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Aristote

 

«  La cité est au nombre des réalités qui existent naturellement, et (...) l'homme est par nature un animal politique. Et celui qui est sans cité, naturellement et non par suite des circonstances, est ou un être dégradé ou au-dessus de l'humanité. Il est comparable à l'homme traité ignominieusement par Homère de : Sans famille, sans loi, sans foyer, car, en même temps que naturellement apatride, il est aussi un brandon de discorde, et on peut le comparer à une pièce isolée au jeu de trictrac.

  Mais que l'homme soit un animal politique à un plus haut degré qu'une abeille quelconque ou tout autre animal vivant à l'état grégaire, cela est évident. La nature, en effet, selon nous, ne fait rien en vain ; et l'homme seul de tous les animaux, possède la parole. Or, tandis que la voix ne sert qu'à indiquer la joie et la peine, et appartient aux animaux également (car leur nature va jusqu'à éprouver les sensations de plaisir et de douleur, et à se les signifier les uns aux autres), le discours sert à exprimer l'utile et le nuisible, et, par suite aussi, le juste et l'injuste ; car c'est le caractère propre à l'homme par rapport aux autres animaux, d'être le seul à avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et de l'injuste, et des autres notions morales, et c'est la communauté de ces sentiments qui engendre famille et cité ».

                              ARISTOTE. (330 av. J-C.) La Politique. I, 2. (Traduction Jules Tricot).

 

I)                   La Thèse : La cité est un fait de nature.

 

   Par là Aristote signifie que l'existence sociale ou politique est naturelle à l'homme. Cela signifie que :

 La cité n'est pas un état contre-nature. Aristote s'oppose ici à tous les penseurs qui affirment que l'homme est par nature insociable, rebelle à l'état civil, que celui-ci requiert pour s'instituer une sorte de dénaturation de l'homme. C'est par exemple le propre de la thèse freudienne. La vie civile, nous apprend Freud, exige des hommes des sacrifices qu'il ne leur est pas naturel de consentir. Elle requiert frustration, refoulement et sublimation des pulsions. Cf. Cours.

 Elle n'est pas un simple artifice que des êtres pressés par la nécessité inventent pour résoudre le problème de leur survie. Pour Rousseau, par exemple, la tendance à s'associer, la sociabilité n'est pas une tendance naturelle. L'association procède de la contrainte des besoins, des accidents de l'histoire, elle ne procède pas d'un mouvement naturel. Cette thèse qu'on peut appeler artificialiste ou conventionnaliste est celle d'un Protagoras, d'un Hobbes, d'un Rousseau.

 Pour Aristote au contraire, l'homme tend par nature à vivre en cité. En réalisant cette tendance, il accomplit sa nature, ce pour quoi il est fait. « Personne ne choisirait de posséder tous les biens de ce monde pour en jouir seul, car l'homme est un être politique et naturellement fait pour vivre en société » Ethique à Nicomaque. IX, 9,1169b, 16.18.

   Cette thèse établit que l'individu n'est pas en soi un être complet, un être achevé dont on peut poser l'existence antérieurement et extérieurement au social. A la différence de l'idéologie individualiste triomphante dans la thématique des « Droits de l'Homme » et dans nos Institutions, l'anthropologie aristotélicienne est anti-individualiste. L'individu est un être inachevé n'ayant pas de réalité hors de la totalité sociale au sein de laquelle il accomplit les fins de sa nature. « Sans famille, sans loi, sans foyer » il est « comme une pièce isolée au jeu de trictrac ».

 

II)                Les implications de la thèse.

 

   L'être qui par nature et non accidentellement (Ex : Les enfants sauvages ou les apatrides) existe hors d'une cité n'est pas un être humain.

Il est la négation de l'humanité :

Soit par défaut : C'est autre chose qu'un homme. Il faut entendre par là soit une bête soit une brute. Car s'il est incapable de vivre en cité, c'est qu'il est étranger aux fins que réalise la cité. Or celles-ci sont : d'une part le dépassement de la déficience native des individus rendu possible par l'association avec d'autres hommes ; (Grâce à la coopération, les hommes s'affranchissent de la tyrannie des besoins, ils accèdent à l'autosuffisance ; liberté refusée aux animaux condamnés à ne jamais connaître une condition libérée de l'aliénation des besoins vitaux) d'autre part l'accomplissement de la finalité proprement humaine de l'existence humaine. « Née du besoin de vivre, la cité existe pour être heureux » écrit Aristote. C'est dans la relation humaine que l'homme se sent exister comme un homme et peut déployer sa vertu propre : celle d'un être de raison voué à nouer avec les autres des rapports d'amitié et de justice. L'être vivant hors de la cité est comme la bête, un individu prisonnier de la servitude du besoin et comme la brute un individu soumis à la sauvagerie de ses impulsions. « C'est l'amitié qui porte les hommes à la vie sociale. Le but de l'Etat c'est le bonheur de la vie. Toutes ses institutions ont pour fin le bonheur. La cité est une association de familles et de bourgades pour jouir d'une vie parfaitement heureuse et indépendante. Mais bien vivre selon nous, c'est vivre heureux et vertueux ; il faut donc admettre en principe que les actions heureuses et vertueuses sont le but de la société politique et non pas seulement la vie commune ». La Politique. III, 5 ,14.

 

 Soit par excès : Celui qui peut se dispenser d'appartenir à une cité est un être autosuffisant et parfait. Autrement dit il ne s'agit pas d'un homme mais d'un dieu.

 

NB : Il peut arriver à l'homme de connaître la suffisance à soi et le bonheur des dieux. Telle est la caractéristique, pour les Anciens, de la vie contemplative, mais Aristote prend soin de préciser qu'une telle vie incarne un sommet rarement atteint et au niveau duquel on ne saurait se maintenir.

Cf. «  N'est-ce pas là vie trop haute pour être une vie d'homme ? Car ce n'est pas en tant qu'il est homme que l'homme vivra de la sorte mais en tant qu'il a en lui quelque chose de divin ; or autant ce quelque chose de divin l'emporte sur le composé, autant son activité l'emporte sur l'activité selon les autres vertus. Si c'est donc du divin que l'intellect au regard de l'homme, ce sera aussi une vie divine que la vie selon l'intellect au regard de la vie humaine » Ethique à Nicomaque X, 7,8.

Par ce propos, Aristote nous invite à faire le dieu (Dieu, l'homme doit penser : vie contemplative), mais aussi à faire l'homme (Mortel, l'homme doit agir avec ses semblables : vie active ou politique). L'idéal politique est notre vocation même si la vie théorétique incarne le sommet des genres de vie. Dans son Protreptique il écrit : « L'homme est né pour deux choses, pour penser et pour agir en dieu mortel qu'il est ».

 

III)             Fondement de la thèse.

  

  PB : Qu'est-ce qui permet d'affirmer que l'homme est un animal politique de manière beaucoup plus évidente que les animaux grégaires ?

  La réponse aristotélicienne articule deux arguments :

D'une part le philosophe prend acte d'un fait : l'homme est le seul animal qui parle.

D'autre part ce fait est interprété à la lumière d'un présupposé finaliste. « La nature ne fait rien en vain ». Tout ce qui est a sa raison d'être.

 

  PB : En quel sens peut-on dire que la finalité de la parole est politique et en quoi parole et existence politique sont-elles le propre de l'homme ?

N'observons-nous pas dans la nature des animaux vivant en groupe et ne disposent-ils pas tous de systèmes de communication ?

 

  L'analyse de la nature de la parole permet de souligner sa spécificité et d'établir le rapport des deux caractéristiques humaines : parler et vivre en société.

 

  Aristote commence par demander de ne pas confondre la voix (phônê) et la parole (logos).

  La voix est expressive, aussi la rencontre-t-on chez les animaux. Elle permet d'exprimer ses affects, son plaisir, sa peine et de les communiquer. Comme les hommes, les animaux ont une expérience sensible et la manifestent mais chez l'homme la parole déborde cette fonction purement expressive et communicative. Parler ne se limite pas à produire des sons mais à articuler des sons doués de sens à l'intérieur d'une proposition. Or toute proposition est un jugement.

  Ainsi l'homme ne dit pas seulement : « Aïe !» ; mais « cela est un mal ». Il affirme quelque chose de quelque chose, il juge et juger consiste à prendre position sur la vérité, la légitimité ou non d'une relation posée par l'esprit. C'est dire que seul un être pensant peut parler au sens précis. Ce que les Grecs soulignent avec la notion de « logos », puisque « logos » signifie à la fois parole et raison, discours sensé.

  Il y a plus. Tous les jugements mettent en jeu des valeurs témoignant que l'existence humaine ne se déploie pas dans la seule sphère de l'immédiat et du subjectif mais aussi dans celle de l'objectif et du « communément jugé ». Les notions de bien et de mal, d'utile et de nuisible, de juste et d'injuste ne prétendent pas valoir subjectivement mais s'exposer à l'épreuve de la communication universelle. Par exemple lorsqu'on invoque la vérité, on se réfère à une valeur qui, en droit, doit pouvoir faire l'accord des esprits. Il en est de même pour la justice. Si la vérité est la norme du discours, la justice est celle des rapports sociaux.  Lorsque je dis « cette conduite est juste », je parle donc à l'autre de quelque chose concernant notre vie en commun. Et en faisant amitié par l'esprit, il est possible d'échanger nos divers points de vue sur la question.

  Ainsi la parole permet-elle de débattre des valeurs de la communauté, ce qui est proprement l'enjeu de ce que nous appelons l'activité politique. Au parlement ou sur la place du marché, les hommes s'adressent la parole et s'entretiennent de ce qui intéresse leur être-ensemble.

   Il s'ensuit que la parole est d'essence politique et réciproquement la politique d'essence langagière ou dialogique.

  L'espace politique est le lieu où chacun peut exprimer sa conception de l'utile, du bien, du juste. Il est l'espace du débat, au moyen duquel, une pluralité d'êtres différents et égaux peut réaliser les accords nécessaires à la vie en commun.

 

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131 Réponses à “L’homme est par nature un animal politique. Aristote”

  1. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous trouverez ce texte dans le livre « la (on traduit parfois les) Politique » d’Aristote traduit par Jean Tricot chez Vrin.
    Bien à vous.

  2. Arthur dit :

    Intéressant!

  3. Louis Marie Bernard dit :

    Aristote précurseur de Bentham et Mill?
    Peut -on affirmer que « la vie bonne »(eudémonia) correspond à « Que devrais être? » et que la réponse par « l’arétè » (la vertu) relève du domaine de l’expérience,de l’habitude, c’est à dire disposition(une dis-ponobilité naturelle=zoon politicon) de la raison(le logos ou le bon sens cartésien)en vue d’une fin (télos) à savoir l’architectonie de la polis par l’inter-subjectivité avec l’autre et qu’ainsi le terme de médiété(juste milieu) ne serait qu’une médiation sous forme de consensus? Une recherche du compromis efficace,d’un pragmatisme à la recherche de l’efficacité,d’une realpolitik.
    Aristote utilitariste?
    Merci votre pertinence importe toujours pour moi.
    Louis Marie

  4. Louis Marie Bernard dit :

    Erratum
    Il fallait lire « Que devrais je être ou mieux faire? »

  5. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il me semble qu’on s’expose à trahir les significations d’un univers de pensée lorsqu’on les lit à travers les lunettes d’un autre univers totalement hétérogène.
    Un abîme sépare la morale antique de la morale moderne. L’idée de devoir-être n’a pas de sens pour les Anciens. Il ne s’agit pas pour eux de répondre à la question: que devons-nous faire? mais qu’est-ce qui accomplit notre nature dans son excellence? Les fins de l’existence humaine sont de part en part naturelles et ne sont pas indexées sur le seul principe de l’utilité. https://www.philolog.fr/morale-antique-morale-moderne/
    Les besoins, les intérêts ont leur dignité mais les fins de l’homme, en tant qu’il est un animal raisonnable, excèdent cette dimension le limitant à sa part animale. Cf. La distinction entre le libéral et l’utilitaire. Cf. La distinction des trois genres de vie.
    Il y a du divin en l’homme dont les vertus intellectuelles et les vertus morales sont à la fois le signe et l’accomplissement. https://www.philolog.fr/aristote-le-bonheur-est-une-activite-de-lame-selon-la-vertu-dans-une-vie-achevee/
    Définie comme juste milieu, la vertu est un absolu non l’expression d’un consensus, avec tout ce que ce dernier connote de relativisme. https://www.philolog.fr/aristote-vertu-et-plaisir/
    Enfin la politique aristotélicienne n’a rien à voir avec une realpolitik. C’est une morale de telle sorte qu’on peut reprocher à Aristote comme à son maître Platon de confondre les ordres.
    Bien à vous.

  6. louis Marie Bernard dit :

    Madame,
    Merci pour votre réponse …dogmatique et professorale
    Les échecs de l’idée de « démocratie athénienne »(pourtant louée par nos contemporains) me rendent sceptique:
    Les formes théoriques ,idéales Chez Platon où l’eunomia est identifiée à sôphrosoné laisse place de façon implicite parfois et explicite le plus souvent à la République d’une élite conformiste,ploutocrate,oligarque et aristocrate,de l’entre soi,des citoyens pur sang,des hétairies excluant le peuple(assimilé à l’épithumia,le désir, la convoitise,c’est pas nouveau malgré le virage kantien)et la recherche des principes intelligibles,idée divine de l’homme dans son essence, et surtout du Souverain Bien n’est là que pour entériner une hiérarchie(aujourd’hui technocratique et ploutocratique) mise à mal par les sophistes pour qui « l’homme est la mesure de tout »…(comment dit on aujourd’hui ? démagogues,populistes) donc du démos souverain.
    Mêmes formes théoriques chez Aristote? pas sûr,plus de pragmatisme,d’empirisme,sa notion de recherche de l’égalité proportionnelle le conduit à différencier la démocratie(identifiée à liberté),l’aristocratie(identifiée à la vertu),l’oligarchie(identifiée à la rente) et sa théorie de l’anacyclose (formulée par Hérodote dans son évocation de Darius cherchant le meilleur régime possible) le laisse évoluer vers une constitution pratique loin des présupposés théoriques (tô logô) médiane entre oligos et démos me laisse penser que le politique se désenclave de l’éthique platonicienne fondée sur le Souverain Bien pour s’orienter par le biais de la sagacité du législateur vers le « que dois je faire? »par sa sagacité (sa pertinence) pour que la loi soit bonne,universelle en laissant place à l’équité concernant le cas particulier non subsumable.
    C’est dans ce sens que je parlais de pragmatisme ,de realpolitik et de consensus,voire et j’ai caricaturé d’utilitarisme (et non pas au sens moderne).
    La Politique en Grèce n’était pas monolithique,peu s’en faut et le philosophe jamais Roi pas plus que le peuple souverain…
    Un médecin retraité reconverti en étudiant en philo (master).
    Merci pour votre gentillesse et pardon pour mes remarques.
    LM

  7. […] comment l’homme devrait vivre pour vivre mieux ? Extrait de la Politique d’Aristote: » L'homme est par nature un animal politique. Aristote. « La cité est au nombre des réalités qui existent naturellement, et (…) l'homme est par […]

  8. Fleur dit :

    Bonjour Madame,
    Merci beaucoup pour vos cours qui sont à la fois complets et rigoureux, tout en restant très accessibles.
    Je suis actuellement en train de travailler sur une dissertation, et j’aimerais simplement savoir s’il existait d’autres auteurs/penseurs qui allaient dans le même sens qu’Aristote (des auteurs qui affirmeraient eux aussi que la société serait consubstantielle à l’Homme).
    Avez-vous des références à me conseiller ?
    Bien à vous et bon week-end.

  9. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Dès lors que l’on réfléchit l’humaine condition dans ce qui fait de l’homme un être proprement humain (être parlant, pensant, capable d’obéir à des règles définies collectivement et individuellement, etc.), c’est-à-dire dès que l’on considère la nature humaine dans ce qui en elle excède la nature animale, on ne peut faire l’économie de la dimension sociale, culturelle de notre être.
    Vous pouvez exploiter en ce sens Kant et Rousseau.
    Pour Kant l’insociabilité qui est une dimension de notre nature ne l’épuise pas, l’homme est aussi un être sociable: Thème de l’insociable sociabilité. https://www.philolog.fr/linsociable-sociabilite-humaine-kant/
    Rousseau définit le sauvage comme un être nul. Les dispositions de l’humaine nature ne se développent (pour le meilleur comme pour le pire) que dans un milieu social. L’homme n’est pas à l’état naturel un être sociable, mais il est fait pour le devenir. Thème de la perfectibilité https://www.philolog.fr/la-perfectibilite-rousseau/
    Bien à vous.

  10. Slt avez vous ma réponse svp

  11. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous avez sans doute remarqué que vos messages n’ont pas été publiés.
    Inutile donc d’insister Ce blog n’est pas un site d’aide aux devoirs.
    Bon travail.

  12. On dit qu’un philosophe est celui qui tente a renverser toutes les vérités déjà admise .comment l’expliquer vous Madame? Et faut-il qu’un homme fasse cela pour en devenir un?

  13. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Non, il ne faut pas croire que le but de la philosophie consiste à renverser les vérités admises. Mais elle les soumet à l’examen de la raison afin de discriminer le vrai du faux. En effet, on appelle opinions toutes les idées, représentations que les hommes tiennent pour vraies sans se demander s’ils ont raison de le croire. Ils le croient, ils ne le savent pas. La réflexion philosophique commence avec le souci d’interroger ce que l’on pense immédiatement afin de savoir ce que l’on peut accepter comme fondé en raison. Elle interroge le sens, les fondements et la valeur de nos énoncés. Ce qui la conduit souvent à dénoncer comme faux ce que, sans réflexion, les hommes tiennent spontanément pour vrai. En ce sens, elle est une remise en question radicale des opinions dans le cadre d’une recherche exigeante de la vérité.
    Cf.https://www.philolog.fr/opinion/
    https://www.philolog.fr/allegorie-de-la-caverne/
    https://www.philolog.fr/explication-de-lallegorie-de-la-caverne/
    https://www.philolog.fr/la-valeur-de-la-philosophie-bertrand-russell/
    https://www.philolog.fr/pourquoi-philosopher/
    Bien à vous.

  14. Bonjour
    Alors là j’étais dans le faux.
    Merci à vous Docteur ,je suis satisfaite.

  15. Frank dit :

    Bonjour Madame,
    Merci pour vos commentaires toujours précis, rigoureux et intéressants. Je me demande si une coquille ne s’est pas glissée dans le prénom du traducteur d’Aristote: Jules plutôt que Jean Tricot? Amicalement

  16. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Merci de me permettre de corriger cette erreur.
    Bien à vous.

  17. Anna Ho dit :

    Bonjour Madame,

    J’ai une question qui peut paraître bête mais j’ai besoin de clarifier un point qui demeure obscure pour moi.
    Chez Rousseau, la sociabilité de l’homme n’est pas naturelle, je l’ai bien saisi. En revanche comment soutenir une telle position tout en faisant de la pitié un sentiment social naturel qui nous ouvre à l’humanité entière ? C’est à dire, j’ai du mal à saisir comment il peut accorder une place si importante à la pitié (principe de la moralité fondée sur le sentiment, sentiment qui est donc naturel et chez tout un chacun) et en même temps soutenir que la sociabilité n’est pas naturelle….

    Merci d’avance pour vos réponse toujours très pertinente.

    Anna Ho

  18. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Rousseau n’a jamais défini la pitié comme un sentiment social. C’est une tendance naturelle au même titre que l’amour de soi.
    https://www.philolog.fr/le-fondement-passionnel-du-rapport-moral/
    https://www.philolog.fr/innocence-de-lamour-de-soi-rousseau/
    Il n’y a donc aucune contradiction entre l’idée que la sociabilité n’est pas naturelle et la répugnance naturelle à voir souffrir un être sensible.
    Bien à vous.

  19. Anna Ho dit :

    Bonjour,

    J’entends bien mais tout de même, la pitié sous-entend une bienveillance naturelle envers autrui… n’est-ce pas en lien direct avec la sociabilité ?

    Bien à vous…

  20. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Lorsqu’on veut comprendre correctement la pensée d’un auteur, il convient d’être scrupuleusement attentif à la lettre de son discours et d’éviter les interprétations erronées.
    La pitié, (c’est-à-dire la répugnance à voir souffrir son semblable), est une chose, la bienveillance, (sentiment par lequel on veut du bien à autrui), en est une autre.
    L’idée de pitié est tellement différente de l’idée de bienveillance que la première comporte souvent une nuance de mépris voire de dégoût comme on le voit dans l’expression: « pauvre type, il fait pitié »
    La pitié est égocentrée. C’est sa propre souffrance que le sujet cherche à fuir alors que, par principe, la bienveillance est orientée non vers moi mais vers autrui.
    Il ne faut pas confondre la pitié ordinaire et la miséricorde qui est un autre nom de l’agapè chrétienne (l’amour du prochain, la charité elle-même médiatisée par l’amour de Dieu).
    https://www.philolog.fr/quest-ce-que-je-sous-entends-lorsque-je-parle-dautrui-comme-de-mon-semblable/
    Bien à vous.

  21. Anna ho dit :

    Bonjour,

    Merci pour cette claire distinction !En effet je faisais un lien de corrélation maladroit entre pitié et bienveillance, je vois maintenant pourquoi cela n’est pas correct!

    Pouvez-vous me préciser l’ouvrage dans lequel Hume fait cette analyse de la pitié ? Cela m’intéresserait grandement !

    Bien à vous,

    Anna ho

  22. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Pour connaître la pensée de Hume sur les passions il faut lire le traité de la nature humaine et la dissertation sur les passions.
    Bien à vous.

  23. Anna Ho dit :

    Bonjour Mme Manon,

    Je reviens sur notre discussion (quelques commentaires plus haut)au sujet de la distinction chez Rousseau entre bienveillance et pitié. Nous en étions resté à une nuance importante entre ces deux sentiments, l’un comportant une connotation méprisante alors que l’autre non (bienveillance = on veut du bien à autrui).
    J’entendais parfaitement cette distinction, or en lisant attentivement le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, j’ai trouvé un passage qui semble finalement mettre à mal cette interprétation.
    Il s’agit d’un passage de la première partie, p85 édition folio essais. Je vous l’écris ici:

    « Mandeville a bien senti qu’avec toute leur morale les hommes n’eussent jamais été que des monstres, si la Nature ne leur eût donné la pitié à l’appui de la raison: mais il n’a pas vû que de cette seule qualité découlent toutes les vertus sociales qu’il veut disputer aux hommes. En effet, qu’est-ce que la générosité, la Clémence, l’Humanité, sinon la Pitié appliquée aux faibles, aux coupables, ou à l’espèce humaine en général ? La Bienveillance et l’amitié même sont, à le bien prendre, des productions d’une pitié constante, fixée sur un objet en particulier: car désirer que quelqu’un ne souffre point, qu’est-ce autre chose, que désirer qu’il soit heureux? »

    Je trouve cela intéressant, qu’en pensez-vous?

    Bien à vous,
    Anna Ho

  24. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Non, ce passage ne remet pas en cause l’idée que la pitié est une chose, la bienveillance une autre.
    Rousseau procède ici à une généalogie de sentiments tels que la bienveillance, la générosité, la clémence, etc., afin d’établir que si la nature ne nous avait pas dotés d’une répugnance à voir souffrir nos semblables, autrement dit d’une capacité à nous identifier à eux, les vertus sociales et morales seraient impossibles.
    Toute la pensée de Rousseau consiste à fonder la morale sur les mouvements de la nature, mouvements corrompus par le développement de la raison et de la société.
    Ainsi dans la préface du Discours sur l’inégalité, il affirme que la sociabilité n’est pas un principe du droit naturel. « C’est du concours et de la combinaison que notre esprit est en état de faire de ces deux principes(amour de soi et pitié), sans qu’il soit nécessaire d’y faire entrer celui de la sociabilité, que me paraissent découler toutes les règles du droit naturel ; règles que la raison est ensuite forcée de rétablir sur d’autres fondements, quand par ses développements successifs elle est venue à bout d’étouffer la nature » .
    La pitié est donc la condition de possibilité des vertus sociales et morales. Grâce à elle, l’homme est capable de partager avec ses semblables une communauté de condition. Elle rend donc possible la sociabilité, la bienveillance, etc., mais elle ne doit pas être confondue avec ce qu’elle rend possible.
    Reste que la manière rousseauiste de fonder la morale permet d’établir que si l’homme n’est pas sociable dans l’état de nature, il est fait pour le devenir dans l’état civil dès lors que la voix de la nature n’est pas rendue inaudible en lui par le développement des passions sociales. D’où la formule apparemment contradictoire de l’Emile: « l’homme est sociable par sa nature, du moins fait pour le devenir ».
    Bien à vous.

  25. Yao Havi dit :

    Merci pour tout !

  26. […] ou de satisfaction de ses intérêts égoïstes (du Moi triomphant), cet Homme-là est un animal politique bien plus qu’un agent social et moral, cet Homme hobbesien est définitivement davantage amoral […]

  27. John Zi dit :

    Madame Manon,

    Merci pour votre travail excellent qui aide un jeune enseignant à apprendre à clarifier et sa pensée et donc ses cours afin qu’ils soient mieux transmis.
    Je me permets de vous signaler qu’il y a une petite erreur pour la référence du texte d’Aristote sur le bonheur comme fin de l’Etat. Ce n’est pas III, 5, 14 mais III, 9, 1280b-1281a.

    Vous remerciant à nouveau,

    Bien cordialement,

    JZ.

  28. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Merci pour votre vigilance. En réalité j’ai donné la référence du très vieux livre que j’ai dans ma bibliothèque: Garnier, traduction de Thurot
    Bien à vous.

  29. Jim dit :

    Bonjour,

    Sauf erreur de ma part, il y a une erreur dans la référence de cet extrait, issu non pas du chapitre 2 du livre 1 (I, 2) mais bien du chapitre 1 du livre de la Politique (I,1), plus précisément à partir du §9.

    Cordialement,
    Jim Pav.

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