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Au sens métaphysique, la liberté s'oppose au déterminisme.

  Ce qui est déterminé est l'effet nécessaire de conditions antécédentes. Le nécessaire qualifie ce qui ne pourrait pas ne pas être ou être autrement qu'il est.

  Pour que la liberté soit possible, il faut donc admettre de la contingence. On la définit métaphysiquement comme libre arbitre.

  « Le libre arbitre consiste à faire une chose ou à ne la faire pas sans qu'aucune force extérieure nous y contraigne » écrit Descartes dans les Méditations métaphysiques 1641.1642.

  Il est un pouvoir de se déterminer à agir indépendamment de toute détermination.

  Il est pour Descartes, le propre de l'esprit ou de la substance pensante. Alors que toutes les opérations de la matière procèdent des lois des mouvements matériels et sont rigoureusement déterminées, la pensée se caractérise par sa spontanéité et la libre disposition d'elle-même.

  Le libre arbitre, dit-il, est une des merveilles du monde, la marque du créateur sur la créature, le fondement de la responsabilité et ce qui confère aux actions humaines leur dimension morale. Il est pour Descartes une évidence. « Il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son consentement ou ne pas le donner quand bon lui semble que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions » Les principes de la philosophie. 1644.

  Pour illustrer cette idée du libre arbitre, on attribue à Buridan (1300.1358) une expérience de pensée (qui est sans doute une légende puisqu'on n'en trouve pas  trace dans son œuvre). Il s'agit du célèbre exemple de l'âne. Supposons un âne ayant également faim et soif et plaçons le entre un picotin d'avoine et un seau d'eau. Le pauvre âne est condamné à mourir de faim et de soif car les forces le déterminant dans un sens ou dans un autre étant égales, s'équilibrent. L'animal, n'étant pas doté d'une âme, est privé du pouvoir dont celle-ci dispose, d'initier un mouvement, de se déterminer indépendamment de toute détermination.

  Le libre arbitre est donc un pur pouvoir de choix susceptible de s'exercer dans la totale indifférence. Voilà pourquoi la liberté se définit métaphysiquement comme liberté d'indifférence.

  Le principe du libre arbitre revient à admettre que si aucun motif raisonnable ou mobile affectif n'inclinait l'homme dans une direction, il pourrait néanmoins se déterminer dans un sens ou dans un autre, par sa seule spontanéité. (Gide met en scène cette conception d'un acte libre qu'il appelle  un "acte gratuit" dans Les Caves du Vatican avec le personnage de Lafcadio. Dans Prométhée mal enchaîné, il dit : "J’ai longtemps pensé  que c’est là ce qui distingue l’homme des animaux, une action gratuite… Et comprenez qu’il ne faut pas entendre par là une action qui ne rapporte rien, sans cela… Non, mais gratuit, un acte qui n’est motivé par rien. Comprenez-vous ? Intérêt, passion, rien… L’acte désintéressé ; né de soi ; l’acte aussi sans but ; donc sans maître ; l’acte libre ; l’acte autochtone ".)

   Le principe du libre arbitre signifie aussi que, quand bien même un sujet aurait des raisons de choisir ceci plutôt que cela, ces raisons ne le détermineraient pas. Par exemple, il est possible de discerner par l'exercice de son entendement le meilleur et néanmoins, de se déterminer au pire par le pouvoir de sa volonté.(Cf. Ovide; "Je vois le meilleur et je l'approuve mais je fais le pire" ) L'homme n'est pas, comme l'animal ou la chose déterminé, il a la capacité de se déterminer.

  L'affirmation du libre arbitre est un parti pris métaphysique.

  Le libre arbitre ne se prouve pas, ne se démontre pas,  il s'éprouve. S'efforcer de le démontrer consisterait à établir qu'il est l'effet nécessaire de certaines conditions déterminantes. Ce qui reviendrait à le nier puisqu'un acte déterminé est le contraire d'un acte libre.

 

 PB : La question est de savoir si le libre arbitre est une réalité ou une illusion.

 

  Ses partisans ne fondent pas leur certitude sur autre chose que le sentiment intérieur.

  Descartes, par exemple, éprouve sa liberté dans l'expérience du doute. Elle s'impose à lui avec un sentiment d' évidence dans la mesure où il  découvre qu'il peut douter de tout, même des certitudes rationnelles. La contrainte rationnelle n'est pas une détermination : l'esprit a la liberté d'y consentir ou non.

  Rousseau affirme : « un raisonneur a beau me prouver que je ne suis pas libre, le sentiment intérieur, plus fort que tous ses arguments le dément sans cesse ». Julie ou la nouvelle Héloïse, VI, lettre VII.

  Certes, on fait tous l'expérience qu'il dépend de nous de lever le bras ou de ne pas le lever, de consentir à une impulsion ou de l'inhiber mais il est problématique de fonder une certitude sur un sentiment. Celui-ci peut être trompeur. Il peut révéler un rapport imaginaire du sujet à lui-même.

  Ainsi, Spinoza, grand détracteur du libre arbitre, considère que « les hommes se croient libres parce qu'ils ont conscience de leurs actes mais sont ignorants des causes qui les déterminent ».

  Le libre arbitre est une illusion, à ses yeux.

  Supposons, dit-il,  une pierre persistant dans le mouvement que lui a impulsé une cause extérieure, et donnons lui la conscience de son mouvement. «  Cette pierre, assurément, puisqu'elle a conscience de son mouvement et qu'elle n'est en aucune façon indifférente, croira qu'elle est très libre, et qu'elle ne persévère dans son mouvement que parce qu'elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger s'il est irrité, et, s'il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par libre décret de son âme ce qu'ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. De même un délirant, un bavard et bien d'autres hommes de même farine, croient agir par un libre décret de l'âme et non se laisser contraindre. Ce préjugé étant naturel, congénital parmi les hommes, ils ne s'en libèrent pas aisément » Lettre à Schuller. 1674.

  Le libre arbitre est aussi, pour Spinoza, une croyance irrationnelle dans la mesure où il consiste à insulariser l'être humain, à en faire une exception dans l'univers. Alors que tous les phénomènes naturels sont régis par des lois, l'homme serait le seul être de la nature à échapper à la nécessité et à disposer du pouvoir proprement miraculeux de se déterminer librement. Or « l'homme n'est pas un empire dans un empire ». Il s'ensuit qu' : « il n'y a dans l'âme aucune volonté absolue ou libre, mais l'âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui est aussi déterminée par une autre et ainsi à l'infini » Ethique. Rédaction à partir de 1661. Publication à titre posthume en 1677.

 

  NB : Refuser le principe du libre arbitre en admettant qu'il n'y a que de la nécessité ne revient pas à faire le deuil de la liberté, mais il va de soi qu'elle sera définie autrement. Spinoza s'explique dans une Lettre à Schuller où il écrit : « Pour ma part, je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée. [...] Vous voyez donc que je ne situe pas la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité ». Spinoza propose donc d'appeler libre, l'homme agissant selon la nécessité de sa nature et non selon la nécessité d'une cause externe. Il oppose la liberté à la contrainte non à la nécessité. Pour l'analyse de cette thèse, voir le cours sur le désir.

 

  NB : Le principe du déterminisme est le principe des sciences. « En brisant le déterminisme universel, même en un seul point, on bouleverse toute la conception scientifique du monde » écrit Freud dans  Introduction à la psychanalyse.

  Mais il s'agit aussi d'un parti pris métaphysique, car on ne peut pas plus démontrer qu'il n'y a que de la nécessité qu'on ne peut démontrer l'existence de la liberté.

  Kant pointe dans La Critique de la raison pure (1781.1787 pour le deuxième édition corrigée) ce qu'il appelle les antinomies (contradiction entre deux principes ou deux lois) de la raison pure. La troisième antinomie concerne la liberté et le déterminisme.

  Quelle que soit la thèse envisagée: il y a une causalité libre ou il n'y a que de la causalité déterminée, la raison est en difficulté.

 

 Alors, quelle position la raison doit-elle arrêter concernant l'homme ? Doit-elle l'envisager comme libre ou déterminé ? Elucidation nécessaire car si d'aventure, il fallait considérer que l'homme est comme n'importe quel autre phénomène naturel, régi absolument par le principe du déterminisme, toutes nos institutions et nos pratiques seraient à revoir. Le jugement moral serait illégitime et il serait contradictoire de demander à un homme de répondre de sa conduite.

  L'intérêt de l'analyse kantienne consiste à établir qu'on peut sans contradiction, envisager l'homme comme un être déterminé et un être libre.

  Il est déterminé en tant qu'il est un être empirique, un élément de l'ordre phénoménal ou sensible. Sa conduite peut s'expliquer comme l'effet nécessaire de causes antécédentes. Par parti pris méthodologique, les sciences humaines adoptent cette perspective pour rendre intelligible la réalité humaine. Pour l'anthropologie scientifique, l'homme est soumis au déterminisme naturel.

  Mais cette perspective n'épuise pas la manière de concevoir la réalité humaine.

  Car l'homme n'est pas un être de la nature comme un autre. En témoigne le fait qu'il n'accepte pas la loi naturelle de la force et lui oppose la loi morale qu'il institue parfois sous la forme du droit. Comment cela serait-il possible s'il ne pouvait pas se rendre indépendant des inclinations naturelles pour soumettre sa conduite à la loi qu'il se représente par sa raison ?

  Comme il y a le fait naturel, il y a le fait moral. La conscience de la loi morale est un fait et Kant part de là. « On peut appeler la conscience de cette loi fondamentale un fait de la raison » Critique de la raison pratique.1788.

  Il s'ensuit que pour rendre intelligible la possibilité de la morale et du droit, il faut postuler que l'homme a la capacité de s'arracher au déterminisme naturel (loi de l'être) pour obéir à la raison pratique légiférant en lui sous la forme de la loi morale (loi du devoir-être). Il faut postuler qu'il peut s'autodéterminer rationnellement. (Autonomie rationnelle).

  Ce qui revient à admettre que l'homme n'appartient pas seulement à l'ordre sensible (empirique ou phénoménal), il appartient aussi à l'ordre intelligible (métempirique ou nouménal) dans lequel on ne peut plus le concevoir comme l'effet d'une causalité mécanique. En tant qu'il est porteur d'une raison, il doit être conçu  comme l'être qui doit et peut s'instituer cause première de sa conduite.

   D'où la thèse kantienne : la liberté est un postulat de la raison pratique.

  Un postulat est une proposition indémontrée et indémontrable que la raison demande d'admettre parce qu'elle est la condition de possibilité de quelque chose.

  Le déterminisme est le postulat de la perspective scientifique.

  La liberté est le postulat de la perspective métaphysique et morale.

  L'une n'envisage l'homme que comme un être naturel appartenant à l'ordre physique des phénomènes.

  L'autre l'envisage comme un être métaphysique, capable de se rendre indépendant de l'ordre naturel pour instituer l'ordre intelligible de la morale et du droit. Elle considère que, puisque l'homme fait l'expérience de l'obligation morale, il faut postuler qu'il est libre. « Tu dois, donc tu peux » affirme Kant.

L'analyse kantienne introduit ainsi un dualisme de la nature et de la raison, de la nature et de la liberté ou de l'être sensible et de l'être intelligible.

  Kant a écrit un texte saisissant sur ce thème :

«  Supposons que quelqu'un affirme, en parlant de son penchant au plaisir, qu'il lui est tout à fait impossible d'y résister quand se présente l'objet aimé et l'occasion : si, devant la maison où il rencontre cette occasion, une potence était dressée pour l'y attacher aussitôt qu'il aurait satisfait sa passion, ne triompherait-il pas alors de son penchant ? On ne doit pas chercher longtemps ce qu'il répondrait. Mais demandez-lui si, dans le cas où son prince lui ordonnerait en le menaçant d'une mort immédiate, de porter un faux témoignage contre un honnête homme qu'il voudrait perdre sous un prétexte plausible, il tiendrait comme possible de vaincre son amour pour la vie, si grand qu'il puisse être. Il n'osera peut-être pas assurer qu'il le ferait ou qu'il ne le ferait pas, mais il accordera sans hésiter que cela lui est possible. Il juge donc qu'il peut faire une chose, parce qu'il a conscience qu'il doit (soll) la faire et il reconnaît ainsi en lui la liberté qui, sans la loi morale, lui serait restée inconnue » Critique de la raison pratique.1788.

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18 Réponses à “Liberté: le problème métaphysique.”

  1. Madame, j’aimerais vous dire l’intérêt que je porte à votre site, mais ne pouvant vous joindre directement, je me permets de vous poser une question concernant « la liberté d’indifférence ». Vous semblez l’entendre comme étant « indifférence » aux causes
    déterminantes, mais n’est-ce pas aussi indifférence au choix lui-même, au simple fait de se résoudre à faire un choix, indifférence qui serait alors « le plus bas degré de la liberté »? Il est vrai que les deux définitions ne s’excluent pas.

  2. Simone MANON dit :

    Merci de votre aimable appréciation.
    Vous devez comprendre qu’il n’y a guère de sens à parler d’indifférence aux causes déterminantes. Soit il y a des déterminations et celles-ci, comme le mot l’indique, déterminent. Il faut alors renoncer au principe du libre arbitre.
    Soit l’homme dispose du libre arbitre et cela signifie qu’il n’est pas comme les phénoménes matériels déterminé. Il est capable de se déterminer par des motifs ou des raisons. La notion d’indifférence prend sens par rapport aux motifs ou raisons et indique que ceux-ci ne sont pas des déterminations.
    Le libre arbitre c’est aussi l’idée que l’on peut choisir en l’absence de toute raison (dans l’indifférence), que l’on peut choisir de ne pas choisir ou que, quand bien même l’entendement concevrait de bonnes raisons de préférer tel parti à tel autre, la volonté pourrait faire le choix inverse.
    Notez que Descartes considère cette liberté d’indifférence comme « le plus bas degré de la liberté » car, souligne-t-il, la vraie liberté n’est pas l’acte d’une volonté hésitante, qui ne sait pas quel parti prendre et se détermine dans la pure indifférence. Seuls le caprice, des faits de hasard ou des motivations ignorées de l’agent lui-même déterminent alors la volonté comme cela apparaît clairement dans la conduite de Lafcadio dans l’œuvre de Gide : les caves du Vatican.
    L’acte libre est au contraire, l’expression d’une volonté qui se détermine en connaissance de cause. Dans telle situation, l’entendement me montre quel est le choix le plus intelligent. « D’une grande lumière de l’entendement suit une grande inclination de la volonté ». (Descartes) aussi suis-je d’autant plus libre que je suis moins indifférent.

  3. christophe dit :

    Permettez moi tout d’abord de remercier votre générosité qui nous permet de profiter d’une nourriture de l’esprit qui me rend insatiable. Tous les sujets et débats sur la complexité des différentes forces qui gouvernent notre psychisme me passionnent et sont à l’origine de mon entrée tardive dans la philosophie.
    La gestion de ses plaisirs n’est pas une action aisée surtout lorsque celle-ci tourne à l’addiction.Et pour ce cas,les acteurs de certaines pratiques,conscientsdes risques encourus continuent pourtant de dresser leur propre  » potence  » .
    Il y aurait donc une frontière à ne pas dépasser pour ne pas voir le libre-arbitre glisser dans l’illusion?

  4. Simone MANON dit :

    Certes l’addiction est bien une aliénation et internet n’est pas inoffensif de ce point de vue.
    Dépêchez-vous d’abattre la potence. L’engluement altère les plaisirs les plus subtils.

  5. Sarah B. dit :

    Bonjour
    Kant affirme  » Tu dois, donc tu peux » . Pouvez vous me clarifiez sa pensée. Serait-se pas parce qu’il doit qu’il peut ?

  6. Simone MANON dit :

    Vous avez toutes les explications de cette proposition kantienne dans le cours: liberté et obligation auquel je renvoie ici avec le lien (ce thème) précédent le texte de Kant à la fin de cet article.

  7. Mathieu dit :

    Votre article est très intéressant, cependant je bute sur cette phrase de Spinoza : « Vous voyez donc que je ne situe pas la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité ». Qu’entend-il par là ?

    Merci d’avance pour votre réponse et félicitations pour votre site impressionnant.

  8. Simone MANON dit :

    Le spinozisme est une philosophie de la nécessité. Tout ce qui existe est rigoureusement déterminé par les lois universelles de la nature. Cela exclut une définition de la liberté comme libre arbitre (= libre décret) mais autorise une autre définition du sujet libre. C’est l’homme qui, grâce à la connaissance rationnelle de la nécessité des choses et de la sienne propre, agit selon cette nécessité (= libre nécessité). Il est libre de la nécessité subie, la nécessité comprise étant une nécessité qu’il devient possible d’agir. Il cesse de subir un déterminisme externe à sa nature propre par la compréhension de sa propre nécessité. On trouve cette même idée dans le stoïcisme (Cf. La sagesse stoïcienne). Le marxisme et le freudisme développent aussi l’idée que par la connaissance on se libère de ce qui asservit l’ignorant, en agissant selon la nécessité des choses.
    Voyez pour mieux comprendre les cours suivants: liberté et nécessité, Spinoza, ni rire ni pleurer mais comprendre, Spinoza, le désir comme puissance d’être, Spinoza.

  9. alexandrin dit :

    Vous dîtes que Kant fonde métaphysiquement la liberté humaine, qu’il comprend comme la faculté de s’arracher au déterminisme naturel par la loi morale. Mais cette conception de la liberté est-elle synonyme du libre-arbitre?
    Bien à vous.

  10. Simone MANON dit :

    Il y a de nombreux cours sur Kant et sur le thème de la liberté sur ce blog.
    Liberté ou libre arbitre, c’est un seule et même chose dans le kantisme.
    Voyez en particulier: https://www.philolog.fr/determinisme-et-liberte-kant/
    Bonne lecture.

  11. Pontillo dit :

    Chère Madame,

    je suis moi-même enseignant et je viens lire très souvent votre site pour y nourrir ma propre pensée et intérioriser certains de vos propos. Je vous félicite pour cette très belle initiative. Toutefois, lisant ce cours sur le problème métaphysique de la liberté, je voudrai humblement apporter une petite suggestion quant à votre exemple littéraire. En effet, dans les Caves du Vatican, l’exemple de Gide relatif à Lafcadio n’est pas prompt à « démontrer » ou à mettre en scène l’effectivité du libre-arbitre. Pour Gide, tout au contraire, il n’y a pas d’acte gratuit, c’est un leurre. L’acte gratuit se présente comme un agir pour rien. Je peux vouloir prouver ma liberté indépendamment de toutes inclinations, raisons ou motivations. Lafcadio pense son geste libre car dépourvu de toute inclination ou motivation, donc déterminé par rien. Lafcadio se fourvoie. Voir agir pour rien est déjà un motif d’action. Son acte gratuit est en réalité un leurre. Il n’y a pas de gratuité ou de liberté puisque son acte est déterminé par le désir de vouloir prouver sa liberté. Gide nous montre en réalité que l’homme est un animal finaliste, et qu’il ne sait se dégager de tout déterminisme.

    Humblement,
    Bien à vous,
    Thomas Pontillo.

  12. Simone MANON dit :

    Bonjour Thomas
    Merci pour votre aimable appréciation de mon site.
    Pour ce qui est de la référence aux caves du Vatican, voyez bien qu’écrire qu’un auteur met en scène une idée (ici celle de l’acte gratuit) ne consiste pas à dire qu’il en démontre l’effectivité ou qu’il avance une thèse philosophique. La question de savoir ce que Lafcadio entend par là ou si un acte gratuit est possible demande un traitement spécifique qu’aucun cours développé sur la liberté ne peut éluder.
    Pour ce qui est de la pensée de Gide, il me semble qu’elle est infiniment plus complexe que vous ne semblez le croire. Vous savez que la question de la liberté conçue comme affranchissement de tout de qui incarne une limite est la grande affaire de son oeuvre (du moins dans sa première partie) et plus radicalement de sa vie. Avec le thème de l’acte gratuit, Gide pousse jusqu’à l’absurde l’idée de liberté, de disponibilité, d’affranchissement de toutes les contraintes afin de montrer les dangers de cette fascination de la liberté absolue. Il aborde ce thème dans ses conférences sur Dostoïevski, génie supérieur à Tolstoï à ses yeux dans la mesure où il a l’art de mettre en scène l’imprévisibilité des actions humaines (voyez son analyse du personnage de Kirilov), il y revient dans son Prométhée avec la fameuse définition: « J’ai longtemps pensé que c’est là ce qui distingue l’homme des animaux, une action gratuite… Et comprenez qu’il ne faut pas entendre par là une action qui ne rapporte rien, sans cela… Non, mais gratuit, un acte qui n’est motivé par rien. Comprenez-vous ? Intérêt, passion, rien… L’acte désintéressé ; né de soi ; l’acte aussi sans but ; donc sans maître ; l’acte libre ; l’acte autochtone »
    Quand on lit le Journal de Gide, on prend la mesure de sa tentation d’une liberté qu’il sait impossible, vertigineuse et diabolique,dès lors qu’elle est revendiquée comme un affranchissement de toutes les limites(le fameux « tout est permis » de Dostoïevski) même de celles, dont il a fait une si douloureuse expérience, lui, l’hédoniste bataillant sans cesse contre le puritain, des motivations de la conscience.
    Bien à vous.

  13. Biagio dit :

    Bonjour,

    Merci pour cet article très intéressant. Je suis en train de travailler la question de la liberté chez Kant. J’ai lu à plusieurs reprises que la liberté était pour Kant une idée cosmologique pure. J’ai cependant un problème avec le terme « cosmologique », je ne vois pas très bien à quoi cela fait référence. Est-ce en lien avec la preuve cosmologique de dieu ou pas du tout ? Existe-t-il d’autres idées cosmologiques pour Kant ?
    J’ai arpenté le net et consulté les livres sur Kant disponibles dans ma bibliothèque mais je n’ai pas trouvé de réponse satisfaisante.
    Merci par avance !
    Biagio

  14. Simone MANON dit :

    Bonjour
    La cosmologie est l’étude de l’univers envisagé comme une totalité. Que signifie l’idée de liberté dans cette perspective? Qu’elle est « la faculté de commencer de soi-même un état dont la causalité n’est pas subordonnée à son tour, suivant la loi de la nature, à une autre cause qui la détermine quant au temps »
    Voyez les articles:
    Liberté et déterminisme. Kant.
    Liberté,déterminisme, la question épineuse.
    Bien à vous.

  15. Biagio dit :

    Merci beaucoup pour cette réponse rapide et claire !
    Au plaisir de vous relire !

    Biagio

  16. David D dit :

    Madame,
    Les questions métaphysiques telles l’existence du libre arbitre ou bien celle de Dieu(x) font travailler l’esprit. Pourrons-nous un jour y apporter des réponses définitives? Si je devais parier, je dirais que non. Et malgré cela, pour certains d’entre nous, on a quand même envie de s’acharner sur ces questions. D’autres ont choisi les certitudes qu’ils trouvent certainement plus apaisantes.
    Bien à vous

  17. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il n’y a pas à parier, l’histoire de la métaphysique montre qu’il est impossible dans ce domaine de parvenir à une connaissance certaine. Elle est un champ de bataille entre écoles opposées. Et pourtant les questions posées par la métaphysique sont celles qui intéressent le plus la raison humaine.
    Bien à vous.

  18. David D. dit :

    Je parie juste par prudence parce que de certitudes permanentes et absolues je n’ai point même en ce qui concerne l’impossibilité ou non de parvenir un jour à une connaissance certaine des sujets métaphysiques. J’ai malgré tout la même opinion que vous sur cette question.
    Ce que je trouve dommage, ce n’est bien évidemment pas de réfléchir sur ses questions (bien au contraire), mais de devoir s’écharper sur ces problèmes alors même qu’il devrait y avoir au moins un consensus entre tous les êtres de raison: en l’état actuel de nos connaissances, on n’a pas de réponse définitive, ce qui n’empêche ni la réflexion, ni la discussion et appelle plutôt au respect des croyances et des opinions même si celles-ci ne correspondent pas aux siennes propres.
    C’est d’ailleurs pour cela que j’aime la philosophie en général et votre blog en particulier que j’essaie de lire tous les soirs avant de me coucher.
    Bien à vous

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