Pour Kant c'est-à-dire pour les Modernes, la morale répond à la question : Que dois-je faire ?
Pour les Anciens la question morale par excellence est : Quelle est la fin naturelle d'un être ? Qu'est-ce qui réalise sa nature dans son excellence ?
Les Anciens pensent la moralité ou vertu en rapport avec la nature comme accomplissement par chaque être de sa fin propre (de ce pour quoi il est fait). C'est que la nature est pour eux un cosmos, c'est-à-dire un ordre harmonieux et finalisé. La notion de cosmos connote celle d'ordre et de beauté. Ce qu'une chose est, lorsqu'elle est en ordre, c'est ce qu'elle doit être selon la loi naturelle. (Cf. Le sac de peau. Platon et son commentaire comme illustration de cette idée).
Idée-force : Les Anciens ne distinguent pas le plan de l'être et celui du devoir-être. La nature est pour eux : modèle, norme.
La pensée moderne distingue, au contraire radicalement le plan de l'être et celui du devoir-être. C'est là, l'héritage judéo-chrétien. Jérusalem s'oppose à Athènes en nous apprenant que la nature est déchue, corrompue par le péché originel. Il s'ensuit qu'il y a un mal radical dans la nature humaine. La nature ne peut donc pas être conçue comme un modèle ou une norme.
La morale kantienne (dont je fais ici l'emblème de la morale moderne, mais il faut avoir présent à l'esprit qu'il y a dans la modernité d'autres conceptions de la moralité) affirme ainsi l'hétérogénéité du plan de la nature (l'être) et de la moralité (le devoir-être).
La moralité ne se fonde pas dans une loi immanente à la nature (fondement cosmologique) mais dans la loi transcendante de la raison (fondement rationnel) qui légifère sous la forme d'un impératif.
"Devoir! nom sublime et grand, toi qui ne renfermes rien en toi d'agréable, rien qui implique insinuation, mais qui réclames la soumission (...)" s'exclame Kant dans la Critique de la raison pratique.
L'expérience morale par excellence est l'expérience de l'obligation ou du devoir. Celle-ci révèle la résistance de la sensibilité à la loi que se représente la raison et la liberté de la volonté appelée à se rendre indépendante des inclinations sensibles.Cf.Cours
La distinction de l'être et du devoir-être se décline ainsi comme dualisme de la nature et de la raison, du déterminisme et de la liberté.
Cette opposition conduit Kant à définir deux finalités de la nature humaine :
Une finalité naturelle : en tant qu'être de la nature ou être sensible, notre finalité est le bonheur.
Une finalité supra naturelle : en tant qu'être de raison, être suprasensible, notre finalité est la moralité.
Avec la pensée moderne, le bien moral (ou moralité, ou vertu) et le bonheur sont donc distingués alors que cette distinction est absente dans la pensée antique. La moralité ou l'art d'être heureux n'est pas une finalité supranaturelle, elle est l'accomplissement de notre nature.
« Il n'est pas possible de vivre avec plaisir sans vivre avec prudence et il n'est pas possible de vivre de façon bonne et juste sans vivre avec plaisir » affirme Epicure dans la maxime fondamentale V.
Dans la Lettre à Ménécée on peut aussi lire : « Il n'y a pas moyen de vivre agréablement si l'on ne vit pas avec prudence, honnêteté et justice, et il est impossible de vivre avec prudence, honnêteté et justice si l'on ne vit pas agréablement. Les vertus en effet, ne sont que des suites naturelles et nécessaires de la vie agréable et, à son tour, la vie agréable ne saurait se réaliser en elle-même et à part des vertus ». Lignes 172 .173.174.175.176.177.178.179.
2°) Des impératifs de nature différente.
«Il faut » ; « Tu dois faire ceci ou cela ». Ces expressions formulent des impératifs.
Un impératif représente une action comme nécessaire pour réaliser une fin. Il formule des principes à observer pour atteindre certains objectifs. Le fait de formuler des impératifs témoigne que la conduite humaine n'est pas comme la conduite instinctive déterminée par des lois naturelles dans ses fins et dans ses moyens. C'est une conduite consciente et volontaire qui doit définir ou déterminer ses propres opérations. « Toute chose dans la nature agit d'après des lois. Il n'y a qu'un être raisonnable qui ait la faculté d'agir d'après la représentation de lois c'est-à-dire d'après des principes, en d'autres termes qui ait une volonté. Puisque pour dériver des actions des lois, la raison est requise, la volonté n'est rien d'autre qu'une raison pratique » Fondements de la métaphysique des mœurs. 1785.
Or les principes d'action définis par la raison ne sont pas de même nature.
On peut distinguer les impératifs hypothétiques et les impératifs catégoriques.
Les impératifs hypothétiques nous représentent une action comme bonne comme moyen, pour arriver à une certaine fin. Ils commandent conditionnellement. Ex : Si tu veux guérir (sous condition de cette aspiration), tu dois prendre tel médicament.
Les impératifs catégoriques représentent l'action comme une fin bonne en soi. Ils commandent inconditionnellement. Ex : Tu dois respecter la personne humaine. Ici l'action est commandée « comme nécessaire pour elle-même et sans rapport à un autre but comme nécessaire objectivement » Kant.
Cette analyse conduit Kant à distinguer les plans de l'habileté, de la prudence et de la moralité.
L'habileté est l'aptitude à atteindre certaines fins de manière appropriée. Elle renvoie au champ de la technique en général. Les impératifs de l'habileté sont des impératifs hypothétiques. Ex : Su tu veux voler il te faut construire un avion. Si tu veux construire un barrage solide il faut calculer avec soin la résistance des matériaux. L'habileté énonce des règles.
La prudence est ce que les Anciens appellent la sagesse pratique (phronesis). Elle est l'art de promouvoir la vie bonne et heureuse. La prudence est au fond l'habileté dans le choix des moyens propres à assurer le bonheur. Ex : si tu veux être heureux Calliclès, il faut éviter la vie d'un pluvier qui mange et qui fiente en même temps dit Socrate dans le Gorgias. La prudence énonce des conseils.
La moralité, au contraire des domaines précédents, commande une action de manière absolue. Elle ne dit pas : « Fais ceci si tu veux atteindre ton objectif » que celui-ci soit une réussite technique ou le bonheur. Elle dit « Fais ceci ». « Tu dois parce que tu dois ». La moralité énonce des commandements.
Conclusion : Ces éclaircissements pointent clairement la distinction entre les morales antiques et la morale moderne.
Les morales antiques formulent des conseils. Ce sont des parénétiques (parainein ; exhorter). Ni en grec, ni en latin, ainsi que le souligne Victor Brochard dans son bel article sur ce thème, il n'y a de mot pour exprimer l'idée de devoir, au sens de l'obligation impérieuse c'est-à-dire du commandement. Dans les morales anciennes il n'y a pas d'impératif, il n'y a qu'un optatif. Un optatif exprime un souhait. Ex : Tu dois être tempérant Calliclès, si tu ne souhaites pas subir le châtiment des danaïdes conseille Socrate. Tu dois philosopher, pratiquer la metriopathie, ne pas craindre les dieux et la mort, Ménécée, si tu veux être heureux, conseille Epicure.
Pour Kant, de telles morales sont extérieures au champ de la moralité. Le tort des Anciens est de confondre deux ordres hétérogènes. Le plan des inclinations naturelles et celui de l'exigence morale. La recherche du bonheur correspond à une inclination naturelle, nul besoin d'un devoir pour nous prescrire ce à quoi l'on tend naturellement. Le propre de l'obligation morale est de relever d'une autre source que celle de la sensibilité et de rencontrer en elle de la résistance. "Ce que chacun inévitablement veut déjà de soi-même ne peut appartenir au concept du devoir ; en effet le devoir est une contrainte en vue d'une fin qui n'est pas voulue de bon gré. C'est donc se contredire que de dire qu'on est obligé de réaliser de toute ses forces son propre bonheur" Kant Métaphysique des moeurs. Doctrine de la vertu. 1797.
Il s'ensuit que le bonheur est une chose, la moralité une autre : « La majesté du devoir n'a rien à faire avec la jouissance de la vie » écrit Kant.
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il n’y a pas à dire, j’adhère forcément à la pensée antique ! Point !!!
Bonsoir madame,
J’avais cru comprendre que l’identité du bonheur et de la vertu n’allait pas toujours de soi dans les morales antiques. Par exemple, il me semble qu’Aristote ne nous dit pas d’être vertueux pour être heureux, mais que la vertu qui est la fin de toute action humaine nous rendra heureux (ce qui serait une conséquence secondaire). Alors que les épicuriens nous apprennent qu’être heureux c’est être vertueux, et les stoïciens qu’être vertueux apporte le bonheur, dans des relations de causalité plus directe. Ou ai-je mal compris?
Merci par avance.
Vous avez un plan sur: faut-il être vertueux pour être heureux? et un cours sur les paradoxes du bonheur sur ce blog, pour clarifier votre question.
Bonne lecture
Merci beaucoup!
Madame Manon,
Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour ce travail, qui plus est, à la disposition de tous. Il est une aide précieuse. Il permet de cadrer et d’expliquer clairement et efficacement certains points de philosophie.
Par ailleurs, il me semble que Kant définit le bonheur d’une façon quelque peu réductrice.
En effet, après la lecture de votre article, lorsque Kant affirme que la morale antique confond le plan des inclinations et celui des exigences morales, il me semble que Kant assimile le bonheur au bien-être, c’est-à-dire à l’unique satisfaction des désirs premiers. Il affirme que le bonheur est une inclination naturelle et que le devoir n’a pas cours. Bien, qu’il définit le bonheur comme un idéal de l’imagination et non de la raison.
Or, il me semble que l’on peut définir le bonheur en tant que travail (transformation presque neurobiologique) de l’homme sur sa nature première, c’est-à-dire en tant qu’être sensible. Autrement dit, si le bonheur n’est pas absolument culturel, il est du moins, un raffinement sur les désirs primaires. Je peux comprendre que le bien-être et la satisfaction sont définit comme une inclination naturelle, mais le bonheur, quant à lui, semble plus proche d’une quête sensible et cognitive vers des biens plus grands. Bien plus, cette quête n’est pas nécessairement agréable. Elle est parfois douloureuse (exemple de l’étudiant en philosophie qui souffre de l’hermétisme de certaines pensées, mais qui voit accroitre son bonheur de jour en jour, à mesure que sa conscience s’éveille et s’ouvre au monde).
Ainsi, nous pourrions probablement objecter à Kant, que l’idée selon laquelle les Anciens confondent le plan des inclinations naturelles et celui des exigences morales est quelque peu balbutiante.
Merci d’avance, Madame, pour l’attention que vous porterez à cette interrogation.
Arnaud, étudiant en première année de philosophie.
Bonjour
D’abord Arnaud permettez-moi un petit conseil. Sans doute ne faut-il voir dans votre formule (l’idée kantienne est balbutiante) qu’une maladresse de langage, cependant vous devez avoir conscience qu’un néophyte en philosophie doit être infiniment plus modeste lorsqu’il se mesure à un génie philosophique.
Même les Anciens voient bien les difficultés de concilier les exigences de la moralité et l’aspiration au bonheur (voyez par exemple Aristote: dire qu’on est heureux dans les pires malheurs pourvu qu’on soit vertueux est parler pour ne rien dire.) Kant connaît avec précision l’eudémonisme antique et l’analyse qu’il en fait dans la critique de la raison pratique est d’une grande profondeur. Mais son rigorisme le conduit à séparer les ordres en affirmant que la jouissance de la vie est une chose, le devoir une autre. Et qui nierait qu’il peut y avoir antinomie entre ce qui nous rendrait heureux et ce qui nous rendrait moral?
Par ailleurs il ne méconnaît pas qu’on peut éprouver du plaisir à faire son devoir (c’est même pour lui comme pour Aristote le signe de la perfection morale) mais, d’une part l’action morale doit être accomplie comme une fin en soi, non pour le plaisir qu’on peut en retirer (on trouve la même analyse chez Aristote, cf. https://www.philolog.fr/aristote-vertu-et-plaisir/#more-3492), d’autre part le respect de la loi morale demande souvent de sacrifier un désir et donc de renoncer à ce qui nous comblerait dans notre dimension sensible. La douleur, la souffrance, si on ne place pas son plaisir dans le seul effort moral à la manière de l’ascétisme stoïcien, ne riment pas avec bonheur.
Les clarifications kantiennes sont donc tout sauf « balbutiantes ». Les impératifs de la prudence sont une chose, les impératifs de la moralité une autre même si on peut ne pas consentir aux présupposés pessimistes de son rigorisme.
Bien à vous.
Bonjour Madame,
Merci pour cet excellent site, où vous mettez généreusement et avec beaucoup de clarté, la philosophie à la portée de tous.
Je suis moi-même professeur de philosophie dans un lycée public. Je me permets cependant de vous poser une question à propos de l’apport du christianisme à la modernité. Faut-il réduire le christianisme à ce qu’en dit Kant? Il est vrai que Kant abandonne la référence à un ordre naturel pour fonder la morale, la nature étant pour lui déchue par le péché originel. Comme vous le dites il oppose ainsi le devoir être à l’ordre de l’être. Mais ce n’est que l’interprétation kantienne du christianisme. Dans sa version catholique le christianisme est une morale du bonheur, comme le montre St Thomas d’Aquin. La nature étant pour lui blessée par le péché mais non totalement corrompue. La recherche du bonheur a donc pour Thomas d’Aquin une valeur morale. D’autant plus qu’elle conditionne l’acquisition des vertus théologales comme celle de charité, c’est à dire d’amour désintéressé de Dieu et du prochain. Il n’y a pas de rupture, chez Thomas d’Aquin entre l’aspiration au bonheur et l’aspiration au bien ( à l’amour, au respect de la personne etc.). Evidemment cela demande tout un développement ( notamment sur le rapport entre nature et liberté, qui n’est pas un rapport d’opposition comme chez Kant) Mais ne faut-il pas au moins préciser que cette perspective existe pour ne pas fausser la doctrine chrétienne?
Bien cordialement
Cécile L.
Chère collègue.
Dans la mesure où le docteur angélique s’est efforcé de réaliser la synthèse de l’aristotélisme et du christianisme, il est vrai qu’il élabore une conception de la loi naturelle intégrant les différentes dimensions de la nature humaine. Mais St Thomas n’est pas un auteur moderne et il lui faut de nombreuses subtilités théoriques pour sauver la nature des conséquences de la chute.
Quant à Kant, vous connaissez sa conception du souverain bien. L’hétérogénéité de la vertu et du bonheur est surmontée, le bonheur étant conçu comme ce qui devrait récompenser le mérite.
Pour ce qui est de l’apport du christianisme à la modernité voyez: https://www.philolog.fr/les-deux-matrices-de-leurope/
Bonne continuation dans ce beau métier.
Bien à vous.
bon jour chere simone,
je cherchais queque chose sur (morale antique et morale religieuse) et voila je tombe sur votre article. vous me guidez meme sans le vouloir.merci. hiwa.
Bonsoir Madame,
En premier lieu, je tiens à vous remercier pour le travail colossal que vous avez réalisé sur ce site. Etant pour ma part d’une formation scientifique, je dois dire que la philosophie m’a manqué pendant longtemps. Aujourd’hui, je tente tant bien que mal de combler mes lacunes, et je dois dire que vos articles m’aident beaucoup.
J’ai eu récemment une discussion avec un collègue qui soutenait que les travaux récents en neuro-sciences et en biologie évolutionnaire avaient révolutionné notre conception de la morale et que celle ci était dorénavant bien plus affaire de science que de philosophie (je le cite : « la science comprend maintenant bien mieux la morale que la philosophie »)
Cette conversation m’a laissé perplexe, et c’est pourquoi je me permet de vous demander si vous auriez des éléments de réponse à ce sujet : La morale peut elle être traité scientifiquement ? Et si c’est le cas, s’agit il de la même morale que celle dont parlent les philosophes ?
Vous remerciant par avance,
Bien Cordialement,
François Germain
Bonjour
J’ai lu comme tout le monde « l’homme neuronal » de Changeux, les travaux de Searle et d’autres.
Je suis toujours restée sur ma faim.
Les neurosciences sont intéressantes en tant qu’elles décrivent les mécanismes cérébraux en jeu dans les conduites morales. Elles semblent corroborer l’idée que les comportements moraux ont une assise génétique (fruit d’une évolution où les déterminations sociales sont importantes), et émotionnelle. En ce sens elles sont plus proches des analyses d’un Hume (les jugements moraux relèvent des sentiments. Le spectacle de certains conduites produit du plaisir, suscite de la sympathie et conduit à une approbation morale) que du rationalisme kantien (la morale n’est pas affaire de sentiment mais de raison).
La grande question morale est celle de la liberté. Or les sciences décrivent des mécanismes c’est-à-dire du déterminisme. Sur ce point la position des neurosciences est tout sauf claire. En faisant une large place aux déterminants sociaux, culturels, éducatifs, elles ne souscrivent pas au principe du déterminisme biologique, génétique, neuronal. Elles montrent que l’architecture cérébrale par sa complexité rend possible la liberté. Il est certes très intéressant de savoir que la liberté a des conditions neurobiologiques mais je ne vois pas en quoi cette découverte bouleverse la réflexion philosophique sur la morale et la rend caduque.L’agent moral a toujours à se demander quel usage il doit faire de sa liberté. Il est bien sûr possible grâce à l’imagerie cérébrale d’observer les mouvements cérébraux en jeu dans la prise de décision mais cette observation ne nous renseigne ni sur ce qui fonde cette décision, ni sur la valeur de la fin que l’agent moral poursuit.
Cela me fait penser à la déception de Socrate à l’endroit des thèses des physiciens, en particulier d’Anaxagore qui assigne à l’intelligence, l’ordonnancement du réel. » Au commencement était le chaos, puis vint la raison qui mit tout en ordre »
« Mais je ne tardai pas, camarade, à tomber du haut de cette merveilleuse espérance. Car, avançant dans ma lecture, je vois un homme qui ne fait aucun usage de l’intelligence et qui, au lieu d’assigner des causes réelles à l’ordonnance du monde, prend pour des causes l’air, l’éther, l’eau et quantité d’autres choses étranges. Il me sembla que c’était exactement comme si l’on disait que Socrate fait par intelligence tour ce qu’il fait et qu’ensuite, essayant de dire la cause de chacune de mes actions, on soutînt d’abord que, si je suis assis en cet endroit, c’est parce que mon corps est composé d’os et de muscles, que les os sont durs et ont des joints qui les séparent, et que les muscles, qui ont la propriété de se tendre et de se détendre, enveloppent les os avec les chairs et la peau qui les renferme, que, les os oscillant dans leurs jointures, les muscles, en- se relâchant et se tendant, me rendent capable de plier mes membres en ce moment et que c’est la cause pour laquelle je suis assis ici les jambes pliées. C’est encore comme si, au sujet de mon entretien avec vous, il y assignait des causes comme la voix, l’air, l’ouïe- et cent autres pareilles, sans songer à donner les véritables causes, à savoir que, les Athéniens. ayant décidé qu’il était mieux de me condamner, j’ai moi aussi, pour cette raison, décidé qu’il était meilleur pour moi d’être assis en cet endroit et plus juste de rester ici et de subir la peine qu’ils m’ont imposée. Car, par le chien, il y a beau temps, je crois, que ces muscles et ces os seraient à Mégare ou en Béotie, emportés par l’idée du meilleur, si je ne jugeais pas plus juste et plus beau, au lieu de m’évader et de fuir comme un esclave, de payer à l’État la peine qu’il ordonne. Mais appeler causes de pareilles choses, c’est par trop extravagant. Que l’on dise que, si je ne possédais pas des choses comme les os, les tendons et les autres que je possède, je ne serais pas capable de faire ce que j’aurais résolu, on dira la vérité; mais dire que c’est à cause de cela que je fais ce que je fais et qu’ainsi je le fais par l’intelligence, et non par le choix du meilleur, c’est faire preuve d’une extrême négligence dans ses expressions. C’est montrer qu’on est incapable de discerner qu’autre chose est la cause véritable, autre chose ce sans quoi la cause ne saurait être cause. » Phédon, 99a
Bien à vous.
Merci beaucoup pour votre réponse détaillée et l’extrait du Phédon, que je ne connaissais pas. Je partage tout à fait votre analyse.
Cordialement,
François Germain