Pb: Pourquoi a-t-on tendance à confondre les ordres?
Pb: En quoi consiste leur hétérogénéité?
Pb: Comment concevoir leur articulation?
I) La confusion de la morale et de la politique.
La réflexion morale a pour objet le bien. Cette valeur concerne aussi bien ce qui rend un homme bon que ce qui rend la cité bonne. Voilà pourquoi on a tendance à confondre la politique et la morale. Cette confusion est par exemple celle de Platon ou d'Aristote. Les Anciens ne distinguent pas la morale et la politique. La République de Platon est aussi bien un traité de morale qu'un traité de politique. La cité est conçue par analogie avec l'âme. Elles sont toutes les deux tripartites, et la justice, qu'il s'agisse de la vertu morale ou de la vertu sociale consiste dans le bon ordre entre les trois parties. A l'âme concupiscible correspond dans la cité la classe des producteurs, à l'âme irascible les militaires et à l'âme rationnelle, les gardiens de la cité, ceux qui sont chargés de la gouverner. La cité est bonne lorsqu'elle est en ordre c'est-à-dire lorsque chacun est à sa place selon la loi qui veut que le supérieur donne sa loi à l'inférieur, et que la force soutienne le droit moral. Celui qui en droit devrait gouverner est donc pour Platon, le sage, celui qui a l'intelligence du juste en lui et hors de lui. Ce sage est théorisé dans la figure du « philosophe roi », idéal que l'Académie se donnait pour mission de former afin d'arracher la cité aux désordres du monde de la caverne.
Il y a donc pour Platon une science du bien, bien moral et bien public qui se nomme philosophie. Socrate se présente ainsi, sous la plume de Platon, comme le seul qui possède la science politique. Or, paradoxe, le savant en politique ne fait pas de politique (il ne va pas à l'assemblée), car dans l'arène politique empirique l'amoureux du vrai et du bien n'a pas sa place ; les rhéteurs, les flatteurs des passions et des intérêts règnent pour le malheur de la cité et la honte de l'esprit. On voit par là que Platon condamne la démocratie au profit d'une royauté d'essence morale, ce qui n'est pas le cas d'Aristote. Car pour Aristote la dialectique n'est pas science. Là où il y a débat, il n'y a pas science, aussi à défaut d'une science du bien public, la multitude est meilleure juge qu'une élite, les lumières limitées de chacun se corrigeant les unes les autres et donnant dans l'ensemble un meilleur résultat. « Mais la conception, suivant laquelle on doit confier le pouvoir souverain à la multitude plutôt qu'à une élite restreinte, peut sembler apporter une solution, défendable dans une certaine mesure et sans doute répondant à la vérité. La multitude, en effet, composée d'individus qui pris séparément, sont gens sans valeur, est néanmoins susceptible, prise en corps, de se montrer supérieure à l'élite (...) non pas à titre individuel, mais à titre collectif : c'est ainsi que les repas où les convives apportent leur écot sont meilleurs que ceux dont les frais sont supportés par un seul ». Aristote. Politique III, 11.
II) L'hétérogénéité de la morale et de la politique.
Cette confusion de la morale et de la politique est lourde de conséquences. Pour la morale, qu'elle condamne à la terreur si d'aventure celle-ci se mêlait de vouloir incarner la pureté morale dans l'ordre factuel et historique de la politique ; pour la politique qu'elle condamne à l'impuissance car on ne peut pas réussir en politique si l'on honore scrupuleusement les exigences morales. Il convient donc de pointer l'hétérogénéité des ordres. (Afin d'éviter en termes pascaliens, le ridicule ou la tyrannie. Cf. concept pascalien d'injustice, cours sur les trois ordres).
Morale et politique se distinguent :
Du point de vue du but.
L'une se soucie de la vertu de la personne, l'autre du bien public. L'une met en jeu une liberté dans son rapport à elle-même, l'autre cherche à concilier des libertés dans leurs relations extérieures sous des lois communes. L'une prend donc en charge le salut de l'âme, l'autre le destin d'une collectivité. La morale correspond à une exigence intérieure, la politique à une nécessité de la vie sociale. On peut être moralement bon, dans une cité politiquement malade ; une cité peut avoir une vertu politique sans que ses membres aient individuellement une grande vertu morale. Aristote disait en ce sens : « Il est possible d'être un bon citoyen sans posséder la vertu qui nous rend homme de bien ».
Du point de vue des moyens.
La morale est affaire d'intériorité. On est moral, non par la conformité extérieure de l'action à la loi mais par la qualité de son vouloir. Cf. L'analyse kantienne de la bonne volonté et sa distinction de la légalité et de la moralité. Il s'ensuit que c'est la pureté de l'intention qui fait la moralité de l'acte. Celle-ci est indépendante des ses conséquences. Cf. La distinction wébérienne de l'éthique de la conviction et de l'éthique de la responsabilité.
L'action politique se déploie dans l'extériorité et elle est moins jugée sur les intentions qu'elle proclame que sur les résultats qu'elle obtient.
Cette observation conduit Machiavel à affirmer que la politique est un ordre des réalités humaines absolument irréductible à tout autre. Elle est une lutte agonique pour la prise et la conservation du pouvoir, obéissant à une logique quasi autonome. Qu'il s'agisse d'imposer la tyrannie ou d'instituer et de sauvegarder la république, la règle est toujours la même. Il s'agit de vaincre. Dans cet ordre la fin justifie les moyens.
D'où les rapports tendus de la morale et de la politique.
Machiavel montre que la conquête et l'exercice du pouvoir sont l'enjeu de luttes féroces dans lesquelles l'homme politique ne doit pas trop s'encombrer de scrupules moraux. C'est là le plus sûr moyen d'échouer. Certes il est important de paraître vertueux (honnête, bon, intègre, loyal, etc.) car sur la scène sociale l'apparence est reine. Mais précisément parce que le peuple ne juge que sur les apparences, seule la réussite compte à ses yeux. Un homme politique n'est pas jugé sur la pureté de ses intentions, ni sur la qualité morale des moyens mis en œuvre pour réaliser les fins politiques (la paix civile, la prospérité collective, ce qu'un peuple considère à un moment donné comme juste etc.), il est jugé sur sa réussite et de ce point de vue il est suicidaire d'être moral. Pourquoi ?
Parce que les hommes ne sont pas des êtres de raison. Ils sont des êtres de passions. La méchanceté humaine, le mal sont radicaux. Un peuple est travaillé par ce que Machiavel appelle des humeurs. L'humeur des grands est de dominer, l'humeur du peuple est de refuser d'être gouverné. Les rapports humains sont des rapports de force où le désir commun est de l'emporter sur l'autre tant dans l'ordre de l'appropriation des biens que dans celui du pouvoir.
Si l'homme était raisonnable, il serait possible de ne gouverner que par la loi, mais l'homme étant déraisonnable, le politique ne peut contenir les effets de violence de la déraison qu'en ayant la force du lion et la ruse du renard. « Bien savoir user de la bête et de l'homme » voilà la vertu politique par excellence. (Cf. L'interprétation que Machiavel fait de la légende du centaure Chiron, éducateur des héros grecs. Mi homme, mi cheval).
Il faut être lion pour résister à l'attaque des loups, mais la force seule est impuissante et contre productive (elle suscite l'esprit de rébellion et l'escalade des violences), sans la ruse du renard permettant de contourner les pièges ou de savoir en jouer.
Puisqu'il faut être fort, l'enjeu est moins d'être aimé du peuple, que d'en être craint, mais cette crainte doit exclure la haine. Pour cela il faut flatter les passions des uns et des autres en jouant des rivalités internes au corps social. La grande vertu du politique est de flairer quel est le moyen le plus approprié au bon moment, car si la réussite politique met en jeu un art politique, cet art est avant tout, celui de savoir tirer parti des circonstances. Celles-ci sont changeantes. Machiavel appelle fortune le mouvement capricieux qui emporte les choses humaines et explique le désordre de l'histoire. Adversaire de l'homme d'action s'il ne sait pas en prendre la mesure, la fortune peut devenir son auxiliaire s'il sait par sa valeur (concept machiavélien de vertu) s'y adapter. L'essentiel de la vertu politique consiste d'ailleurs à être en accord avec la fortune, mais l'homme n'en a pas la maîtrise totale. Ce qu'illustre la maladie de César Borgia (1475-1507) et la mort de son père, le pape Alexandre VI, au moment où il est au faîte de sa puissance. (Cf. Le Prince § VII). Cf. Texte.
Il y a aussi une tension entre la morale et la politique, du fait que disposer du pouvoir politique c'est disposer de l'usage de la force publique puisque l'Etat est selon la définition de Max Weber : « l'instance qui a le monopole de la violence légitime ». Envoyer les soldats à la guerre, mobiliser les CRS pour faire respecter la loi ne sont pas des décisions faciles à prendre moralement or le scrupule moral peut être coupable politiquement. Voilà pourquoi on a le sentiment que « l'homme d'action se compromet avec des puissances diaboliques qui sont aux aguets dans toute violence ».Weber. Le Savant et le Politique.
III) L'articulation de la morale et de la politique.
Pointer l'hétérogénéité des ordres ne signifie pas que la disjonction de la morale et de la politique soit totale. Rousseau avertissait : « Ceux qui voudront traiter séparément la morale et la politique n'entendront jamais rien à aucune des deux » Emile IV.
Car, que le bien politique soit, ainsi que Machiavel nous l'apprend, fondé sur le mal (violence des fondations, lutte agonistique des prétendants au pouvoir) n'exclut pas que le pouvoir politique soit le seul moyen d'instituer concrètement certaines valeurs que nous cautionnons moralement. De ce point de vue on peut critiquer celui que Hegel appelle « la belle âme » et qui, sous prétexte d'avoir les mains pures, se protège certes de toute compromission avec les ambiguïtés du réel, mais laisse le monde inchangé. Le politique « met les doigts dans les roues de l'histoire » (Max Weber) et s'il lui arrive de s'y salir, c'est souvent pour réaliser des fins ayant rapport à ce que Kant appelle notre vocation éthique : sortir de l'état de nature, instituer juridiquement le rapport de l'homme avec l'homme, bref dépasser la violence et incarner le droit.
Hegel reprend pour disqualifier la belle âme, la formule de Montaigne, utilisée aussi par Goethe « il n'y a pas de héros pour son valet de chambre » non pas parce que le héros n'est pas un héros, mais parce que l'autre est un valet de chambre. Ainsi au nom de la pureté morale toute action peut être critiquée puisque pour réussir, l'homme politique doit ruser avec les contraintes du réel (il lui faut faire des promesses qu'il sait ne pas pouvoir tenir, flatter des passions qu'il ne partage pas nécessairement, dire à ceux dont il lui faut obtenir les suffrages ce qu'ils ont envie d'entendre, etc.). La faute du rigoriste moral est de ne pas voir que « les grands hommes ont fait ce qu'ils ont voulu et voulu ce qu'ils ont fait ». (Hegel), sa faute est de jouer les valets de chambre de la moralité.
On peut articuler la politique et de la morale de deux manières différentes :
a) Avec Kant on peut subsumer la politique sous la morale.
Cette position consiste à dire que l'action politique trouve son fondement dans un devoir. L'homme a le devoir de sortir de l'état de nature et d'instituer l'Etat de droit.
Cette perspective idéaliste (transcendantale) qui déduit l'action politique d'un devoir moral n'exclut pas une analyse réaliste de l'action politique concrète. De ce point de vue, Kant n'a aucune illusion sur ce qui la détermine. Elle est liée au conflit des intérêts et à la violence des passions. Comme Machiavel, Kant reconnaît que l'homme n'agit pas comme un être raisonnable. Sa nature se caractérise par une « insociable sociabilité », de telle sorte que « dans un bois aussi courbe que celui dont est fait l'homme, on ne peut rien tailler de tout à fait droit » (Kant) Idée d'une Histoire Universelle au point de vue Cosmopolitique.1784. 6°Proposition.
Pourtant, et c'est pour Kant un motif d'étonnement, le conflit et la solidarité des intérêts, le choc des passions finissent par accoucher d'institutions dans lesquelles la raison reconnaît ses propres exigences. Le bien sort du mal, le rationnel du passionnel, la paix de la guerre. Rationnellement il y a là quelque chose d'incompréhensible. Kant pointe l'aporie pour la raison, en recourant à l'idée de Providence ou de ruse de la nature. Tout se passe comme si la nature tirait parti de notre méchanceté et l'utilisait pour en faire le moyen du bien. Là où Kant, de manière très cohérente parle de ruse de la nature, Hegel, en romantique, parle de ruse de la raison.
La raison utilise les passions pour se réaliser dans l'histoire. Les grands hommes politiques sont, à leur insu, les instruments de la Raison universelle qui s'incarne dans le monde. En voyant l'homme, qui à la pointe de la baïonnette s'efforce d'exporter les idéaux de la Révolution française en Europe, autrement dit en assistant de sa fenêtre à l'entrée de Napoléon à Iéna en 1806, Hegel écrit à son ami Niethammer : "J'ai vu l'Empereur- cette âme du monde - sortir de la ville pour aller en reconnaissance ; c'est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s'étend sur le monde et le domine.". [La formule est passée à la postérité sous la forme suivante; « J'ai vu passer l'esprit du monde à cheval »].
b) Ou bien on peut voir, avec Hegel, dans la politique le dépassement dialectique de la morale.
La politique est l'accomplissement effectif de ce qui dans la moralité demeure une norme intérieure et abstraite. L'autonomie morale de la volonté reste purement abstraite et subjective tant qu'elle ne se réalise pas empiriquement dans un contexte intersubjectif, celui de la famille, ou de la société civile. Or le moyen de se concrétiser, de s'objectiver, est l'action politique. « L'Etat c'est la réalité effective de l'idée éthique [...] » Hegel. Principes de la philosophie du droit.§257.
NB: A méditer:
« Sur la politique nous serons très brefs. Qu'est-ce que la politique ? Il y a longtemps que ce n'est plus l'art d'administrer les cités. Pour définir la politique nous serons forcés d'employer le langage kantien ... Ces grands systèmes de philosophie qui ont jalonné l'histoire de l'humanité ne sont pas seulement restés dans les écoles, où on peut se demander si on est kantien ou si on n'est pas kantien: les grands systèmes comme le système platonicien ou le kantisme ou le cartésianisme sont devenus plutôt des langages qu'on parle successivement selon qu'on veut travailler telle ou telle partie de la réalité; il est commode de parler platonicien s'il s'agit d'idées et d'apparences; il est commode de parler cartésien s'il s'agit d'étendue et d inétendue ; il est commode, d'une bonne méthode de parler kantien s'il s'agit de devoir et de morale, par exemple si on essaie de définir d'une manière sommaire ce que c'est que la politique ... La définition la plus brève est celle-ci: on dit qu'il y a morale toutes les fois qu'on s'astreint à ne jamais considérer les individus comme des moyens, mais comme des fins, c'est-à-dire toutes les fois que, voulant le bonheur des individus ou des nations, on ne se sert pas artificieusement d'autres individus pour parvenir à ses fins. Et au contraire je crois que personne ne s'opposerait à cette définition: la politique est une espèce d'opération non seulement qui permet, mais qui contraint à considérer les personnes morales comme des moyens. La politique est le nom qu'on donne à une série d'opérations où sans cesse les gens ne sont pas seulement les fins dont on se propose le bonheur ou le bien, mais les moyens par lesquels on entend passer; ce qui implique naturellement que la morale réprouve le mensonge, mais que la politique l'admet ou même y force. »
Charles Péguy. (janvier 1904) notes de la page 1282, La Pléiade, t. I, p.1816.1817Partager :
Share on Facebook | Pin It! | Share on Twitter | Share on LinkedIn |
Bonjour,
j’aurais une question d’ordre méthodologique à vous poser:
Quelle méthode conseillez-vous pour apprendre les cours? Vaut-il mieux procéder par concepts ou s’imprégner directement de la pensée des philosophes? Et que pensez-vous des citations: peut on se permettre de les apprendre vaguement ou doivent-elle être retenues avec précision?
Merci d’avance pour votre aide.
Pour apprendre les cours, il convient de faire des fiches. Dans chaque cours il y a quelques concepts fondamentaux. Il faut les relever et s’approprier leurs contenus avec précision.
La conceptualisation est inséparable d’une problématisation. Par exemple ici : la morale et la politique peuvent-elles être confondues ou non?
Les problématiques donnent lieu à des thèses qui sont celles des grands philosophes.
Ici, Platon n’élucide pas la question de la même façon que Machiavel.
Un cours a pour vocation de vous initier au dialogue des grands esprits. Il est bon que vous vous appropriez aussi la manière dont ils éclairent la question posée.
Quant aux citations, dont il ne faut pas abuser, la rigueur exige que vous les appreniez correctement, que vous mettiez des guillemets si vous en faites usage dans votre copie et que vous citiez le nom de l’auteur.
Bon courage.
Bonjour,
Merci pour vos réponses précédentes.
En relisant cette partie de votre cours, je n’arrive pas à bien comprendre l’expression d’emprunte Montaigne à Goethe : « il n’y a pas de héros pour son valet de chambre »
Je pense avoir compris que les rigoristes de la moral ne réussiront jamais en politique, il y aurait une analogie du héros avec l’homme politique, le valet et la moralité ?
Le valet critique le héros mais ne pourra jamais etre lui-meme un héros et cela du à sa moralité…
Je ne comprends vraiment pas bien ce passage, pouvez-vous me l’expliquer ?
Dans la Phénoménologie de l’esprit, Hegel écrit: « Il n’y a pas de héros pour son valet de chambre; mais non pas parce que le héros n’est pas un héros, mais parce que le valet de chambre est un valet de chambre, avec lequel le héros n’a pas affaire en tant que héros, mais en tant que mangeant, buvant, s’habillant, en général en tant qu’homme privé dans la singularité du besoin et de la représentation. De même pour le jugement il n’y a aucune action dans laquelle on ne puisse opposer le côté de la singularité de l’individualité au côté universel de l’action, et à l’égard de celui qui agit jouer le rôle de valet de chambre de la moralité ».
Le valet de chambre ne voit du grand homme que ce qui le caractérise dans les habitudes et la trivialité du quotidien. Il ne peut saisir ce qui fait de lui un héros c’est-à-dire un individu poursuivant un but ayant une dimension universelle. Hypnotisé par la singularité de l’homme privé, le valet de chambre est inapte à comprendre la grandeur de l’acteur historique.
Ainsi en est-il du moraliste. Obnubilé par l’impureté morale des moyens de l’action, il n’en comprend pas la grandeur politique. Il est comme le valet de chambre à l’égard du grand homme. A trop en voir les petitesses, il est aveugle à sa grandeur.
Merci infiniment c’est très clair maintenant 🙂
Selon Machiavel, la fin justifie les moyens et donc bien souvent l’immoralité. Mais la finalité de la politique qui consiste à assurer le bien de l’Etat , elle, n’en n’est pas moins morale? (toujours selon Machiavel). Certains philosophes prétendent-ils au contraire que la finalité de la politique n’est pas d’ordre moral?
L’expression « bien de l’Etat » me semble répondre implicitement à votre question. Avec la notion de bien, on est dans un champ impliquant les distinctions morales mais le bien de l’Etat est une finalité politique. C’est dire que la finalité du politique est d’ordre politique. Que cette finalité ait à voir avec des exigences morales ne signifie pas que l’on soit autorisé à confondre les ordres. La politique est une chose, la morale une autre. La sécurité par exemple est la première fin de l’Etat. Comment articuler son rapport à la morale?
Par ailleurs, ce qui règne souvent en matière de valeurs morales, c’est le subjectivisme et le relativisme. Ce que les uns considèrent comme un bien, d’autres le considèrent comme un mal. Dès lors des projets politiques opposés peuvent poursuivre des fins opposées. Ils n’en poursuivent pas moins des fins que leurs adeptes cautionnent moralement, quand bien même d’autres les qualifient d’immoraux. Voyez le corrigé de dissertation: peut-on vouloir le mal?
Lorsque Hegel parle de l’Etat comme réalité effective de l’idée éthique, considère t il que l’Idée de Justice (transcendante, comme chez Platon) s’incarne dans la structure de l’Etat ou alors que l’Etat en imposant une justice remplace cette norme en imposant la sienne propre (ce qui signifierait qu’il ne peut y avoir concrètement de Justice en dehors de l’Etat qui deviendrait alors la nouvelle norme transcendante)?
Merci d’avance.
Il me semble que vous ne posez pas le problème dans des termes faisant sens pour un auteur considérant que l’Histoire est le devenir de la vérité. « Concevoir ce qui est est la tâche de la philosophie, car ce qui est, c’est la raison » dit-il.
Votre recours à l’idée de transcendance n’est donc guère pertinente. Réfléchir l’Etat revient à comprendre qu’il est un moment de la culture venant après la famille et la société civile qu’il transcende en ce qu’il subsume les intérêts particuliers sous l’intérêt général. Il est la substantialité du droit, substantialité subjective comme patriotisme, substantialité objective comme organisme impliquant une constitution, des instruments de pouvoir et un contenu éthique qu’il réalise consciemment et volontairement.
Bonjour,
Tout d’abord, merci pour vos cours qui sont une aide précieuse et une belle incitation à la réflexion.
J’ai un doute sur le dernier paragraphe concernant Hegel, qui voit dans la politique le dépassement dialectique de la morale. Je ne suis pas sûre d’en avoir bien saisis le sens.
Voici ce que je comprends : la morale individuelle, intérieure, subjective et abstraite devient une norme objective et se concrétise à travers l’action politique qui transcende les intérêts particuliers pour rechercher l’intérêt géneral.
Est-ce bien cela ? Pourriez-vous me corriger si je fais fausse route ?
Merci d’avance
Je ne suis pas sûre que l’idée soit bien comprise.
La concrétisation de la norme morale s’effectue sous la forme du droit. Par exemple, tant que la loi juridique n’institue pas le principe du droit de la personne humaine à disposer d’elle-même, autrement dit tant que ce principe n’est qu’ un simple principe moral, les hommes sont soumis à l’arbitraire des traditions ou des volontés humaines irrespectueuses de cette exigence. Or pour faire les lois il faut disposer du pouvoir politique. C’est par l’action politique que, ce qui dans la morale demeure une exigence intérieure et abstraite, s’incarne dans la réalité extérieure et se concrétise.
Bonjour ! Je poste mon message ici même s’il n’est pas directement lié à votre article: Je cherche un petit livre pour compléter ma lecture de La Republique de Platon ! Après quelques recherches sur internet j’ai trouvé « Introduction à la République de Platon » de Julia ANNAS mais je ne connais pas du tout. Je me suis souvenue de votre site si riche et me suis dit que je pouvais peut être me permettre de venir trouver conseils auprès de vous 🙂 je vous remercie bien par avance !
Bonsoir
Vous pourriez lire la thèse de Monique Dixsaut: Etudes sur la République de Platon, chez Vrin en deux tomes. Mais ce n’est pas tout à fait un petit livre.
Bien à vous.
La taille du livre importe peu, seul le contenu compte. Je suivrai vos conseils.
Merci bien : )
Bonjour,
j’aurais une question à vous poser qui rejoint un peu ce grand thème qui traite de la politique et la morale. Comment peut on expliquer alors qu’un homme, en ayant accompli des actes immoraux (comme nous l’explique Machiavel), puisse se faire obéir par toute une sociétés? Comment expliquer que le peuple se rallie à lui? Est-ce simplement par un intérêt de protection?
Merci d’avance pour votre réponse.
Voyez bien Léa que la morale est une chose (et il faudrait déjà préciser ce que l’on entend par là), la politique une autre. Par exemple si la loi morale, comme l’énonce Kant, nous fait obligation de traiter les personnes comme des fins en soi, l’action politique implique souvent de traiter les autres comme des moyens dans la visée de ce que l’on définit comme l’intérêt public. Par exemple encore, pensez à ce que l’on appelle la Raison d’Etat.
L’ordre de la morale et celui du politique sont donc hétérogènes et parfois antinomiques. Pascal dirait qu’il faut éviter la tyrannie consistant à exiger d’un ordre ce qui ne vaut que dans un autre.
Ce qu’un peuple attend de ses gouvernants, c’est la satisfaction de ses intérêts. Peu importe ( dans certaines limites variables dans le temps) la nature des moyens, ce qui compte c’est la réussite. Une politique doit promouvoir les conditions de la sécurité, de la prospérité collective, d’une certaine idée dominante de la justice. Telle est la fonction de l’homme politique et s’il l’accomplit avec succès, il sera suivi par ceux qui ne lui demandent pas autre chose. Ce qui est déjà beaucoup.
Bien à vous.
bonjour
machiavel dit que « le petit nombre d intellectuels qui parviennent à percevoir les moyens utilisés par le prince dans la réalisation de ses projets ne bénéficient pas assez de concidérations de la part du peuple »
cette manque de considération est-elle une crainte envers le prince étant donnée que les moyens utilisés ont été dévoilés ? oubien c est par ce que le prince a réussi sa mission de passification du peuple en les ayant sous son controle total?
Permettez-moi, Mamadou, d’attirer d’abord votre attention sur la nécessité de corriger votre expression. C’est un prérequis: Ex: considération, pacification, contrôle, ce manque.
Les intellectuels ne jouissent pas d’une grande considération parce que l’effort intellectuel est difficile et que seul celui qui s’y astreint peut en saisir intimement les résultats. La plupart des hommes ne pensent pas, ils opinent (Cf. Cours sur l’opinion). C’est dire que leurs représentations sont indexées, comme je le précise dans le cours, sur les apparences et sont tributaires des humeurs que le prince sait flatter.
Souvenez-vous que nul tyran ne se maintient durablement au pouvoir par la seule force. Il ne dure qu’autant qu’il bénéficie du soutien moral massif du peuple qu’il domine. Cf: le cours sur le droit du plus fort.
Bien à vous.
MERCI
ALORS SI JE COMPRENDS BIEN VOS PROPOS VOUS VOULEZ DIRE QUE CE QUI FAIT LA FORCE DU PRINCE C EST L IGNORENCE COUPABLE D UNE GRANDE MAJORITé DE SA POPULATION?
Ce qui fait la force du prince, c’est la faiblesse de ceux qu’il asservit quelles que soient les différentes manières de déchiffrer cette faiblesse. La simple observation des faits permet de dire que cette faiblesse est de nature morale car sur le plan physique la force d’un peuple est toujours matériellement bien plus grande que celle de la minorité qui gouverne.
Alors appelez-la comme vous voulez: ignorance, illusion, prestige des apparences, complicité d’intérêts, aveuglements idéologiques, dialectique des humeurs, peur de mourir; peu importe. L’essentiel est de comprendre que le problème politique est un problème intellectuel et moral.
Voilà pourquoi les grands philosophes ont considéré que sa solution est surtout d’ordre pédagogique. Mais cela exige de se donner une définition optimiste de l’homme. Si cet optimisme n’est pas fondé, à savoir si la souveraineté du passionnel est constitutive de la nature humaine, le problème politique est radicalement aporétique.
Bien à vous.
MERCI
JE COMPRENDS MAINTENANT CE PASSAGE GRACE A VOUS JE VOUS EN SUIS TRES RECONNAISSANT MERCI ENCORE.
MAIS UNE DERNIERE QUESTION:
DES FOIS IL M ARRIVE DE LIRE UN OEUVRE SANS POUR AUTANT BIEN COMPRENDRE LE CONTENU;
QUEL GENRE DE LECTURE ME CONSEILLEZ VOUS?
MERCI D AVANCE
On ne dit pas « des fois », Mamadou mais « parfois ».
Lorsque vous lisez une oeuvre philosophique choisissez une collection pédagogique qui fournit un appareil de notes éclairantes voire un commentaire. Si vous n’en disposez pas, vous pouvez trouver sur internet des articles ciblés sur l’oeuvre en question.
Bien à vous.
MERCI POUR VOTRE AIDE
Bonsoir,
Merci pour votre blog qui est très bien fait.
Je suis actuellement en Term ES et je prépare en parallèle le concours d’entrée à Sciences Po Paris. Auriez-vous des lectures à me conseiller pour l’épreuve d’ordre général (culture G)? Les notions qui m’intéressent particulièrement sont la politique, la justice, le droit, l’Etat, la morale, le devoir.
Merci d’avance.
Bonjour
Votre professeur se fera sans doute un plaisir de vous construire une bibliographie.
Personnellement je vous conseille de maîtriser quelques auteurs classiques:
Platon: la république; Aristote: la politique ou l’éthique à Nicomaque, Locke et Hobbes, Machiavel: le prince; Kant: les fondements de la métaphysique des moeurs, qu’est-ce que les Lumières?; Rousseau: le contrat social; Tocqueville: de la démocratie en Amérique. A défaut de le lire en entier (car c’est un pavé) avoir une idée de la théorie de la justice de Rawls et des grands thèmes wébériens. Ces auteurs ont dû être rencontrés dans votre cours de classe terminale.
Pour les ouvrages généraux, voyez dans les commentaires de l’article: https://www.philolog.fr/presentation-du-chapitre-droit-et-justice/, mon échange avec Hélène.
Bon courage et tous mes voeux de réussite dans vos études.
Merci beaucoup!
Bonsoir,
Je tenais à vous remercier d’avoir ouvert ce site à tout le monde. Vous avez sauvé mon année de terminale puisque ma prof était, désolée de le dire, une incompétente : nous n’avions traité que 3 chapitres cette année …
Grâce à vous, je pense m’en être sortie en philosophie et votre site a ouvert ma curiosité quant à la matière.
Je vous remercie encore une fois !
Je vous souhaite une bonne continuation, vos élèves ont vraiment de la chance de vous avoir !
Sarah
Merci, Sarah, pour ce sympathique message.
Heureuse d’avoir pu vous être utile et tous mes voeux de réussite à l’examen.
merci pour ce cours,car j’ai enfin trouvé ce que je recherche
je travaille sur le Prince de Nicolas Machiavel, pouriez-vous m’aider à donner une orientation ;voici donc le thème:Ethique et politique dans le prince de Nicolas Machiavel. Mon problème se focalise au niveau des intérêts sociaux et scientifiques .
Bonjour
Je ne prends la peine de répondre qu’aux internautes témoignant de la plus élémentaire des politesses. Ce n’est manifestement pas votre cas mais il n’est jamais trop tard pour apprendre.
Bien à vous.
Bonjour, et merci pour votre enseignement
Vous semblez accepter l’idée que le peuple soit trompé par le gouvernement et que celui-ci puisse mentir aux citoyens. Comment conciliez-vous cette croyance avec la possibilité de la démocratie qui semble plutôt requérir la vérité? (comment un citoyen trompé peut-il juger des faits et être considéré comme responsable en tant que souverain)?
La vérité n’est-elle pas une condition de la politique? Mentir systématiquement, n’est-ce pas vider la parole de son contenu et rendre le rapport entre les hommes impossible. Comment pouvez-vous croire en la parole de celui qui a le droit de vous tromper ? N’est-ce pas infantiliser les gens que de les maintenir dans le mensonge ?
Bonjour
La question n’est pas de savoir ce que l’on accepte, elle est d’analyser le fait politique avec l’exigence de ne pas prendre ses désirs pour des réalités.
Vos propos sont totalement irréfléchis.
Y a-t-il sens à écrire que « la démocratie semble plutôt requérir la vérité »?
Il faudrait de toute urgence lire Platon, Machiavel, Hobbes, Rousseau, Arendt par exemple, et surtout observer le monde dans lequel vous vivez avec un peu de lucidité.
Bien à vous.
Bonjour,
Merci pour vos cours très pédagogiques.
Je n’arrive pas à distinguer la différence de sens entre vertu et morale. Est-ce que l’article ci-dessus aurait pu s’intituler « comment concevoir les rapports de la vertu et de la politique » ; parler de vertu en politique est-ce pareil que de traiter de morale en politique ?
Le mot vertu s’emploie dans les expressions vertu morale, vertu politique ou vertu républicaine. Je sais que vertu vient du grec virtu « force, qualité ou exemplarité ».
Pourriez vous m’aider à distinguer les différences entre le concept de vertu en politique et de morale en politique ?
Je vous remercie par avance,
bien cordialement,
Melanie
Bonjour
La morale est l’ensemble des règles auxquelles on doit soumettre sa conduite pour bien agir. Le bien agir moralement est une chose, le bien agir politiquement en est une autre. C’est que chaque registre a ses propres exigences, ce que je souligne en parlant d’hétérogénéité des ordres.
Il s’ensuit que la vertu morale est une chose, la vertu politique une autre.
Vertu se dit en grec arétè et en latin virtus (le courage), lui-même dérivé du mot vir, d’où nous viennent les mots «viril » et «virilité ». Le terme doit donc être dépouillé de ses connotations morales et religieuses pour être entendu correctement. Il renvoie aux idées de force, de valeur, d’excellence, de perfection, à condition de ne pas entendre la valeur comme une qualité morale, mais plutôt comme s’exprimant tout entière dans une action, qui est une belle réussite. Cf. https://www.philolog.fr/notion-de-vertu/
Ainsi Machiavel montre que la virtù de l’homme politique se manifeste dans la réussite de l’action alors qu’un Kant établit que ce qui fait la valeur morale d’un acte, ce n’est pas sa réussite mais la pureté morale de l’intention.
La virtù politique, selon Machiavel, consiste à savoir tirer parti de la fortune, c’est-à-dire de la nécessité extérieure, de la chance ou de la malchance avec lesquelles il faut compter dans le cours des affaires humaines. Le politique habile en a l’intelligence et il sait, à condition de ne pas trop s’encombrer de scrupules moraux, en faire un auxiliaire pour parvenir à ses fins.
En espérant avoir un peu clarifié les choses.
Bien à vous.
Chère collègue,
je me permets de vous signaler une petite erreur d’étymologie. Vous faites dériver « virtus » de « vir » (l’homme) en disant qu’il renvoie à l’idée de force, de courage, etc. En réalité, le mot qui désigne ces dernières notions, en latin, est le défectif « vis » (présent dans « vis comica » par exemple). On confond d’autant plus souvent ces deux termes qu’ils ont des déclinaisons très proches (« viri » et « vires » respectivement au nominatif pluriel, par exemple). Quant à savoir si « virtus » (la vertu) dérive de « vis » ou de « vir », bien malin qui pourrait le préciser (on trouve les deux explications).
Cordialement.
Philippe Jovi.
Bonjour
Merci, cher collègue, pour cette précison. Mais je ne sais pas s’il faut parler d’erreur.
Je m’en tiens au Gaffiot qui dérive virtus de vir et qu’il s’agisse de vir ou de vis, on a toujours les idées de force, de vigueur, de puissance, qualités de l’homme viril dans le monde gréco-romain.
Bien à vous.
Bonjour,
Merci pour votre réponse qui me fait avancer dans ma réflexion. Je vais réfléchir désormais à ce qu’est la vertu en politique aujourd’hui dans une démocratie.
Machiavel parle des vertus nécessaires au Prince pour garder le pouvoir : courage politique, ruse, mensonge, sens de l’histoire; il est sous entendu que le Prince fait passer son intérêt devant celui du Peuple.
Montesquieu dit dans l’Esprit des Lois que
« La vertu politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible. On peut définir cette vertu, l’amour des lois et de la patrie. Cet amour, demandant une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières; elles ne sont que cette préférence. »
Il dit aussi :
« Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu’un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent ou se soutiennent. La force des lois dans l’un, le bras du prince toujours levé dans l’autre, règlent ou contiennent tout. Mais dans un état populaire, il faut un ressort de plus, qui est la vertu. »
Je comprends de ce que dit Montesquieu que contrairement à un régime despotique, dans un état populaire, par exemple une démocratie républicaine, les hommes politiques sont eux aussi soumis aux lois, sont responsables devant le peuple et représentent le peuple. Néanmoins contrairement à ce que dit Montesquieu, on pourrait penser peu importe la vertu des hommes politiques puisqu’ils sont soumis aux lois de la République et qu’ils seront sanctionnés en cas de manquement au droit. Donc ce ne serait plus aux hommes d’être vertueux mais aux institutions républicaines de l’être. L’élection est censée être le temps démocratique où le peuple est censé choisir l’homme politique le plus compétent, le plus vertueux…en apparence.
Aujourd’hui on accuse beaucoup d’impuissance les hommes politiques dans un monde plus complexe où le pouvoir est limité par des contraintes extérieures (pouvoirs nationaux ou internationaux de régulation économique et sociale). Cette impuissance contraste totalement avec la vertu au sens de force. Or le manque de force, de volonté politique est à l’origine de la perte de légitimité de la démocratie.
Je vous ai mis mes réflexions : d’une part la non nécessité d’être vertueux en politique, d’autre part la perte de légitimité de la démocratie faute d’hommes politiques d’exception.
Bien à vous,
Mélanie
Bonsoir,
Je m’intéresse à la philosophie mais 48 années après mon année de Terminale je me demande toujours ,n’ayant pas eu de correction écrite mais un simple commentaire oral à l’époque, quel problème posait G.CANGUILHEM en faisant la réflexion suivante?
Intitulé du sujet: Croyez-vous pouvoir justifier cette réflexion suivante :
» Nous soupçonnons que pour faire des mathématiques il nous suffirait d’être des anges mais pour faire de la biologie même avec l’aide de l’intelligence nous avons parfois besoin de nous sentir bêtes »
G.CANGUILHEM.
Cordialement.
Réponse à Mélanie
Bonjour
Dans la mesure où vous ne posez pas de question, permettez-moi de ne pas rebondir sur votre propos et de me contenter d’attirer votre attention sur deux points problématiques de votre discours.
Pour Machiavel: votre affirmation: il est sous-entendu que le prince fait passer son intérêt avant celui du peuple est une affirmation gratuite. La réussite politique, qu’il s’agisse de celle du fondateur d’une république, ou celle du conquérant du pouvoir dans une république établie implique le souci du bien commun (même s’il est vrai que la représentation de celui-ci est l’otage des passions des uns et des autres) et c’est parce que les différentes composantes d’un corps social trouvent leur intérêt dans une politique que celle-ci peut se maintenir.
Pour Montesquieu: Il montre que chaque type de gouvernement repose sur un « principe »
c’est-à-dire un ressort interne qui assure sa cohérence et son maintien.
La monarchie repose sur le sentiment de l’honneur, le despotisme sur celui de la crainte et la république (qu’il s’agisse de la démocratie ou de l’aristocratie) sur la vertu ou volonté, propre à chaque membre du corps politique, de subordonner son intérêt particulier à l’intérêt général. La vertu de la république doit aussi bien être celle des gouvernants (le peuple souverain ou les meilleurs qui représentent le peuple) que celle des gouvernés.
Bien à vous.
Réponse à Rault
Bonjour Monsieur
Avec son sens caractérisé de la boutade, Canguilhem invite par ce propos à méditer la spécificité de la connaissance biologique par rapport à une autre science, en l’occurrence la mathématique. Ce sujet était donc un sujet d’épistémologie supposant de la part des candidats une bonne connaissance des méthodes et des problèmes propres à chaque discours.
Il y a en effet une difficulté inhérente à la biologie tenant à la nature de son objet. Celui-ci est l’être vivant or le vivant est une totalité irréductible à la somme de ses parties. Il a une unité que la connaissance, par ses procédures mêmes, conduit à détruire. Le savant décompose la totalité en ses éléments, il analyse, il réduit, il met en équations et l’on peut se demander si par ces opérations il ne manque pas ce qu’il est censé étudier.
Il y a donc une tension entre la connaissance et la vie, tension qu’ignore le mathématicien dans la mesure où son objet est une idéalité, un être abstrait produit par l’esprit lui-même et que la mathématique est un jeu de la raison avec elle-même. Un être qui serait un pur esprit (un ange) pourrait donc faire des mathématiques. Mais lorsqu’il s’agit d’avoir l’intelligence de l’être vivant, un pur esprit serait condamné à manquer d’intelligence en un double sens.
-D’une part, il n’aurait pas l’intelligence de son objet car la réduction de la totalité organique à de simples mécanismes physico-chimiques compromet l’intelligence de la spécificité du vivant. « L’intelligence ne peut s’appliquer à la vie qu’en reconnaissant l’originalité de la vie » écrit l’auteur dans l’introduction à « la connaissance de la vie » qui se termine par l’énoncé de cette fameuse boutade. Il s’ensuit que « la pensée du vivant doit tenir du vivant l’idée du vivant » C’est dire que seul peut avoir cette idée, l’être humain ayant l’intuition de lui-même comme totalité organique et non comme esprit séparé, distinct de l’objet qu’il étudie. Bref, le biologiste ne peut se contenter de décrire des mécanismes, il lui faut avoir conscience du SENS des fonctions qu’il met en équations. Et ce sens suppose de penser le vivant comme une totalité organique en débat avec son milieu.
-D’autre part, un pur esprit n’aurait pas l’intelligence du sens de la connaissance elle-même car celle-ci est à réinsérer dans les opérations mêmes de la vie. Comme l’instinct animal, l’intelligence humaine a un sens biologique et doit être comprise comme une stratégie vitale. Considération étrangère à une condition angélique mais pas à une condition animale. Voilà pourquoi, il ne nous suffit pas d’être des anges pour être des biologistes, « nous avons besoin parfois de nous sentir bêtes ».
Cf. https://www.philolog.fr/le-modele-mecanique/
Bien à vous.
Bonsoir Madame,
Je vous remercie pour les éclaircissements apportés concernant la réflexion de G. Canguilhem.
Vous mentionnez « qu’un pur esprit, dans la connaissance du vivant, manquerait d’intelligence en un double sens ».
Faut-il comprendre:
1) que la vie n’est pas réductible à la science c’est-à-dire que l’explication mécaniste du vivant appauvrit le vivant et en détruit la spécificité et que dès lors on semble échouer à connaître le vivant en lui-même. Or l’explication scientifique en biologie est une explication mécaniste ou elle n’est pas scientifique.
Est-ce à dire qu’un » pur esprit » serait le biologiste qui pense que le vivant est réductible à la science, que celle-ci ne peut pas échouer à connaître le vivant en lui-même?( Ce qui semble inexact).
2) »Comme l’instinct animal, l’intelligence humaine a un sens biologique et doit être comprise comme une stratégie vitale ». Faut-il comprendre que chaque espèce a sa propre façon d’être en vie, de percevoir son environnement et de réagir et que ces différentes versions demeurent incommunicables.IL s’ensuivrait (?) que le vivant ne peut se connaître en tant que tel que par expérience intime et qu’il échappe à une connaissance générale. Autrement dit les animaux et les êtres humains seraient les seuls à pouvoir prétendre à une telle connaissance et non les « purs esprits ». Mais alors pourquoi les biologistes négligeraient cet aspect des choses?
Remarque: « Nous sentir bêtes »: le biologiste doit-il faire preuve d’ humilité dans la mesure où l’origine de la vie demeure hors de portée de l’expérience et ainsi que le dit Goldstein » ..La connaissance naïve, celle qui accepte simplement le donné, est le fondement principal de sa (le biologiste) connaissance véritable et lui permet de pénétrer le sens des évènements de la nature ».
Je vous remercie d’avance pour toutes vos remarques.
Cordialement.
Bonjour,
Je m’étonne de ne pas trouver trace de mon texte adressé hier soir 13 juin 2013 concernant une réflexion de G.Canguilhem.Comment savoir si ma demande a bien été prise en compte?
Merci.
Bonjour
Vous avez mis trois semaines pour rebondir sur ma réponse. Est-ce donc si insupportable que votre message soit en attente un jour?
Pour vos questions:
– Non, l’idée de « pur esprit » ne renvoie pas au savant biologiste car aucun ne méconnaît les limites de l’approche scientifique.L’expression a pour vocation de pointer la différence de nature des mathématiques (science formelle) et de la biologie (science empirico-formelle).
-Par définition la science s’efforce de dégager des lois générales. L’idée que le vivant est un système irréductible à la simple addition de ses parties vaut pour tous les êtres vivants.
-Il n’y a pas de sens à suggérer que l’animal puisse viser l’intelligibilité de sa propre nature.
Bien à vous.
Bonjour,
Si j’ai tardé à rebondir sur votre réponse c’est volontairement ayant voulu me replonger dans l’étude du « vivant » car cela fait plus de 40 ans que je ne suis plus un élève de Terminale… Par ailleurs ma remarque concernant votre réponse( éventuelle) à mes questions ne vous était pas adressée personnellement mais au « modérateur » (?).
Etant un ancien professeur d’une autre discipline je comprends très bien que vous ne travaillez pas « à la demande ».
Pour ce qui est de la réflexion de Canguilhem ,même s’il s’agit d’une boutade, je ne vois toujours pas comment comprendre « nous avons besoin de nous sentir bêtes ».
Fait-il allusion au fait que de toute façon la connaissance du vivant en lui-même échappe au biologiste?
Cordialement.
Bonjour
Sur un blog personnel il n’y a pas d’autre modérateur que celui qui répond aux questions.
« La pensée du vivant doit tenir du vivant l’idée du vivant » dit Canguilhem dans un propos que j’ai cité dans ma réponse précédente. Or le vivant que nous sommes appartient au genre animal même si par le cerveau extrêment complexe qui est le sien, le vivant humain a une différence spécifique.
« Bête » connote cette signification avec à l’arrière plan le refus d’une pensée qui se croit en conflit avec la vie et le souci de militer pour un « rationalisme raisonnable qui doit savoir reconnaître ses limites et intégrer ses conditions d’exercice ».
Bien à vous.
Bonjour je suis très ravi de votre cours.
J’ai une question à poser concernant cette citation de Hegel:
« j’ai vu l’esprit du monde passer à chaval »
Comment pouvez vous me l’expliquez ?
Merci d’avance
Bonjour
Cette formule est extraite d’une lettre de Hegel à son ami Niethammer, écrite à Iéna, le 13 octobre 1806.
Hegel parle ici de Napoléon en qui il voit un grand homme, l’incarnation de l’instrument de la Raison inscrivant son ordre dans l’histoire.
Cf. http://www.napoleon.org/fr/salle_lecture/articles/files/Napoleon_heros_hegelien.asp
Bien à vous.
Bonjour, premierement merci beaucoup pour votre cours qui est vraiment benefique, je voudrais vous demandez: que pensez-vous de la non-violence avec Martin Luther plus precisement que Gandhi puisque plusieurs critique Gandhi qu’il etait violent avec soi… est-ce que vous pensez que c’etait une exception et qu’un Etat non violent et une politique de la non-violence est impossible?!
Bonjour
L’Etat procède de la nécessité de surmonter le violence de l’état de nature. En ce sens, on le définit comme l’instance ayant le monopole de la violence légitime. Il est le garant de la loi, en la faisant respecter, au besoin par l’usage de la force aux volontés récalcitrantes. Dans ces conditions, l’idée d’un Etat faisant de la non-violence le principe de sa politique est une contradiction dans les termes.
Mais cela n’interdit pas de penser qu’une politique intérieure et extérieure conduite avec le souci de la sagesse (respect du droit, exigence de justice, développement de l’éducation,
etc.) tende à limiter le plus possible le recours à la force.
Reste que limiter n’est pas éradiquer. Les choses humaines étant ce qu’elles sont, un monde où la non-violence ferait loi est un doux rêve.
Bien à vous.