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  Portrait de Nicolas Machiavel par Santi di Tito. Palazzo Vecchio. Florence.

 
 
 

DES CHOSES POUR LESQUELLES LES HOMMES ET SURTOUT LES PRINCES SONT LOUES OU BLÂMES

 

 « Il reste maintenant à voir quels doivent être les manières et les comportements d'un prince avec ses sujets et avec ses amis. Et comme je sais que beaucoup ont écrit là-dessus, je crains, en écrivant à mon tour, d'être regardé comme présomptueux, d'autant plus qu'en discutant de ce point je divergerai des conclusions des autres. Mais puisque mon intention est d'écrire quelque chose d'utile pour qui l'entend, il m'a semblé plus approprié de considérer la vérité effective de la chose plutôt que l'imagination qu'on s'en fait. Beaucoup se sont imaginés des républiques et des principautés que jamais on n'a véritablement ni vues ni connues, car il y a un tel écart entre la façon dont on vit et celle dont on devrait vivre, que celui qui délaisse ce qui se fait pour ce qui devrait se faire apprend plutôt à se perdre qu'à se sauver. En effet, l'homme qui en toutes choses veut faire profession de bonté se ruine inéluctablement parmi tant d'hommes qui n'ont aucune bonté. De là il est nécessaire à un prince, s'il veut se maintenir au pouvoir, d'apprendre à pouvoir ne pas être bon, et d'en user et n'en pas user selon la nécessité [...]»

                               Machiavel. Le Prince. 1513. Chapitre XV.

 

 

COMMENT LES PRINCES DOIVENT TENIR LEUR PAROLE.

 

   « Combien il est louable à un prince de tenir sa parole, de vivre avec intégrité sans employer la ruse, chacun en convient. Cependant, l'expérience de notre temps montre que les princes qui ont fait de grandes choses sont ceux qui ont tenu peu compte de leur parole, et qui ont su, grâce à la ruse, circonvenir l'esprit des hommes; et à la fin ils ont vaincu ceux qui se sont fondés sur la loyauté.

   Vous devez donc savoir qu'il y a deux manières de combattre : l'une avec les lois, l'autre avec la force. La première est le propre de l'homme, la seconde celui des bêtes ; mais comme souvent la première ne suffit pas, il convient de faire appel à la seconde. C'est pourquoi il est nécessaire à un prince de bien savoir user de la bête et de l'homme. C'est ce que les écrivains anciens ont enseigné aux princes à mots couverts. Ils écrivent qu'Achille et de nombreux autres princes furent placés chez le centaure Chiron afin qu'il leur enseignât sa discipline. Or, avoir un précepteur moitié homme moitié bête ne signifie rien d'autre sinon qu'il faut que le prince sache bien user de l'une et de l'autre nature, car l'une sans l'autre ne peut durer.

   Comme le prince est donc contraint de savoir bien user de la bête, il doit entre toutes choisir le renard et le lion ; le lion en effet ne se défend pas des pièges, le renard ne se défend pas des loups. Il faut donc être renard pour connaître les pièges et lion pour effrayer les loups. Ceux qui se fondent uniquement sur le lion n'y entendent rien. C'est pourquoi un seigneur prudent ne doit pas tenir sa parole lorsque la promesse qu'il a faite tourne à son désavantage et qu'ont disparues les raisons qui lui avaient fait promettre. Si les hommes étaient tous bons, ce précepte ne serait pas bon, mais comme ils sont méchants et qu'ils ne tiendraient pas la parole qu'ils t'ont donnée, toi non plus tu n'as pas à tenir celle que tu leur as donnée. D'ailleurs, les raisons de justifier le manquement à la parole donnée n'ont jamais fait défaut aux princes. On pourrait en donner une infinité d'exemples modernes et montrer combien de traités de paix, combien de promesses ont été rendus nuls et non avenus à cause du manque de parole des princes : et c'est celui qui a su le mieux user du renard qui a triomphé. Mais cette nature, il est nécessaire de bien la maquiller, et d'être grand simulateur et dissimulateur; et les hommes sont si naïfs, et ils obéissent tant aux nécessités présentes que celui qui trompe trouvera toujours quelqu'un qui se laissera tromper.

   Parmi les exemples de fraîche date, il y en a un que je ne veux pas taire. Alexandre VI ne fit jamais autre chose ni ne pensa jamais à autre chose qu'à tromper les hommes ; et toujours il trouva des occasions de le faire. Jamais on ne vit homme plus efficace au moment de promettre une chose et de s'engager par des serments solennels - et qui tînt moins sa parole. Cependant toujours ses tromperies prirent le tour qu'il désirait, car il connaissait bien cet aspect des choses.

   Il n'est donc pas nécessaire pour un prince d'avoir toutes les qualités décrites plus haut, mais il est bien nécessaire de paraître les avoir. Même, j'irai jusqu'à dire que s'il les avait et s'il les observait toujours, elles lui porteraient préjudice. C'est en paraissant les avoir qu'elles sont utiles; ainsi de paraître clément, fidèle, humain, intègre, pieux, et de l'être; mais avoir l'esprit tourné de telle sorte que, s'il faut ne pas l'être, tu puisses et tu saches te changer en l'exact opposé. Il faut comprendre ceci : un prince, surtout un prince nouveau, ne peut observer toutes les qualités pour lesquelles les hommes sont reconnus bons, parce qu'il est souvent contraint s'il veut préserver ses possessions d'agir contre la parole donnée, contre la charité, contre l'humanité, contre la piété. Ainsi, il faut qu'il ait l'esprit disposé à se tourner dans le sens que commandent les vents de la fortune et les variations des choses, et, comme je l'ai dit plus haut, ne pas s'écarter du bien s'il le peut, mais savoir entrer dans le mal, s'il y est contraint.

   Un prince doit donc avoir grand soin que ne lui sorte jamais de la bouche la moindre parole qui ne soit pleine des cinq qualités susdites ; et qu'il paraisse, à le voir et à l'entendre, toute piété, toute honnêteté, toute intégrité, toute humanité, toute religion. Et aucune qualité n'est plus nécessaire de paraître avoir que celle-ci. D'une manière générale, les hommes jugent plus par les yeux que par les mains, car si n'importe qui peut voir, bien peu éprouvent juste. Chacun voit ce que tu parais, peu ressentent ce que tu es ; et ce petit nombre n'ose pas s'opposer à l'opinion de la majorité qui a la majesté de l'Etat derrière elle. Dans les actions humaines, et surtout dans celles des princes, où il n'y a nul tribunal à qui faire appel, on considère la fin. Qu'un prince fasse donc en sorte de vaincre et de préserver ses possessions. Les moyens employés seront toujours jugés honorables et loués de tous, car le vulgaire est toujours pris par les apparences et par les résultats ; or dans le monde il n'y a que le vulgaire. Quelques-uns n'ont aucun poids quand la majorité croit avoir tous les arguments en main. Un certain prince d'aujourd'hui, qu'il n'est pas bon de nommer, ne prêche jamais rien d'autre que la paix et la confiance, et de l'une et de l'autre il est le plus grand ennemi ; et s'il avait observé l'une et l'autre, elles lui auraient plusieurs fois enlevé son prestige et ses possessions ».

                              Machiavel. Le Prince. Chapitre XVIII.

 

NB : Dans ces textes, Machiavel fait une reprise parodique de Cicéron.

 

«  Il y a deux sortes de conflits, qui se règlent, les uns par un débat, les autres par la violence : comme le premier est particulier à l'homme et que l'autre lui est commun avec les bêtes, il ne faut recourir au second que s'il est impossible d'employer le premier moyen »

                 Traité des devoirs. I, XI

 «  On peut être injuste de deux manières, ou par violence ou par ruse ; la ruse est l'affaire du renard, la violence celle du lion, l'une et l'autre sont tout ce qu'il y a de plus étranger à l'homme, mais la ruse est la plus détestable des deux. Dans tout le champ des actes injustes, nul n'est plus coupable que ceux des hommes qui agissent de manière à paraître honnêtes au moment où ils vous dupent le plus ».

                Traité des devoirs. I, XIII.

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19 Réponses à “Machiavel. Morale et politique.”

  1. shauna dit :

    on avait lu un passage de cet extrait en seconde 🙂

    (j’aime beaucoup ce texte)

  2. George dit :

    Ah ben moi je n’aime pas du tout !

  3. Simone MANON dit :

    La mesure de la vérité n’est pas le plaisir ou le déplaisir qu’elle suscite. Le travail de la pensée commence avec l’ascèse des affects.

  4. MABANZA dit :

    BONJOUR J’AI VRAIMENT AIME CE TEXTE DE MACHIAVEL .

  5. sylla said dit :

    La morale de machiavel en politique peut elle s’appliquer a nos societes d’aujourdhui?

  6. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Je ne prends la peine de répondre qu’aux internautes témoignant de la plus élémentaire des politesses. C’est ce que vous devez vous empresser d’apprendre.
    Bien à vous.

  7. Jeanne Hutin dit :

    Bonjour,
    Je souhaiterais avoir quelques éclaircissements sur Le Prince en général.
    Machiavel donne des conseils au prince pour l’aider à se maintenir au pouvoir. Ces conseils et cette réalité du pouvoir décrite dans ce texte sont-ils valables seulement si le but est de maintenir durablement le prince au pouvoir, ou peut-on dire que cette manière de gérer le pouvoir (par la ruse et la force) est valable généralement ?
    Je veux dire : gérer le pouvoir comme Machiavel le dit, est-ce pour lui la meilleure gestion possible du pouvoir ? Je crois comprendre qu’il affirme que oui, si on considère qu’un pouvoir stable est garant de la paix et de la sécurité des citoyens. Mais Machiavel a-t-il d’autres arguments ? Est-ce que ce que je dis est juste ?
    Merci d’avance pour vos éclaircissements.

  8. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous avez en liens, (dans la colonne de droite en haut), trois articles sur Machiavel qui peuvent éclairer votre lanterne. Voyez en particulier: https://www.philolog.fr/comment-concevoir-les-rapports-de-la-morale-et-de-la-politique/
    Le Prince subvertit la tradition des Miroirs des Princes. Il ne s’agit plus pour Machiavel de renvoyer au gouvernant une image romanesque et édifiante de ce qu’il doit être, mais d’analyser avec lucidité les conditions de fait de la conquête et de l’exercice du pouvoir. Cf. Sa mise en garde au chapitre XV: « Beaucoup se sont imaginés des républiques et des principautés que jamais on n’a véritablement ni vues ni connues, car il y a un tel écart entre la façon dont on vit et celle dont on devrait vivre, que celui qui délaisse ce qui se fait pour ce qui devrait se faire apprend plutôt à se perdre qu’à se sauver. En effet, l’homme qui en toutes choses veut faire profession de bonté se ruine inéluctablement parmi tant d’hommes qui n’ont aucune bonté. De là il est nécessaire à un prince, s’il veut se maintenir au pouvoir, d’apprendre à pouvoir ne pas être bon, et d’en user et n’en pas user selon la nécessité. […] Je sais que chacun confessera que ce serait la chose la plus digne de louanges que de trouver dans la personne d’un prince toutes les qualités que l’on reconnaît bonnes parmi celles qu’on vient de décrire ; mais comme on ne peut ni les avoir toutes ni les observer entièrement, puisque la condition humaine ne le permet pas, il est nécessaire pour le prince d’avoir la prudence nécessaire pour savoir fuir la mauvaise réputation des vices qui lui feraient perdre ses possessions, et de se garder si possible de ceux qui ne lui font courir aucun danger. Si c’est impossible, il peut s’y laisser aller avec moins de crainte. Mais qu’il ne se préoccupe pas d’encourir l’infamie de ces vices sans lesquels il peut difficilement sauver ce qu’il possède ; car, tout bien considéré, telle qualité qui semblera vertu peut précipiter la perte de celui qui s’y conforme ; et telle autre qui semblera vice produira lorsqu’on s’y conforme sécurité et bien-être », Hatier, p. 70 à 72. Trad. Thierry Ménissier.

    Ce qui fonde son analyse n’est pas la bonté de la fin poursuivie par le Prince même s’il est vrai que n’importe quel pouvoir vaut mieux que pas de pouvoir du tout. Il y a une nécessité du pouvoir pour instituer et protéger une communauté politique de multiples dangers. Mais il n’y a pas, chez Machiavel, comme c’est le cas dans la tradition de la philosophie politique classique, de réflexion sur la question du meilleur régime ou sur la finalité morale de l’Etat. Notre auteur s’en tient à l’analyse lucide du fait du pouvoir et s’il n’a rien d’édifiant, excepté la réalité de sa réussite, (le seul critère d’évaluation d’une politique est sa réussite ou son échec), cela tient à la nature des hommes. La condition humaine interdit au Prince le luxe de la bonté. C’est donc le pessimisme anthropologique de Machiavel, son intelligence des caprices de la fortune et des imperfections de chaque homme qui fondent son cynisme politique. Et cela vaut pour n’importe quelle situation même s’il est vrai que celles-ci étant changeantes la principale virtù du Prince est d’être capable d’en sentir la singularité.
    Bien à vous.

  9. DHESAMB SAMBA dit :

    bonjour madame Manon j’éprouve un très grand plaisir de vous lire, merci pour la clarté de l’exposé. DHESAMB, SENEGAL

  10. Henri Montaudié dit :

    Bonjour Madame Manon
    Donald Trump élu président des Etats-Unis a peut être lu le Prince de Machiavel.
    Pour prendre le pouvoir conseille Machiavel, accroître les puissances mineures, anéantir la puissance d’un puissant (ici des puissants), montrer sa virtù ou valeur (« qualités non immédiatement intellectuelles »), son courage physique (école militaire), sa ferme résolution, son ardeur guerrière, maîtriser l’art de séduire le peuple et sa facilité de le manipuler. Méthode encore d’actualité, isn’t it?

  11. Simone MANON dit :

    Bonjour Monsieur
    La nature humaine, les ficelles de la conquête du pouvoir sont invariablement les mêmes sous des variations de surface. Tout au plus était-il permis d’espérer aux vertus d’une éducation humaniste. Il faut bien avouer que l’époque décourage même cette espérance.
    Il paraît que la démocratie n’a plus la cote et que les citoyens rêvent de gouvernements musclés. Ils vont bientôt être majoritairement servis!
    Bien à vous

  12. Dosso Mourlaye Abdoulaye dit :

    Bjr Mme Simone Manon Infiniment merci de m’avoir donné l’occasion de me cultiver à travers votre blog. Une question s’il vous plaît : « La politique est-elle une science ou un art ? « Merci de me faire un bon développement svp. Bien à vous émérite professeur . Par DOSSO

  13. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Si vous cherchez un larbin vous vous êtes trompé d’adresse.
    Si vous vous étiez vraiment cultivé la stérilité de la paresse et votre indécence ne vous échapperaient pas.Vous en auriez honte.
    Bien à vous.

  14. M. Tessarotto dit :

    Bonjour Madame,
    Quels principes de symétrie pourrait on observer entre « Le Prince » et « l’art de la guerre » ?
    Le 1° ouvrage semblerait privilégier la ruse sans refuser la violence et le second pourrait, avec un raccourci, se satisfaire de l’inverse. Etant plus matheux que Philo, ne soyez pas surprise d’un exposé plus intuitif que littéraire.
    Bien à vous
    M.T

  15. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Ma lecture de l’art de la guerre est beaucoup trop lointaine pour que je puisse vous répondre de manière pertinente.
    Veuillez m’en excuser.
    Bien à vous.

  16. Alys dit :

    Bonsoir madame je vous remercie à nouveau pour la richesse de ce blog. Vous fournissez un travail exceptionnel et vos réponses sont toujours éclairantes.

    Je viens de rentrer en Hypokhâgne à Henri IV et votre blog m’est toujours autant utile.

    Trêve de mondanités , il convient de vous poser une question élémentaire dont n’importe quel(le) hypokhâgneux(se) se doit de détenir la réponse mais… quels sont les détracteurs de Machiavel ? Il prétend déroger de la route communément empruntée par ses prédécesseurs et ses contemporains ? Quels sont ces philosophes ? (il me semble que Rousseau s’oppose à la thèse de Machiavel).

    En vous remerciant par avance,
    Bien à vous

    Alys

  17. Alys dit :

    Bonjour madame, j’ignore si mon précédent commentaire vous est parvenu mais j’ai une autre question -encore-. Peut-on concevoir que la politique chez Machiavel répond d’une « morale » conséquentialiste ? Car ce qui m’apparaît flagrant c’est que quand bien même la finalité de l’action politique n’est pas morale (et de ce fait les moyens employés non plus), elle vise malgré tout la meilleure conséquence possible pour son peuple.

    Je vous remercie par avance de votre réponse !

    Bien à vous,

    Alys

  18. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous avez de nombreux articles sur Machiavel dans philolog. (Utilisez l’index) Je vous invite à les lire pour vous initier à la pensée de Machiavel qui est tout sauf une pensée simple.
    -Il rompt avec la tradition de l’idéalisme classique qu’il accuse de ne pas s’en tenir à « la vérité effective » des choses. Un Platon, par exemple dans la République, ne décrit pas les cités et les hommes tels qu’ils sont mais tels qu’ils devraient être.
    -Tous les penseurs classiques font la part belle à la raison alors que, pour Machiavel, ce qui est déterminant dans les conduites humaines, ce sont les passions

    « Il reste maintenant à voir quels doivent être les manières et les comportements d’un prince avec ses sujets et avec ses amis. Et comme je sais que beaucoup ont écrit là-dessus, je crains en écrivant à mon tour, d’être regardé comme présomptueux, d’autant plus qu’en discutant de ce point je divergerai des conclusions des autres. Mais puisque mon intention est d’écrire quelque chose d’utile pour qui l’entend, il m’a semble plus approprié de considérer la vérité effective de la chose plutôt que l’imagination qu’on s’en fait. Beaucoup se sont imaginés des républiques et des principautés que jamais on n’a véritablement ni vues ni connues, car il y a un tel écart entre la façon dont on vit et celle dont on devrait vivre, que celui qui délaisse ce qui se fait pour ce qui devrait se faire apprend plutôt à se perdre qu’à se sauver. En effet, l’homme qui en toutes choses veut faire profession de bonté se ruine inéluctablement parmi tant d’hommes qui n’ont aucune bonté. De là il est nécessaire à un prince, s’il veut se maintenir au pouvoir, d’apprendre à pouvoir ne pas être bon, et d’en user et n’en pas user selon la nécessité. […] Je sais que chacun confessera que ce serait la chose la plus digne de louanges que de trouver dans la personne d’un prince toutes les qualités que l’on reconnaît bonnes parmi celles qu’on vient de décrire ; mais comme on ne peut ni les avoir toutes ni les observer entièrement, puisque la condition humaine ne le permet pas, il est nécessaire pour le prince d’avoir la prudence nécessaire pour savoir fuir la mauvaise réputation des vices qui lui feraient perdre ses possessions, et de se garder si possible de ceux qui ne lui font courir aucun danger. Si c’est impossible, il peut s’y laisser aller avec moins de crainte. Mais qu’il ne se préoccupe pas d’encourir l’infamie de ces vices sans lesquels il peut difficilement sauver ce qu’il possède ; car, tout bien considéré, telle qualité qui semblera vertu peut précipiter la perte de celui qui s’y conforme ; et telle autre qui semblera vice produira lorsqu’on s’y conforme sécurité et bien-être », Hatier, p. 70 à 72. Trad. Thierry Ménissier.
    Machiavel est par sa manière de s’en tenir à « la vérité effective » de la chose le fondateur de la modernité politique. Souci réaliste. Observer les faits afin d’en élaborer un savoir.

    Sur la question de la morale propre au politique, voyez cet article: https://www.philolog.fr/les-notions-de-fortune-et-de-virtu-chez-machiavel-2/
    Sa pensée est complexe. Il y a bien chez lui l’idée d’une fécondité du mal (Pierre Manent)et dans la mesure où il fait de la réussite de l’action politique le critère de sa valeur, on peut parler d’une morale conséquentialiste.
    Mais comme l’écrit Lefort à propos de l’analyse que Machiavel fait d’Agathocle de Sicile: « «En dévoilant que la virtù ne va pas sans gloire, il donnait déjà à penser qu’on ne saurait définir l’action politique sans faire sa part à la représentation que les hommes en composent. Il ne disait d’ailleurs pas que la virtù est incompatible avec le crime, le mensonge et l’irréligion, mais niait – ce qui est différent – qu’on put couvrir d’un tel nom ces moyens de conquérir le pouvoir» (Lefort 1972, 380).
    Bien à vous.

  19. Alys dit :

    Bonsoir Madame merci beaucoup pour votre réponse éclairante et en effet en faisant quelques recherches et en remettant mon nez dans Platon j’ai compris dans quelles mesures Machiavel rompait avec la tradition de la philosophie politique souvent confondue avec la morale.

    Merci encore, au plaisir !

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