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   Les livres de John Money, Peter Singer, Judith Butler, Donna Haraway, etc.  m’étaient tombés des mains, il les a lus jusqu’au bout de leurs aberrations. Performance admirable ! Rien que pour cela, Jean-François Braunstein mérite notre reconnaissance. D’où l’urgence de  lire cet ouvrage dont le premier mérite est de nous réconcilier avec la philosophie. On n’est donc pas condamné à subir inlassablement les ratiocinations d’intellectuels anglo-saxons dont on se demande comment ils ont pu depuis tant d’années dominer la scène médiatique et universitaire. Serait-ce le signe que le bon sens retrouve droit de cité ? Grâces soient rendues à notre auteur puisqu’il nous permet de l’espérer.

 

Retrouver la « décence ordinaire »

 

    « Théorie du genre, droits de l'animal et enthousiasme pour l'euthanasie puisent aux mêmes sources, d'amour, de bienveillance universelle, d'évitement de la douleur et du tragique. Pourtant, nous l'avons vu, ces bons sentiments conduisent aux pires aberrations. Si l'on pousse jusqu'au bout la logique des raisonnements des éminents universitaires que nous avons évoqués, on arrive à des conclusions qui sont non seulement absurdes mais abjectes. Si l'on accepte l’idée que le sexe biologique n'a pas d'importance et que le genre est « au choix », il sera difficile d'éviter la conséquence que notre corps est tout entier à la disposition de notre volonté et que nous pouvons décider de le transformer à l'envi. Si l'identité est également « au choix », il doit être possible à chacun de surfer d'un genre à l'autre. Si l'on pense que les « animaux non humains » doivent être traités de la même manière que les « animaux humains » que nous sommes censés être, la zoophilie et l'expérimentation sur les humains ont un bel avenir devant eux. S'il convient de légaliser l'euthanasie, pourquoi la limiter à tel ou tel type d'humains, mourants ou handicapés ? Pourquoi ne pas tuer aussi des enfants qui nous semblent « défectueux » ? Quant au déficit en organes pour les transplantations, il suffit de changer la définition de la mort et de nationaliser les cadavres pour que la question soit réglée. Les conséquences tirées par nos « gendéristes », « animalitaires » et « bioéthiciens » sont imparables, si l'on accepte leurs présupposés.

   Des discours sur l'amour et la tolérance, sur les animaux maltraités ou les mourants à soulager, auxquels chacun a immédiatement envie de souscrire, conduisent ainsi à des conclusions absurdes et choquantes. Face à de telles stupidités, on ne peut que se souvenir de la formule de George Orwell :  « il faut être un intellectuel pour croire une chose pareille : quelqu'un d'ordinaire ne pourrait jamais atteindre une telle jobardise ». Mais on peut aussi espérer, en suivant toujours Orwell, que de telles propositions choquent la « décence ordinaire » de tout être humain digne de ce nom : «  mon principal motif d'espoir » (Notes sur le nationalisme, Essais, articles, lettres, vol. III, Paris, Ivrea-Encyclopédie des nuisances, p. 476), ajoutait Orwell, tient au fait que «  les gens ordinaires sont toujours restés fidèles à leur code moral » (Lettre à Humphry House du 11 avril 1940. Ibid. Vol. I,  p. 663)

   Il convient donc de récuser les bases mêmes de ces raisonnements. Leur erreur commune est de penser que les questions morales sont analogues à des problèmes logiques ou juridiques, dans lesquels une solution et une seule s'impose. Les fameux « cas » de l'éthique analytique sont souvent distrayants, mais ne présentent aucun autre intérêt. La morale n'a pas affaire à des préférences ou à des plaisirs en général qu'il faudrait « maximiser », elle a affaire à des situations particulières et à des hommes réels, pour lesquelles certaines choses sont admissibles et d'autres ne le sont pas. Dans ces affaires il vaudrait mieux, en suivant Auguste Comte, s'appuyer sur les traditions de l'humanité, sur ces « morts qui nous gouvernent », plutôt que sur « l'abus de la logique déductive ». I1 est des choses qu'il ne doit même pas être possible d'envisager lorsqu'on est un être humain suffisamment civilisé. Comme le dit Anne Maclean, si on ne tue pas les bébés, c'est simplement « parce que cela ne se fait pas ». Essayer de démontrer le contraire est déjà criminel. Si on pratique l'infanticide, au moins pour l'instant et dans la plupart des cas, on éprouve un certain sentiment de gêne. Singer lui-même reconnaît que tuer sa mère atteinte d'Alzheimer n'est pas si simple que cela. La zoophilie se pratique sans doute, même si c'est moins souvent que ne l'affirme Singer, mais on n'a pas alors le sentiment d'avoir une relation amoureuse normale et on présente rarement l'animal à sa famille. C'est un beau jeu de l'esprit, ou une « performance » artistique, que de changer d'identité sexuelle à volonté, mais demander que la société se  reconstruise entièrement, de l'éducation au droit en passant par la médecine, pour satisfaire ces jeux sur les limites entre les sexes est une demande évidemment exorbitante. Se couper un bras valide n'est pas non plus une très bonne idée et l'on est choqué de voir que quelques médecins dévoyés puissent envisager de coopérer à de telles folies ». p. 377 à 380.

   

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23 Réponses à “Jean-François Braunstein. La philosophie devenue folle.”

  1. younes dit :

    tellement çà !!

  2. Alain dit :

    Si le caractère fallacieux des raisonnements tenus repose sur le traitement analogue des questions morales à celui qui a cours pour les problèmes logiques et juridiques, ne serait-ce pas alors, au delà des cas d’espèce dont il est question, de la condamnation de l’utilisation impropre d’un style, celui de la philosophie analytique ?

  3. Christophe dit :

    Merci Madame pour votre site et pour cet article en particulier.

    j’ai été élève de M. J.F. Braunstein, il y a bien longtemps et je suis très heureux de voir qu’il s’efforce à présent d’analyser beaucoup de thèmes, de questions, pour lesquelles j’éprouve un certain inconfort intellectuel. Malgré mon souci de bienveillance, de respect des droits et libertés etc…, il y a « un je ne sais quoi » qui me chagrine ; j’ai cette impression d’assister à un grand délire où tout se confond, se mélange, faisant obstacle au discernement et à la rigueur de l’analyse. Bref je vais m’empresser de lire l’ouvrage en question.

    Encore merci pour votre travail.
    Bien à vous.

  4. Anonyme Analytique dit :

    La philosophie analytique, « rationisations d’intellectuels anglo-saxons » ? Ce mépris est incroyable. Je suis choquée. Merci pour les collègues qui étudient, enseignent et travaillent sur ces auteurs et dans cette tradition.

  5. Cécile Mouton dit :

    Bonjour,
    Ça fait plaisir de vous revoir poster ! C’est toujours aussi instructif et intelligent et plein de bon sens. Du coup, ça donne envie de lire les auteurs que vous citez. Pour ma part, j’ai adoré votre ancien post sur Nicolas Grimaldi et j’ai lu son livre l’Effervescence du vide que j’ai trouvé fabuleux. Votre post rejoint un peu ce que disait Grimaldi sur la crise de la culture et sur le fait que l’on fasse aujourd’hui « beaucoup de bruits » sur des sujets aussi sensibles et polémiques plutôt que de la réflexion basée sur la sagesse et le bon sens peut-être…Cela rejoint peut-être aussi à ce que l’historien des mentalités Thierry Wanegffelen théorise dans son livre intitulé Le Roseau pensant, Ruse de la modernité occidentale, le fait que les mentalités évoluent très vite, son dernier chapitre s’intitule « dans le tourbillon de la modernité ». Dans ce « tourbillon », beaucoup de nouvelles normes s’imposent à une vitesse fulgurante (internet, les média,…). Je ne peux exposer sa théorie complexe en trois lignes sans prendre le très gros risque de la dénaturer davantage. Je ne peux que vous inciter à le lire. Je ressens en tout cas, dans mon quotidien, la pression des media, de la société (il faut se positionner très vite, sur n’importe quel sujet) qui s’exerce sur ma volonté de comprendre les choses, et je sais que j’ai besoin de temps, de confronter mes lectures, pour me faire à défaut d’une réflexion, une opinion (et pas une conviction). En tout cas, ce qui est dangereux à mon sens, c’est que du coup, les gens qui n’ont que peu de culture, ou peu d’expérience dans la réflexion, et qui ne savent pas exercer leur esprit critique la plupart du temps (je me compte au nombre de ces gens-là) peuvent cautionner ces théories puisqu’elles sont soutenues par des universitaires donc des intellectuels, des gens qui passent leur vie à exercer leur réflexion, infiniment plus intelligents que moi…
    A lire aussi le très beau livre d’Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele, c’est une fiction, mais on sait que Josef Mengele était docteur en médecine et docteur en anthropologie…!
    Bien à vous, Cécile.

  6. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Merci pour ce sympathique message.
    Je vous suis sur la réussite du livre d’Olivier Guez.
    L’époque n’est en effet pas propice à la réflexion. Elle a trop le goût de la vitesse, de l’esbroufe, de la subversion.
    Reste qu’il est passionnant de méditer, avec le recul et l’ascèse des passions nécessaires à toute méditation, les puissants bouleversements qui la caractérisent. Je vous conseille aux Puf : les Révolutions du XXI° siècle, sous la direction de Yves Charles Zarka.
    Bien à vous.

  7. héritier de Bertrand Russell dit :

    Bonjour madame Manon,
    je suis tout aussi choqué qu’Anonyme analytique sur le mépris incroyable et le « littérarisme » de la philosophie en France. Vous méprisez complètement la grande révolution qui a réinventé la philosophie au XX ième siècle, celle de Russell et Wittgenstein, et avant que vous me rétorquiez que Wittgenstein a rejeté son Tractatus pour abandonner l’idée de système philosophique, le premier Wittgenstein a été un pionnier en recherches en logique et en linguistique. Ses découvertes fondamentales sont encore étudiées pour leur profondeur et sa méthode de la table de vérité fut une avancée primordiale. C’est pour ça que je n’étudie pas la philosophie en France pour me tourner vers des études scientifiques pour devenir mathématicien, logicien ou épistémologue. Je laisse ce que vous appelez de la philosophie pour les littérateurs comme vous. Ne vous méprenez pas, j’adore lire Sartre, Camus, de Beauvoir, Derrida, Marx, Nietzsche mais la vraie philo c’est une recherche de la vérité avant tout et elle ne se fait jamais dans le refus de l’argumentation déductive. Les philosophes ci-dessus ne déclarent pas qu’ils prouvent absolument ce qu’ils avancent, ils montrent juste les conditions nécessaires de certains postulats, qu’ils soient éthiques ou non.
    Pour le coup, ces déductions à partir de postulat sont purement mathématiques, on arrive à introduire un peu de certitude en philo ce qui est toujours une bonne chose. La raison prime complètement sur l’émotion si on veut vraiment faire le bien ou arriver à la vérité.
    Je suis conséquentialiste comme Camus et tout être vraiment raisonnable l’est, vous connaissez sûrement l’expérience de pensée du dilemme du tramway! Si vous dîtes qu’il vaut mieux laisser les deux personnes sur la voie mourir au lieu d’une seule, vous êtes complètement irrationnel et immoral
    Les expériences de pensée de Peter Singer sont géniales et interrogent directement nos illusions sur la morale. On a besoin de plus de philosophie analytique dans ce bas monde.
    Certes, les gender studies anglosaxones de certains sont très choquantes, cependant il est intéressant d’étudier quelle est le rôle de l’éducation dans la construction de l’identité sexuelle.
    Voila, merci d’avoir lu tout mon message si vous avez eu la force d’arriver ici, ce qui est admirable. Moi aussi parfois je me force à lire Le Figaro.
    Beau site, au passage, et excusez-moi si j’ai été véhément, je ne me prend pas à vous personnellement. Les philosophes continentaux sont absolument nécessaires, mais pas au prix d’un mépris de la philosophie analytique
    Bien à vous,
    un futur logicien

  8. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Personne n’a jamais dit qu’il faut nier le rôle de l’éducation dans la construction de l’identité sexuelle, ce qui n’autorise évidemment pas, dans une erreur symétrique, à nier le rôle du sexe biologique.
    Personne n’a jamais nié la fécondité de certaines expériences de pensée ce qui n’autorise pas à se donner n’importe quel postulat, du genre de ceux qu’affectionne le chantre de la libération animale.
    Dans sa tradition la plus solide, la philosophie repose sur un pari de la raison. Mais la raison philosophique n’est pas la raison sophistique. Conçue comme notre faculté commune, la raison ne s’épuise pas dans un usage purement instrumental, rendant possibles les argumentations les plus folles. Elle est la révélation de l’humanité à elle-même dans l’intelligence des limites de ses discours et la conscience de l’impossibilité de fonder de manière absolue l’expérience éthique. Ce n’est pas à quelqu’un qui se revendique de Wittgenstein qu’il faut apprendre cela.
    https://www.philolog.fr/socrate-ou-lexperience-philosophique-patocka/
    Mais être impuissant à fonder de manière absolue l’éthique ne consiste pas à ouvrir un boulevard aux argumentations les plus arbitraires. Impuissant à convaincre Calliclès des requêtes de la raison, Socrate continue son chemin dans la fidélité à lui-même et à notre humanité commune. Les sophistes lui ont fait boire la ciguë mais il reste vivant alors qu’on ne se souvient plus des noms des ratiocineurs de l’époque. Souhaitons que cela préfigure le destin des Peter Singer, Butler ou Haraway du moment.
    Bien à vous.

  9. Froidefond Lucas dit :

    Bonjour,
    Tout d’abord je ne peux que vous remercier du travail fourni sur ce blog qui m’est d’une grande utilité pour moi qui découvre la philosophie.

    Mais la, je me trouve bien embarrassé avec ce texte et les échanges qui ont eu lieu dans l’espace commentaires. J’ai commencé a découvrir la philosophie a deux endroits, sur votre blog et sur une chaine YouTube qui propose des videos ou sont développées des thèses philosophiques ou des conseils méthodologiques pour le bac. Cette chaine YouTube penche largement en faveur de ce que vous semblez ne pas aimer (l’utilitarisme, Peter Singer etc…) J’ai bien vu qu’il y avait de grande différence entre la philosophie que vous faites ici et celle que véhicule cette chaine YouTube. Je ne sais pas si ce que je vais dire est vraiment sensé mais je ne sais pas a qui faire confiance. La rigueur semble être commune au deux parti (ou peut être pas, difficile de juger pour un néophyte qui a plutôt l’habitude de considérer avec respect les philosophes qu’il rencontre) mais il faut bien que l’un soit plus raisonnable que l’autre et j’ai tendance à pencher en votre faveur tant les conclusions de ces philosophes sont parfois aberrantes et aussi parce que les articles de ce blog sont (et ça c’est indéniable) beaucoup plus complet. Pourtant, il n’est pas impossible qu’ils aient raison, d’autant que la philosophie nous amène parfois à accepter des choses qui vont à l’encontre de notre intuition. J’avoue être un peu perdu, et je profite donc des discutions plus haut pour en parler.
    Bien à vous.

  10. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il m’est difficile de vous répondre car je ne sais pas ce que propose Youtube.
    Mes cours s’inscrivent dans une tradition philosophique inaugurée par Socrate. Il s’agit fondamentalement de comprendre que penser n’est pas opiner, d’où la nécessité de procéder à l’examen critique des opinions sur une question donnée, sans pour autant réduire la raison à un usage purement instrumental s’épuisant dans une analyse logique du langage.
    Avec Socrate, l’expérience philosophique met en jeu une révélation de la raison à elle-même qui fait qu’on ne peut pas énoncer des postulats dont l’arbitraire n’est pas un arbitraire défini : celui de notre raison commune ou de ce que Descartes appelle le bon sens. https://www.philolog.fr/socrate-ou-lexperience-philosophique-patocka/
    Ainsi si la philosophie analytique mérite toute notre estime dans certaines de ses productions, on n’est pas tenu de consentir aux idées folles que développent certains de ses représentants. Par exemple est-il possible de suivre Peter Singer lorsqu’il dénonce la hiérarchie que nous avons établie, depuis des millénaires, entre l’homme et l’animal ? Celle-ci n’est-elle pas ontologiquement fondée dès lors qu’on se réfléchit soi-même dans l’ambiguïté de notre nature comme cet animal qui refuse d’être un simple animal ainsi que l’attestent les cultures, les normes morales et juridiques, etc.? Même la science montre que l’homme n’est pas un animal comme un autre.
    Tout énoncé prétendant brouiller la frontière entre l’un et l’autre relève donc de la pure idéologie non d’une réflexion philosophique sérieuse.

    Le succès des esprits dérangés n’est ni innocent, ni inoffensif. Car à force d’être nourris de ce genre de discours, les hommes risquent bien d’oublier jusqu’au souvenir d’eux-mêmes. Pascal et Montaigne ont dit cela de manière magistrale. Cf. Pensées, Brunschvicg, 6: « Comme on se gâte l’esprit , on se gâte aussi le sentiment. On se forme l’esprit par les conversations. On se gâte l’esprit et le sentiment par les conversations. Ainsi les bonnes ou les mauvaises le forment ou le gâtent. Il importe donc de bien savoir choisir, pour se le former et non point le gâter; et on ne peut faire ce choix, si on ne l’a déjà formé et point gâté. Ainsi cela fait un cercle, d’où sont bienheureux ceux qui sortent ».
    Voyez mon échange avec Abernathy: https://www.philolog.fr/joyeuses-fetes/
    Bien à vous.

  11. Térence dit :

    Dans cet article, vous présentez le livre « La philosophie devenue folle » de Jean-François Braunstein et vous semblez vous appuyer dessus pour légitimer les valeurs qui organisent votre identité. A ma connaissance, vous ne faites jamais place à votre subjectivité de manière aussi transparente qu’ici. On peut en déduire une première idée : ces valeurs vous font perdre raison—je ne dis pas qu’elles vous rendent folles, mais que, par leurs effets sur vous, la raison a été momentanément perdue en cours de route. C’est d’ailleurs ce que suggère aussi la lecture du livre au sujet de son auteur. A aucun moment il n’argumente ! Au mieux, il caricature et simplifie avec une très étonnante grossièreté et un excès infécond (même les étudiants de L1 faisant un effort intellectuel ne font pas cela) les thèses qu’il rejette. Et c’est à partir de ces thèses déformées de bout en bout qu’il prétend dézinguer Butler, Singer et consorts en employant systématiquement la même technique : la réduction à l’absurde. L’auteur se fait élève de « L’art d’avoir toujours raison » avec une mauvaise foi stupéfiante et un aveuglement inouï. A mon avis, on voit ici à l’œuvre un sujet qui se constitue et s’affirme par l’exclusion sommaire et impensée d’un ensemble de valeurs pour lui impossibles à envisager selon leurs raisons propres. Si seulement Braunstein s’était servi de son habileté à penser et de ses connaissances d’épistémologue et d’historien des sciences, le livre aurait de l’allure et ne serait pas ce vulgaire exercice réactionnaire. Tout cela est pour moi très embarrassant…

  12. Simone MANON dit :

    Bonjour
    L’enjeu du travail de Braunstein n’est pas de discuter les thèses de ces auteurs, c’est de les présenter. Ce qui, à mes yeux, est un préalable bien suffisant car fort éloquent.
    Bien à vous.

  13. Philippe Marquette dit :

    Bonjour Mme Manon,
    Bien qu’étant à 12000 km de la France, j’ai commandé, reçu et le le livre de Braunstein.
    J’ai relevé deux choses dans le livre au sujet des positions des présidents, Obama a fait installer des toilettes transgenre à la maison blanche, et Reagan a vivement pris position contre les thèses développées par les soutiens à l’euthanasie (p 304 et 305).
    Ronald Reagan qualifié d’antéchrist pour tout universitaire libéral anglo-saxon.
    Il écrivait notamment au sujet des nouveaux-nés : « il n’est pas question d’accepter un contrôle qualité pour voir si le nouveau-né n’est pas défectueux ». Ceci en réponse au prix Nobel de médecine Francis Crick qui proposait qu’un nouveau-né ne soit déclaré pleinement humain qu’après trois jours d’existence.
    Au Laos qui est le pays voisin de celui où je réside, un enfant ne reçoit son nom qu’après avoir vécu six mois, c’est une coutume qui est due à la forte mortalité infantile dans ce pays.
    On peut se faire euthanasier en Suisse et en Belgique, j’ai connu quelqu’un qui l’a fait étant en phase terminale de cancer. Ce qui veut dire que près de chez nous, une brèche a été ouverte au suicide assisté.
    La quasi-totalité du corps médical est contre l’euthanasie, c’est contraire au serment d’Hippocrate et un serment doit être respecté dans tous les cas.
    J’ai découvert en même temps ce qu’avait dit Orwell au sujet des gens ordinaires et des intellectuels.
    La morale, et je sais que c’est un sujet philosophique important, mais aussi sociétal, ne peut être élastique à ce point, c’est du moins ce que je pense, mais sans doute, je me trompe.
    Finalement, en tant que personne ordinaire, je n’adhère pas aux théories transgenre (bien qu’ayant eu une sœur homosexuelle), ni à la zoophilie (j’ai eu des chiens et j’en ai encore sans avoir de rapport sexuels avec eux, ni même y penser), j’ai eu trois enfants et il ne me serait pas venu à l’idée de les tuer. A ce sujet, dans une famille espagnole où j’ai des amis, le dernier né était trisomique. Peut-être que la société espagnole est plus humaine que la notre, mais tous leurs amis demandaient de ses nouvelles, j’ai fait sa connaissance et j’ai reçu une leçon de morale en même temps.
    Je considère ces thèses comme des déviances graves et leurs auteurs comme des déviants.
    Merci pour ce site.
    Bien cordialement.

  14. Bonjour,
    Je viens de lire l’ouvrage de M. Braunstein et j’en conseille vivement la lecture pour pouvoir prendre part aux débats sociétaux qui nous concerne tous.
    En lisant les différents commentaires, celui de Térence a retenu mon attention car il me semble qu’il procède de la même manière que celui qu’il croit dénoncer, en l’occurrence M. Braustein et je souhaiterais connaître les arguments lui permettant de soutenir les thèses des auteurs dont M. braustein dénonce les conséquences pour le moins inquiétantes.
    Je voudrais également remercier Mme Manon pour le travail accompli et la possibilité qu’elle nous offre pour tenter de penser. Merci.
    Bien cordialement.

  15. Bonjour,
    Je vous prie de m’excuser des fautes commises à l’encontre de notre langue : concernent, M. Braustein.
    Bien cordialement.

  16. Mateusz EVESQUE dit :

    Bonjour Madame Manon,

    Tout d’abord je tiens à vous remercier pour ce blog d’une richesse inouïe. Vos analyses me semblent toujours très fines et éclairantes en plus d’être particulièrement plaisantes à la lecture.

    Hélas, je me désole du sort que vous réservez à Peter Singer dans cet article – et de manière générale, du sort qu’on lui réserve habituellement. A la lecture de son livre (La libération animale) j’ai été frappé par l’écart entre la mesure, l’honnêteté et la progression dont il fait preuve dans l’exposition de ses arguments et l’idéologue qu’on fait de lui. Si je vous suis parfaitement sur les remarques en matière de théorie du genre, je trouve que vous caricaturez Singer et que ce que vous appelez des « conclusions » (« on arrive à des conclusions non seulement absurdes mais abjectes ») à son propos n’en sont pas. Elles sont en réalité des interprétations. Il me semble que vous commettez deux erreurs à son sujet :
    -Vous méconnaissez la place que Singer laisse à la conscience dans ses analyses. Pour lui en effet, il faut distinguer les êtres doués de consciences (les êtres humains à partir d’un certain âge et certains grands singes) et ceux qui n’en ont pas. De cette conscience naît un rapport un temps différencié : la conscience autorise une vie qui n’est pas cantonnée à l’instantanée, une vie de projets, tournée vers le futur. De là naît l’interdiction de tuer et non celle de faire souffrir. Il ne nie donc pas une certaine hiérarchie, il la redéfinie. C’est là un point que Singer explore peu il est vrai mais qui mérite d’être pris en considération ;
    -De l’égale considération de la sensibilité, Peter Singer ne rabaisse aucunement le genre humain. Pareille conclusion est souvent reprise par les détracteurs de la cause animale. Pourtant, elle est logiquement infondée car opte pour un moins disant moral qui n’est pas du tout la conclusion de Singer, bien au contraire. Pour prendre une analogie, considérer que les expérimentations sur les humains vont être autorisées parce que l’on considère les expérimentations sur les animaux comme immorales, c’est comme considérer que l’immoralité des expérimentations sur les juifs dans les camps d’exterminations rend du même coup moral les expérimentations sur toute personne. L’erreur que vous commettez est de confondre hiérarchisation des espèces et légitimation de la souffrance. Les deux se confondent lorsqu’il faut arbitrer (par exemple, lorsque sur une ville déserte, tuer un animal est nécessaire pour survivre) mais le sophisme consiste à faire croire que les intérêts humains s’opposent aux « intérêts » (en terme de sensibilité) des animaux, ce qui n’est le cas qu’en de très rares occasions, et certainement pas aujourd’hui (où au contraire être végétarien rend bien plus service à l’humanité qu’autre chose). L’erreur de cette interprétation tient à ce que vous acceptez les prémisses biologiques de l’analyse de Singer (les animaux comme les humains ont une sensibilité) sans en accepter les prémisses axiologiques (l’action est immorale quand elle fait souffrir) et que vous en concluez donc qu’il est moral de faire souffrir les humains. Avoir la même exigence morale envers les animaux qu’envers les humains, ce n’est pas ne plus avoir d’exigence morale envers les humains, sinon l’on se demande pourquoi en avoir tout court…

    Enfin l’invocation du bon sens pour caricaturer la théorie de Singer me semble là-encore peu à propos. Au contraire, je trouve que l’absurdité et l’abjection va plutôt du côté de ceux qui s’arc-boutent sur une hiérarchie ontologique entre les êtres pour justifier une domination instrumentale sur eux. Quiconque a déjà eu des contacts avec les animaux verrait l’immoralité qu’il y a à faire souffrir un être innocent, et les partisans de la morale me semblent plus être ces gens ordinaires qui font parler cette sensibilité plutôt que les spéculatifs prétentieux qui la taisent par leurs élucubrations ontologiques. Je ne pense pas qu’un choix de vie si contraignant pour l’intérêt individuel qu’est celui des végétariens puisse émaner d’autre chose que d’une volonté bonne. De plus, si la confusion, l’obscurité et la sophistication m’apparaissent clairement pour les théoriciens du genre cités, il n’en est rien dans mes lectures de Singer.
    Je partage totalement l’idée que les considérations animalistes veulent éloigner le sens du tragique de l’existence ; c’est un idéalisme enfantin que de croire que l’éradication de la souffrance est le but de la vie tout comme il est réducteur de faire de cela l’alpha et l’oméga de la morale. C’est toutefois être de mauvaise foi que de justifier la souffrance a priori et ce n’est penser qu’avec son estomac que de fermer les yeux devant la souffrance que l’on peut aujourd’hui infliger à des animaux ; dont l’altérité nous échappera toujours, certes, mais qui est pourtant aussi bien établie par l’intuition que par la science.
    Je rejoindrais votre remarque sur le bon sens en disant que dans le bon sens ce n’est pas tant le bon sens qui est « bon » en lui-même que ses fondements. Si je devais critiquer l’analyse de Singer, j’ajouterai qu’il méconnaît la valeur sociale qu’on peut accorder à un être humain par la similitude de l’espèce, qui est le fondement matériel de la sensibilité, et la nécessité d’accorder apodictiquement une valeur à l’être humain, une dignité, fondement idéel de la sensibilité. La perspective utilitariste pêche car elle oublie les conditions de possibilité de la société, la nécessité d’un imaginaire collectif sans lequel on peut basculer dans les pires formes de totalitarismes ; c’est là l’écueil de la pensée anglo-saxonne, trop souvent individualiste. La remarque kantienne selon laquelle l’homme a une dignité et n’est pas qu’un simple moyen est un postulat métaphysique qui ne peut être vérifié empiriquement, mais que l’on pourrait assimiler à une condition de possibilité de la société. Il faut, pour que justice soit faite, postuler la dignité de chaque être humain et ne jamais remettre en cause cette intuition ontologique. Mais cela n’est en rien incompatible avec des réflexions portant sur la légitimité morale de la souffrance.

  17. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous semblez m’attribuer les propos de Jean-François Braunstein.
    Je ne me permets pas d’engager une discussion sur la pensée de Singer car je n’ai jamais pu le lire jusqu’au bout tant ses propos me semblent purement sophistiques.
    Ce qui est aussi le jugement d’Elisabeth de Fontenay si je prends acte de ce qu’elle écrit dans son dernier livre: Gaspard de la nuit.
    Cf. « C’est ainsi que, plaçant les animaux les moins sensibles et conscients dans la même catégorie que les déficients mentaux, il peut affirmer que, si nous acceptons qu’on fasse des expériences sur les « animaux non humains », nous devons nous demander si nous sommes également prêts à autoriser ces mêmes expériences sur de très jeunes enfants humains ou des adultes attardés mentaux. « Même avec les soins les plus intenses, certains enfants gravement déficients ne pourront jamais atteindre le niveau d’intelligence d’un chien » écrit-il. La seule chose qui distingue d' »animaux non humains  » ces enfants, c’est leur appartenance à l’espèce homo sapiens, dont ne font pas partie les chimpanzés, les porcs et les chiens. Il y a là, note-t-il, un illogisme qui consiste à faire coïncider exactement la limite du droit à la vie avec la frontière de notre propre espèce. Singer fait comme si, dans sa problématique touchant la manière de traiter les vivants, un raisonnement prétendument imparable, relevant d’un logicisme à la fois primaire et sophistique, devait l’emporter sur la reconnaissance, concernant ceux qui sont les orphelins du propre de l’homme, de l’appartenance à l’humanité et d’un absolu droit de vivre.
    « Quand nous aurons réalisé que l’appartenance d’un être à notre propre espèce ne constitue pas en elle-même une raison suffisante pour qu’il soit toujours mal de le tuer, nous en arriverons peut-être à reconsidérer la politique actuelle qui veut préserver la vie humaine à tout prix  » mais fait bon marché des vies animales.
    Ainsi se formule et se prescrit, dans le dernier tiers du terrible XX° siècle, une théorie qui se dit d’éthique appliquée. On comprendra que j’aie eu à cœur de souligner l’articulation criminelle qu’elle pourrait établir entre l’impérative préservation de certaines vies animales et les pratiques eugénistes éliminationnistes que le programme T4 aura menées à bien. » p. 107.108.

    Le simple fait de parler de l’homme comme d’un « animal humain » me semble typique de la régression anthropologique dont je suis, comme beaucoup d’autres, un témoin ahuri et impuissant.
    Bien à vous.

  18. Mateusz EVESQUE dit :

    Merci pour votre réponse.

    Je vous ai à dessein attribué le propos de Jean-François Braunstein, considérant que vous y souscriviez. Par acquit de conscience, j’aurais dû mentionner que ce n’était pas le vôtre. Je m’en excuse. N’ayant moi aussi qu’entendu parler d’Elizabeth de Fontenay, je ne peux pas vous répondre entièrement là-dessus.

    On peut cependant lire dans son indignation et la vôtre l’importance accordée à la réalité phénoménale, comme fondement expérientiel de la morale apodictique et limite en évaluant les conclusions logiques. L’intuition de la sacralité de la vie humaine au cœur de l’impératif catégorique est en effet à préserver car si l’on commence à faire de la casuistique comme le font les utilitaristes, on se rendra compte que cet absolu ne repose sur rien de rationnel ; c’est un acte de foi.
    Je vous rejoindrais en disant que l’utilitarisme de Singer oublie que la similitude est au fondement de l’empathie envers autrui et donc de la morale ; forme de passage de l’autrui significatif à un autrui généralisée. Le fondement sensible de la morale qu’est la similitude humaine serait niée chez un grand nombre conséquemment à l’application d’une politique d’égale considération de la sensibilité : si l’ensemble de la population ne se mettait pas au diapason en matière de considération de la sensibilité des animaux, ôter l’absolu de la vie humaine en le corrélant à la conscience aurait pour conséquence un accroissement des calculs les plus abjects et la voie ouverte au totalitarisme. Lorsque l’on reconnaît légitime le fait de tuer un homme, tout est permis ; il n’en est pas de même d’une poule grâce à la magnifique scission cognitive opérée entre le règne des fins et le règnes des moyens. Évidemment, mettre des animaux sur un même plan moral que les hommes, c’est alors bousculer les règnes des moyens et des fins établis, avec à la clef la tentation de faire basculer tout le monde dans le règne des moyens eu égard à l’exigence morale que requiert l’égale considération de la sensibilité.
    Mais cette conclusion à laquelle on n’arrive n’est en rien justifiée pour quelqu’un réellement soucieux de la morale ; comme l’est à mon avis Singer quand on examine sa vie. L’indignation que vous ressentez quand on lit que l’autorisation des expériences sur les animaux non humains implique d’autoriser les expériences sur les humains, je la ressens aussi. Je la ressens comme un absolu qu’on ne peut franchir. Un absolu n’a toutefois pas à être, pour les philosophes du moins, un tabou, et l’on peut questionner l’absolu sans le remettre en cause, en prenant en compte ses conditions de possibilité et leur légitimité. La similitude ressentie est insuffisante à se comporter moralement, preuve en est l’exemption du devoir de respect de la dignité de la personne humaine dont ont pu faire preuve les nazis ou les esclavagistes. Cela suffit à mettre à jour l’existence de conditions sociales de possibilité de l’absolu de la vie humaine, et montrer que la sacralité n’est audible que selon les contextes. C’est peut-être là que se situe le point de désaccord majeur, à savoir que vous considérez comme acquis, avec Kant, la voix morale qui parle en nous dont il est libre que nous l’écoutions ou non, et voyez-en elle la preuve de l’autosuffisance de l’impératif catégorique sous sa forme humaine. Pourtant l’évolution du rapport à cet impératif catégorique dans le temps devrait nous inciter à l’élargir quand cela est théoriquement fondé. Il faudrait que l’impératif catégorique devienne audible aussi pour les animaux ; ce qu’un aveugle et son chien-guide pourrait probablement réussir, comme Elizabeth de Fontenay le fait déjà avec son frère handicapé.

    Enfin le fait de voir le syntagme « animal humain » comme une dégradation ontologique m’apparaît comme un désaccord grammatical sur le rôle que peut jouer un adjectif qualificatif et l’idée que la pensée de Singer est sophistique revient à mal qualifier selon moi ce qui « ne va pas » dans sa pensée.
    Parler d’animal humain, si l’on excepte les intentions de rabaissement qu’on peut vouloir prêter à cette formule, n’est en rien choquant. S’il est vrai que l’adjectif qualificatif « humain » accolé de la sorte nous fait appartenir à l’animalité, ce n’est pas pour autant qu’il nie la séparation qualitative opérée par l’espèce humaine avec les animaux. Nous sommes une sous-sphère de l’animalité, preuve en est l’évolution, mais cette animalité est insuffisante à expliquer le panel comportemental de l’Homme. Nier la pertinence de l’expression « animaux humains » est à la hauteur de la négation du fait biologique opérée par certaines études sur genre qui contestent le rôle du sexe dans la construction du genre.
    En outre, je ne vois pas ce qu’a de primaire et sophistique le logicisme de Singer. Il est imparable logiquement car les conclusions auxquelles il arrive sur la base de ses prémisses sont justifiées. On peut toutefois lui reprocher ses prémisses, qui sont utilitaristes et donc ne suffisent pas à épuiser le champ de la morale. Le discours philosophique ne peut être illogique, il peut seulement être par instance a-logique (lorsque par exemple il questionne les fondements de quelque chose, ce qui échappe à tout régime logique) car la philosophie dépasse la logique ; la logique ne suffisant pas à épuiser le réel. La double critique qu’on peut formuler à son encontre est qu’il réduit la morale à une question de souffrance (ses prémisses sont donc fausses ou insuffisantes à épuiser la question) et qu’il ne prend pas en compte les conséquences sur la société d’une morale utilitaire (car il méconnaît les conditions de possibilité de la morale et de son efficace, qui sont la croyance dans un absolu).

    Bien à vous,

  19. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous n’avez pas à vous excuser. Je veux simplement dire que je ne m’autorise un discours argumenté sur la pensée d’un auteur que lorsque j’ai pris la peine de lire l’ensemble de son œuvre. Ce qui n’est pas le cas avec P. Singer dont les propositions de base des raisonnements sont, à mes yeux, irrecevables.
    Par exemple il me suffit de lire que:
    -« le fond consensuel de la pensée du mouvement de libération des animaux est l’idée que le spécisme – accorder plus de poids aux intérêts de certains individus au motif qu’ils sont de la même espèce que nous – n’est pas soutenable du point de vue éthique » Revue Critique, 2009, n° 747.748.
    – « la question se pose de savoir pourquoi il faudrait proscrire toute forme de rapport sexuel entre les humains et les animaux, y compris lorsque aucune contrainte n’est exercée sur l’animal. ( Imaginons, par exemple, le cas d’un chien qui aime lécher les organes de son compagnon humain, lui procurant ainsi certaines satisfactions sexuelles.) Je soutiens l’idée que si de tels actes sont proscrits, c’est uniquement parce que l’on imagine que les animaux sont séparés des hommes par un vaste gouffre que toute forme de relation sexuelle risque de combler partiellement » (Ibid.) pour me dire que je n’ai pas à perdre mon temps avec de telles ratiocinations.
    Affirmer la supériorité ontologique de l’être humain ne revient pas à se désintéresser des problèmes posés par la souffrance animale, cela revient seulement à se rappeler les exigences de notre dignité, de notre statut de sujet de droit ou de personne. Que ce statut soit fondé sur un parti pris métaphysique ne change rien à l’affaire. Ce qui est en jeu, c’est une certaine exigence morale. https://www.philolog.fr/ambiguite-de-la-condition-humaine/
    Bien à vous.

  20. Mateusz EVESQUE dit :

    Bonjour

    Je vous sais gré de situer si bien le point de désaccord car cela me permet d’élargir au-delà de Singer.

    Par rapport au lien que vous avez envoyé, je me réjouis de la référence kantienne et du commentaire que vous en faites. Je pense en revanche que les remarques de l’Anthropologie du point de vue pragmatique et les conclusions que vous en tirez ne plaident pas en la faveur de votre propos sur la suprématie ontologique de l’espèce humaine, qui, en vertu de ce que vous et Kant écrivaient dans ce lien, est corrélative de la conscience. Le cas échéant en effet, à moins que vous ne considériez qu’un Homme mentalement gravement déficient (lobotomisation, maladie génétique grave) ou qu’un enfant possèdent la faculté de conscience, le « Je » dans sa représentation, vous devez soit réduire l’Humanité aux êtres conscients – et donc en exclure les « humains » non-conscients et y inclure les potentiels animaux dont on prouverait qu’ils sont capables de conscience, e.g. les grands singes – soit renoncer à placer l’ontologie humaine dans la conscience – et en tirer les conséquences adéquates quant aux remarques sur la dignité. Dans ces deux derniers cas, si vous conserver l’idée que la dignité par la conscience est le fondement de l’exigence morale, j’ai du mal à voir comment vous pourriez rester spéciste. Mais peut-être êtes-vous pour attribuer la conscience aux deux catégories susmentionnées, ce qui n’a selon moi rien d’évident.
    Considérer que la conscience humaine est totalement indépendante des facultés cognitives m’apparaît revenir à nier le fait biologique et faire preuve d’un idéalisme absolu, qui tourne à la religiosité (l’Homme est à l’image de Dieu) ou la mythologie (mythe de Prométhée). Bien entendu je n’entends pas par-là basculer dans l’écueil matérialiste inverse et réduire la conscience à une simple affaire neuronale, de quotient intellectuel ou de calcul. On ne peut cependant nier que la preuve de la conscience chez l’humain, mis à part l’intuition personnelle que chacun peut en faire mais qui ne vaut que pour soi, est lisible dans ses ouvrages (philosophie, art, écriture…) et que ceux-ci font défauts à ceux qui n’ont pas un certain capital cognitif. L’absolu ne semble pas alors fondé ontologiquement et on ne peut le sauver que phénoménologiquement, à la manière de Levinas où le devoir envers l’être humain se lit dans le visage d’autrui (comme « tu dois ») ; l’Homme ne pouvant survivre sans sa tête, le problème disparaît mais la dignité comme fondée chez Kant aussi.
    Arguer qu’un enfant est une personne est tout aussi difficile. Kant en tout cas n’adhérerait pas, et vous non plus à en juger par ce que j’ai pu lire de fort juste sur votre blog à propos de l’enfance, dans la mesure où, comme il le fait remarquer, l’enfant ne possède pas le « Je » dans sa représentation (« Charles veut manger », « Charles veut une caresse »). Vous me rétorquerez que l’enfant est certes privé de facto de la conscience mais que de jure cette faculté lui appartient en droit comme virtualité ; ce à quoi je pourrais répondre qu’il est difficile de fonder un quelconque droit ou une ontologie sur une virtualité propre à chacun, dans la mesure où on pourrait envisager que chez l’enfant cette conscience ne s’active pas, ou que chez l’animal, cette conscience s’active. Par honnêteté, j’accorderais que ce dernier cas n’est qu’une expérience de pensée à la probabilité si infime qu’il n’est pas la peine de s’appesantir dessus, et qu’il ne faut pas juger le normal à partir du pathologique. Pareil « cas marginal » a toutefois le mérite de montrer si ce n’est les limites de l’ontologie kantienne, au moins ses points d’ombres.

    Finalement, si je comprends pourquoi vous sentez la première citation de Singer comme « irrecevable » au vu de la consubstantialité de la dignité à l’espèce par l’entremise de la conscience que vous semblez défendre, votre indignation morale quant à la seconde me semble plus être un sentiment d’une indécence morale.
    S’il est vrai que la philosophie est aussi affaire de bon sens, que ce dernier, lorsqu’il est heurté, est souvent l’indice que quelque chose ne tient pas debout, il reste que le bon sens est aussi socialement construit. Le nier est la porte ouverte au conservatisme absolu, celui des gens ordinaires qui, justement, jugent par la tradition. Le bon-sens des gens ordinaires a ses vertus il est vrai, mais à lui laisser tout contrôle, on laisserait les femmes au foyer parce qu’elles enfantent et les homosexuels sur le bûcher parce qu’ils sont sodomites. La construction sociale de l’indignation a ses fondements que la raison ne peut ignorer. Certaines pratiques sexuelles les plus loufoques pourraient me susciter le même sentiment d’indignation mais je ne saurais en déduire rien de moral ; à moins de considérer avec Kant par exemple, qui voit en la masturbation une activité portant atteinte à la dignité humaine, que cela revient à se traiter comme un moyen et non comme une fin.
    Je comprends pourquoi il n’est pas facile d’entendre le propos des chantres de l’animalisme dans la mesure où la distinction entre l’Homme et les animaux est extrêmement commode. Au premier la conscience, donc la dignité, aux seconds, tout au plus la sensibilité. Toutefois, à la lumière récente des biologistes qui découvrent des formes de culture chez les animaux, de indicateurs de la conscience, on ne peut pas ne serait-ce que redimensionner la séparation opérée par nos éminents philosophes. Il faut bien entendu savoir raison garder et remarquer que les points communs trouvés ne sont toujours qu’isolés ou embryonnaires ; isolés parce que certaines espèces possèdent en propres certaines capacités mais pas les capacités humaines dans leur exhaustivité et embryonnaires parce qu’elles n’en sont qu’à un stade primitif. Il y a toutefois, dans les découvertes scientifiques, matière à penser et il y a lieu de reconfigurer des affirmations kantiennes un peu trop catégoriques. Si un animaliste comme Singer ne sera probablement pas celui à réussir à réconcilier ces découvertes et la philosophie du fait de la pauvreté de la démarche utilitariste, sa pensée me semble toutefois considérablement autonome, élargie et conséquente, ce qui a tout d’une pensée critique.

    Bien à vous

  21. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Acceptez que nous en restions là.
    Il se trouve que le propre de l’homme est la conscience avec sa capacité de se représenter le devoir-être et d’opposer le droit au fait, capacité d’une autre dimension que ce que l’on peut appeler la conscience animale. Il s’ensuit que tout membre de l’espèce humaine, fût-il orphelin du propre de l’homme, pour reprendre l’expression de cette amie des animaux qu’est Elisabeth de Fontenay, est considéré comme une personne. Le grand débile mental, le vieillard sénile sont des personnes et ne peuvent être traités sans égard. Même ce qui reste de la personne, le cadavre, impose des égards. Question de civilisation.
    https://www.philolog.fr/le-propre-de-lhomme-en-question-e-de-fontenay/
    Quant à la zoophilie: ce ne sont pas des pratiques sexuelles qui sont aussi vieilles que le monde qui suscitent mon indignation, c’est la justification qu’un Singer en opère au motif qu’il n’y a pas de frontière entre l’animalité et l’humanité.
    Bien à vous.

  22. Mateusz EVESQUE dit :

    Bonjour

    Ainsi soit-il. Continuer n’aurait pas de sens dans la mesure où notre désaccord engage, comme vous le dites, une question de civilisation. Merci pour ce lien qui me donne envie de lire Elizabeth de Fontenay, dont le funambulisme me semble digne de considération.

    Bien à vous

  23. A. Muller dit :

    Bonjour,

    J’admire le degré de scrupule et de probité qui consiste à ne rien écrire d’un auteur tant qu’on n’a pas pris la peine de lire in extenso (cf. votre post du 21 février 2019) – j’avoue que je ne me sens pas du tout à la hauteur d’un pareil impératif. Je me souviens toutefois de jugements sur Bourdieu ( https://www.philolog.fr/le-jugement-de-gout/ cf. les posts des 9 et 10 décembre 2013) qui s’embarrassaient de moins de précautions. J’en déduis que la règle ne vaut que pour les « grands auteurs », et peut-être même que pour leurs « grandes oeuvres » (ou pour leurs oeuvres publiées de leur vivant ? cf. l’immense volume des notes de Husserl par exemple) : je pense que peu de gens, même parmi les professeurs scrupuleux qui font cours sur Hume ou Kant, ont lu l’Histoire d’Angleterre de Hume, ou même l’essai Sur les différentes races humaines de Kant (mais peut-être la règle ne vaut-elle que pour les oeuvres indiscutablement « philosophiques » – quoique la frontière ne soit pas toujours évidente à établir). J’imagine aussi qu’on en est alors réduit, pour décider quels auteurs sont de grands auteurs (et donc quels auteurs il convient de lire in extenso) à faire confiance aux panthéons traditionnels, ou à l’impression que nous font les premières oeuvres que nous lisons de telle ou telle personne.

    Pour ce qui concerne la chaîne youtube évoquée par Froidefond Lucas (cf. son post du novembre 2018), je subodore, d’après ce qu’il en dit, qu’il s’agit de Grain de philo du youtubeur Monsieur Phi. https://www.youtube.com/channel/UCqA8H22FwgBVcF3GJpp0MQw/videos
    A l’évidence, ses options philosophiques ne sont pas les vôtres (ce ne sont pas non plus tout à fait les miennes, lesquelles diffèrent aussi des vôtres), à l’évidence, le format et le ton de son travail peuvent dérouter une personne qui n’est pas habituée au format youtube, mais s’il y a un travail de qualité sur le youtube francophone en matière de vulgarisation de la philosophie (je parle de vulgarisation, mais les vidéos qui portent sur son domaine de compétence spécifique sont d’un niveau plutôt complexe), à mon sens, c’est le sien. (Par ailleurs, ce monsieur est parfaitement homologué par l’institution, puisqu’il a soutenu une thèse sur Meinong, enseigné la philosophie en lycée…).

    Avec tout le respect dû au travail dont témoigne ce site, dont je lis ou relis régulièrement certaines pages en préparant mes propres cours, et plus encore au parti-pris et au pari qui consiste à l’avoir mis en ligne.

    Bien cordialement,

    Antoine Muller

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