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 « [...] on est pris de fou rire en se rappelant la succession des signes immémoriaux et irréfutables de la différence anthropologique, et en constatant la retraite à laquelle les avancées des sciences du vivant condamnent la sacro-sainte différence humaine. Faut-il, dans un premier temps, faire un recensement de ces prétendues compétences? Oui, sans doute, et dans le pêle-mêle d’un inventaire à la Prévert, sans souci de les classer suivant un ordre quelconque. Au commencement du commencement, l’homme a été « créé à l’image et à la ressemblance de Dieu ». Puis Aristote dira, au début du livre I de la Politique, que l’être de l’homme consiste à « avoir » langage et raison.

Mais auparavant, un présocratique, Anaxagore avait relevé que l’homme pensait parce qu’il avait des mains. Dans la suite des temps, il fut question de station verticale, de feu, d’écriture, d’agriculture, de mathématiques, de philosophie bien sûr, de liberté, donc de moralité, de perfectibilité, d’aptitude à imiter, d’anticipation de la mort, d’accouplement de face, de lutte pour la reconnaissance, de travail, de névrose, d’aptitude à mentir, de débat social, de partage de nourriture, d’art, de rire, d’inhumation... Les travaux de la génétique, ceux de la paléoanthropologie, de la primatologie et de la zoologie auront pulvérisé la plupart de ces îlots de certitude, et ridiculisé cette émulation fanfaronne, ces preuves d’une compétence à nulle autre pareille. Le langage du chimpanzé, le décapsulage des bouteilles de lait par les mésanges anglaises, la monogamie du gibbon, l’altruisme de la fourmi, la cruauté de la mante nous laissent désemparés. Car nous ne pouvons plus désormais, sauf à accepter que la réflexion philosophique le cède à l’enflure rhétorique, opposer la nature et la culture, l’inné et l’acquis, l’homme et l’animal. La mise en interaction dialectique de ces antinomies ne suffit plus à prendre en charge le faire et l’être des hommes, car tout ce qui se découvre et se trame aujourd’hui invite à soupçonner d’abstraction complaisante ces couples que leurs déchirements mêmes rendent rassurants. Ainsi, par exemple, la conception hégéliano-marxiste du travail comme propre de l’homme reconduit-elle souvent le motif le plus insistant et le plus gratifiant de la philosophie moderne : la positive négativité exercée par la subjectivité sur le donné. »

         Elisabeth de Fontenay, Sans offenser le genre humain, Albin Michel, p. 48, 49.

 

 

   Après la remise en cause de tous les critères par lesquels on a traditionnellement fondé la différence spécifiquement humaine ou ce que j'ai appelé, de manière sans doute ringarde,  la supériorité ontologique de l’homme, on s’attend à ce que Elisabeth de Fontenay cautionne la naturalisme ambiant et l’acharnement de beaucoup de scientifiques à effacer la frontière entre l’humanité et l’animalité. Or cette amie des bêtes et surtout cette philosophe conséquente ne peut pas y consentir. C’est d’ailleurs le propre de tous les auteurs dont on cite abondamment les noms pour disqualifier l’humanisme rationaliste classique. Qu’il s’agisse de Philippe Descola (Par-delà Nature et Culture, Gallimard 2005), ou Jean-Marie Schaeffer (La fin de l’exception humaine, Gallimard 2007), nul ne souscrit à un antihumanisme naturaliste radical.

   Ce qui me frappe c’est la tendance des uns et des autres à recycler, même si c’est sous couvert d’une prudence rhétorique peu convaincante, les critères que pourtant ils désavouent.

   Cela me semble patent dans le livre de E. de Fontenay. Elle reconnaît elle-même « être assise entre deux chaises » et vouloir tenir une voie médiane entre ce qu’elle appelle la tradition métaphysique continentale de Descartes à Heidegger, accusée de tenir un discours réductionniste sur les bêtes et une philosophie anglosaxonne coupable d'estomper la différence entre l’humanité et l’animalité et de vouloir étendre aux animaux les droits que l’homme s’est  octroyés.

   A bien la lire, elle me semble pourtant s’inscrire dans la tradition qu’elle cherche à déconstruire. En témoigne ce passage :

 

 «  Qui faut-il croire alors ? Montaigne, qui disait qu’il y a parfois plus de différence d’homme à homme qu’entre un animal et un homme ou Descartes, faisant de la parole prononcée-à-propos le critère de l’humain, refusant même d’en exclure les muets et les fous (Discours de la méthode, Cinquième partie)? Il y a quelque chose d’à la fois incontournable et indécidable dans cette alternative qui se répète depuis le début de l’histoire occidentale, et n’a pas fini de nous opposer les uns aux autres. C’est pourquoi, laissant de côté — parce qu’ici, dans une sorte d’urgence, il le faut — la féconde idée derridienne d’un feuilletage des frontières je ne saurais contourner ce critère tant ressassé d’un langage spécifiquement humain. Car aussi loin que nous conduisent les travaux des primatologues, portant sur la communication avec les singes supérieurs, sur leurs capacités de catégorisation, nous risquons de sombrer dans la bêtise si nous nous obstinons à nier que les hommes expriment et communiquent autrement que les plus intelligents et les plus loquaces des animaux. C’est la double articulation qui permet de caractériser ce propre langagier, la première assemblant des unités minimales, les monèmes qui, même isolés, ont forme et sens, et qui sont commutables, la deuxième portant sur la commutation d’unités minimales distinctes ayant une forme phonétique, les phonèmes.

   Sur cette structure profonde se greffe une capacité faisant défaut aux primates non humains, comme le reconnaissent eux-mêmes les philosophes naturalistes qui théorisent les travaux convergents de la biologie, de la psychologie expérimentale, de la neurophysiologie et de l’éthologie cognitive. C’est le langage déclaratif, la parole prise en vue de donner de l’information ou encore le langage ostensif qui a pour fonction de montrer à autrui un objet, non pour l’obtenir, mais seulement pour le donner à voir, C’est encore le partage suivi de l’expérience, en ce qu’il mobilise une attention conjointe. C’est aussi le langage conversationnel, qui implique l’inter-subjectivité, la capacité de me représenter ce que se représente l’autre, ses états mentaux en tant qu’ils diffèrent des miens, et d’en tenir compte.

   Mais il convient d’ajouter à ce tableau une compétence, le performatif, qui consonne avec le leitmotiv politique de ce livre. En rhétorique, une locution performative désigne une affirmation qui constitue simultanément l’acte auquel elle se réfère, elle est un Fiat!, un « Que cela soit ! ». Elle fait entrer cette parole qui est un acte dans l’ordre des choses et a donc la capacité d’agir sur le réel, de le transformer par le fait même qu’elle est proférée. C’est ainsi que, nous déclarant « genre humain », nous nous séparons décisoirement et effectivement, historiquement et politiquement, nous nous affranchissons, mais en connaissance de cause, du donné de notre appartenance à l’espèce. Comme Aristote l’a montré on peut paradoxalement dire que ce qui manque en fin de compte aux animaux, c’est tout ce qui a trait à la doxa, à la croyance, à la persuasion, à l’adhésion, à la rhétorique donc. S’ils usent d’un certain logos, ils ne disposeront jamais de ce que le latin nomme l’oratio, la parole, de ce registre où logique et linguistique s’articulent pour constituer l’espace public et humain de la délibération, En fait, c’est l’éthico-rhétorique plus que le rationnel qui fait la spécificité de l’humain. Et l’on accordera que ce propre-là de l’homme, si proche de la pensée des sophistes, n’a rien de métaphysique!

   Dans cette même perspective on peut, en déplaçant l’accent, se demander si ce n’est pas dans le pouvoir métaphorique que se loge la différence. «Ein Hundlder stirbt/und der weif/dass er stirbt/wie ein Hund/und der sagen kann/dass er weif/dass er stirbt/wie ein Hund/ ist ein Mensch : Un chien qui meurt et qui sait qu’il meurt comme un chien et qui peut dire qu’il sait qu’il meurt comme un chien est un homme » ( Erich Fried, « définition » in Warngedichte 1984, p. 134), L’usage de la métaphore et l’expérience tragique récapituleraient à la fois le rapport singulier des hommes aux hommes, au référent, aux animaux, au monde. En cela consisterait cette signification de l’humain que je refuse, pour des raisons éthiques et historiques, d’abandonner à la liquidation positiviste. » Ibid, p. 70 à 73. (C'est moi qui souligne)

 

   Je lui sais gré de résister à la tentation de sombrer dans la bêtise. Et cette mise en garde me donne le désir de faire lire ce propos de Rousseau, n’ayant pas pris une ride à mes yeux :

 «  Il est donc vrai que l’homme est le roi de la terre qu’il habite; car non seulement il dompte tous les animaux, non seulement il dispose des éléments par son industrie, mais lui seul sur la terre en sait disposer, et il s’approprie encore, par la contemplation, les astres mêmes dont il ne peut approcher. Qu’on me montre un autre animal sur la terre qui sache faire usage du feu, et qui sache admirer le soleil. Quoi! je puis observer, connaître les êtres et leurs rapports? je puis sentir ce que c’est qu’ordre, beauté, vertu; je puis contempler l’univers, m’élever à la main qui le gouverne; je puis aimer le bien, le faire; et je me comparerais aux bêtes! Ame abjecte, c’est ta triste philosophie qui te rend semblable à elles : ou plutôt tu veux en vain t’avilir, ton génie dépose contre tes principes, ton cœur bienfaisant dément ta doctrine, et l’abus même de tes facultés prouve leur excellence en dépit de toi »

 Profession de foi du Vicaire Savoyard, GF-Flammarion, p. 69, 70.

 

   Pourquoi faut-il que la dénonciation légitime de ce que Rousseau appelle très justement « un abus de nos facultés » conduise certains à refuser de prendre acte de ce qu'il y a de proprement humain dans ces mêmes facultés?

  Méditons en dernier ressort cette pensée de Pascal:

    « Il est dangereux de trop faire croire à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui trop faire voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un et l’autre, mais il est très avantageux de lui représenter l’un et l’autre.

   Il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre. » B 418.

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14 Réponses à “Le propre de l’homme en question. E. de Fontenay.”

  1. Edward dit :

    Bonjour.

    Je tiens d’abord à vous féliciter pour le travail accompli sur votre blog qui m’est d’une grande aide dans mon désir de me livrer à cette passionnante activité qu’est la philosophie.

    J’aimerais comprendre comment le fait de prendre conscience de ce qu’il y a de proprement humain dans certaines facultés devrait amener à parler d’une supériorité ontologique de l’homme. Ne peut-on pas continuer à considérer l’homme, malgré ses spécificités, comme appartenant à ce monde animal sans tracer de frontière indélébile entre le monde humain et les mondes animaux ? Si une frontière était à tracer ne devrait-elle pas l’être entre chaque espèce ?

    Peut-être est-ce le fait de m’être intéressé aux sciences naturelles avant de venir à la philosophie qui me rend incapable de partager votre perspective. Peut-être est-ce le fait de considérer avant tout l’homme comme un être biologique qui m’empêche de le séparer si strictement du reste du monde animal. Je ne peux néanmoins pas m’ôter de l’esprit que cette volonté de séparation ne relève pas uniquement d’une analyse rationnelle, mais aussi d’une forme de vanité qui s’exaspère face à l’idée que nous pourrions n’être que des animaux parmi tant d’autres.

    Mais bien sur cette dernière idée est inconciliable avec la vision de l’homme se devant d’exercer son humanité et dépassant ainsi la simple animalité contenue en lui. Je n’arrive tout simplement pas à m’inscrire dans ce schéma là, car si l’homme dépasse ce qu’il a de commun avec les animaux, est-ce que d’autres espèces ne dépassent pas aussi leur simple animalité en exerçant ce qu’elle ont de propres ?
    Peut-être me répondrez-vous que l’homme dans son dépassement se libère de l’être purement biologique en lui, ce que ne fait pas une autre espèce lorsqu’elle s’adonne à des activités qui lui sont pourtant spécifiques. Ainsi la spécificité d’une espèce lambda serait d’un autre ordre, insignifiante par rapport à ce qui est proprement humain.

    J’espère ne pas vous avoir ennuyée avec toutes ces questions. Pour finir j’aimerais préciser que, pour ma part, cette volonté de voir les frontières s’estomper un peu entre l’homme et l’animal ne procède pas d’un acharnement, mais bien d’une réelle interrogation.

    Bon courage pour la suite de votre blog !

  2. Simone MANON dit :

    Toutes les grandes questions de la philosophie se ramènent en définitive à la question anthropologique remarque Kant. Qu’est-ce que l’homme en effet? Il appartient au genre animal mais est-il un simple animal? Les animaux se posent-ils la question de leur être? S’arrachent-ils au déterminisme naturel pour instituer leur monde? Créent-ils un art, une religion, des institutions, la science etc.?
    A partir du moment où l’on prend acte de ces faits, peut-on sans problème abolir la frontière qui sépare l’humanité de l’animalité? Je sais que c’est dans l’esprit du temps mais ce n’est là, à mes yeux, qu’un des symptômes de ce que Philippe Muray appelle la régression anthropologique.
    Si l’on ajoute que l’homme comme la société met en jeu une institution imaginaire, que sera une civilisation dans laquelle les individus consentiront à n’être que des animaux? Notre grande tradition philosophique, religieuse nous avait plutôt enseigné qu’être homme c’est refuser d’être un simple animal.
    Bien à vous.

  3. […] Le propre de l’homme en question. E. de Fontenay. […]

  4. Bonjour,

    Nous avons le plaisir de vous informer que dans le numéro 37 d’ universcience.TV vous trouverez le débat « Quel est le propre de l’homme », http://www.universcience.tv/media/1756/quel-est-le-propre-de-l-homme–.html
    Nous serions ravis que vous diffusiez information dans vos réseaux et /ou sur votre site.

    Avec Pascal Picq, paléoanthropologue, maître de conférences au Collège de France, et Élisabeth de Fontenay, professeur de philosophie à la Sorbonne.
    durée 3″ min – Réalisation : Sylvie Allonneau – Production : universcience 2010

    Débat en trois parties accessibles dans Menu / Chapitres

    universcience.tv est la webTV scientifique hebdomadaire de universcience, le nouvel établissement qui regroupe la Cité des sciences et de l’industrie et le Palais de la découverte.

    bien cordialement

  5. Cédric Morant dit :

    Bonjour,
    Permettez-moi de faire un petit pas de côté.
    La question du propre de l’homme, en particulier via la question du langage, me semble révéler un travers récurrent mais peu remarqué, de la philosophie. De la philosophie en tant qu’institution, j’entends, c’est-à-dire telle qu’elle s’enseigne, mais aussi telle qu’elle se donne à lire, notamment la philosophie « continentale » (non anglo-saxonne), semble-t-il.
    A savoir, la tendance à se baser sur des prétendus « acquis » scientifiques, pourtant souvent datés. Les considérations de Descartes sur les animaux, en effet, mais même celles de E.Benveniste, par exemple, ne sont pas seulement discutables philosophiquement, elles sont réfutées scientifiquement (cf. les travaux philosophiques à portée considérable de D.Lestel, notamment http://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_2002_num_36_146_2404).
    Comment, alors, prendre ces théories réfutées comme axiomes ou, pire, les prendre nonchalamment comme vérités d’évidence? Voilà pourtant une sorte de pré-requis d’un nombre incalculable d’œuvres philosophiques plus ou moins récentes.
    Je pense que c’est tout le rapport de la philosophie avec les sciences en tant que « savoir acquis », voire comme doxa, qu’il faut interroger. Popper a bien montré qu’une théorie scientifique est « vraie », du moins corroborée… mais uniquement jusqu’à preuve du contraire. Elle ne peut donc pas être utilisée comme prémisse de raisonnements qu’on souhaiterait définitifs, surtout dans des domaines trop peu explorés (tels que la communication animale), où le moindre contre-exemple (le perroquet gris du Gabon « prenant la parole » à bon escient) souffle les châteaux de cartes philosophiques les plus réputés.
    De même, j’ai le souvenir d’une conférence de l’anthropologue P.Picq durant laquelle celui-ci expliquait, sans racisme ni racialisme aucun, bien entendu, qu’on n’était pas à l’abri qu’un de ces jours, des découvertes génétiques n’établissent que tel ou tel groupement humain contemporain n’appartient pas à homo sapiens, mais à une toute autre espèce (de type Néanderthal, Florès ou Denisova). Si cela arrivait un jour, la démonstration de l’existence de plusieurs humanités, que vaudraient encore toutes les assertions philosophiques sur le propre de l’homme?
    D’un certain point de vue, la démarche d’un Bergson à l’égard de la science de son temps (c’est-à-dire tout simplement se tenir à jour des dernières découvertes) n’aurait pas dû passer de mode, je pense.
    Qu’en pensez-vous?

    Cordialement.

  6. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Je ne souhaite pas polémiquer. Vous permettrez donc que je n’engage pas une discussion sur les débats n’ayant de cesse de chercher à brouiller la frontière entre l’humanité et l’animalité.
    Quant aux rapports entre la philosophie et la science, il va de soi que la philosophie doit s’informer des résultats de la recherche scientifique actuelle.
    Cette pratique m’amène simplement à constater que les études scientifiques contemporaines complexifient les analyses d’un Descartes ou d’un Von Frisch mais je ne vois guère en quoi elles sont d’une portée philosophique considérable, à moins d’être hypnotisé par la richesse et la précision des observations. Elles ne me semblent de nature à révolutionner la problématique du langage qu’à la marge.
    Bien à vous.

  7. Rogers dit :

    Bonjour Madame Manon,

    Je suis en train de lire « le complexe des trois singes « d Étienne Bimbenet. Une réflexion remarquable sur le propre de l’ homme. Si vous n’ avez pas encore eu le temps de le lire, je vous en conseille vivement la lecture. Un propos d’ une rare exigence.
    Encore merci pour votre travail et votre générosité !
    Olivier Rogers

  8. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Merci pour cette référence. Il faut du courage, en cette époque de nihilisme et de régression anthropologique, pour venir rappeler aux hommes que non, décidément ils ne sont pas (ne sont plus) des animaux comme les autres! Grâce soient rendues à ceux qui s’y emploient!
    Bien à vous.

  9. Pascal De Oliveira dit :

    Bonjour madame,
    Je dois avouer qu’en lecteur attentif et enthousiaste de votre blog, je suis un peu surpris, voire déçu par votre position dans ce débat. Si en effet, on considère avec Kant que la question anthropologique est fondamentale en philosophie, je ne vois pas comment on peut refuser le débat, voire la polémique, sur la question du propre de l’homme et de l’animalité.
    Pour en rester à Kant, celui-ci voulait faire faire à la philosophique sa révolution copernicienne, et ne peut-on pas estimer de nos jours qu’il est temps qu’elle fasse aussi sa révolution darwinienne, qui replace l’homme dans son histoire biologique ? Si l’homme est le résultat temporaire d’un processus évolutif tout entier intégré au monde vivant, où, quand et comment pourrait se produire une rupture ontologique qui détacherait l’homme de son animalité ? A moins de croire à un « arrière-monde » (au sens nietzschéen) spirituel, quelle serait la réalité voire sa substance de cette différence ?
    Par ailleurs, vous dites « L’homme appartient au genre animal mais est-il un simple animal? ». Comment justifier logiquement une telle phrase ? On dirait le slogan d’un constructeur automobile, « Plus qu’une simple automobile, c’est une XXX ». J’ai le sentiment que la question « qu’est-ce qu’une animal ? » est peut-être au moins aussi importante que « qu’est-ce que l’homme ? ». En effet, peut-on citer un seul exemple de « simple animal » ? cette créature imaginaire qui semble n’exister que pour se démarquer de l’homme. Quel que soit l’exemple choisi, ne pourrait-on pas trouver mille autres exemples d’animaux non humains qui seraient eux-aussi différents de ce « simple animal » (en disant cela, je ne fais que constater l’extra-ordinaire et fascinante diversité du monde vivant) ?
    Pour finir, je voudrais dire que les conséquences juridiques ou éthiques de cette question me paraissent très souvent excessivement hâtives. Il y a des « donc » qui sont des raccourcis logiquement non justifiés et qui trahissent les préjugés de l’auteur. Je pense et j’espère que l’on peut traiter la question de l’animalité sans être soupçonné immédiatement de « régression anthropologique » et surtout en restant dans un premier temps en dehors du débat sur les droits des animaux ou sur l’éthique alimentaire. A vouloir trop traiter de questions en même temps, on finit par n’en traiter aucune.

    Je vous souhaite une excellente année 2018

    Bien à vous,
    Pascal

  10. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il me semble que ce blog affronte clairement les questions liées au propre de l’homme.
    Oui nous appartenons au genre animal mais nous avons une différence spécifique.
    Par exemple, peut-on remettre en cause ce propos de Rousseau: « Mais quand les difficultés qui environnent toutes ces questions laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l’homme et de l’animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c’est la faculté de se perfectionner ; faculté qui à l’aide des circonstances développe toutes les autres et réside parmi nous tant dans l’espèce que dans l’individu, au lieu qu’un animal est au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie et son espèce au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l’homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? https://www.philolog.fr/la-perfectibilite-rousseau/
    Peut-on remettre en cause l’idée que la nature de l’homme est de se produire comme être de culture ou comme sujet historique alors qu’on n’observe rien de tel chez l’animal ? etc.
    Il se peut que ces analyses soient à vos yeux des « slogans de constructeur automobile »
    J’avoue ne pas être de cet avis et je ne vois pas en quoi ces simples observations vous paraissent de nature à méconnaître l’extraordinaire diversité du monde vivant!
    Tous mes vœux pour la nouvelle année.

  11. Pascal De Oliveira dit :

    Bonjour madame,

    Je voudrais tout d’abord revenir sur ma comparaison avec les vendeurs de voiture, que je trouve pertinente même si elle est, je le reconnais, un peu provocatrice.
    Un vendeur de voiture sait que chaque constructeur fait des voitures différentes. Comment se distinguer dans des conditions pareilles ? Il prétend que sa différence à lui est spécifique, que les autres font des « simples voitures » mais que lui fait autre chose tout en faisant des voitures.
    Ne voyez-vous pas l’analogie évidente avec le raisonnement qui prétend que, certes l’homme est un animal, mais qu’il est différent ? ou, pour être plus précis, que sa différence à lui est spécifique ? Car la différence est la règle dans le monde vivant, c’est le principe même de la spéciation. Et si on applique le principe de la pensée élargie kantienne à cette situation, on se dit que chaque espèce est en droit de penser que sa différence à elle est plus importante que celle des autres, dit autrement chaque espèce peut de bon droit développer son « spéci-centrisme ». D’ailleurs, si on faisait parler certaines d’entre elles qui existent depuis bien plus longtemps que nous et qui survivront probablement quand nous aurons disparu après avoir détruit notre environnement (biotope), elles se moqueraient sans doute de notre prétention …

    Vous dites, après Rousseau, que seul l’humain peut s’améliorer. Hum … ne pensez-vous pas qu’un vieux lion chasse mieux qu’un jeune lionceau ou, a contrario, qu’un vieux cerf sait plus qu’un jeune éviter les chasseurs ? Beaucoup de mammifères ont un cerveau très développé qui leur ont permis d’acquérir des capacités d’apprentissage.

    Je ne suis pas en train de nier l’extraordinaire intelligence humaine, avec toutes conséquences, bonnes et mauvaises de celle-ci, mais je ne crois pas qu’on puisse trouver une seule caractéristique humaine qui n’existe dans un état plus ou moins développé, dans d’autres espèces, généralement proches de nous dans l’histoire du vivant, c’est à dire mammifères et simiesques. L’homme est un singe particulièrement intelligent. Mais, d’ailleurs, si cette intelligence l’amène à détruire son environnement et à s’auto-détruire en tant qu’espèce, on ne pourra pas dire qu’elle était la marque d’une supériorité quelconque (de la même façon que la taille gigantesque de certaines espèces les ont amenées à disparaître).

    Pour finir ce message trop long, je me demande quel est l’intérêt de cette question … Avons-nous besoin de nous penser totalement différent du « simple animal » pour développer des éthiques de responsabilité envers nous-mêmes et le monde vivant ? En reconnaissant notre animalité et notre place dans l’évolution des espèces, nous comprenons mieux notre dépendance envers notre environnement (donc, la nécessité de le préserver) et nous acceptons mieux notre corps, objet et sujet de notre liberté et de notre responsabilité.

    Si j’insiste souvent sur la nécessité de développer une philosophie de l’évolution, comme avait commencé à le faire Bergson, c’est parce qu’il me semble que celle-ci nous permettrait de mieux répondre à beaucoup de questions qui se posent à notre époque.

    Voilà ! J’espère m’être mieux fait comprendre au delà de l’aspect polémique et un peu provocateur de certains de mes propos précédents.

    En vous remerciant encore du temps que vous passez pour partager votre savoir philosophique et pour échanger avec des amateurs qui, comme moi, tentent de monter cette pente difficile qui, selon Socrate, permet de sortir de la Caverne où règne l’obscurantisme de nos opinions (un peu emphatique, mais j’aime bien cette image).

    Je vous souhaite une très bonne journée,
    Pascal

  12. Simone MANON dit :

    Bonjour Monsieur
    Il me semble que vous auriez intérêt à relire le mythe de Prométhée et à le méditer.
    Il est beaucoup plus intelligent que quantité de ratiocinations actuelles
    https://www.philolog.fr/le-mythe-de-promethee-commentaire-detaille/
    Bien à vous.

  13. Pascal De Oliveira dit :

    Bonjour madame,
    Votre réponse confirme ce que je regrette. Une partie de la philosophie se refuse à prendre en compte les enseignements de la science moderne, que ce soit la biologie de l’évolution ou de l’éthologie.
    J’ai une grande admiration pour les philosophes, comme Aristote, Descartes, Pascal, Kant ou Bergson, qui ont cherché à comprendre la signification profonde de la science de leur temps, voire à y participer activement. C’est malheureusement devenu une attitude très rare.
    Peut-être pensez-vous que je défends des thèses « animalistes » ou « anti-spécistes » comme j’ai pu en entendre samedi au forum France Culture consacré à l’animal. Ce n’est pas du tout le cas. Je les trouve même totalement ridicules.
    Je vous souhaite une bonne journée,
    Pascal

  14. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Non, la philosophie ne se refuse pas à prendre en compte les enseignements de la science moderne. Il faut éviter les inférences irréfléchies. Le philosophe sait bien que tout ce que nous pouvons savoir de positif, nous le devons à la science. Il se refuse simplement à oublier de réfléchir et à faire dire aux observations scientifiques ce qu’elles n’autorisent pas.
    Par exemple: certaines espèces animales ont de grandes capacités d’apprentissage, c’est un fait établi scientifiquement. Cela autorise-t-il, comme vous semblez le faire, à ignorer que seule l’espèce humaine est une espèce historique? La société, les transformations historiques jouent pour elle le rôle de l’espèce pour l’animal (Cf. Leroi-Gourhan). Les unes restent de part en part naturelles, l’autre rompt la continuité entre elle et les autres êtres vivants en produisant de l’artifice, des institutions, bref un monde culturel. Comme l’écrit Rousseau: « un animal est au bout de quelques mois, ce qu’il sera toute sa vie et son espèce au bout de mille ans, ce qu’elle était la première année de ces mille ans » Rien de tel avec l’homme. Comment soutenir sérieusement que la différence n’est que de degré?
    Par ailleurs, sur le plan strictement philosophique, voyez bien qu’aucun philosophe conséquent ne nie notre part animale et notre place dans l’évolution des espèces. Nous n’avons pas non plus besoin de rappeler notre différence d’avec l’animal pour fonder nos éthiques. Celles-ci s’étayent sur nos facultés propres (la conscience, la raison, la socialité, etc.) et cela est bien suffisant.
    Bien à vous.

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