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Kant

 

La République comme Idée pure de la raison ou le contrat social comme devoir. Kant.

 

   Qu'est-ce qu'une République ? Peut-on appeler ainsi n'importe quelle organisation humaine au point qu'il n'y ait pas de différence entre un Etat républicain et une bande de brigands ? L'image se retrouve souvent sous la plume des grands auteurs, la question étant de savoir ce qui permet de discriminer les ordres.

  Cicéron le précise : La res publica est la chose publique, la chose du peuple mais un peuple « n'est pas un rassemblement quelconque de gens réunis n'importe comment, c'est le rassemblement d'une multitude d'individus qui se sont associés en vertu d'un accord sur le droit et d'une communauté d'intérêts » De la République I, XXV, 39.

  Kant s'inscrit dans cette tradition. « Par République, on entend un Etat en général » et non une des trois formes d'Etat : la démocratie par rapport à l'autocratie et à l'aristocratie. Ce n'est pas la forme du gouvernement (autocratie, aristocratie, démocratie) qui définit le républicanisme, c'est son mode qui est soit despotique, soit républicain.

  Le mode qualifie la manière dont l'Etat fait usage de sa souveraine puissance. Soit il l'exerce arbitrairement en substituant une volonté particulière à la volonté publique, c'est le despotisme, soit il y a séparation des pouvoirs, l'exécutif étant soumis au pouvoir législatif lui-même étant l'expression de la volonté commune et c'est la république. Elle seule « mérite d'être tenue pour une véritable constitution civile ».Anthropologie du point de vue pragmatique.

    L'originalité de Kant consiste à établir que la République n'est pas une donnée de l'expérience mais une Idée pure de la raison qui se déduit a priori de ce qu'il définit comme le devoir de tout être raisonnable : celui de sortir de l'état de nature et d'entrer dans une constitution civile.

  « Parmi tous les contrats par lesquels une multitude d'hommes s'unissent en une société, le contrat qui établit une constitution civile est une espèce si particulière [...] qu'il se distingue de façon essentielle de tous les autres dans le principe de son institution. L'union de plusieurs hommes en vue d'une fin quelconque (que tous ont en commun) se retrouve dans tous les contrats d'affaire, mais l'union de ces mêmes hommes, qui est en soi-même une fin (que chacun doit avoir) [...] est un DEVOIR INCONDITIONNE ET PREMIER : une telle union ne peut se rencontrer que dans une société se trouvant dans une constitution civile c'est-à-dire constituant un être commun » Théorie et Pratique.

  Cette constitution civile ou république suppose un contrat originaire qu'il ne faut pas considérer comme une réalité historique. Nulle part dans le réel, il n'est donné d'observer cette règle de constitution d'un Etat ; « elle doit être dérivée a priori par la raison de l'idéal d'une association juridique des hommes sous des lois publiques ».

  Les principes a priori de cette constitution sont les suivants :

« 1) La liberté de chaque membre de la cité comme homme.

   2) L'égalité de celui-ci avec tout autre comme sujet.

  3) L'indépendance de tout membre de la communauté comme citoyen ». Théorie et Pratique.

  La fonction de cette idée est de réguler l'action des hommes dans l'histoire et en particulier celle des législateurs dont le devoir est d'édicter des lois comme si les sujets avaient concouru, en tant que citoyens, à leur élaboration car « il n'y a que la volonté d'un peuple qui puisse être législatrice ».

   Ainsi une monarchie peut être républicaine dans son mode de gouvernement si le monarque traite le peuple suivant ce principe et édicte des lois « comme un peuple de mûre raison se les prescrirait à lui-même encore qu'à la lettre ce peuple ne soit pas invité à donner son consentement ».

  En revanche une démocratie peut être despotique si le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ne sont pas séparés, ce qui est le cas de la démocratie directe.

  La république est donc un système représentatif où l'exercice de la souveraine puissance est réglé par la loi, une loi exprimant la volonté générale d'un peuple.

  Il s'ensuit que l'histoire ne peut que difficilement incarner cet Idéal. La République telle qu'elle se réalise, ce que Kant appelle la République phénoménale ne peut que se rapprocher de la République nouménale (La République telle qu'elle est pensée en qualité d'Idée pure de la raison).  Son moyen de réalisation est essentiellement, à ses yeux, celui de réformes progressives conduites sous l'autorité de monarques éclairés. Celles-ci exigent pour être comprises un progrès des lumières que Kant porte à l'actif de l'usage public de la raison par des gens éclairés.

  La solution du problème politique, celui dont il dit qu'il est le plus difficile à résoudre ne peut donc venir que de l'éducation du peuple à la raison ou à la liberté. Voilà pourquoi, le contrat inaugural dont Rousseau énonce les clauses idéales et dont Kant dit qu'il est un devoir inconditionné ne peut pas se passer au début de l'histoire mais au terme d'un processus historique impliquant le développement du savoir et l'apprentissage de la liberté.

  Sans éducation de l'homme à la vertu républicaine, il n'y a pas de république possible.

   « C'est au fond de l'éducation que gît le secret de la perfection de la nature humaine » Réflexion sur l'Education.

 

 

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13 Réponses à “La République comme Idée pure de la Raison: Kant.”

  1. bittembois dit :

    Bonjour,

    très agréable, clair, conci, etc.
    toutefois, vu qu’il n’est pas possible de faire un copier coller des citations, pour voir dans google d’où elles proviennent, il serait à mon avis judicieux de donner précisément les références de chaque citation…
    bonne continuation.
    merci.

  2. Simone MANON dit :

    Je suis désolée mais je n’ai pas conçu mon blog pour dispenser ses lecteurs d’écrire et de lire. J’indique l’oeuvre. Lorsqu’elle n’est pas d’une ampleur décourageante, il me semble que cela est suffisant et utile pour aiguiser la curiosité. Par exemple, dans l’édition Vrin, Théorie et Pratique représente 64 pages.
    Bien à vous.

  3. Bittembois dit :

    C’est toutefois plutôt une question de méthode, les sources se doivent d’être citées. C’est pariculièrement fort utile sur internet où l’on trouve de tout et n’importe quoi. Si il faut se coltiner 50 pages pour vérifier une information, on est pas sorti de l’auberge.

    Mais je vous le répète, votre blog est très bien, c’est un détail (qui a son importance).

  4. Falque dit :

    Elève en classe d’hypokhagne, je me sers beaucoup de votre site vraiment bien fait, ce qui est difficile à trouver sur internet-alors merci!

  5. Julien dit :

    Bonjour Madame,

    Tout d’abord, merci pour votre site, que je trouve toujours très éclairant!
    Je me permets de vous écrire car je me pose une question relative à la distinction kantienne entre « forme et de gouvernement  » et « mode de gouvernement ».
    J’ai bien compris que le mode de gouvernement était despotique s’il n’existait pas de séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. La question que je me pose concerne le rapport de la position de Kant vis-à-vis de celle de Rousseau. Doit-on comprendre que Kant s’oppose à Rousseau, quand il écrit qu’un gouvernement républicain est représentatif? Il me semble que Rousseau condamne la représentation. Mais pourquoi Kant la pose-t-elle comme une nécessité? Est-ce parce qu’il n’admet pas qu’une « volonté générale » émanant directement du peuple, et qui garantirait en même temps les libertés individuelles, soit possible?

    Encore une fois, merci pour votre travail!
    Bien cordialement,
    Julien

  6. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Oui, vous voyez juste:
    Kant s’oppose à Rousseau en ce que l’un condamne un régime représentatif (« la volonté ne se représente point: elle est la même , ou elle est autre; il n’y a pas point de milieu… le peuple anglais pense être libre; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien » Contrat social, III, 15), et l’autre en établit la nécessité dans une véritable république.
    L’un et l’autre affirment que seul un régime républicain est légitime dans la mesure où le pouvoir législatif ne peut appartenir, comme l’écrit Kant, qu’à la volonté unifiée du peuple.
    Mais pour Kant, cette volonté unifiée n’est pas une donnée empirique. Ce qui est donné, c’est une multitude dans la diversité et la multiplicité des volontés particulières. Il s’ensuit que la volonté unifiée d’un peuple ne peut être que représentée afin que dans la législation soit mise en oeuvre une volonté universelle qui puisse devenir la volonté de chacun.
    C’est donc l’exigence de le représentation du peuple sous l’espèce d’une totalité unifiée qui fonde la nécessité de la représentation au double sens de la figuration et de la délégation.
    C’est aussi l’exigence de la séparation des pouvoirs législatif et exécutif. En effet, là où il n’y a pas de séparation, ce qui est le cas de la démocratie directe, le despotisme est au rendez-vous car le peuple y statue sur le particulier, ce qui est un principe de corruption de la volonté républicaine. Et là où le rapport du peuple avec lui-même est médiatisé par l’Etat, la liberté de chacun comme membre du souverain n’a d’égale que son assujettissement comme membre de l’Etat. Bruno Bernardi dans son excellente introduction au choix de textes (La démocratie, corpus flammarion) dit que Kant a bien identifié les dangers pour la liberté du pouvoir du peuple en passe de relayer le pouvoir royal.
    Et Rousseau lui-même ne fait pas mystère des difficultés de l’idée de volonté générale.https://www.philolog.fr/le-contrat-rousseauiste-a-lepreuve-de-la-theorie-et-non-des-faits/

    Quoi qu’il en soit,Kant reprend dans son procès de la démocratie les arguments de Rousseau qui en tire l’idée de la démocratie comme idéal impraticable. « Il semble qu’on ne saurait avoir une meilleure constitution que celle où le pouvoir exécutif est joint au pouvoir législatif. Mais c’est cela même qui rend ce gouvernement (voyez bien que la démocratie est définie comme forme de gouvernement, la souveraineté du peuple définissant seule la république c’est-à-dire l’ordre politique légitime) insuffisant à certains égards, parce que les choses distinguées ne le sont pas, et que le prince et le souverain n’étant que la même personne, ne forment pour ainsi dire qu’un gouvernement sans gouvernement. Il n’est pas bon que celui qui fait les lois les exécute ni que le corps du peuple détourne son attention des vues générales pour la donner aux objets particuliers » Conséquence: S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes » Contrat social, III, 4.
    Pour Kant le problème de la démocratie n’est pas d’être un idéal impraticable, c’est d’être le pire des régimes car il compromet la liberté de l’homme comme homme, son égalité avec les autres comme sujet, son indépendance en qualité de citoyen. Pour sauver ces principes dont le respect est exigé par le contrat originaire, il faut donc qu’un homme ou une assemblée représente le peuple comme volonté unifiée et légifère au nom d’une volonté universelle. Kant reconnaît à Frédéric II le mérite de s’efforcer d’être « le serviteur suprême de l’Etat, alors que la forme démocratique rend la chose impossible puisque tous y veulent être le maître. On peut dire par conséquent que plus le personnel de l’Etat (le nombre des dominants) est petit et plus est grande par contre sa représentation, plus la constitution de l’Etat s’accorde avec la possibilité du républicanisme et elle peut s’y élever finalement par des réformes progressives » Vers la paix perpétuelle, II.
    Remarquez que Kant dit possibilité non réalité. Il souligne les risques de la représentation mais ils lui semblent moins inéluctables que ceux de la démocratie.
    Bien à vous.

  7. Julien dit :

    Bonjour Madame,

    Merci beaucoup pour votre réponse.
    Je comprends à vous lire que Rousseau et Kant s’accordent en ceci qu’ils rejettent tous les deux l’idée d’une démocratie directe, où le pouvoir de faire la loi et celui de l’exécuter appartiendraient au même corps.
    Je me permets de vous poser une dernière question, toujours relative au rapport de Kant à Rousseau.
    Si je comprends bien, Kant critique l’idée même de volonté générale, qui constituerait moins une réalité donnée qu’un idéal. D’où la nécessité d’une représentation qui unifierait le peuple comme volonté.
    Le question que je me pose est la suivante : doit-on comprendre que Kant formule une critique de la volonté générale – en son acception rousseauiste – simplement parce qu’elle n’existe pas, ou bien plus fondamentalement parce que l’idée même de viser un bien commun contredirait la position kantienne qui est que, je crois, le bonheur est un idéal de l’imagination et qu’il est donc dangereux d’en faire une fin de la politique? Plus précisément, peut-on assimiler la recherche du bien commun chez Rousseau à une quête du bonheur pour tous?
    Je me demande au fond si le fait critiquer l’idée de bien commun dans une optique plutôt « libérale » ne reviendrait pas alors à nier ce qui fait qu’un peuple est un peuple, c’est-à-dire pour Rousseau le pacte social que contracte chaque individu envers le souverain, et que manifeste la possibilité même de volonté générale (qui vise par définition un « bien commun)? Ne dissout-on pas ici le lien social? Mais inversement, et c’est mon problème, le fait de maintenir ce lien en maintenant l’idée de bien commun n’engendre-t-il pas toujours un risque de despotisme?

    Un grand merci, encore, pour le temps que vous prenez à nous répondre!

    Très cordialement,
    J.

  8. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il ne faut pas dire que Kant critique l’idée de volonté générale, d’autant moins que celle-ci définie par Diderot comme « un acte pur de l’entendement qui raisonne dans le silence des passions sur ce que l’homme peut exiger de son semblable et sur ce que son semblable peut exiger de lui » (Encyclopédie. Article : Droit naturel), correspond à ce qu’il appelle la volonté raisonnable. Son problème est le principe de la souveraineté populaire, autrement dit du pouvoir. Comment un souverain éclaté concrètement en une multiplicité de volontés particulières pourrait-il être le garant du droit?
    Vous voyez juste lorsque vous soupçonnez Kant de ne pas définir la citoyenneté à la manière d’Aristote comme une citoyenneté magistrature et la cité comme une communauté des fins. Car un « Etat est la réunion d’hommes sous des lois juridiques » celles-ci étant moins le produit du lien social que ce qui le fonde, leur institution correspondant au devoir inconditionnel de l’être raisonnable de sortir de l’état de nature.
    Kant distingue clairement les fins du sujet raisonnable et celles du sujet empirique. Ces dernières relèvent de la sphère privée. Ainsi le bonheur n’est pas une fin du politique pour les raisons que vous savez. Cela n’interdit pas de se préoccuper de réunir les conditions sociales d’une vie heureuse mais à titre de moyen, non de fin. On sait en effet que le malheur rend souvent les hommes méchants et les détourne de faire leur devoir et qu’il faut beaucoup de civilisation de l’humaine nature pour donner ses chances à la moralité.https://www.philolog.fr/quelles-sont-les-fins-qui-sont-en-meme-temps-des-devoirs-kant/
    Je ne comprends pas votre dernier paragraphe. Y a-t-il bien commun plus estimable qu’un espace social où sont garantis la liberté de l’homme (et d’abord celle de déterminer la nature de son bonheur sous réserve de ne pas porter préjudice aux autres. Cf. « Personne ne peut le contraindre à être heureux à sa manière (c’est-à-dire à la manière dont il conçoit le bien-être des autres hommes) par contre chacun peut chercher son bonheur de la manière qui lui paraît bonne, à condition de ne pas porter préjudice à la liberté qu’a autrui de poursuivre une fin semblable (c’est-à-dire de ne pas porter préjudice au droit d’autrui), liberté qui peut coexister avec la liberté de chacun grâce à une possible loi universelle. Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, comme celui d’un père envers ses enfants, c’est-à-dire un gouvernement paternaliste (…) où les sujets sont forcés de se conduire d’une manière simplement passive, à la manière d’enfants mineurs, incapables de distinguer ce qui leur est utile ou nuisible et qui doivent attendre simplement du jugement d’un chef d’Etat la manière dont ils doivent être heureux et simplement de sa bonté qu’également il le veuille, est le plus grand despotisme qu’on puisse concevoir (c’est-à-dire une constitution qui supprime toute liberté pour les sujets qui ainsi ne possèdent aucun droit) », son égalité de droit avec les autres, son indépendance? N’est-ce pas cet espace qui permet le jeu des libertés, celui-ci étant le vecteur du perfectionnement des dispositions de la nature et du progrès du droit selon les analyse de Idée d’une histoire universelle? Car la république phénoménale doit sans cesse être réformée afin de s’approcher de l’idéal de la république nouménale.
    Dans le Contrat social, Rousseau fait aussi de la liberté et de l’égalité, les fins de l’association politique. Je ne vois pas en quoi cette option libérale est une menace pour le lien social. En revanche il est clair que la volonté majoritaire d’imposer à la totalité du corps social une certaine conception de la vie bonne est à coup sûr un despotisme.
    Comme l’écrit Bernardi, « Kant n’affirme pas la liberté personnelle contre l’idée de communauté des fins, mais contre un despotisme étatique. Il ne dresse pas le principe de la représentation contre le pouvoir commun des citoyens, mais contre la concentration dans l’Etat d’un pouvoir sans limites… C’est ce qu’il décèle, lisant Rousseau, dans le concept de souveraineté, et ce qu’il discerne dans la Révolution française »
    La volonté générale étant un pouvoir absolu, limité par sa nature même n’est pas le lieu du problème. Le problème c’est le pouvoir étatique avec sa capacité d’assujettir les membres de la cité. Bernardi n’a pas tort de souligner que Rousseau est un penseur de l’Etat et que sa distinction du vouloir (la souveraineté) et du pouvoir (le gouvernement) a un effet ruineux sur le modèle de la citoyenneté comme participation. N’est-ce pas le problème actuel de nos démocraties?

    Quand Rousseau pense les fins de l’association politique en terme de vouloir, il cite comme Kant la liberté et l’égalité en droit (#égalité de fait). « Si l’on recherche en quoi consiste précisément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à deux objets principaux, la liberté et l’égalité, la liberté parce que toute dépendance particulière est autant de force ôtée au corps de l’Etat ; l’égalité, parce que la liberté ne peut subsister sans elle.

    J’ai déjà dit ce que c’est que la liberté civile ; à l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes ; mais que, quant à la puissance, elle soit au-dessus de toute violence, et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois ; et quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour pouvoir en acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre ; ce qui suppose, du côté des grands, modération de biens et de crédit, et, du côté des petits, modération d’avarice et de convoitise ». Livre II, § XI.
    Bien à vous.

  9. Julien dit :

    Bonsoir Madame,

    Merci infiniment pour votre réponse, qui m’éclaire.
    Je crois que ma confusion venait de ce que j’assimilais le Bien commun chez Rousseau à une forme d’imposition despotique de ce que doit être la vie bonne.

    Mais je me demande du coup si le fait de poser un Etat « axiologiquement neutre » – pour parer à tous les risques de despotisme – n’invalide pas dans le même temps le recours à tout critère (sinon celui de la liberté) moral ou esthétique qui permettrait de trancher différents problèmes de société. Légitimer toute forme de pratique du moment qu’elle correspond à la conception que se fait un individu de la vie bonne – au nom du libéralisme politique – ne nous fait-il pas encourir le risque d’un conflit entre les citoyens? En effet, nous pourrions supposer que ce qui convient à certains puisse dans le même temps nuire à la conception de la vie bonne que se font les autres. Si l’Etat n’a pas à arbitrer en fonction de critères de ce qui est bien, comment faire pour éviter le risque des conflits de société? Certains par exemple veulent justifier certaines pratiques au nom de la liberté, là ou d’autres y voient quelque chose de foncièrement immoral. Doit-on dire que les premiers auront toujours raison?
    Désolé, je crois que je dévie, mais à la lecture de Kant, je me pose plusieurs questions sur les conséquences qu’il y a à faire de la définition de le vie bonne une affaire rigoureusement privée. C’est promis, ce sera ma dernière question!
    Encore merci!

    Julien

  10. Simone MANON dit :

    Bonjour
    L’Etat libéral est un Etat religieusement neutre mais je ne crois pas qu’il y ait vraiment sens à dire qu’il est axiologiquement neutre. C’est bien ce que lui reprochent ses détracteurs en voyant en lui l’organe de la domination d’une culture, celle de la culture occidentale d’origine européenne, valorisant l’individu comme être autonome et rationnel, dont la vocation est de s’émanciper de l’emprise communautaire, de promouvoir des conditions sociales d’existence prospères par la liberté d’entreprendre et d’échanger (économie de marché), de s’organiser politiquement de façon démocratique en garantissant le respect des droits fondamentaux de la personne humaine. Les conceptions de la vie bonne qui sont étrangères à ce choix de valeurs ne peuvent être acceptées qu’autant qu’elles restent de l’ordre de la sphère privée. Le problème est qu’aujourd’hui, elles revendiquent une visibilité et une reconnaissance sociales et politiques. Or l’Etat de droit, en termes kantiens l’institution soucieuse d’administrer le droit universellement, n’a pas à être complaisant à l’endroit de ce genre de revendications qui sont une remise en cause de l’idéal d’autonomie de la personne humaine, les droits de celle-ci n’étant pas attachés à l’individu empirique, narcissique et anomique, mais à l’être de raison (capable de raisonner dans le silence des passions sur ce qu’il peut exiger de son semblable et sur ce que son semblable peut exiger de lui). Hélas, on a l’impression que ceux qui devraient être les gardiens de l’Etat de droit en sont parfois les fossoyeurs, comme si nos élites dirigeantes et intellectuelles avaient cessé de croire à l’insigne valeur de nos valeurs et principes fondamentaux.
    Voyez bien qu’il y a nécessairement une dimension conflictuelle dans le jeu démocratique des libertés. Mais la force des règles démocratiques, si elles ne se renoncent pas, est d’en permettre le dépassement par des voies institutionnelles. Lorsque qu’il analyse la genèse du droit dans une perspective empirique (#déduction transcendantale de droit: perspective idéaliste) Kant souligne ce fait. Thème de l’insociable sociabilité.
    https://www.philolog.fr/lesprit-democratique-des-lois-dominique-schnapper/
    Bien à vous.

  11. Julien dit :

    Un grand merci.

  12. PHILIPPE dit :

    Bonjour madame,

    c’est briantissime! Merci pour votre travail « d’éclairer et d’orienter » mon esprit sur un sujet tout à fait central dans nos sociétés.
    Bien à vous.

  13. Simone MANON dit :

    Merci pour ce sympathique message.
    Bien à vous.

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