Premier article définitif pour la paix perpétuelle.
« La constitution civile de chaque Etat doit être républicaine.
La constitution fondée premièrement sur les principes de la liberté des membres d’une société (en tant qu’êtres humains) ; deuxièmement sur les principes de la dépendance de tous par rapport à une unique législation commune (en tant que sujets) ; et troisièmement sur la loi de leur égalité (en tant que citoyens) est la seule qui procède de l’idée de contrat originel sur laquelle doit reposer toute législation juridique d’un peuple – c’est la constitution républicaine. C’est par conséquent, en ce qui concerne le droit, celle qui en elle-même se trouve originellement au fondement de toutes les sortes de constitutions civiles ; la question est maintenant de savoir si elle est aussi la seule qui peut conduire vers la paix perpétuelle.
Or la constitution républicaine offre, outre la pureté de son origine, puisqu’elle provient de la source pure du concept de droit, également la perspective de conduire au résultat souhaité, à savoir la paix perpétuelle. En voici la raison. – Si le consentement des citoyens est exigé (et il ne peut en être autrement dans cette constitution) pour décider s’il doit y avoir la guerre ou pas, il est on ne peut plus naturel que ceux-ci pèsent bien leur décision pour savoir s’ils vont engager un jeu si funeste, puisqu’il leur faudrait décider de subir eux-mêmes tous les malheurs de la guerre (ce qui inclut : combattre en personne ; financer la guerre avec leurs propres ressources ; réparer péniblement la dévastation qu’elle laisse derrière elle ; et enfin, pour porter le mal à son comble et rendre même la paix amère ; ils devront supporter une dette impossibles à rembourser car de nouvelles guerres sont toujours imminentes). En revanche, dans une constitution où le sujet n’est pas citoyen, et qui n’est donc pas républicaine, c’est la chose la moins préoccupante du monde, car le souverain n’est pas concitoyen, mais propriétaire de l’Etat, et la guerre n’inflige pas le moindre dommage à ses banquets, à ses chasses, à ses châteaux de plaisance ni à ses fêtes de cour, etc. ; il peut donc la décider pour des motifs insignifiants, comme une sorte de partie de plaisir, et peut, par bienséance, en abandonner avec indifférence la justification au corps diplomatique qui est toujours prêt pour cela […]
Emmanuel Kant. Vers la paix perpétuelle. Un projet philosophique. 1795. Trad. Max Marcuzzi. Vrin 2007.