est de l’ordre des affects. Le grand problème de l’humanité, pour moi, c’est la question du mal.

    En effet la violence idéologique sera renforcée si, d’une part, nous mettons notre raison au service du mal ou si, d’autre part, nous n’apprenons pas effectivement à l’utiliser pour nous élever.

    Pour traiter la question de l’élévation, ou de l’ascèse, il est bien question ici de la caverne de Platon. Il s’agit de sortir de l’ignorance. Comme je l’ai montré très rapidement ci-dessus pour sortir de l’ignorance, il faut en avoir envie. Après en avoir eu envie, il faut encore pouvoir le faire. Et c’est là où la science intervient. Et c’est là aussi où je vous rejoins.

    Je souhaite aussi montrer une limite à l’ascèse par usage de la raison. Si l’on part du principe que l’amour n’est guère opératoire et que seule la raison est salutaire pour l’élévation des passions, alors prenons le cas d’une personne très habile dans l’usage de sa raison, très raffinée dans ses mœurs et très policées dans ses manières. Cette personne, muni d’une grande culture, a une appétit insatiable pour la connaissance. Ses passions sont raffinées, si bien qu’elle a du goût pour les belles œuvres d’art et n’hésite pas elle-même à en produire. Cette personne policée est aimable en société, prend soin de sa famille en toutes circonstances et a une conscience civique très développée.

    Vous accorderiez-vous avec moi pour dire que cette personne à tous les atours d’une personne s’étant initiée à l’ascèse de ses passions ? Et que celle-ci est par ailleurs avancée sur de nombreux point en ce sens ?

    Maintenant qu’est-ce qui empêche cette personne d’aimer faire souffrir délicatement les autres dans son cercle privé, de jouir en secret des blessures de l’âme de ses hôtes, de torturer par divertissement quelques animaux dans son domaine qu’il aura pris soin d’élever avec amour jusqu’à un certain âge. Voyez-vous la limite que j’essaie de pointer ? La raison peut servir la violence, elle peut même l’aider à se raffiner. C’est pourquoi la raison doit s’allier aux passions pour l’ascèse et plus que cela, elle doit s’associer aux bonnes passions, celles qui sont moteur de la vie.

    J’espère vous avoir éclairé sur l’idée que j’essaie de mettre en exergue. A savoir que le grand problème de l’humanité n’est pas la souveraineté des passions. Et que le dépassement de la violence idéologique n’est possible que si la raison s’allie avec le coeur.

    Bien à vous,

  44. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous déclinez ici la grande leçon de Platon ( https://www.philolog.fr/le-sac-de-peau-platon/ ) ou de Descartes (https://www.philolog.fr/la-vertu-de-generosite/) sauf qu’il n’y a pas lieu de parler de souveraineté des passions (de l’amour) pour pointer la nécessité pour la raison d’être soutenue par une force que, faute de mieux on appelle le désir du meilleur et qui, a l’inconvénient de devoir être éclairé par la raison pour jouer son rôle salvateur.
    Bien à vous.

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