« Il est bon de redire que l'homme ne se forme pas par l'expérience solitaire » Alain
Penser c'est s'interroger sur le sens, la valeur et le fondement de nos affirmations. Par définition l'acte de penser est reprise critique des opinions, examen donc distanciation d'avec tout ce qui représente dans l'immédiat un risque d'aliénation pour l'esprit. Faire l'effort de penser ou conquérir la liberté de l'esprit c'est une seule et même chose.
La question est de savoir si une pensée libre est une pensée solitaire. Le « seul » de l'expression « penser par soi seul » peut en effet connoter l'idée de fermeture à l'autre ; d'enfermement dans les frontières d'une particularité empirique. Si le sujet de la pensée est un ego coupé de toute forme de dialogue avec l'autre, s'il est soustrait à tout espace de délibération publique où s'affronte la pluralité des opinions humaines y a-t-il sens à concevoir ce sujet comme un sujet libre ? Et ce sujet ne s'abuse-t-il pas sur lui-même s'il croit être le sujet de sa pensée ? C'est d'ordinaire ce que les hommes prétendent. Ils imaginent qu'ils sont libres lorsqu'ils expriment leurs opinions et ils croient que celles-ci sont la manifestation d'une pensée personnelle. Or n'y a-il pas là une illusion ? En quoi la pensée solitaire est-elle une pensée aliénée, voire une absence de pensée ?
Mais alors qu'est-ce que penser et pourquoi la pensée libre est-elle nécessairement dialogique ?
Pour autant peut-on concevoir un acte de penser qui ne s'effectue pas dans la solitude d'une intériorité spirituelle ? Même quand j'examine avec l'autre ou que je déploie en public mon effort de penser n'est-ce pas moi-même et moi seul qui suis le sujet de ma pensée ? Si « soi seul » signifie « soi-même » penser ou penser librement n'est-ce pas nécessairement penser par soi-même ?
(méthode :voyez comment l'introduction pose avec précision le problème en interrogeant l'énoncé. Le traitement dialectique de la question est annoncé dans les propositions en gras : Une pensée solitaire est-elle une pensée libre (Thèse) Non c'est une pensée aliénée.
Alors en quoi consiste la pensée ? Un processus dialogique :(antithèse) : une pensée libre est une pensée ouverte sur l'altérité.
Dépassement : la contradiction s'explique par une confusion : « penser par soi seul » n'est pas synonyme de « penser par soi-même »)
1) une pensée solitaire est une absence de pensée ou une pensée aliénée.
Il y a plusieurs types de solitude et il ne faut pas confondre celle que l'on recherche pour différentes raisons et celle à laquelle certains sont condamnés parce qu'ils sont privés de tout contact humain. La première est volontaire, la seconde subie. Dans l'une on se retire momentanément du commerce avec les autres, dans l'autre ce mouvement de repli n'a aucun sens car elle est synonyme d'isolement. Ainsi, si la solitude choisie est toute bruissante de la présence des autres dont elle tire sa richesse et sa fécondité, l'autre correspond à un état déshumanisant, condamnant celui qui y est soumis au désert intérieur et à une forme de nuit. Les capacités mentales exigeant certaines conditions pour pouvoir s'exercer, il est urgent de comprendre qu'une pensée solitaire est une contradiction dans les termes. Elle équivaut à une absence de pensée. En effet
La pensée implique le langage or le langage renvoie à la nature fondamentalement sociale de l'homme. Nous parlons à d'autres qui nous parlent. Sans la présence des autres qui nous apprennent à parler et au milieu desquels nous développons nos aptitudes humaines nous ne devenons pas un homme sur le plan mental. Privé des apprentissages linguistiques, des échanges humains l'enfant est condamné à l'hébétude intellectuelle. Ce qu'illustre l'exemple de Victor, l'enfant sauvage de l'Aveyron. La description qu'en fait le savant Itard souligne son inertie mentale. Il est bien ce que Rousseau avait analysé de manière purement spéculative : « un animal stupide et borné ». Victor ne pense pas davantage qu'il ne parle. L'illusion consiste à croire que la pensée préexiste au langage, qu'il y a une pensée intérieure, extérieure aux mots. En réalité on pense dans des mots parce qu'en dehors des signifiants qui les visent les signifiés n'ont aucune réalité pour nous. Or les mots sont une institution sociale.
Mais apprendre une langue, être formé dans un milieu culturel, c'est apprendre une manière de penser le réel comme la société à laquelle j'appartiens le pense. Ainsi quand je crois penser tout seul ou quand je crois que ce que je pense spontanément est l'expression de ma pensée personnelle je témoigne seulement que je n'ai pas conscience d'être le produit de divers conditionnements sociaux. Je les ai si bien intériorisés qu'ils sont devenus des « habitus » selon la formule de Bourdieu. Le sociologue appelle ainsi des dispositions de pensée ou d'action, héritées du milieu social mais si bien assimilées qu'elles sont vécues comme naturelles. Il s'ensuit que le soliloque d'une pensée spontanée est la caisse de résonance de ce que Platon appelle la caverne.
> conclusion-transition :
Il n'y a pas de véritable pensée solitaire. Coupé de tout commerce avec les hommes, l'homme n'éclot pas comme sujet pensant. Il ne prend possession de ses aptitudes intellectuelles qu'au sein d'un milieu social. Mais ce milieu commence par le conditionner. Ses premières pensées sont donc des opinions et il n'y a pas de pensées personnelles en ce sens. D'une part parce qu' opiner n'est pas penser, d'autre part parce que le sujet d'une opinion n'est pas le sujet pensant c'est tout ce qui, à son insu, le détermine et l'aliène. Alors qu'est-ce que penser et pourquoi la présence des autres affleure- t elle toujours dès qu'il y a activité pensante ?
2) Une pensée libre est une pensée dialogique.
Penser c'est examiner, interroger parce que quelque chose fait problème pour l'esprit. Or si le réel est en soi matière à étonnement, ce qui l'est encore plus c'est la multiplicité et la diversité des interprétations humaines d'une même réalité. L'esprit ne se sent pas chez lui dans un monde où l'on peut dire une chose et son contraire de quoi que ce soit. La contradiction est un scandale pour un esprit qui se respecte lui-même car un principe fondamental de la raison humaine est l'exigence de non contradiction. L'expérience de la contradiction est ainsi un puissant aiguillon de la pensée, ce qui la met en demeure de s'exercer. Mais seul peut contre-dire un autre sujet pensant. Il s'ensuit que c'est au milieu des autres, qu'on peut être en situation de s'éveiller à l'effort de penser. Le penseur n'est pas un solitaire, c'est un être en débat avec lui-même parce qu'il est en débat avec les autres, même si ceux-ci ne sont pas présents physiquement.
La pensée ne peut pas être solitaire non plus au sens où elle a besoin de l'accord des esprits pour s'assurer d'elle-même. Qu'est-ce, en effet, qui nous sauve de l'arbitraire d'une mythologie personnelle, de la clôture de ce que Kant appelle « une singularité logique » ? C'est l'accord des autres sujets pensants. cf.Kant « Le seul caractère général de l'aliénation est la perte du sensus communis et l'apparition d'une singularité logique (sensus privatus) ; par exemple un homme voit en plein jour sur sa table une lumière qui brûle, alors qu'un autre à coté de lui ne la voit pas ; ou il entend une voix qu'aucun autre ne perçoit. Pour l'exactitude de nos jugements en général et par conséquent pour l'état de santé de notre entendement, c'est une pierre de touche subjectivement nécessaire que d'appuyer notre entendement sur celui d'autrui sans nous isoler avec le nôtre, et de ne pas faire servir nos représentations privées à un jugement en quelque sorte public » Anthropologie du point de vue pragmatique. Aliéné, dit Kant, celui qui prétend qu'on peut penser tout seul. Il faut frotter sa cervelle à celle d'autrui et se soucier de l'accord des esprits pour échapper à la folie. Le présocratique Héraclite disait de même : « Pour les éveillés il y a un monde un et commun. Mais parmi ceux qui dorment chacun s'en détourne vers le sien propre » Fragment 89 Le début du fragment 114 dit aussi « Ceux qui parlent avec intelligence, il faut qu'ils s'appuient sur ce qui est commun à tous... »
La pensée ne peut donc pas être solitaire parce qu'elle vise la vérité, or la vérité est reconnaissable par un autre sujet pensant ou elle n'est pas la vérité. Voila pourquoi toute prétention à l'universel exige selon la seconde maxime kantienne de « penser en se mettant à la place de tout autre ». La pensée solitaire est une pensée étriquée, étroite ; c'est une caricature de pensée. La pensée est une pensée élargie ou elle n'est pas une pensée.
>conclusion-transition :
Ces analyses pointent la dimension dialogique de la pensée. C'est pourquoi la dialectique est la démarche de la philosophie et la pensée « le dialogue de l'âme avec elle-même » (Platon) Dans l'acte de pensée je ne suis ni un, ni seul, je suis plusieurs et je me fais à moi-même les objections que d'autres me feraient s'ils étaient présents. Je fais le détour par l'altérité parce que je cherche la vérité or la vérité n'est ni en moi ni en toi. Elle est notre bien commun.
« Quand nous voyons l'un et l'autre que ce que tu dis est vrai, quand nous voyons l'un et l'autre que ce que je dis est vrai, où le voyons-nous je te le demande ? Assurément ce n'est pas en toi que je le vois, ce n'est pas en moi que tu le vois. Nous le voyons l'un et l'autre dans l'immuable vérité qui est au-dessus de nos intelligences » écrit St Augustin. Les Confessions, XII, XXV, 35, Pléiade I, p. 1079. Le vrai dialogue est ainsi une relation à l'autre médiatisée par un tiers, ce tiers étant la transcendance du vrai. Il s'ensuit que la pensée libre n'est jamais la pensée solitaire, ignorante ou négatrice de l'altérité. C'est la pensée ouverte, s'effectuant dans l'horizon de l'universalité, l'universel étant ce qui dépassant la contradiction du moi et du toi permet de faire triompher le nous.
Et pourtant si un "nous" peut advenir, cela ne peut jamais être autrement qu'à travers l'activité d'un moi. On ne peut penser que par soi-même et c'est parce que « soi-même » ne doit pas être confondu avec « soi seul » qu'il est possible de dépasser la contradiction qui faisait débat.
3) Penser c'est penser par soi-même et penser par soi-même c'est à la fois être seul et porter l'autre en soi.
Nul ne peut penser à ma place : l'intentionnalité pensante procède bien d'une intériorité personnelle. Il est même si vrai que la pensée est un acte solitaire qu'il faut souvent se recueillir dans son for intérieur pour penser vraiment. D'où la tendance des grands penseurs à faire retraite pour réfléchir sereinement. Montaigne se retire dans sa bibliothèque et Descartes s'isole en Hollande dans un « poêle » pour écrire ses méditations. La solitude favorise l'attention et nous sauve de ce qui parasite souvent la rectitude de la pensée dans le dialogue avec l'autre : le désir de plaire, la tentation de dominer ou de briller. Alain écrivait en ce sens : « L'homme pense en solitude et en silence devant les choses seulement. Dès que les hommes pensent en réunion, tout est médiocre. Pourquoi ? Parce que le souci de persuader et l'ardeur de contredire vont contre toutes les règles de l'investigation ».
D'où le paradoxe : la solitude est propice à la rigueur de la pensée puisqu'on ne pense jamais mieux que dans le retrait du commerce avec les autres pourtant cette même solitude serait le tombeau de la pensée si elle n'était pas irriguée par la présence des autres.
C'est que le sujet d'un véritable acte de pensée est le sujet rationnel. Or la raison n'advient en chacun de nous que par de nombreuses médiations. Il y faut une solide formation intellectuelle, l'inscription dans un milieu social où la pluralité des opinions a droit de cité, une fréquentation de la pensée des grands maîtres, ceux sans lesquels il est difficile de nous approprier notre propre pouvoir de penser. On voit par là que les autres sont omniprésents dans le processus nous permettant de nous conquérir contre tout ce qui nous aliène. Il s'ensuit que le sujet qui déploie son mouvement dans la solitude d'un effort personnel n'est pas un ego coupé des autres. Il n'est lui-même qu'autant que grâce aux autres, il a découvert en lui la raison commune. Voilà pourquoi penser c'est bien penser par soi-même mais être soi- même c'est à la fois être seul et ouvert sur l'altérité.
Conclusion générale :
La pensée libre est la pensée réfléchie et nul ne peut véritablement se mettre à distance de soi sans la médiation de l'autre. On ne commence pas par être le sujet de sa pensée on le devient. La pensée ne s'assure de la vérité que dans un effort personnel et dans la solitude d'un esprit en débat avec lui-même. Mais ce débat intérieur est la dramatisation du débat avec l'autre. Le sens grec du mot logos le dit éloquemment. Logos c'est à la fois la parole et la raison. Tant que notre parole n'est pas discours cad parole sensée, parole universellement communicable elle n'est pas encore parole véritablement humaine. Elle a l'arbitraire de ce qui renvoie au puéril ou au fanatisme. Elle n'est pas parole rationnelle et raisonnable.
« D'après Hegel, l'homme commence par une opinion personnelle, plus ou moins cohérente qu'il dénomme mythe. C'est le stade du monologue. L'idée de vérité n'est pas encore présente ou du moins explicitée. Mais les opinions bientôt se heurtent, le mythe en rencontre d'autres, les monologues s'opposent. Sous une forme ou sous une autre c'est le triomphe de la violence. Mais il arrive aussi qu'au lieu d'imposer leurs opinions par la force les hommes les confrontent, les discutent. C'est le passage du mythe à la science, du monologue au dialogue. La discussion fait la transition du barbare au philosophe, du pré homme à l'être proprement humain » Jean Lacroix Le sens du dialogue
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Bonjour,
Votre site est une vraie source d’inspiration pour l « aliéné » que j’étais.
Bien à vous
Penser par soi-même ou penser avec (ou contre) les autres, d’accord, mais à une seule condition : qu’il s’agisser bien de penser. A défaut de définir ce qu’est penser, nous ne sommes pas plus avancé dans le fait de savoir si nous devons penser par nous-mêmes ou avec ou contre les autres. Comment penser librement si la pensée dont je me prévaut n’est pas pensée ?
« avancés » avec un s. Penser à l’orthographe aussi. Toutes mes excuses.
Mais il me semble que l’introduction de la dissertation donne une définition opératoire de la notion de pensée.
Je n’ai qu’un mot : MERCI !
Merci pour ce site immensément riche et bien fait ! Je suis une élève de T°S (une de plus!) passionnée de philo … Malheureusement je reste généralement sur ma faim à la fin des cours … En recherchant désespérément une méthode pour la dissertation, j’ai à l’instant découvert votre blog. La lecture de quelques articles me conforte dans l’idée que l’on peut aimer penser, tout simplement, sur des sujets que beaucoup pourtant croient absolument « inutiles » … Comme c’est agréable de voir des profs qui s’impliquent à ce point et qui donnent de leur temps pour les autres !
Alors, merci de nouveau, je repasserai ! 🙂
madame ‘ai eu le temps de parcourir votre site, franchement il est trop bien, c’est vraiment une bonne source d’inspiration, merci pour tout ce que vous faites, mais j’aimerais vous poser une question, j’ai un sujet qui me rends maladen et je ne trouves pas trop les pistes de solution, « qu’est-ce que penser librement? » est-ce l’aborder comme vous avez fait avec le sujet ci-haut?? merci
Puisque c’est un énoncé différent, ce sujet implique un autre traitement mais il va de soi que ce corrigé vous apporte une aide dont vous devez tirer parti par un effort personnel de réflexion.
Merci beaucoup, ça aide vraiment.
Mon sujet est Pense-t-on librement quand on pense seul ? De ce fait le même plan n’est pas bien adapté je me trompe ?
Je ne comprend pas pourquoi une pensée solitaire serait une pensée aliénée.
A la lecture de mon sujet je pensais qu’une pensée solitaire était plutot une pensée égale à une reflexion que l’on se fait à soi meme. Une pensée interieure que personne n’entend et qui de ce fait reste effectuer librement étant donné qu’elle nous serait propre.
Je n’interviens pas dans le travail des élèves. Ayez bien présent à l’esprit qu’il n’y a pas de prêt à penser. C’est à vous de comprendre certaines significations explicitées dans ce plan de dissertation et d’affronter la question par votre propre effort.
Bon courage.
Je suis impressionné par la pertinence et la clarté de votre démonstration.
Je prépare un concours c’est pourquoi je m’interesse aux techniques rédactionnelles.A vrai dire ce que j’ai appris ici , je ne l’ai trouvé nulle part.
MERCI
Je n’ai pas bien saisi l’articulation entre l’acte de confronter sa pensée à celle d’autrui et
la révélation d’un monde un et commun où le vrai apparait comme objet de transcendance.
Aussi j’aimerais savoir s’il existe des références sur les conditions d’émergence de l’idée de transcendance et sur les formes qu’elle peut prendre. Pourriez m’éclaircir sur ces points? Merci à vous
Pour ce qui est des conditions d’émergence de l’idée de transcendance et des formes qu’elle peut prendre, seul un cours pourrait élucider cette question.
L’idée de transcendance est sans doute aussi vieille que l’exercice de la pensée dans la mesure où la conscience transcende le monde vers lequel elle se projette tout autant qu’elle est transcendée par lui.
Pourrait-on communiquer avec autrui, commprendre et échanger des significations s’il n’y avait pas un monde commun dont nous participons l’un et l’autre?
Voyez le cours parole commune, parole philosophique.
A vrai dire, dans la première partie, le cas de l’enfant sauvage ne démontre pas que celui qui pense seul ne pense pas librement, mais que celui qui est en-dehors de la société ne pense pas… du tout. Ce n’est donc pas la liberté de la pensée qui est en jeu, mais son existence.
D’autre part, toujours dans la première partie, on démontre tout au plus que les conditionnements sociaux masquent au sujet la nature véritable de sa pensée (qui est aliénée); mais, précisément, s’il y a conditionnement social, c’est que le sujet ne pense PAS seul, — il croit qu’il pense seul, ce n’est pas la même chose.
On peut donc dire que la première partie n’atteint pas exactement son but, et qu’elle tend plutôt à démontrer la thèse suivante : « que c’est en pensant avec autrui que la pensée est aliénée, qu’elle ne peut qu’être aliénée, et que c’est même une excellente chose, car sans une part d’aliénation, il ne pourrait se constituer aucune pensée véritable ».
1) Le titre de la première partie inclut votre remarque: une pensée solitaire est une absence de pensée.
2)Tous nos élèves commencent par croire qu’ils sont le sujet de leur pensée alors même qu’ils se contentent d’opiner. « Solitaire » ici connote « illusion d’autonomie », ce qui est le propre de tout être social non confronté à la véritable épreuve de la contradiction ou de l’altérité. On ne précise pas tout dans un plan.
3) Votre conclusion: « c’est en pensant avec autrui que la pensée est aliénée » n’est, à mes yeux, pas autre chose qu’un sophisme.
Madame, bonjour !
je sais pas si vous regardez ou « update » encore votre blog.
mais cela serait pour savoir si la question : « Pour penser librement, faudrait-il être seul ? « reviens un peu a votre sujet… je suis completement perdue !
voila merci d’avance !
Désolée, je ne sais pas de quoi vous parlez. Quel est le sens de votre première phrase?
non rien je parle pas super bien le francais ! je suis dans un lycée international et j’ai du mal avec mon sujet qui est : « Pour penser librement, faudrait-il être seul ? »
donc je voulez vous demander de m’aider si vous pouvez …
est-ce que ce sujet est un peu similaire au votre : « penser par soi-seul est-ce penser librement ? »
merci
Oui, il y a une parenté entre les deux sujets et vous pouvez trouver dans le corrigé que je propose des suggestions de réflexion. Mais il va de soi que « des suggestions », c’est autre chose que du « prêt à penser »
Vous avez à approfondir les conditions d’une pensée libre. Le « faudrait-il être seul? » attire votre attention sur les dangers que fait peser sur la liberté de pensée, l’inscription du sujet pensant dans un corps social avec sa pensée convenue. Penser n’est jamais simplement opiner. Le recul critique est consubstantiel au travail de la pensée (mise en cause de l’opinion. Cf. cours sur ce blog: opinion; explication de l’allégorie de la caverne; l’enfance est-elle ce qui doit être surmonté?) mais serait-on capable d’un tel recul critique sans les grands maîtres qui nous y ont invités et préparés?
Vous avez tout ce qu’il faut pour éclairer votre lanterne, mais pour comprendre et exploiter au mieux mes cours, vous devez faire un effort personnel de pensée. Bon courage.
je vous remercie beaucoup !
Chère Simone,
Je tiens une nouvelle fois à vous témoigner ma profonde reconnaissance après m’être régalé de la lecture de cet article. Je ne puis reconnaître qu’un esprit acéré derrière ces lignes…
Bien à vous,
Pierre
Merci Pierre pour ce sympathique message beaucoup trop élogieux pour l’exercice en question.
Bien à vous.
Chère Madame,
Pensez-vous que se couper du monde et passer ses journées à lire les grands philosophes et écrivains suffit à long terme pour penser librement et acquérir une conscience objective du monde, ou bien la composante vocale est-elle nécessaire à cette fin ?
Je suppose que cette question n’a pas un grand intérêt philosophique, ne vous sentez pas obligée d’y répondre.
Très respectueusement,
Xavier.
Bonjour
Pourquoi voulez-vous qu’un penseur soit un être coupé du monde? La lecture prend du temps mais elle n’occupe pas tout le temps et le débat avec les membres de la République des lettres qui sont souvent des morts n’exclut pas l’échange avec les vivants. Mais à coup sûr il le nourrit et l’arrache au caractère convenu des opinions du moment.
C’est le réel qu’il s’agit de comprendre et nul ne peut s’y essayer sans en être partie prenante et sans y être attentif dans ce que l’actualité a d’inédit.
J’avoue donc ne pas voir la pertinence de votre question.
Bien à vous.
Si je puis me permettre :
« je commençais par quelques livres de philosophie, comme la Logique de Port-Royal, l’Essai de Locke, Malebranche, Leibniz, Descartes, etc. Je m’aperçus bientôt que tous ces auteurs étaient entre eux en contradiction presque perpétuelle, et je me formai le chimérique projet de les accorder, qui me fatigua beaucoup et me fit perdre beaucoup de temps. Je me brouillais la tête, et n’avançais point. Enfin, renonçant encore à cette méthode, j’en pris une infiniment meilleure, et à laquelle j’attribue tout le progrès que je puis avoir fait, malgré mon défaut de capacité ; car il est certain que j’en eus toujours fort peu pour l’étude. En lisant chaque auteur, je me fis une loi d’adopter et de suivre toutes ses idées sans y mêler les miennes et celles d’un autre, et sans jamais disputer avec lui. Je me dis : « commençons par me faire un magasin d’idées, vraies ou fausses, mais nettes, en attendant que ma tête en soit assez fournie pour pouvoir les comparer et choisir ». Cette méthode n’est pas sans inconvénient, je le sais, mais elle m’a réussi dans l’objet de m’instruire. Au bout de quelques années passées à ne penser exactement que d’après autrui, sans réfléchir pour ainsi dire et sans raisonner, je me suis trouvé un assez grand fonds d’acquis pour me suffire à moi-même, et penser sans le secours d’autrui. Alors, quand les voyages et les affaires m’ont ôté les moyens de consulter les livres, je me suis amusé à repasser et à comparer ce que j’avais lu, à peser chaque chose à la balance de la raison, et à juger quelquefois mes maîtres. Pour avoir commencé tard à mettre en exercice ma faculté judiciaire, je n’ai pas trouvé qu’elle eût perdu sa vigueur ; et quand j’ai publié mes propres idées, on ne m’a pas accusé d’être le disciple servile et de jurer in verba magistri »(Rousseau, Confessions, VI).
Merci, Philippe, pour cette belle référence.
Elle peut éclairer ceux qui ont du mal à comprendre qu’on ne forme son esprit en l’arrachant à son étroitesse que par la médiation des lumières des autres, cette médiation ne signifiant pas perte mais conquête d’autonomie spirituelle et morale.
Bien à vous.
Bonjour,
Pensez-vous que le « je » transcendantal de Kant aurait pu être un argument pertinent dans une telle dissertation ? L’homme s’approprie sa pensée en disant « je », or ce « je » n’est pas un « je » individuel, particulier, c’est la forme logique de la pensée du Sujet. Il est l’expression d’une communauté entre les hommes et à ce titre, dire « je pense », c’est affirmer la dignité, la liberté du Sujet transcendantal et non la simple liberté d’une conscience particulière. Penser librement n’est donc pas penser par soi seul mais penser avec tous les autres. Je ne sais pas si utiliser cette notion est intéressant ou non dans le cadre de ce sujet, d’autant qu’elle exige d’être bien maîtrisée ce qui n’est pas évident ! C’est la raison pour laquelle je demande votre avis.
Bonjour
Je crois, qu’il faut éviter de mobiliser des thèmes que l’on ne maîtrise pas vraiment.
Dans un sujet comme celui-ci vous avez à comprendre ce que penser veut dire, non à expliciter ce qui est au principe de l’identité et de la dignité d’une personne.
Bien à vous.
Intéressant
Bonjour Simone,
J’ai apprécié la lecture de ce très bon article, MAIS, il y a une question qui me trotte, un individu rationnel libre de sens et éduquer moralement et ayant pour seul intérêt, l’épanouissent personnel de sa pensé, peut-il être un individu libre mais à la fois aliéné ?
Bien à vous, Simone.
Kantin P.
Bonjour
Je suppose que votre question s’énonce ainsi: peut-on avoir l’impression d’être libre (parce qu’on se croit rationnel et soucieux de développer avec rectitude sa pensée) et néanmoins être aliéné?
Car l’affirmation qu’on peut être libre et aliéné est une contradiction dans les termes. Soit il y a sens à parler de liberté, soit il y a aliénation. On ne peut être les deux à la fois.
Il faut bien voir que la liberté consiste essentiellement dans un effort de libération. Ce qui signifie que la liberté n’est pas une donnée, c’est une conquête à partir d’une condition première se caractérisant par une aliénation inconsciente d’elle-même.
Sur le plan de la pensée par exemple: on croit qu’opiner, c’est penser or rien n’est moins libre, rien n’est moins personnel qu’une opinion. https://www.philolog.fr/opinion/
L’effort de penser consiste à prendre du recul par rapport à ses opinions, afin d’interroger leurs conditions de production et de discriminer le vrai du faux. Cela passe par une ascèse permettant de libérer l’esprit des passions, des désirs, des intérêts qui l’aveuglent à son insu.
Examinez votre rapport aux significations et aux valeurs, à ce que vous croyez le plus fermement.Tant que leur remise en cause par un interlocuteur suscite en vous une résistance, voire de la colère ou du ressentiment, vous avez là la preuve que vous n’êtes pas libre. Votre rapport aux idées est affectif, donc irrationnel. Il n’est pas un rapport théorique ou rationnel; celui-ci s’attestant dans la capacité critique.
https://www.philolog.fr/pourquoi-philosopher/
Bien à vous.