Introduction détaillée :
Si l'on en croit les morales antiques, il est indispensable (Faut-il signifie ici : est-ce nécessaire au sens pragmatique) d'être vertueux pour être heureux. Elles définissent la sagesse comme la méthode de la vie bonne et heureuse.
Qu'il s'agisse d'Epicure ou des stoïciens, les uns et les autres affirment qu'il est possible de connaître, en cette vie, le bonheur des dieux. Ainsi, il suffit pour Epicure de s'affranchir, grâce à la réflexion philosophique, de la crainte de la mort, de se faire une idée adéquate des dieux, de pratiquer la métriopathie et de comprendre qu'on peut supporter la douleur. Ce quadruple remède suffit pour permettre au sage de jouir dans l'ataraxie et le plaisir pur d'exister, de la béatitude des dieux. Epicure ne dit pas que c'est facile mais il ne doute pas que c'est possible. Sa vie est l'exemple de ce qu'un homme peut. Même leçon chez les stoïciens. Le secret du bonheur est dans la vertu, définie comme accord du désir et du réel, amor fati. Il est possible d'être libre dans l'esclavage et d'être heureux dans les pires malheurs. La solution est en soi, dans une certaine manière de se rendre supérieur à l'adversité. Car rien ne peut avoir pouvoir sur soi, dès lors qu'on a compris que le coefficient d'adversité des choses n'est pas dans les choses mais dans le désir mettant aux prises avec elles. « Rien d'extérieur à la volonté ne peut l'entraver ou la léser si elle ne se fait pas obstacle à elle-même » enseigne Epictète. Comme chez Spinoza, le bonheur n'est pas la récompense de la vertu, il est la vertu elle-même. (Thèse: la vertu est la condition nécessaire et suffisante du bonheur)
Pourtant (renversement dialectique) on a de la peine à croire qu'on puisse être heureux dans le taureau de Phalaris, et on n'est pas sûr que le bonheur soit à notre portée. Il ne dépend pas entièrement de nous, ainsi que le suggère l'étymologie et peut-être que rien n'est si contraire à la nature humaine que la possibilité d'être heureux. Schopenhauer et Freud ne laissent sur ce point aucune illusion. Le bonheur n'est qu'un rêve « absolument irréalisable ; tout l'ordre de l'univers s'y oppose ; on serait tenté de dire qu'il n'est point entré dans le plan de la « Création » que l'homme soit heureux » écrit Freud dans Malaise dans la civilisation. Bref, le principe de réalité est contre le principe du plaisir. Pire, si nous cessons de confondre les registres de la prudence et de la moralité, comme le demande Kant, il apparaît que faire son devoir est une chose, être heureux en est une autre. « La majesté du devoir n'a rien à faire avec la jouissance de la vie » affirme Kant. La moralité nous enseigne comment être digne d'être heureux mais être digne d'être heureux ne signifie pas qu'on le soit. Il faut pour cela être comblé dans ses désirs, ce qui, on en conviendra, n'est pas directement lié à la droiture morale d'un sujet. (Antithèse: Le bonheur n'est pas à notre portée. La vertu est une chose, la jouissance de la vie une autre)
Alors (Dépassement) faut-il entièrement désolidariser la vertu et le bonheur et se contenter de l'espérance d'un autre monde où ils seront réconciliés ? Car notre idée du souverain bien est bien celle d'une union de la vertu et du bonheur. Mais comment penser leur rapport ? Certes les Anciens ont raison de dire que sans vertu on est condamné au malheur, ne serait-ce qu'en raison de certaines dispositions naturelles au malheur contre lesquelles il est possible de lutter. Voilà pourquoi même un philosophe aussi pessimiste que Schopenhauer écrit une Eudémonologie et définit quelques règles permettant d'être le moins malheureux possible. Au-delà du paradoxe, Schopenhauer signifie, à l'instar d'Epicure ou d'Epictète que le bonheur dépend en partie de nous. Il est donc bien vrai que la vertu procure du bonheur. C'est même le seul que les philosophes nous demandent de conquérir, parce qu'il n'y a que celui-là qui puisse être conquis. Mais nous aspirons sous le nom de bonheur à autre chose qu'à la satisfaction morale (Descartes : Cf. Lettre à Elisabeth du 4.8.1645 : « Il suffit que notre conscience nous témoigne que nous n'avons jamais manqué de résolution et de vertu pour exécuter toutes les choses que nous avons jugées être les meilleures et ainsi la vertu seule, est suffisante pour nous rendre heureux en cette vie »), à la sérénité (l'ataraxie et l'apathie des épicuriens et des stoïciens)ou à être le moins malheureux possible (définition schopenhauerienne du bonheur). Kant remarquait même qu'il faut une grande perfection morale pour se contenter de ce bonheur là. Car, perfection morale exceptée ; si nous sommes fidèles à notre aspiration naturelle, nous appelons bonheur « la totalité des satisfactions possibles » (Kant) Or, il s'en faut de beaucoup que la vertu soit, en ce sens, le sésame du bonheur. Il faut que Dame Fortune soit un peu généreuse (santé, minimum d'aisance matérielle, amour, pays prospère et en paix).
Ce qui invite à conclure que la vertu est nécessaire au bonheur mais sans doute pas suffisante.
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Bonjour Mme
Est-ce qu’Aristote ne fait-il pas une nuance par rapport à ses contemporains ? Ne dit-il pas que le bonheur dépend tout de même des circonstances extérieures (comme lorsqu’il dit que la recherche de la connaissance est une recherche désintéressée, et qu’il faut la valoriser, mais qu’elle ne peut pas avoir lieu tant que le pays n’a pas eu une certaine stabilité politique.)
Pour les autres philosophes antiques, rechercher la vertu c’est la même chose que de rechercher le bonheur.
POur la deuxième partie, n’y a-t-il pas une différence lorsqu’on emploie le mot vertu ? Je m’explique, pour Kant, être vertueux il n’entend pas du tout la même chose qu’Epicure ou Epictéte par exemple. Kant a beaucoup plus d’exigence morale, c’est ainsi, qu’il dit que la vertu et le bonheur sont deux choses différentes.
Merci.
Vous venez de lire une introduction, non une dissertation. Pour le développement des idées, il faut vous reporter aux cours. Vous verrez qu’Aristote objecte en effet aux stoïciens que dire qu’on peut être heureux dans le taureau de Phalaris revient à parler pour ne rien dire (Cf. Les paradoxes du bonheur) et que la conception de la moralité antique est fort différente de la conception moderne incarnée par Kant (Cf. morale antique; morale moderne).
Merci beaucoup pour vos informations.
bonjour madame.
je voulais simplement vous demander si mon introduction était à peu près correcte ou s’il y avait de grosses erreurs. en effet, je suis en licence d’histoire et j’adore la philosophie que j’ai abandonné à regret (j’étais en prépa hypokhâgne l’année dernière). votre site est très bien fait et je m’y rend souvent. je me suis donc intéressé à ce sujet « faut-il être vertueux pour être heureux » et j’ai décidé d’essayer de faire moi-même une introduction (j’aime beaucoup la votre, c’est pourquoi j’ai essayé de la faire sur le même schéma):
« le bonheur est la visée de tout » avance Aristote dans l’éthique à nicomaque. le philosophe, à travers cette formule, montre que toutes les activités propres à l’homme, à savoir conformes à la raison, qui obéissent à cette instance, visent à un certain achèvement de l’homme. si l’on considère la part affective de l’homme, cette recherche est due à la volonté de maximiser le plaisir-comme l’a souligné Kant- afin de ne pas ressentir la douleur. lorsque l’on observe combien de maux peuvent éloigner du bonheur un homme qui agit injustement -comme celui d’avoir une mauvaise réputation- on peut se poser légitimement la question : faut-il être vertueux pour être heureux ?
en premier lieu si le bonheur est une chose que l’on acquiert, celà suppose d’agir sur l’extériorité, pour permettre une expansion de l’action-comme l’entend Hegel dans la Phénoménologie de l’esprit. autrement dit, le bonheur étant un bien désiré pour l’achèvement qu’il entraîne, il suppose une activité rationnelle de l’âme pour trouver les moyens les plus adéquats, les actes les plus conformes à cette fin. or, si la vertu est une disposition constante de l’âme humaine, qui distingue l’homme de l’animal, n’est-elle pas une condition nécessaire pour être heureux ? car tempérance, courage, force sont autant de vertus conformes à la raison qui permettent à l’homme de s’épanouir, au sens où il développe toutes ses potentialités.
néanmoins, la vertu ne va-t-elle pas à l’encontre du principe de plaisir qui peut sous-tendre la notion de bonheur ? en effet -et Socrate insiste là-dessus dans la République- les actes vertueux supposent une lutte intérieure entre une partie meilleure, une autre pire, en ce qui touche à l’âme humaine. ainsi, si le devoir est contraignant, nous obligeant à nous soumettre à la raison, pour accomplir des actes vertueux, n’y-a-t-il pas incompatibilité avec l’acquisition du bonheur ?
mais si l’acte vertueux vise quelque chose de bon pour l’homme, ne peut-il pas espérer une réalisation et une sérénité réelle ? car en effet, le bonheur étant un bien pour l’hommme, achevé, parfait, la vertu ne peut-elle pas y tendre, elle qui vise à quelque chose de bon, comme insiste Aristote dans l’éthique à nicomaque ?
Bonjour Amaury
Si vous êtes un familier de mon blog, comme vous semblez le suggérer, vous avez dû constater que j’ai pour principe de ne pas intervenir dans le travail des élèves et des étudiants.
J’attire seulement votre attention sur deux erreurs philosophiques.
La maximisation des plaisirs est un principe utilitariste, certainement pas kantien.
La morale antique ignore, à la différence de la morale moderne, la notion de devoir. La référence à Socrate n’est donc pas davantage maîtrisée que celle à Kant. (Voyez le cours : morale antique, morale moderne)
Pour le reste , je ne trouve pas que votre introduction dégage la problématique avec la rigueur souhaitable.
Bien à vous.
merci beaucoup pour ces suggestions
Bonjour,
Suite à la lecture de cette introduction que je trouve très riche et efficace, j’ai envie de penser que les vertus sont des principes nécessaires à la vie de l’esprit et que le bonheur c’est un état d’être nécessaire à la vie psychique, organique et physiologique. J’irai même jusqu’à dire que le sentiment de consistance et de valorisation de soi que procure la dignité et les vertus qui lui sont associées, si elles sont justes et équilibrées, c’est à dire qu’elles respectent soi, les autres et le monde et tout ça dans une juste mesure alors amplifie ou plutôt porte l’être dans un état propice au bonheur profond et durable, en paix avec ses contradictions.
Pour moi les causes du bonheur et les besoins de vertus sont à développer ensemble, les premières se construisant à l’extérieur, les autres se fondant de l’intérieur. Pensant que le bonheur (l’expression pure de la vitalité?) est utile à la poursuite de sa propre recherche, il s’agirait donc de se placer dans une logique de cercles vertueux où l’energie vitale chercherait à toujours mieux se vivre, à s’animer et animer, où l’existance chercherait à toujours plus intensément et esthétiquement exister dans toutes les propentions et possibilités que l’Histoire offre au présent.
Je ne sais pas si j’ai su bien me faire comprendre, j’en ai peut-être un peu trop fait… Je vous remercie en tout cas pour ce blog et la manière dont vous traitez si bien l’ensemble de ces sujets qui m’aide, un peu à ma façon, à toujours un peu mieux être.
Bonjour
Juste une petite remarque: une vertu qui ne serait pas juste et équilibrée serait une contradiction dans les termes.
Votre expression: « le besoin de vertus » laisse à penser que ce que l’on entend par vertu est bien mal compris. Cf. https://www.philolog.fr/notion-de-vertu/
https://www.philolog.fr/aristote-le-bonheur-est-une-activite-de-lame-selon-la-vertu-dans-une-vie-achevee/
Bien à vous.
Bonjour,
Merci pour votre message, en effet, vous faites bien de relever le manque de précision que présente le terme de « besoin de vertus », j’entendais plus vertus comme qualités et non comme La vertu qui admet plus une notion de processus d’être qui tend vers la pureté et l’équilibre de sa vraie nature ou quelque chose comme cela. J’identifierai le « besoin de vertus » que j’ai exprimé comme cette propension à vouloir être quelqu’un de valeur, d’avoir une dignité, une consistance éthique souvent transmise par l’éducation et que la psychanalyse appelle le Surmoi.
Bien à vous
Bonjour
J’attire votre attention sur la nécessité de faire preuve de rigueur conceptuelle.
Confondre le surmoi avec la conscience morale, l’éducation à la vertu avec l’intériorisation des interdits, c’est ne rien comprendre ni à l’une ni à l’autre.
Bien à vous.
Bonjour!
J’ ai une question concernant la méthodologie de la dissertation ( à laquelle je n’arrive pas à trouver une réponse claire ) Faut-il définir les termes de l’énoncé dans l’introduction?
Merci de votre aide
Cordialement
Frédérique
Bonjour
Voyez le cours de méthode. https://www.philolog.fr/methodologie-de-la-dissertation-philosophique/
Vous découvrirez que l’objet d’une introduction est l’élaboration de la problématique et qu’il est impossible de poser les problèmes sans une analyse rigoureuse des concepts en jeu dans la question.
Bien à vous.
Bonjour,
Tout d’abords, je tiens à vous féliciter de votre travail exceptionnel. En effet, vous prenez le temps de nous accorder une aide précieuse et vous nous permettez de développer notre » lumière naturelle ».
Mais voila, durant toute cette année, notre professeur de philosophie nous a appris a répondre aux sujets par Oui et par Non ( afin de mettre en avant le paradoxe ) et dans une troisième partie surpasser les deux idées. Et je viens de me rendre compte qu’il existait d’autres types de sujets et je ne vois pas très bien comment philosopher à partir de ces sujet ( le paradoxe n’étant pas évident ).
Je vous remercie d’avance et vous présente mes plus sincères salutations.
Bonjour
Vous devez suivre la méthode que vous avez apprise. « Oui et non » est une manière de formuler l’idée de la thèse et de l’antithèse, autrement dit du traitement dialectique de la question.
Surpassement renvoie à dépassement.
Tous mes voeux de réussite à l’examen.
Bonjour,
Je vous remercie infiniment pour votre réponse.
Excusez moi de vous dérangez une seconde fois: mais pour un sujet de type « Que devons-nos à l’Etat? »: nous ne pouvons pas répondre par « oui » et par « non ». C’est ce type de sujet que je ne comprends pas très bien.
En parlant des examens, j’appréhende énormément la philosophie. De plus, étant donné que j’ai davantage confiance en vous , j’aimerai savoir s’il est vrai que nous n’avons pas besoin de réviser toutes les notions mais seulement celles que nous préférons ( Site l’étudiant).
Cordialement.
La sagesse veut que l’on évite les impasses afin de ne pas avoir de mauvaises surprises.
Pour le type de sujets que vous évoquez, il faut juxtaposer divers arguments en dialectisant chacun d’eux et en ayant le souci de leur hiérarchisation.
Par exemple: nous devons à l’Etat la sécurité. Mais cette sécurité peut être un jeu de dupe si elle doit se payer du renoncement à sa liberté et à sa dignité.
Bien à vous.
Bonjour,
J’ai appliqué vos conseils et voila ce que j’ai écrit pour le bac :
Sujet: La conscience de l’individu n’est-elle que le reflet de la société à laquelle elle appartient ?
Problématique: Comment la conscience peut nous révéler notre rapport au monde et en même temps constituer le reflet de celle-ci?
I/La conscience de l’individu est le reflet de la société dans laquelle il vit.
-Socialisation primaire
-Les enfants sauvages ( Victor )
– Freud: le surmoi ( intériorisation des interdits)
-Durkheim ( solidarité mécanique )
II/La conscience de l’individu n’est pas le reflet de la société dans laquelle il vit.
-solipsisme Cogito ergo sum
-conscience de soi(intimité, pensée individuelle)
…..
III/ Ne faut-il pas avoir le devoir avant tout d’être soi -même
-Raison universelle( lumière naturelle)
-Stoïciens ( Accepter sa condition humaine)
-La vraie liberté
Vous pensez que cela passe? Comment auriez vous répondu à la question?
Merci d’avance pour votre aide précieuse.
Bonjour
J’ai pour principe de ne pas répondre à votre question tant que les résultats des examens ne sont pas donnés. Il fallait en effet montrer que la conscience immédiate est le reflet de la société dans laquelle elle s’est formée, avec toute la passivité qui est celle de l’enfant, (thèse).
Mais, la conscience n’est pas condamnée à cette passivité. Elle peut, à la manière du philosophe, prendre du recul par rapport à ses représentations afin d’en interroger les conditions de production, le degré de vérité et de faire de l’esprit le principe de son exercice, (antithèse). Votre recours à Descartes est ici bien venu.
Reste que la question se pose de savoir si l’on peut échapper à son temps (Cf. Hegel), à la langue dans laquelle on pense (Heidegger), au déterminisme socioéconomique (cf. la théorie de l’idéologie), quelle que soit l’intensité de l’effort critique. Votre allusion à la raison universelle est judicieuse, la question étant de savoir si l’on peut vraiment dépasser le relativisme des représentations du monde, l’inscription d’un individu dans une matrice culturelle.
Ayez confiance en vous.
Bien à vous.
Bonjour,
Je tiens à vous remercier énormément de votre aide qui m’a été très bénéfique tout au long de l’année.
Je me permettrai de vous donner ma note le jour des résultats.
Merci encore.
Cordialement.