Avertissement: Ne pas confondre allégorie et mythe.
L'allégorie se divise en trois parties.
1) Description d'une existence étrangère au questionnement philosophique.
Cf: Déchiffrement de l'image de la caverne et des chaînes.
Platon met en scène la condition immédiate de tous les hommes, la nôtre comme celle de nos plus lointains ancêtres tant que celle-ci n'est pas profondément transformée par la vigilance philosophique. Cette condition est métaphoriquement celle d'un prisonnier d'une caverne. Platon veut signifier par là que notre rapport au réel est un rapport imaginaire, médiatisé à notre insu par une langue, un milieu culturel, des habitudes, des maîtres de la parole, une corporéité et une affectivité etc. Nous n'avons pas spontanément conscience que nos représentations, nos jugements, nos valeurs sont fabriqués, convenus. Nous les revendiquons comme des pensées personnelles témoignant par là de notre méconnaissance de ce que penser veut dire. Notre rapport à nous-même est tout aussi imaginaire que notre rapport au réel.
La caverne symbolise cette aliénation de l'esprit qui lui fait prendre pour un véritable savoir ce qui n'est que de la croyance ou de l'opinion.
Platon appelle doxa le type de discours qui règne dans la caverne. Il lui oppose le principe d'une autre forme de connaissance : la connaissance intelligible par rapport à la connaissance sensible, la science par rapport à l'opinion. Mais pour s'affranchir du pouvoir des opinions une transformation radicale de notre rapport au monde est nécessaire. C'est ce que figure le deuxième tableau.
2) Le chemin de la connaissance.
Le texte souligne ses difficultés, ses hésitations, ses étapes, sa visée et ses conséquences. Platon s'emploie surtout à figurer les opérations de l'esprit en jeu dans cette aventure. Il s'agit de déjouer les aveuglements originaires ; ce qui implique à la fois un retour de l'esprit sur lui-même et une ascèse.
Faire retour sur lui-même c'est pour l'esprit proprement réfléchir. La réflexivité est le moment où l'esprit cesse d'affirmer quoi que ce soit et se demande si ce qui lui tient lieu de pensée première est vrai ou faux ; fondé en raison ou non.
Encore faut-il pour que l'esprit puisse correctement examiner les énoncés d'opinion ou les énoncés savants qu'il ne soit pas sous l'empire des passions et qu'il ait été formé aux exigences de la rigueur rationnelle. C'est ce qu'indique l'idée d'ascèse. Le terme connote l'idée de purification, de catharsis, de libération des puissances d'aveuglement ; celles qui sont les ressorts du prestige des opinions dans la caverne.
Platon confère cette fonction cathartique aux mathématiques. « Nul n'entre ici s'il n'est géomètre » avait-il fait inscrire au fronton de l'Académie. De fait les mathématiques développent le sens de la logique, de la nécessité rationnelle, elles habituent l'esprit à raisonner sur de purs intelligibles et donc à s'affranchir dans la conduite de la pensée des impressions sensibles.
La première étape du chemin de la connaissance c'est donc la formation mathématique et ce que nous appelons aujourd'hui les sciences. La deuxième est ce que nous appelons spécifiquement aujourd'hui philosophie c'est-à-dire la mise en œuvre d'une démarche dialectique où il s'agit pour la pensée de soumettre tous les énoncés à l'examen afin, en droit, de remonter à des propositions capables de fonder en raison nos discours.
La dialectique ou art de procéder comme dans un dialogue, par questions et réponses, est en ce sens une démarche régressive dont le terme serait ce qui est symbolisé par le soleil. Avec ce symbole Platon pointe L'IDÉE première qui permettrait à notre connaissance d'être absolue, de ne plus comporter d'ombre. Autant dire qu'il nomme un idéal, ce qui inlassablement tente le penseur mais se refuse toujours.
NB: Le caractère aporétique de la dialectique platonicienne ne doit pas être sous-estimé. Cf. Cours.
PB : Avec la contemplation du soleil ou de la vérité ultime la philosophie aurait-elle épuisé son sens ? A l'évidence non puisque Platon fait redescendre le philosophe dans la caverne.
3) La vocation pratique de la philosophie.
La philosophie implique bien une dimension théorique mais ne s'y réduit pas. Philosophie signifie étymologiquement « amour de la sagesse » et par sagesse nous n'entendons pas seulement une manière droite de penser mais aussi de se conduire.
La sagesse est un art de penser et d'agir conforme aux exigences de la raison.
Socrate incarne pour nous cette figure du sage qui fut à la fois un éveilleur des esprits, une conscience vigilante soucieuse d'honorer dans la vie publique et dans la vie privée les exigences spirituelles et morales.
Dans cette partie Platon montre que la philosophie a une vocation pédagogique, éthique et politique. Ce qui n'est pas sans danger. En 399 av JC. Socrate est condamné à boire la ciguë.
Faut-il comprendre que rien n'est plus insupportable aux hommes que le rappel de leur vocation spirituelle et morale ?
Idées importantes :
L'allégorie de la caverne donne à penser une idée de la philosophie que chaque philosophie historique actualise d'une manière plus ou moins réussie mais qu'aucune ne saurait épuiser car la philosophie se révèle d'emblée chez ses pères fondateurs comme une tâche infinie. Par essence, elle est le pressentiment d'un pôle théorique et d'un pôle pratique, d'une science universelle et absolue qui transcende la clôture des enracinements empiriques.
Ce pôle infini, éternel, universel, défini pour la première fois par les Grecs, est réactualisé au 20° siècle par Husserl (1859-1938), comme le sens spirituel de l'Europe et avec elle de l'humanité entière dans la mesure où « il y a dans l'Europe quelque chose d'insigne à quoi tous les autres groupes de l'humanité eux-mêmes sont sensibles, quelque chose qui, abstraction faite de toute utilité, les pousse à s'européaniser plus ou moins, alors que nous, si nous nous comprenons bien, nous ne nous indianiserons par exemple jamais ». La crise de la conscience européenne et la philosophie. 1935.
L'Europe, au sens husserlien, naît en effet en Grèce, avec cette nouvelle manière d'être au monde que Pythagore a appelée Philosophie. « C'est seulement chez les Grecs que s'accomplit en l'homme fini, l'attitude complètement transformée à l'égard du monde environnant, que nous caractérisons comme un intérêt pur pour la connaissance et, par avance, comme un intérêt déjà purement théorique. Il ne s'agit pas d'une simple curiosité qui, distraite du sérieux des soucis et des peines de la vie devient de manière accidentelle un pur intérêt porté à l'être et au mode d'être simples des données environnantes, ou même un pur intérêt pris à tout le monde environnant de la vie. Bien au contraire, il s'agit d'un intérêt analogue aux intérêts professionnels et aux attitudes qui leur correspondent. A l'encontre de tous les autres intérêts, celui-ci revêt le caractère particulier d'être un intérêt qui embrasse le monde et qui est entièrement non pratique... Ainsi l'homme est pris d'une aspiration passionnée à la connaissance qui se hausse au-dessus de toute pratique naturelle de la vie avec ses peines, ses soucis quotidiens et qui fait du philosophe un spectateur désintéressé supervisant le monde ».(Husserl)
De fait, la philosophie émerge d'un double mouvement fondateur :
- Le premier correspond au VI° siècle avant Jésus-Christ, à sa rupture avec la pensée mythique.
La mythologie et la philosophie procèdent d'un souci de rendre intelligible le réel mais l'une et l'autre divergent radicalement dans leur démarche. « Les contemporains d'Hésiode et tous les théologues, remarque Aristote, se sont en vérité soucié uniquement de ce qui pouvait entraîner leur conviction mais ils ont négligé de penser à nous ». Aristote veut dire que la vérité mythique ne cherche pas à se fonder en se soumettant à l'épreuve de la communication universelle. Elle n'est pas discutée, questionnée, elle ne s'expose pas dans le langage de la raison, elle ne vaut que pour ceux qui y croient et demeure en tant que telle étrangère à la législation de la raison universelle.
De fait la mythologie est la culture des peuples de tradition orale. Les mythes traduisent la fascination des hommes devant un monde vécu comme sacré ou surnaturel. Ils racontent comment, grâce aux actions des dieux, des héros ou des ancêtres, une réalité est venue à l'existence. Ils sont toujours le récit d'une origine, d'exploits qui se sont déroulés dans le temps d'avant le temps, temps des commencements, temps fondateur des choses telles qu'elles sont dans le temps des hommes. Les mythes ne sont pas vécus comme des créations humaines. Ils sont des récits immémoriaux, transmis aux hommes par ceux qui dans la cité font autorité. Et ceux-ci font autorité parce qu'ils apparaissent comme les gardiens d'une révélation primordiale, d'une tradition sacrée (Ex : les castes sacerdotales, les Anciens). C'est dire que la vérité qu'ils portent ne peut être interrogée. Il y aurait là, un sacrilège sanctionné sévèrement par le corps social cohéré par la vérité mythique
L'émergence de la philosophie suppose donc une mutation culturelle profonde. Car les Milésiens ne racontent plus une histoire sacrée, destinée à éclairer l'origine des choses. Ils cherchent à rendre raison des phénomènes en découvrant, par les seules ressources de leur raison et les données de l'expérience le principe qui les explique. Leur discours n'est plus le privilège d'initiés, il doit pouvoir être discuté, débattu en public. Au fond, il en est désormais de la vérité ce qu'il en est de la loi. Celle-ci n'est plus reçue d'en haut, elle est instituée par les hommes eux-mêmes. Ils ne sont plus soumis à une autorité transcendante, ils sont les instituteurs de leur monde. Et cela, c'est la règle du jeu politique de la démocratie. Les Grecs ont inventé la philosophie parce qu'ils ont inventé la démocratie. Vernant disait que : « la philosophie est fille de la cité ».
Questionner c'est donc sortir du mythe et corrélativement faire de la démonstration ou du moins de l'argumentation le principe d'une démarche rationnelle
Qui dit démonstration, ou plus modestement argumentation, dit que l'esprit met en œuvre les principes de la raison, principes qui se prouvent en s'éprouvant dans la pratique de la communication interhumaine c'est-à-dire dans le dialogue. Voilà pourquoi le même mot, logos, désigne chez les Grecs parole et raison. Dès qu'on élève sa parole à la dimension de la raison, on rend possible la communication universelle. On arrache le rapport humain à la violence du fanatisme et en général d'une parole dévoyée par les passions. On inaugure un autre rapport à la vérité et conséquemment un autre rapport avec l'autre homme.
« A côté de la révélation religieuse qui dans la forme du mystère reste l'apanage d'un cercle restreint d'initiés ; à côté aussi de la foule des croyances communes que tout le monde partage sans que personne ne s'interroge à leur sujet, une notion nouvelle de la vérité prend corps et s'affirme : vérité ouverte, accessible à tous et qui fonde sur sa propre force démonstrative ses critères de validité » J.P. Vernant.
- Le deuxième correspond au V° siècle avant Jésus-Christ, à la rupture de la philosophie avec la pensée sophistique.
L'une et l'autre ouvrent un espace de délibération publique mais alors que la rhétorique des sophistes a un enjeu stratégique puisqu'il s'agit de faire de la parole une technique de pouvoir, la philosophie subordonne le discours à l'exigence transcendante et universelle de la vérité et de la valeur. Le souci spéculatif n'est pas disjoint du souci éthico politique. Les deux engagements pour la vérité et pour le bien sont corrélatifs. Cela apparaît clairement dans l'allégorie où le principe d'intelligibilité suprême symbolisé par le soleil est aussi appelé l'Idée du bien.
Conclusion : L'émergence d'une pratique philosophique des significations et des valeurs est un événement historique d'une grande portée. Platon le met en scène dans cette allégorie où il oppose :
-Sur le plan de l'Etre (on dit plan ontologique) : le monde sensible et le monde intelligible.
-Sur le plan de la connaissance : la connaissance sensible ou doxique et la connaissance intelligible.
Le dualisme du sensible et de l'intelligible renvoie chez Platon au dualisme de l'âme et du corps.
Ces distinctions surtout pédagogiques, ont pour vocation de montrer que la vérité et la valeur ne sont pas notre horizon immédiat, qu'une rupture s'impose avec l'immédiateté pour y accéder. La philosophie est donc inséparable de la réflexivité.
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bravo pour votre site qui invite à la réflexion et au partage de la connaissance
nous sommes désormais de fidèles lecteurs
Cécile et Pascal
Est-ce que la distinction entre EPISTEMOLOGIE avec ONTOLOGIE est important dans ce texte ?
Oui puisque l’épistémologie est un discours sur la connaissance et l’ontologie un discours sur l’être.
Mais il va de soi que l’épistémologie a des implications ontologiques et vice versa.
Platon montre que la connaissance sensible n’a pas de portée ontologique. Elle ne saisit que des apparences, des reflets, des images.
Seule la connaissance intelligible peut prétendre appréhender de l’être. Les essences immuables, éternelles, c’est-à-dire les Idées, ne sont pas visibles par les yeux du corps. Elles sont saisies par un acte d’intelligence. L’être est identifié par Platon à l’intelligible. Le sensible n’est pas du pur non être car l’apparence est bien apparence de quelque chose. Mais ce qui se manifeste dans le sensible et permet à l’âme de se souvenir de l’intelligible est au-delà de lui. D’où la nécessaire ascèse du sensible pour saisir ce qui n’apparaît pas mais rend raison des apparences.
Après le témoignage de gratitude que je vous adressais hier, je me suis mis en route, allant comme promis à votre rencontre. Ayant pris connaissance de quelques uns de vos cours, il me tient aujourd’hui à coeur de vous dire bravo ! La pensée est claire, réfléchie, fouillée, profonde et exprimée de surcroît dans un style accessible.
Merci pour ce sympathique commentaire et bonne lecture. J’entends par là la nécessité de revenir aux textes fondateurs. Le cours donne les clés, rend accessible et je vous suis reconnaissante de m’attribuer cette vertu pédagogique mais il n’est qu’un tremplin. Un professeur est un passeur nécessaire mais un passeur seulement.
Merci, car grâce à votre site j’ai compris un mois de cours de philosophie.
J’ai une question concernant ce cours mais avant je veux vous remercier infiniment pour ce blog passionnant, très bien conçu et très généreux.
Pourriez-vous m’expliquer pourquoi Husserl compare l’intérêt que le philosophe porte au monde à un intérêt professionnel ?
Il me semble que l’auteur précise le sens de cette analogie dans la phrase précédent celle qui vous fait difficulté. « Il ne s’agit pas d’une simple curiosité qui, distraite du sérieux des soucis et des peines de la vie devient de manière accidentelle un pur intérêt porté à l’être et au mode d’être simples des données environnantes, ou même un pur intérêt pris à tout le monde environnant de la vie. » Pour le penseur comme pour le savant l’activité théorique n’est pas un divertissement, c’est la tâche essentielle de sa vie, ce qui lui donne son sens et la justifie. Il en est du souci théorique, pour l’un et pour l’autre, ce qu’il en est du souci professionnel dans les existences communes.
En fait j’ai accroché sur le mot « professionnel » parce qu’il est regroupe toutes les idées que je ne comprends pas dans ce texte.
Husserl parle du philosophe comme d’un spectateur désintéressé, à partir de là je ne suis ni son analogie avec une démarche professionnelle -qui par nature n’est pas désintéressée- ni le caractère « non-pratique » qu’il donne à l’intérêt pour la connaissance car il me semble, au contraire, que si l’homme veut accéder à la vérité ce n’est pas pour autre chose que pour y trouver son bonheur.
Je comprends votre difficulté. Pour la lever il faut avoir présent à l’esprit qu’une analogie n’est pas une identification et que, excepté quelques auteurs tels que Epicure, les Grecs conçoivent l’activité théorique comme une activité libérale.
Les philosophes et les savants poursuivent la connaissance de manière désintéressée (par rapport aux intérêts mondains), en ce sens l’intérêt théorique est un « intérêt pur ». La connaissance n’est pas visée comme un moyen au service du bonheur (Epicure) ou de l’efficacité technicienne (conception bourgeoise de la science). Elle est une fin en soi qui est poursuivie avec un sérieux analogue à celui qui caractérise les activités professionnelles alors qu’il s’agit d’une activité d’une tout autre nature. Husserl pointe le caractère singulier de cette nouvelle manière d’être au monde. Il dit que par elle l’homme se « hausse au-dessus de toute pratique naturelle de la vie ». Les Grecs disaient qu’en pensant l’homme « fait le dieu ». Il transcende sa dimension animale et accomplit sa dimension divine.
Vous cassez les couilles , on est en cole , on trouve rien sur votre putain de site de merde. Il me donne envie de gerber.C’est de l’attrocité , j’ai jamais vu un site aussi pourri de toute mon existance.La philo c’est comme sarko , sa sert a rien , juste a faire chier le peuple avec un ramassé de déblatération de conneries.Aufaite simone , il pu la mort ton prénom et Long , retourne dans ton pays.
cordialement,
le pamc’thon A tchao bonsoir !
J’ai peine à imaginer que l’auteur de cette délicieuse missive soit une jeune fille mais l’email indique un prénom féminin. Quoi qu’il en soit, j’ai décidé de la rendre publique, pour témoigner de la nature de certains profils moraux et intellectuels que l’on trouve aujourd’hui dans nos classes terminales.
Il est sûr que Socrate passerait son chemin.
Il est sûr aussi que si le citoyen daignait s’informer sans oeillères sur l’état d’une institution qui lui coûte si cher, il n’aurait aucun doute sur l’urgence de la réformer de fond en comble.
Quant à l’auteur de ce torchon, je ne peux que lui exprimer ma compassion mais il lui faudrait sans doute ouvrir le dictionnaire pour comprendre la signification. Et cela demande trop d’efforts!
Et oui c’est affligeant, mais ça on le savait déjà !!
Site très interessant, pour rentré dans les détails j’aimerais savoir pourquoi Socrate précise, au tout début de son texte, qu’ils sont enchainé « depuis leur enfance » ?
merci.
Voyez le cours sur » les chaînes des prisonniers de la caverne » et la dissertation: « l’enfance est-elle ce qui doit être surmonté. »
Bonjour,
Pourriez m’expliquer plus en détail la fonction du soleil. Je comprends qu’il est le but ultime et que puisque l’homme est pris dans la doxa, il ne peut jamais vraiment l’atteindre. Il doit retourner dans la caverne après avoir pris conscience de la vérité mais a-t-il une autre fonction qu’être la vérité?
Merci
Sophie
Vous posez une question difficile à laquelle il est impossible de répondre en deux lignes.
Platon appelle Idée du Bien (ou principe anhypothétique) le terme ultime de la connaissance. Il va se servir d’une analogie pour expliquer que le Bien n’est pas ce que détermine la connaissance, mais ce qui constitue sa condition de possibilité en conférant à l’âme la faculté de connaître et aux objets celle d’être connus. « Ce qui répand la lumière de la vérité sur les objets de la connaissance et confère au sujet qui connaît le pouvoir de connaître, c’est l’idée du Bien » (République, 508 e).
Sa fonction dans le monde intelligible est analogue à celle du soleil dans le monde visible. En effet, comme la vue est ce par quoi les objets sensibles sont vus, l’âme est ce par quoi les Idées sont comprises. Or ce qui permet à la vue de voir et aux objets d’être vus, c’est la lumière du soleil «Ce que le Bien est dans le domaine de l’intelligible à l’égard de la pensée et de ses objets, le soleil l’est dans le domaine du visible à l’égard de la vue et de ses objets » (République, 508 c).
Comme le soleil est source de lumière, le Bien est le principe de l’intelligence; comme le soleil est source de vie, le Bien est le principe de l’existence. Mais comme le soleil se distingue de la lumière et de la vie, puisqu’il en est la source, le Bien se distingue de l’intelligence et de l’être.
«Puisque l’idée du Bien est le principe de la science et de la vérité, tu peux la concevoir comme objet de connaissance, mais si belles que soient ces deux choses, la science et la vérité, tu ne te tromperas point en pensant que l’idée du Bien en est distincte et les surpasse en beauté, comme dans le monde visible on a raison de penser que la lumière et la vue sont semblables au soleil, mais tort de croire qu’elles sont le soleil, de même dans le monde intelligible il est juste de penser que la science et la vérité sont l’une et l’autre semblables au Bien, mais faux de croire que l’une et l’autre sont le Bien, la nature du Bien doit être regardée comme beaucoup plus précieuse » (République, 508 e – 509 a)
Le Bien communique aux intelligibles la vérité qui les fait connaître et la réalité qui les fait être; entendons c’est sa puissance qui fonde l’ordre de l’être et l’ordre de la connaissance.
Il est clair que cette puissance est celle d’une transcendance dont nous avons à nous demander si, en dernière analyse, ce n’est pas la transcendance de l’esprit. En effet, en faisant du Bien le principe de la lumière, Platon ne veut-il pas affirmer que la possibilité de la lumière en nous, à savoir l’intelligence, est un bien capable d’éclairer le réel dans un rapport de transparence à ce qui est? L’ascension vers le Bien, ce serait en définitive l’ascension vers cette transparence sans doute jamais parfaite, mais cette imperfection n’est pas un argument pour nier l’esprit en renonçant à l’idée d’une science absolue. La lumière commence avec lui et s’achève en lui. L’obscurité est l’ombre portée de tout ce qui nous empêche d’être des esprits purs; raison pour laquelle l’ascension est une ascèse. Viser le Bien, c’est donc viser la lumière d’un esprit purifié de tout ce qui en nous projette de l’ombre. Le platonisme témoigne que seul cet effort pour conquérir – ce qui en un sens, est au-delà de l’intelligence – nous rend intelligents, parce qu’une intelligence qui ne cherche pas à se rattacher à son principe ne mérite pas encore le nom d’intelligence. Aussi dénonce-t-il la vanité des discours non réfléchis dans la perspective du Bien. Toutes les théories deviennent possibles, mais toutes sont hypothétiques; l’intelligence devient un moyen, elle cesse d’être un bien.
Car – et c’est sans doute la seule certitude platonicienne – l’intelligence cesse d’être un bien lorsqu’elle n’est pas l’intelligence du Bien. Ce qui permet à l’âme de voir est aussi ce qu’elle ne doit jamais oublier sous peine de se condamner à la confusion et à la conjecture.
Il y a là une certitude morale : la transcendance de l’esprit, ce n’est pas seulement la transcendance des principes logiques, c’est aussi celle de la valeur morale à laquelle il faut accorder une priorité ontologique, parce que rien ne justifie l’entreprise de la connaissance, sinon le fait qu’elle est un bien. Ce que Platon appelle le philosophe, c’est l’homme de cette intuition. Il sait qu’il ne peut sauver l’esprit sans sauver la valeur morale, et donc qu’il doit sauver l’esprit pour sauver la valeur morale, ce Bien que « toute âme poursuit, et en vue duquel elle fait tout, dont elle soupçonne l’existence sans pouvoir, dans sa perplexité, saisir suffisamment ce qu’il est, et y croire de cette foi solide qu’elle a en d’autres choses – ce qui la prive des avantages qu’elle pourrait tirer de ces dernières » (République, 505 e).
Bonsoir,
Tout d’abord je tiens à vous remercier pour la qualité de votre site et abonde franchement dans le sens des internautes qui vous en félicitent. Presque tous vos articles sont de petits miracles de pédagogie philosophique, et je suis parfaitement abasourdi devant l’énergie et le temps que vous consacrez à votre cours, et surtout à vos lecteurs (d’une exigence parfois confondante). Je me disais bien que votre nom me rappelait des souvenirs : j’ai lu votre petit Platon en hypokhâgne et avais beaucoup apprécié la limpidité de vos explications (la mode est pourtant de lire des ouvrages réputés de haute volée comme ceux de Dixsaut ou Joly, mais c’est d’abord de clarté que l’on a besoin, avant les brillantes exégèses). Bref, je vous exprime toute ma gratitude, d’autant plus que votre site me conforte dans mon envie de devenir professeur de philosophie (et vous savez combien de telles vocations sont aujourd’hui tuées dans l’oeuf pour mille et une raisons sur lesquelles je ne vais pas m’étendre).
J’ai une petite remarque à vous faire cela dit, concernant votre premier chapitre pour commencer, puisque c’est le seul que j’ai lu in extenso: il me semble qu’il serait peut-être plus profitable de serrer le texte de Platon de plus près, de partir du commentaire de texte pour élargir à un propos plus général sur la philosophie. Evidemment je ne remets pas en cause le contenu de votre propos, tout à fait pertinent, mais qui gagnerait je pense à tirer sa substance du texte platonicien lui-même (que je vous sais gré d’avoir mis en ligne). De fait, il y a dans le texte de l’allégorie de la caverne des subtilités philosophiques particulièrement intéressantes qui mériteraient d’être relevées et commentées plus en détail, d’autant plus que ce texte est lu par la quasi totalité des bacheliers. Deux exemples pour rendre concret cette assertion pour le moment un peu péremptoire :
1/ il serait bon de spécifier le rôle philosophique des acteurs qui défilent dans ce théâtre de marionnettes (à rapprocher de celui des Lois, 643b-645e), ainsi bien sûr que celui des spectateurs. Il me semble que le texte permet d’être plus précis encore que ce que vous en dites (mais sans doute une explication exhaustive nécessiterait-elle trop de place): les prisonniers ont les jambes et le cou ligotés, mais non les mains (Dimitri El Murr pense qu’il s’agit là d’une indication négative : les prisonniers sont les citoyens qui peuvent voter et sont les complices aveugles d’un régime injuste qui ne s’interroge pas sur les tenants et aboutissants de ses procédures…). Je ne prétends nullement livrer le sens de cette omission des mains, qui est peut-être purement fortuite, mais seulement signaler le caractère parfois problématique du texte. Ainsi par exemple en 515a, comment comprendre « certains parlent, d’autres se taisent » ?Je serais d’accord avec Burnyeat pour dire qu’il s’agit des sophistes, d’une part, et des peintres d’autres part, mais Platon emploie peut-être à dessein cette formule équivoque qui peut désigner plus trivialement le fait que lors des assemblées seuls quelques rhéteurs se font valoir tandis que la plupart des citoyens demeurent muets (sous-entendu: la démocratie est en fait une ploutocratie, puisque seuls les riches nobles peuvent se payer les leçons des sophistes pour briller en assemblée). C’est en tout cas une richesse du texte (est-elle voulue ou non, il me semble que ce n’est pas là l’essentiel, même si je pense que ce n’est pas par hasard que Platon recourt à des tournures un peu vagues) que de suggérer ces deux interprétations – l’une consistant à décrédibiliser la portée épistémologique de la sophistique et la portée ontologique des producteurs de simulacres, l’autre stigmatisant la manière dont le débat politique athénien est mené.
2/ Une seconde indication me parait fondamentale, et très peu de commentateurs l’ont relevée (c’est Jacques Brunschwig qui a attiré mon attention sur ce passage, dans sa préface au livre de Joseph Blondel, Les ombres de la caverne), c’est celle-ci: « crois-tu en effet que de tels hommes auraient pu voir quoi que ce soit d’autre, d’eux-mêmes et les uns des autres, si ce ne sont les ombres qui se projettent, sous l’effet du feu, sur la paroi de la grotte en face d’eux » (515a, il s’agit de la traduction G. Leroux, mais tous les traducteurs rendent compte d’une manière semblable du syntagme qui m’intéresse). Ce passage invalide la quasi totalité des représentations que l’on donne d’ordinaire de la caverne (y compris celle de Leroux, ainsi que celle que l’on trouve en haut de la présente page) : le faisceau lumineux passe bel et bien par les prisonniers, puisqu’ils voient quelque chose d’eux-mêmes et des autres: leurs ombres, qui s’ajoutent à celles des objets qui circulent au-dessus du muret. De sorte que les prisonniers s’aliènent eux-mêmes dans ce monde d’ombres et estiment en faire partie. L’illusion est complète: ils sont fondamentalement étrangers, non seulement à ce qui est « réellement réel », mais aussi à eux-mêmes – ce qui n’est pas un détail pour qui connait l’importance du credo formulé par Socrate dans le Banquet (229e-230a): « Je ne suis pas encore capable, comme le demande l’inscription de Delphes, de me connaître moi-même; dés lors, je trouve qu’il serait ridicule de me lancer, moi à qui fait encore défaut cette connaissance, dans l’examen de ce qui m’est étranger » (trad. Brisson). En somme, le prisonnier de la Caverne, outre qu’il méconnaît la réalité intelligible, méconnaît cette autre réalité qui est la condition sine qua non de la connaissance de l’Intelligible: soi-même. Etranger à soi, le prisonnier déroge en cela au gnôthi seauton delphique (je serais curieux, au reste, de voir le texte grec de « tu décris là (…) de bien étranges prisonniers », ne sachant si le terme grec contient l’équivoque « étrange/ étranger »).
Il me semble que ce bref examen d’un passage apparemment anodin révèle toute la profondeur de ce texte, qui, s’il est une allégorie à vocation pédagogique, l’est en un sens très fort puisqu’il décrit une libération qui est à la fois politique, gnoséologique et ontologique – le pivot de ces trois dimensions étant la mét-hodo-logie (étymologiquement: un discours qui découvre quel chemin prendre) de la « métastrophè » (la conversion), et cette méthode est suggérée par le passage que nous avons analysé. Se trouve ainsi éclairé par avance le sens de la remontée vers la lumière, par laquelle le prisonnier se re-connaît (toute connaissance étant une reconnaissance, selon la théorie de la réminiscence) lui-même en recouvrant progressivement la vue des objets intelligibles.
Je force peut-être un peu le trait, mais ce qui me tenait à coeur était de souligner combien l’allégorie de la caverne est une mine inépuisable pour s’exercer au commentaire, et de manière stimulante (on n’a peut-être pas tout à fait tort de dire qu’il y a en substance tout Platon dans ce texte).
J’aurais une autre remarque à faire, qui concerne les sophistes: je pense qu’ils mériteraient un meilleur sort que dans l’article que vous leur avez consacré (mais je salue la présence d’un article sur les sophistes, quand tant de sites restent évasifs et ignorants à leur égard). Vous conseillez le livre de J. de Romilly à ce propos. Permettez-moi de vous en suggérer d’autres, que vous avez peut-être lus, et qui me paraissent philosophiquement plus profitables:
G. Romeyer-Dherbey, Les sophistes (Que sais-je ?)
G.B. Kerferd, Le mouvement sophistique (Vrin)
W.K.C. Guthrie, Les sophistes (Payot)
E. Dupréel, Les sophistes (éd. du Griffon)
Parmi les travaux de plus grande ampleur:
M. Untersteiner, Les Sophistes, 2 vol. (Vrin)
B. Cassin, L’effet sophistique (Gallimard)
B. Cassin (dir.) Le plaisir de parler; Positions de la sophistique (colloque de Cerisy, chez Minuit et Vrin, respectivement)
Il faut signaler aussi le recueil de J.P. Dumont, qui réunit les fragments des sophistes: Les sophistes, fragments et témoignages (PUF)
C’est une grande chance d’avoir un lecteur de votre qualité. Merci pour la remarquable leçon de précision que vous apportez à mon cours. Le propre des grands textes est en effet d’être inépuisable et je souscris à votre jugement selon lequel tout Platon est dans l’allégorie. Dans ce cours d’introduction je ne commente que le premier tableau mais si on se mêlait d’aborder avec le souci de la précision le second, il faudrait bien passer par les subtilités de la théorie de la connaissance platonicienne.
J’ai toujours rêvé de voir mon cours enrichi par des internautes, c’est après tout l’intérêt d’un blog. Si vous avez le désir de construire un cours pour vous exercer au métier auquel vous vous préparez mon blog vous est ouvert pour publier sous votre nom.
Pour les sophistes, vous avez raison mais vous avez sans doute remarqué qu’il ne s’agit pas d’un vrai cours mais d’une note pour le répertoire.
Merci encore. Avec mes meilleurs sentiments.
Votre proposition me fait honneur et j’aimerais beaucoup apporter ma contribution (il vient un moment où étudier sans transmettre devient résolument frustrant) à votre site, dans la limite de mes compétences bien entendu – et je vous assure que je ne fais pas ici fausse profession d’humilité, au vu de l’étendue de votre culture et surtout la dextérité dont vous faites preuve pour l’investir philosophiquement.
Cela dit j’entame une année difficile et chargée, avec la préparation des concours et le master de recherche. J’aimerais toutefois trouver le temps de rédiger quelques « leçons » sur des sujets qui me tiennent à coeur: c’est le cas notamment pour Héraclite et les sophistes, notamment parce qu’on ne trouve pas grand chose de satisfaisant à leur sujet sur Internet, hormis les articles destinés aux spécialistes. Peut-être cela me contraindra-t-il à rendre limpides les explications alambiquées dans lesquelles me plongent mes travaux de recherche (qui portent sur la cohérence du projet nietzschéen de subversion de « la » logique, envisagé dans son rapport à Héraclite et aux sophistes). Dans la mesure où l’exercice du commentaire de texte me paraît de plus en plus laissé pour compte – évidemment à tort -, j’aimerais également vous soumettre quelques commentaires, mais je ne voudrais pas faire de promesses en l’air (au reste je vois que vous proposez d’excellentes explications de texte – mais on gagne toujours à maîtriser dans le détail un grand nombre de textes). En tout cas je ne manquerai pas de revenir vers vous si je parviens à concrétiser ces projets.
Je suis heureux à l’idée que des professeurs philosophes tels que vous existent, malgré l’ingratitude ambiante et la marchandisation de l’enseignement (la complainte de Socrate dans la digression du Théétète (172-177) me paraît ici parfaitement actuelle – mais la philosophie perd tellement de temps à plaider sa cause qu’elle contribue à sa propre déchéance, le philosophe revêtant, fût-ce à contrecoeur, l’habit du rhéteur…). J’ai lu quelque part sur votre site que vous regrettiez l’état d’esprit des élèves, qui se croient à la supérette quand ils vont en cours (je parle d’après ma maigre expérience de professeur à Complétude).
Je saisis l’occasion de m’exprimer à ce sujet. C’est aujourd’hui plus que jamais que l’on aurait besoin d’une critique de la Zweckrationalität dont parle Weber, mais son ascendance marxiste suffit à la museler et fait le jeu des technocrates… Pourquoi pas, en guise de prolégomènes à votre cours, proposer une leçon de démythification à l’usage de ceux qui entrent en philosophie saturés de préjugés, conscients ou non. J’avais déjà réfléchi à la manière dont je débuterais mon cours si je devenais professeur, et songe sérieusement à commencer à définir la philosophie en la débarrassant des scories doxiques que les élèves charrient avec eux en arrivant en terminale, et les légendes urbaines qu’ils s’inoculent mutuellement à son sujet (vous connaissez par exemple celle-ci, qui circule dans toutes les terminales de France: un jour un élève a répondu à la question « qu’est-ce que culot ? » (ou le courage, selon les versions – à quoi se reconnaissent les légendes): « le culot (courage), c’est ça », et il a eu une très bonne note). Vous avez sans doute, au cours de votre carrière, pu répértorier un corpus à peu près homogène d’idées reçues entretenues par les élèves à l’égard de la philosophie.
Ce serait un grand service à mon sens, pour eux et pour la philosophie, que de les en débarrasser – et ici je crois que ne s’applique pas la peinture que fait Platon des prisonniers qui combattent contre leur libérateur. C’est au contraire le risque d’un iconoclasme excessif qu’il faudrait prévenir, tant les jeunes esprits se complaisent dans le rejet des illusions (il y a, comme dit Wittgenstein dans ses Conversations sur Freud, une mythologie de la démythification elle-même). Il faut défaire les élèves et ceux qui entrent en philosophie de leurs éventuels préjugés et les mettre en garde contre un possible transfert de leur dogmatisme sur le processus même qui les en a libéré. Le dogmatisme tente toujours de rentrer par le fenêtre après avoir été chassé par la porte: c’est à mon sens l’origine d’un préjugé réductionniste qui est assez courant, selon lequel la philosophie, c’est le relativisme (ce qui explique que Platon réserve l’enseignement de la dialectique aux hommes mûrs, qui ne se complaisent pas à réfuter, Rép. 539b sq.). D’où les professions de foi naïvement sceptiques qui émaillent les conclusions des dissertations. Je vous prie de m’excuser d’être aussi prolixe, mais il y a là quelque chose qui me paraît capital: une leçon de libération doxique qui ne verse pas dans la logomachie serait extrêmement salutaire (et pédagogique : elle permettrait de présenter une interprétation d’ensemble du livre VII de la République), et permettrait d’aborder de nombreuses notions philosophiques en les distinguant rigoureusement (illusion, fantasme, opinion, habitus, relativisme…). Ce serait aussi le lieu de s’interroger sur l' »utilité » de la philosophie, et de montrer que la question part du présupposé selon lequel tout doit avoir une utilité – d’où l’introduction de la dichotomie entre utilité et valeur, rationalité instrumentale et rationalité axiologique, bref le démontage du mécanisme idéologique qui motive la question – question qui, avant d’être une question proprement philosophique, est une provocation de sophiste – je dis cela en songeant à toutes les fois où l’on m’a posé la question, avec ce ton d’ironie malveillante et provocatrice dans la voix, ce qui montre bien que celui qui pose la question cherche plus à susciter l’agôn éristique, la joute oratoire, que le dialogue réel.
Nous pourrions ainsi définir la philosophie tout en la fondant en acte, en distinguant son idée en la séparant de toutes les autres et passant « comme dans un combat, à travers toutes les réfutations, en s’employant à les réfuter non pas en se fondant sur l’apparence, mais sur l’essence » (Rép 534c). Alors on pourrait commencer à philosopher et caractériser la philosophie de manière plus constructive.
Amicalement.
Je suis à votre disposition pour vos propositions et particulièrement séduite par l’idée de démonter la mythologie de la démystification. A l’âge postmoderne c’est particulièrement bien venu. J’aime Philippe Muray pour cela.
Bien à vous.
Très bien. Sur ce je cesse de saturer votre blog de mes logorrhées au cheminement sinueux. Je vais m’informer plus avant sur Philippe Muray, que je ne connaissais jusqu’ici que de nom. A propos de la mythologie de la démystification (un philosophème assez paradoxal en somme, puisqu’il est lui-même en proie au mythe qu’il dénonce) il me semble qu’elle requiert une probité intellectuelle telle que peu de philosophes en aient ressenti le besoin, hormis les remarques assez sporadiques de Wittgenstein que j’ai signalées et les méditations, d’une honnêteté toujours salutaires, de Bourdieu sur sa propre pratique sociologique (pour ne donner qu’un titre d’accès aisé, je songe notamment à La domination masculine). En tout cas, je ne connais pas de réflexion philosophique de fond sur le sujet – la plupart des philosophes se glorifiant, il faut bien le dire, de démystifier leurs prédécesseurs ou leurs contemporains. C’est ce qui m’a toujours paru suspect chez les nihilistes et autres déniaiseurs de profession, qui nous regardent du haut d’une altière lucidité – tandis que les plus profonds démystificateurs ne se laissent pas prendre à leur propre filet, comme Hume. C’est pour cela que parmi les contemporains, j’apprécie particulièrement ceux qui ont renoncé à se faire les épigones du déconstructionnisme et de ses avatars divers, pour proposer une philosophie qui ait quelque consistance. Je n’irai pas jusqu’à dire que les philosophies de Deleuze ou Derrida sont sans consistance, mais enfin, comme dans les arts, j’aime autant avoir quelque chose à me mettre sous la dent et il arrive un moment où il faut passer à table plutôt que d’écouter des raisonneurs nous dire ce qu’il faut éviter d’avaler. C’est pourquoi à tout prendre je choisirais Comte-Sponville bien plutôt que Lyotard.
Peut-être avez-vous des références plus pertinentes sur ce sujet qui suscite également chez moi un intérêt privilégié ?
Philippe Muray n’est pas un philosophe au sens académique mais ses exercices spirituels sont réjouissants. Je l’ai présenté dans les réflexions sur l’Europe.
Juste une suggestion. Vous faîtes une recherche sur les sophistes et vous avez avec justesse remarqué que je ne leur donne peut-être pas la place qu’ils méritent. Pourquoi ne pas combler cette lacune?
J’ai précisément manifesté (commentaire 20) le désir de rédiger un papier sur les sophistes (et sur Héraclite, qui m’a beaucoup fait réfléchir sur le problème des frontières littéraires du discours philosophiques, depuis les travaux de S.N. Mouraviev notamment) , je vais tâcher de m’y atteler dés que j’en trouve le temps. Je vois avec amusement que je vis encore au rythme des vacances à côté de vous qui devez sans doute consulter votre blog entre le café et le départ pour les cours. Je vous souhaite une excellente année scolaire.
Bonjour, (ou rebonjour car nous nous sommes vu il y a à peine 2 heures)
A votre incitation, et après un bref aperçu de l’étendu de la tâche qui nous attend cette année, de par la richesse et l’abondance des différents chapitres, textes, notions et penseurs dont regorge votre site, je ne peux qu’admirer l’ampleur du travail accompli sur ce blog qui mérite ma profonde admiration. Je vous suis reconnaissant de la mise en ligne de telles ressources qui excitent ma curiosité et ma soif de savoir.
Je ne pouvais résister à la tentation de vous le faire savoir et de laisser, ainsi, un commentaire…
L’année s’annonce riche en refléxions et sera synonyme de transformations personnelles, je ne fais que commencer à entrevoir ce que vous disiez à propos de l’écueil que constitue la compréhension de toutes ces notions.
Sincérement, Nicolas C.
Merci pour ce sympathique message. En début d’année il est toujours réjouissant de constater que son travail rencontre un écho.Tous mes voeux d’accomplissement dans cette nouvelle formation.
Pour moi aussi, cette année de philosophie représente une perspective très intéressante, et lorsque je constate l’ampleur de votre travail, ainsi que les nombreuses contributions d’autres amateurs de philosophie, tout comme nicolas, je ne peux que vous en féliciter.
Pour ma part, votre site représente un outil à la fois ludique mais également très enrichissant, et encore une fois cette initiative ne peut être que saluée.
Cordialement, Léo.
Merci Léo pour ce petit message. J’espère vraiment que mon cours et ce blog répondront à vos attentes.
Bien à vous.
Nous ayant indiqué que vous teniez ce blog , je suis venu voir par curiosité comment se présente t’il. Comme Léo et Nicolas avant moi je suis suis tout simplement impressioné par sa richesse.
J’ai aussi remarqué que vous étiez comme moi un lecteur ( ou plutôt lectrice ) du Blog de Pierre Assouline ‘La République des Livres’ ( qui publie d’ailleur chaque semaine un billet dans Le Monde 2 ) que j’apprécie également. J’aimerai savoir quelles lectures nous conseilleriez vous pour enrichir notre culture philosophique cette année tout en restant dans quelque chose d’accessible ?
Merci d’avance
Merci Pierre pour ce gentil mot. Pour les livres je fais des suggestions pour chaque cours. Dans l’immédiat je conseille la lecture de l’Apologie de Socrate de Platon et le livre de Pierre Hadot: Qu’est-ce que la philosophie antique?
Un blog extremement complet merci de nous permettre de le visiter.
De plus je trouve vos cours particulièrement intéréssants du fait qu’ils soient vivants, vous arrivez a intéresser des gens dont moi à une nouvelle matière.
Merci d’avance
J’espère, Hugo, que vous continuerez à éprouver du plaisir en cours de philosophie. Votre plaisir sera le mien.
Bien à vous.
Blog très riche et rassurant pour potasser la philo en dehors de vos cours..!
Rassurant est sans doute le mot approprié, Garance, et je vous sais gré de me le dire. Je vous souhaite une bonne année de philosophie.
Bonjour,
Après avoir parcouru votre site et les commentaires je souhaite vous remercier car vos explications sont très compréhensibles et très interessantes à lire !
J’aimerais vous demander conseil car je dois rendre un devoir sur l’extrait de « La crise de l’humanité européenne et la philosophie » de edmund husserl et j’ai vu plus haut que vous en avez déjà analysé des passages. Je me demandais si pour le passage » un interet purement théorique » ce que dit Aristote avec cette phrase colle » La philosophie est purement théorique car les hommes qui si emploi on déjà satisfait leurs besoins du corps », selon moi elle colle parfaitement car j’en ai compris que l’interet du philosophe est de savoir pour savoir, qu’il est l’ami de la sagesse et non son maître. Ai-je juste ?
De plus je recherche une limite à cet extrait en sachant que dans notre cours nous avons étudié Socrate et Ménon, et leur dialogue sur l’opinion vraies . Mais je trouve que leurs réflexions sur l’opinion vraie et la science tend vers la pensée de Husserl .. donc je suis un peu bloquée 🙂
Merci pour votre site qui m’a déjà apporté beaucoup de lumière !
Merci pour votre aimable message. Pour étayer votre réflexion, voyez l’article concernant la notion: libéral et celui intitulé: pourquoi les hommes s’efforcent-ils de connaître?
Vous me semblez faire fausse route avec les rapports que vous établissez entre l’analyse de Husserl et la thématique de l’opinion vraie.
Bon courage
Bonjour,
En fait, je suis une rhétoricienne.
Mon professeur de Morale, m’a demandé de faire un travail sur le mythe de la caverne de Platon.
Après avoir lu ce texte, il m’a donné 2 questions auxquelles je dois répondre: la première
» distinguer l’être et l’apparence dans ce texte » et la seconde » que faut-il pour passer de l’un à l’autre « .
Mes compétences en philosophie étant fort limitées, je me demandais si vous pouviez m’aider.
Cordialement, Marie
D’abord prenez acte qu’il s’agit d’une allégorie non d’un mythe, ensuite, qu’il y a sur ce blog de quoi répondre sans difficulté à ces deux questions. Il suffit de lire et de comprendre les pages consacrées au commentaire de cette allégorie. Bon courage.
Bonjour
J’ai eu un cours dernièrement sur Platon et l’allégorie de la caverne et je ne comprends pas bien en quoi sa philosophie est annonciatrice d’une certaine métaphysique ?
Si vous pouviez avoir la gentillesse de m’éclairer un peu sur ce point ? Merci d’avance, et continuez ce que vous faites car votre site est super intéressant !
Loreleï P.
Si on entend par métaphysique une ontologie c’est-à-dire un discours sur l’être, il est clair que l’allégorie de la caverne développe sous forme symbolique une ontologie. Elle oppose le monde de l’être ou des essences éternelles et immuables (monde des Idées ou des Formes, monde intelligible en langage platonicien) au monde sensible (monde des apparences, du devenir). Ce dernier n’est pas un pur non-être car si c’était le cas on ne pourrait rien en dire. Son intelligibilité possible procède donc de sa participation à l’être ou aux Idées. (Le platonisme peut aussi bien être défini comme un idéalisme que comme un réalisme car seules les Idées, les essences éternelles et immuables sont vraiment. Ce qui est pur devenir n’a pas d’être et donne le vertige. La seule réalité qui soit est celle des Idées d’où la thèse platonicienne d’un réalisme des Idées)
Le dualisme métaphysique du sensible et de l’intelligible fonde une conception de la connaissance où celle-ci est pensée comme effort consistant à s’élever de l’apparence des choses à leur essence, essence que seul l’oeil de l’âme peut contempler dans sa pureté.
Bonjour Madame,
Vous illustrez avec bonheur l’idée de mon professeur de philosophie, grand pédagogue et immense connaisseur de cette discipline, selon lequel l’intelligence n’est pas la complexité.
La clarté est votre caractéristique première. Elle révèle votre maitrise du sujet. Elle s’exprime aussi par votre méthode d’exposé, sachant définir ou rappeller en peu de mots la définition des termes techniques.
Pour information, je suis un collègue, universitaire. Mon domaine est plus normatif que le vôtre, mais ne saurait exister sans lui. C’est le droit.
Vous pouvez me contacter.
Bien à vous.
Tournelles
C’est un grand plaisir de clore cette année en votre compagnie. Merci infiniment pour ce sympathique message. J’aurai sans doute besoin de votre compétence pour améliorer mes cours sur les questions juridiques. Tous mes voeux pour la nouvelle année.
C’est tout juste pour vous faire toutes mes félicitations pour votre site. J’y « entre » de temps en temps et c’est aujourd’hui que je tente de donner un point de vue. Les explications sont bien faites et je compte continuer à le consulter plus régulièrement. Je conseille ce site à tous les élèves et étudiants faisant la philosophie ou pas. Un grand Bravo!!!
Merci pour votre aimable commentaire.
pourriez-vous m’expliquer, le passage où dans le livre VII, Socrate emet la supposition de les délivrer de leurs chaînes et qu’on les guérisse de leurs érreurs ? Qu’estce que cela signifie ?
Il vous suffit de prendre la peine de lire les explications qui sont données sur ce blog. Vous avez des liens: image de la caverne, chaînes. Ce n’est pas difficile de vous y reporter!
Oui certes, j’ai déjà vu celà mais que représente concrètement cette libération ?
Cela s’appelle la liberté intellectuelle et morale. Personne ne peut comprendre à votre place ce que cela signifie précisément parce que c’est une liberté de cette nature.
Pour vous aider voyez sur ce blog le texte de Russell: la valeur de la philosophie, la figure du sage: Pierre Hadot ou la dissertation: l’enfance est-elle ce qui doit être surmonté?
à quels questions philosophiques est ce que platon tente de répondre avec cette allégorie
Il vous faut les expliciter par votre propre effort. Il vous suffit pour cela de comprendre les analyses de l’image de la caverne, des chaînes et des mouvements s’opérant entre les différents lieux.