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Premier article définitif pour la paix perpétuelle.

  « La constitution civile de chaque Etat doit être républicaine.

    La constitution fondée premièrement sur les principes de la liberté des membres d’une société (en tant qu’êtres humains) ; deuxièmement sur les principes de la dépendance de tous par rapport à une unique législation commune (en tant que sujets) ; et troisièmement sur la loi de leur égalité (en tant que citoyens) est la seule qui procède de l’idée de contrat originel sur laquelle doit reposer toute législation juridique d’un peuple – c’est la constitution républicaine. C’est par conséquent, en ce qui concerne le droit, celle qui en elle-même se trouve originellement au fondement de toutes les sortes de constitutions civiles ; la question est maintenant de savoir si elle est aussi la seule qui peut conduire vers la paix perpétuelle.

   Or la constitution républicaine offre, outre la pureté de son origine, puisqu’elle provient de la source pure du concept de droit, également la perspective de conduire au résultat souhaité, à savoir la paix perpétuelle. En voici la raison. – Si le consentement des citoyens est exigé (et il ne peut en être autrement dans cette constitution) pour décider s’il doit y avoir la guerre ou pas, il est on ne peut plus naturel que ceux-ci pèsent bien leur décision pour savoir s’ils vont engager un jeu si funeste, puisqu’il leur faudrait décider de subir eux-mêmes tous les malheurs de la guerre (ce qui inclut : combattre en personne ; financer la guerre avec leurs propres ressources ; réparer péniblement la dévastation qu’elle laisse derrière elle ; et enfin, pour porter le mal à son comble et rendre même la paix amère ; ils devront supporter une dette impossibles à rembourser car de nouvelles guerres sont toujours imminentes). En revanche, dans une constitution où le sujet n’est pas citoyen, et qui n’est donc pas républicaine, c’est la chose la moins préoccupante du monde, car le souverain n’est pas concitoyen, mais propriétaire de l’Etat, et la guerre n’inflige pas le moindre dommage à ses banquets, à ses chasses, à ses châteaux de plaisance ni à ses fêtes de cour, etc. ; il peut donc la décider pour des motifs insignifiants, comme une sorte de partie de plaisir, et peut, par bienséance, en abandonner avec indifférence la justification au corps diplomatique qui est toujours prêt pour cela […]

  Emmanuel Kant. Vers la paix perpétuelle. Un projet philosophique. 1795. Trad. Max Marcuzzi. Vrin 2007.

 

   La guerre en Ukraine montre, s’il en était besoin, combien l’analyse de Kant, dans sa réflexion sur les conditions de  possibilité de la paix entre les Nations, est d’une grande pertinence. Tous les citoyens des sociétés fondées sur des principes républicains ont été et restent sidérés par la décision du despote russe d’envahir un pays qui ne le menaçait que dans son fantasme et son hubris. Nous assistons en direct à la dévastation d’un territoire, à la tragédie de personnes condamnées à s’exiler pour sauver leurs vies et celles de leurs enfants, et, lueur d’espoir dans ce désastre, au courage de résistants décidés à faire payer cher à l’envahisseur sa prétention d’asservir un peuple ayant conquis sa liberté. Reste qu’il est insupportable d’assister à un tel drame, impuissants que nous semblons être à arrêter ce sinistre dictateur prêt à tout pour parvenir à ses fins. Et d’abord depuis longtemps à bâillonner son propre peuple pour l’abreuver d’une propagande que la majorité parait subir sans état d’âme, au mépris de toute forme de dignité.

   Je sais bien que nous ne savons pas avec précision ce qui se passe en Russie, que nous subissons aussi la désinformation qui est le propre de toute guerre, mais enfin comment comprendre qu’une population consente à son asservissement à une époque où il y a moyen de s’informer à une autre mamelle que celle d’un pouvoir tyrannique, menteur, ne reculant devant aucune barbarie, celles que nous avons déjà vu à l’œuvre en Tchétchénie et en Syrie ?

   Le philosophe a raison. Si nous voulons un jour promouvoir la paix, il faut commencer par organiser les Etats sur des principes républicains. Liberté de chaque membre de la société civile comme être humain, dépendance de tous par rapport aux lois communes en tant que sujets, égalité de chacun en tant que citoyen. Ces principes ne permettent pas la confiscation du pouvoir par un ou plusieurs ennemis de la liberté parce qu’ils impliquent la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif et donc rendent impossible la mainmise d’un despote sur la volonté générale comme si c’était sa volonté privée.

   Comme l’écrit Kant, si le consentement de citoyens libres est exigé pour décider s’il doit y avoir la guerre, il y a fort à parier qu’ils réfléchiront à deux fois avant « d’engager un jeu si funeste ». Quand on doit soi-même payer dans sa chair le prix de ses décisions, on ne choisit pas de subir les horreurs de la guerre. On s’efforce de régler les différends par des moyens civilisés, ce qui suppose d’abord de ne pas nier les droits légitimes des uns et des autres et de résoudre les problèmes par le dialogue et non par l’usage de la force.

 

 

A méditer:    "La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas". Valéry. 1871 1945.

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9 Réponses à “Kant. La condition nécessaire à la possibilité de la paix entre les Nations.”

  1. Terrence dit :

    Bonjour Madame
    Il est intéressant de constater que notre Président a choisi d’offrir cet ouvrage au Pape François, un choix éclairé, symbolique, et peut être malicieux puisque le Pape avait préconisé l’usage de la force contre les caricaturistes… Quoi qu’on pense de la politique d’Emmanuel Macron, on doit ui reconnaître une finesse d’esprit bien rare chez nos dirigeants.

  2. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Je partage votre jugement. Il a une très belle formation philosophique qu’il a le tort de trahir parfois en flirtant avec la vulgarité.
    Bien à vous.

  3. LAVERGNE dit :

    Bonjour Simone
    Je suis retraité et passionné de philosophie. J’aurais plusieurs questions à vous poser :
    1° Envisagez-vous de publier un livre sur votre cours de philosophie ? si non, votre site internet philolog sera-t-il longtemps consultable ?
    2° je viens d’acheter votre livre sur la liberté qui me paraît génial ; pensez-vous que la revue philosophoire consacrée à la liberté de 02/2002 en soit un bon complément ?
    3° je suis chargé de la communication de 2 cafés philos , accepteriez-vous de venir à une séance en tant qu’oratrice si on vous invitait ?
    4° je vais discuter épisodiquement sur un blog où beaucoup de personnes jugent qu’en matière de lutte contre le covid et le climat, le gouvernement français pratique un totalitarisme. Qu’en pensez-vous ?
    Cordialement ; Jacques

  4. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Non, il n’est pas question de publier un livre. Mon blog est ouvert à tous, gratuitement, ce qui me tient à cœur. Je n’ai pas l’intention de le fermer.
    Je ne peux pas répondre à votre question concernant la revue philosophique de 2002 car j’en ignore le contenu.
    J’habite en Savoie et je n’accepte aucune invitation.
    Pour accuser le gouvernement français de totalitarisme en quelque domaine que ce soit, il faut avoir perdu le sens des significations. Drame de notre époque. « Mal nommer un objet, disait Camus, c’est ajouter à la misère du monde ». La fonction de la philosophie a toujours été de réfléchir à ce que l’on dit en s’efforçant de déjouer les pièges du langage et les effets d’aveuglement d’une vie sans examen.
    Bien à vous.

  5. LAVERGNE dit :

    Merci de votre réponse
    Peut-être irez-vous un jour au festival philosophia de Saint-Emilion en Gironde ? ce festival se déroule chaque année à la fin du mois de mai.
    Si tel est le cas, j’espère vous rencontrer
    Bien à vous

  6. Tintaglia dit :

    Bonjour,
    Je découvre votre site et ce premier article que je trouve fort intéressant.
    Je m’interroge cependant sur une de vos phrases , à propos du peuple russe qui consentirait à son asservissement à une époque à laquelle il pourrait s’informer ailleurs qu’auprès du gouvernement.
    A quelle source d’information pensez-vous ? En effet, Internet n’est guère plus libre en Russie qu’en Chine, et s’il est possible via un vpn de surfer sur l’internet libre, je ne pense pas que ce soit accessible à tous les russes, ni même à la majorité (propagande, peur d’être pris…)
    Il me semble donc que ça n’est pas si simple que ça pour les Russes d’avoir accès à la véritable information.
    Mais peut être pensiez-vous à autre choses ?
    Bien, je retourne me régaler avec vos autres articles.
    Bonne journée.

  7. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Je ne méconnais pas le fait que la véritable information est verrouillée en Russie, mais les personnes qui veulent vraiment échapper à la propagande disposent encore de la chaine telegram.
    Bien à vous.

  8. Pascal dit :

    En ce qui concerne l’information diffusée par les médias, il me semble qu’il convient d’être particulièrement vigilant et qu’il convient de se souvenir de Jean Luc Godard « Une image juste ! juste une image.  » et la desinformation pratiquée en Russie est pratiquée à mon sens de la même manière en occident mais d’une manière beaucoup plus insidieuse. Notre manière de penser est ainsi orientée et nous prive de toute liberté.
    Sur le dossier UKRAINE/RUSSIE il me semble que la comprehension du conflit repose sur la comprehension d’enjeu géopolitique qui peuvent parfois nous échapper car nous manquons d’informations de première importance..
    D autre part je tiens a vous féliciter pour votre travail, je lis avec delectation tous vos post et je vous en remercie. Permettez moi de vous poser une question : Etes vous intimement convaincu que le concept de république selon Kant garantisse la paix entre les nations, n’y a t il pas une faille ?

  9. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Que vous ne fassiez pas la différence entre l’information diffusée dans un pays rendant possible la pluralité des points de vue et la propagande d’un pays totalitaire est grave sur le plan intellectuel. Cela ne signifie pas que l’objectivité rigoureuse soit possible, fût-ce dans un pays libéral où l’on peut s’informer à différentes sources mais enfin parler de privation de liberté est dénué de sens.
    Le concept kantien de république est celui d’une république idéale qui, les hommes étant ce qu’ils sont, n’est pas de ce monde mais enfin un peuple qui se soumet à des règles de droit conformes aux exigences de la raison n’est pas enclin à choisir la violence dans son rapport avec les autres.
    Bien à vous.

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