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   La rumeur du monde bruisse d’un certain désaveu de la politique de l’enfant-roi. L’heure est à l’émergence des « mamans tigres » si l’on en croit le débat ouvert en Amérique par la publication du livre d’Amy Chua : Hymne guerrier d’une maman tigre (Battle Hymn of the Tiger Mother, Penguin). Elle est donc à la redécouverte des vertus de l’autorité, en pédagogie semble-t-il  plus qu’en politique. Et parce que sous le beau mot d’autorité, on peint ce qui en est la négation absolue, (discipline militaire, mobilisation de punitions sévères, la plus grotesque étant quatre ans d’anniversaire supprimés), il m’a paru intéressant de proposer ce modeste rappel des significations. Précaution salutaire car la société moderne est tellement étrangère à quelque chose comme l’autorité qu’elle est sans doute devenue inapte à restituer la nature d’une expérience correspondant à d’autres conditions historiques de vie politique.

 

   C’est en tout cas le constat d’Hannah Arendt dans son remarquable article intitulé : Qu’est-ce que l’autorité ?

 « Pour éviter tout malentendu, il aurait peut-être été plus sage, dans le titre, de poser la question : que fut l'autorité? - et non : qu'est-ce que l'autorité? Car c'est, à mon avis, le fait que l'autorité a disparu du monde moderne qui nous incite et nous fonde à soulever cette question. Comme il ne nous est plus possible de prendre appui sur des expériences authentiques et indiscutables, communes à tous, le mot lui-même a été obscurci par la controverse et la confusion. Il n'y a plus grand-chose dans la nature de l'autorité qui paraisse évident ou même compréhensible à tout le monde; seul le spécialiste en sciences politiques peut encore se rappeler que ce concept fut jadis un concept fondamental pour la théorie politique, et presque tout le monde reconnaîtra qu'une crise de l'autorité, constante, toujours plus large et plus profonde, a accompagné le développement du monde moderne dans notre siècle.

   Cette crise, manifeste dès le début du siècle, est d'origine et de nature politiques […]

    Le symptôme le plus significatif de la crise, et qui indique sa profondeur et son sérieux, est qu'elle a gagné des sphères prépolitiques, comme l'éducation et l'instruction des enfants, où l'autorité, au sens le plus large, a toujours été acceptée comme une nécessité naturelle, manifestement requise autant par des besoins naturels, la dépendance de l'enfant, que par une nécessité politique : la continuité d'une civilisation constituée, qui ne peut être assurée que si les nouveaux venus par naissance sont introduits dans un monde préétabli où ils naissent en étrangers. Étant donné  son caractère simple et élémentaire, cette forme d’autorité a servi de modèle, durant toute l'histoire de la pensée politique, à une grande variété de formes autoritaires de gouvernement. Par conséquent, le fait que même cette autorité prépolitique qui présidait aux relations entre adultes et enfants, maîtres et élèves, n'est plus assurée, signifie que toutes les métaphores et tous les modèles de relations autoritaires traditionnellement à l'honneur ont perdu leur plausibilité. En pratique aussi bien qu'en théorie, nous ne sommes plus en mesure de savoir ce que l'autorité est réellement. » Qu’est-ce que l’autorité, dans La crise de la culture, Idées/Gallimard, 1972, trad.Marie-Claude Brossollet et Hélène Pons, p. 121.122.

 

Analyse de la notion

 

  L’autorité est un pouvoir de commander, de décider, de s’imposer à autrui, de se faire obéir.

  Ex : l’autorité politique, religieuse, pédagogique, militaire etc.

  En un certain sens, elle est synonyme de pouvoir et pourtant si toute autorité est un pouvoir, tout pouvoir ne fonctionne pas comme une autorité.

  Le pouvoir, quel que soit le domaine considéré, est une capacité matérielle ou juridiquement instituée de subordonner des forces antagonistes. Un pouvoir est une force suffisamment puissante pour contraindre des forces plus faibles. Un pur rapport de pouvoir est un rapport de force ou de domination. Qui obéit par contrainte cesse d’obéir si la force qui le soumet cesse d’être forte.

  L’autorité n’est pas le pouvoir à l’état brut même s’il est vrai que le rapport d’autorité interfère avec le rapport de force lorsque l’autorité est une autorité instituée.

  Elle est la capacité d’obtenir l’obéissance par d’autres moyens que la contrainte ou l’exhibition de la force. Il s’ensuit que l’ambition de tout pouvoir fût-ce le plus tyrannique est de revêtir le prestige de l’autorité pour s’exercer durablement et sereinement.

  

  • PB : Comment s’imposer à autrui, obtenir son obéissance sans qu’il soit besoin de faire usage de moyens de coercition ?

    A première vue la réponse est simple. Il faut que ceux qui sont soumis à ce pouvoir lui reconnaissent implicitement une légitimité. Une autorité est un pouvoir justifié par ceux sur lesquels il s’exerce. C’est dire que la distinction entre le pouvoir brut ou la violence et l’autorité se joue à l’étage du symbolique. Les hommes vivent dans un monde de significations et c’est toujours à des significations qu’ils réagissent.  Or si l’on observe notre monde, on s’aperçoit que ce qui fait autorité pour les uns, ne le fait pas pour les autres. D’où le nouveau problème :

 

  • PB : Qu’est-ce qui fonde la légitimité de ce qui est vécu comme autorité ?

  S’agit-il d’admettre que son assise se trouve dans la délibération collective, autrement dit qu’elle est un pouvoir qui se discute et tire son rayonnement de la force des arguments échangés dans l’espace public ? A l’évidence non, car  là où les hommes débattent de la loi, de la validité du pouvoir, la place de l’autorité est vide. Voilà pourquoi, il est important de rappeler avec Hannah Arendt que :

       «  Puisque l'autorité requiert toujours l'obéissance, on la prend souvent pour une forme de pouvoir ou de violence. Pourtant l’autorité exclut l'usage des moyens extérieurs de coercition ; là où la force est employée, l'autorité proprement dite a échoué. L’autorité d’autre part, est incompatible avec la persuasion qui présuppose l'égalité et opère par un processus d'argumentation. Là où on a recours à des arguments, l'autorité est laissée de côté. Face à l'ordre égalitaire de la persuasion, se tient l'ordre autoritaire, qui est toujours hiérarchique. S'il faut vraiment définir l'autorité, alors ce doit être en l'opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments. (La relation autoritaire entre celui qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison commune, ni sur le pouvoir de celui qui commande; ce qu'ils ont en commun, c'est la hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et où tous deux ont d'avance leur place fixée) » Ibid. p. 123.

      Il y a donc autorité là où une hiérarchie implicite est en jeu dans une relation. Tout se passe comme si, par sa médiation,  l’homme se sentait en présence de quelque chose de supérieur à lui, de quelque chose qui lui en impose, non pas en vertu d’une supériorité dans l’ordre des forces matérielles mais dans celui de la force spirituelle et morale. Toute la magie de l’autorité se condense dans l’écart séparant une force de contrainte supprimant la liberté de celui qui y est soumis, d’un foyer d’obligations l’impliquant. Il n’y a pas d’autorité sans rayonnement et ce rayonnement procède de sa manière, au-delà de celui qui en est investi, de relier l’homme à un ordre de supériorité.

     C’est dire que l’autorité engage le sentiment religieux, ce que connote aussi l’idée de hiérarchie puisqu’étymologiquement le mot signifie : le pouvoir du sacré (hieros). Par elle, l’homme se sent en rapport avec une dimension de l’existence lui adressant un appel venant d’en haut et bien qu’il éprouve des résistances à en honorer les exigences, il n’en discute pas le bien-fondé. La légitimité du pouvoir qu’elle confère lui vient donc d’une source extérieure et transcendante. Transcendance de la Valeur, transcendance du Vrai faisant signe dans celui qui semble en être le gardien et qui n’incline les autres à le suivre qu’autant qu’il en paraît être le garant. Il s’ensuit que l’autorité est d’essence spirituelle et morale ou n’est pas autorité, même dans le cas où ce qui l’incarne en est la caricature.

    Il n’est donc pas étonnant que Platon ait rêvé d’une véritable  autorité spirituelle et morale en lieu et place du pouvoir politique. Utopie bien sûr et utopie dangereuse que son projet d’une royauté philosophique, d’un gouvernement de la raison dépouillée de sa pesanteur terrestre, mais utopie témoignant que la source de l’autorité transcendant ceux qui l’exercent, il ne peut y avoir de pouvoir politique légitime que dans la soumission des gouvernants et des gouvernés à l’autorité d’un ordre supérieur de valeurs qui seul peut les unir et servir les fins supérieures de l’humanité.

   Aussi Hannah Arendt voit-elle juste lorsqu’elle écrit :  « un aspect de notre concept de l'autorité est d'origine platonicienne, et quand Platon commença d'envisager d'introduire l'autorité dans le maniement des affaires publiques de la polis, il savait qu'il cherchait une solution de rechange aussi bien à la méthode grecque ordinaire en matière de politique intérieure, qui était la persuasion,  qu'à la manière courante de régler les affaires étrangères, qui était la force et la violence » Ibid. p. 123

   De fait l’idée de philosophie pour Platon ne fait pas l’économie du principe d’autorité comme se plaisent à le croire tous ceux qui rabattent aujourd’hui la philosophie sur une pure sophistique. Philosopher n’a jamais consisté pour lui à débattre pour débattre, à argumenter ses opinions, à exercer indéfiniment l’esprit critique. Ce dont témoigne la déclaration emblématique du Socrate  platonicien (on sait qu’il en va tout autrement avec  le Socrate d’Hannah Arendt) , signifiant à Agathon que ce n’est pas à Socrate que ses interlocuteurs doivent céder mais à la vérité. (« C’est à la vérité, cher Agathon, que tu ne peux résister, car à Socrate, ce n’est pas difficile » Banquet, 201c). 

   Pour Platon comme pour d’autres grands philosophes, ce ne sont pas les volontés humaines qui décident des propriétés de la figure géométrique pas plus qu’elles ne sont l’arbitre du vrai, du juste, du bien ou du beau. Certes, les essences intelligibles ne se donnent pas à une approche sensible, il y faut l’effort dialectique mais au terme de l’ascension intellectuelle, les Idées sont ce qui s’offre à la contemplation, ce qui impose son évidence à une raison se déposant comme raison discursive pour s’accomplir comme raison intuitive. Manière de dire que vient un moment où l’esprit ne peut pas faire autre chose que s’incliner. Il se sent en présence d’une réalité  spirituelle et morale qui s’impose à lui, le contraint sans que cette contrainte soit synonyme de violence et sans qu’il puisse rendre raison par une argumentation de l’évidence du vrai ou de la valeur de la valeur qui lui sont ainsi révélées. La vérité qui saute aux yeux, la valeur qu’il découvre font autorité pour lui. Il les reconnaît dans leur caractère de transcendance tout en se  reconnaissant lui-même dans ce qui le transcende.

    C’est donc parce que pour Platon, seul est fondé à faire autorité, ce qui en droit incarne un ordre de supériorité spirituelle et morale qu’il a vu dans le philosophe-roi la solution aux maux de la cité. Solution aporétique, bien sûr, car la confusion de la morale et de la politique se paie toujours au prix fort de la terreur. « Qui veut faire l’ange fait la bête », disait Pascal. Mais l’utopie platonicienne trouve son sens dans le désir d’arracher le rapport humain à la loi de la terre pour l’augmenter dans une soumission consentie à la loi du ciel, loi transcendante et pourtant intérieure à l’esprit de chacun pourvu qu’il se déleste de ce qui lui en barre la révélation.

   De fait si les hommes pouvaient être unis dans une soumission naturelle  à l’autorité des Idées, c’en serait fini des maléfices de la violence et des désordres d’une cité livrée aux effets délétères de la rhétorique sophistique. Que peut-on espérer de mieux qu’un pouvoir judiciaire s’exerçant au nom de l’Idée transcendante, universelle et éternelle de justice, qu’un pouvoir pédagogique s’exerçant au nom de l’Idée adéquate de l’intérêt de l’enfant, qu’un pouvoir politique s’exerçant au nom de l’Idée droite de l’intérêt commun ? Peu importe le nom que l’on a donné à cette norme idéale des conduites humaines : loi naturelle ; loi divine, loi rationnelle, l’essentiel est de comprendre qu’elle est transcendante et que là où on ne reconnaît plus aucune transcendance, c’en est fini du rayonnement de l’autorité.

    Aussi ne faut-il pas s’étonner que l’expérience de l’autorité ne corresponde plus à aucun vécu pour les hommes de la société moderne. Ses conditions de possibilité ont disparu. On ne peut pas déboulonner les hiérarchies traditionnelles, retirer au religieux un rôle structurant de l’existence privée et sociale, subvertir la tradition sans conséquence pour l’autorité. Ce qui est patent dans l’ensemble des relations humaines. Quand la relation du père et de l’enfant, du maître et de l’élève, du juge et du justiciable, du  gouvernant et du gouverné se noue sur une ligne horizontale, l’un ne peut plus faire autorité pour l’autre. L’autorité est antinomique d’un monde caractérisé par l’égalisation des conditions (définition tocquevillienne de l’ordre démocratique), elle implique nécessairement que les rapports humains horizontaux s’établissent sur fond d’une verticalité, d’un lien à une source de pouvoir extérieure et transcendante.

   Or la modernité politique, philosophique s’est précisément employée à en saper le principe. Contre une longue tradition ayant établi un rapport d’extériorité entre la loi, la vérité, les valeurs et leur  fondement, la subversion moderne a consisté à se réapproprier le pouvoir de décider ce qu’il en est du vrai, du bien ou du beau. Exit l’idée qu’ils sont ce qui transcende l’arbitraire humain, ce qui s’impose à une âme déliée de ce qui l’aveugle et doit être la mesure des appréciations humaines. L’homme seul est la mesure de toutes choses et comme la pluralité est la loi de la terre, la relativité  des jugements est indépassable et donc la discussion, le seul principe des accords communs.

     L’autorité est donc chose du passé et on ne revient pas en arrière. Elle n’est même pas chose grecque car l’autorité des Idées n’a jamais eu et ne pourra jamais avoir de traduction politique. Là est la grande erreur de Platon. Le rapport philosophique de l’âme aux Idées n’est le fait que d’un petit nombre de personnes et la société est composée majoritairement de ceux qui n’ont pas d’yeux pour le suprasensible. La cité réelle n’est pas et ne peut pas être la cité philosophique rêvée par Platon. Ce qui signifie que le gouvernement des Idées est impuissant par essence à s’exercer par le rayonnement de l’autorité spirituelle et morale et si par malheur il se mêlait de politique son instrument serait la contrainte de la force publique  et accessoirement celle de la peur du châtiment divin.  Autant dire que  le philosophe-roi serait tragiquement conduit à la trahison en transformant ce qui, pour lui, a l’aura d’une autorité en pouvoir despotique pour les autres. Or on ne dira jamais assez combien l’autorité de la raison a tout à perdre lorsqu’elle cherche à s’imposer par d’autres voies que les siennes. Dès qu’elle se compromet avec l’usage de la force ou le recours aux mensonges mythiques, elle se corrompt. Péguy le souligne dans le texte que je donne à lire plus bas :

    « Toutes les fois qu'on entend mêler l'usage de la raison à l'usage de la force, il y a contamination de la raison par la force et nullement épuration de la force par la raison; la raison prétend se poser toute, être pure, ou ne se poser pas. En réalité, et je vais plus loin, peut-être les usages communs de la force et de la raison, même quand c'est la vraie raison, sont-ils beaucoup plus dangereux pour la raison et pour la liberté que les autorités de commandement qui se prétendent nettement des autorités de commandement. ».

    Et Kant, que cite Hannah Arendt, avait déjà répondu à Platon : « Il ne faut pas s’attendre que les rois philosophent ou que des philosophes deviennent rois, et il ne faut pas non plus le désirer, parce que la possession du pouvoir corrompt inévitablement le libre jugement de la raison » Vers la paix perpétuelle, 2ème section, 2ème  supplément.

     Alors si elle n’a pas été chose grecque, quel est le monde qui nous renseigne le mieux sur l’idée d’autorité ?

    Hannah Arendt établit que c’est le contexte romain. 

   « Au cœur de la politique romaine, depuis le début de la république jusqu’à la fin de l’ère impériale, se tient la conviction du caractère sacré de la fondation, au sens où une fois que quelque chose a été fondé il demeure une obligation pour toutes les générations futures. S’engager dans la politique voulait dire d’abord et avant tout conserver la fondation de la cité de Rome. […]

    Ici religion voulait dire littéralement  re-ligare : être lié en arrière, obligé à l’effort énorme, presque surhumain et par conséquent toujours légendaire pour poser les fondations, édifier la pierre d’angle, fonder pour l’éternité. […] Le pouvoir de la fondation elle-même était religieux […]

  C'est dans ce contexte que sont originellement apparus le mot et le concept d'autorité. Le mot auctoritas dérive du verbe augere, « augmenter », et ce que l'autorité ou ceux qui commandent augmentent constamment: c'est la fondation. Les hommes dotés d'autorité étaient les anciens, le Sénat ou les patres, qui l'avaient obtenue par héritage et par transmission de ceux qui avaient posé les fondations pour toutes les choses à venir, les ancêtres, que les Romains appelaient pour cette raison les maiores. L'autorité des vivants était toujours dérivée, dépendante des auctores imperii Romani conditoresque, selon la formule de Pline, de l'autorité des fondateurs, qui n'étaient plus parmi les vivants. L'autorité, au contraire du pouvoir (potestas), avait ses racines dans le passé, mais ce passé n'était pas moins présent dans la vie réelle de la cité que le pouvoir et la force des vivants. Moribus antiquis res stat Romana virisque, (la puissance de Rome repose sur l’antiquité de ses mœurs et sur la vaillance de ses hommes) selon les mots d'Ennius.

   Pour comprendre plus concrètement ce que voulait dire le fait de détenir l'autorité, il n'est pas inutile de remarquer que le mot auctores peut être utilisé comme le contraire de artifices, qui désigne les constructeurs et fabricateurs effectifs, et cela précisément quand le mot auctor signifie la même chose que notre « auteur », Qui, demande Pline à propos d'un nouveau théâtre, faut-il admirer le plus, le constructeur ou l'auteur, l'inventeur ou l'invention? - voulant dire, bien sûr, le dernier dans les deux cas. L'auteur dans ce cas n'est pas le constructeur mais celui qui a inspiré toute l'entreprise et dont l'esprit, par conséquent, bien plus que l'esprit du constructeur effectif, est représenté dans la construction elle-même. A la différence de l'artifex, qui l'a seulement faite, il est le véritable « auteur» de la construction, à savoir son fondateur; avec elle il est devenu un« augmentateur » de la cité. 

   Pourtant la relation entre auctor et artifex n'est aucunement la relation (platonicienne) entre le maître qui donne des ordres et le serviteur qui les exécute. La caractéristique la plus frappante de ceux qui sont en autorité est qu'ils n'ont pas de pouvoir. Cum potestas in populo auctoritas in senatu sit, «tandis que le pouvoir réside dans le peuple, l'autorité appartient au Sénat (Cicéron, De Legibus, 3, 12, 38)  »,

  Parce que l' « autorité », l'augmentation que le Sénat doit ajouter aux décisions politiques, n'est pas le pouvoir, elle nous paraît curieusement insaisissable et intangible, ayant à cet égard une ressemblance frappante avec la branche judiciaire du gouvernement de Montesquieu, dont il disait la puissance « en quelque façon nulle (Esprit des Lois, livre XI, § VI) », et qui constitue néanmoins la plus haute autorité dans les gouvernements constitutionnels. Mommsen l'appelait « plus qu’un conseil et moins qu’un ordre, un avis auquel on ne peut passer outre sans dommage » ; cela signifie que « la volonté et les actions du peuple sont comme celles des enfants, exposées à l’erreur et aux fautes et demandent donc une « augmentation » et une confirmation de la part du conseil des anciens ».  Le caractère autoritaire de l’ « augmentation » des anciens se trouve dans le fait qu’il est un simple avis, qui n’a pas besoin pour se faire entendre ni de prendre la forme d’un ordre, ni de recourir à la contrainte extérieure. » Ibid. p.158 à 162.

 

Conclusion :

    L’autorité, dans sa positivité vécue,  renvoie à un monde qui n’existe plus. Elle était liée au fait religieux et à la consistance d’une tradition. Nous avons rompu avec l’un et l’autre. Ce qui reste de l’autorité n’est que le pâle écho d’une expérience appartenant au passé. Nous continuons à parler d’autorité judiciaire, d’autorité pédagogique ou politique mais dans la mesure où nous devons la fonder ailleurs que dans un principe transcendant, elle est en grande partie désubstantialisée. Ce qui signifie qu’elle n’est vécue que comme un pouvoir discutable et inlassablement discuté.

   Comme le montre Max Weber, là où l’autorité n’est plus fondée sur la tradition, elle l’est sur le charisme d’une personne ou sur un statut de légalité institué par le corps politique. Or les statuts ont la faiblesse d’être relatifs à l’arbitraire des volontés collectives, et le charisme des personnes dépend moins de leur capacité d’interpeller ce que les hommes ont de meilleur que ce qu’ils ont de pire. Staline, Hitler ont été des chefs charismatiques alors que « tant que le monde est monde, le Christ est en croix et Socrate boit la ciguë  (Roger Bastide) ».

   Constatation invitant à clore cette réflexion par l’énoncé des problèmes suivants :

 

  •  Peut-il exister dans les faits une autorité légitime ?

 Il est permis d’en douter si l’on se souvient de l’avertissement de Kant : « l’homme est un animal qui, lorsqu’il vit parmi d’autres membres de son espèce, a besoin d’un maître. […] Mais où prendra-t-il ce maître ? Nulle part ailleurs que dans l’espèce humaine. Or ce sera lui aussi un animal qui a besoin d’un maître. De quelque façon qu’on s’y prenne, on ne voit pas comment, pour établir la justice publique, il pourrait se trouver un chef qui soit lui-même juste, et cela qu’il le cherche dans une personne unique ou dans un groupe composé d’un certain nombre de personnes choisies à cet effet » Sixième proposition, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique.

 

  • Comment éviter que les peuples confèrent le prestige de l’autorité à des personnes ou à des pouvoirs faisant moins œuvre créatrice qu’œuvre destructrice ?

     La réflexion philosophique a toujours trouvé dans ces apories ses limites. Elle peut expliquer pourquoi, l’autorité ne peut pas être en fait ce qu’elle est en droit. Et aussi pourquoi les peuples ont tendance à reconnaître la valeur d’une autorité à ce qui en est la caricature.

   Elle ne peut pas apporter des solutions concrètes aux problèmes qu’elle sait éclairer. D’où sa tentation de se tirer d’affaire par le rêve utopique mais il tourne souvent au cauchemar.

   Elle paraît plus crédible lorsqu’elle affirme que la solution du problème se trouve dans la pédagogie (le traité politique de Platon, La république, est d’abord et avant tout un traité de pédagogie) mais peut-on éduquer, au sens grec et romain de former à la vertu, dans un monde déserté par le principe d’autorité ?  La réponse, me semble-t-il, va de soi. C’est une mission ne pouvant avoir de sens que pour un petit nombre de personnes. Pour le grand nombre, c'est mission impossible car proprement inintelligible.

 

 

Textes :

 

Charles Péguy : autorité de compétence et autorité de commandement.

 

   « Je crois que nous serons tous d'accord sur ce que la distinction capitale entre l'autorité de commandement et l'autorité de compétence est que  l'autorité de commandement n'est pas fondée sur la raison et que l'autorité de compétence est fondée sur la raison. Naturellement il resterait à définir  ce qui tient dans un mot aussi riche de sens accumulés que le mot «  raison »,  mais, sommairement et pour l'usage que nous aurions à faire de ce mot, par exemple pour ce que je vous disais des discours et de la désarticulation, de  la précipitation des discours, l'autorité de commandement est une autorité où la raison n'est pas, ne réside pas, qui ne s'exerce pas au nom de la raison et l'autorité de compétence est une autorité qui s'exerce au nom de la raison, qui tient de la raison. Cette distinction demeure d'ailleurs, quelle que soit la forme sous laquelle apparaisse ou n'apparaisse pas la raison. Une autorité est une autorité de commandement, quelle que soit la  forme de la force, irrationnelle, déraisonnable, que ce soit l'autorité de guerre, l'autorité d'un seul, ou l'autorité de plusieurs, ou l'autorité de tous fonctionnant par la voix des majorités, par les surprises des majorités ou par les incompétences des majorités; il n'y a aucune différence absolument entre ces différentes autorités de commandement à l'égard de la raison, à l'égard de la liberté, elles sont exactement la même.

 Je veux noter encore un point un peu particulier. Non seulement toutes les autorités de commandement, qu'elles s'appuient sur la force des armées, qu'elles s'appuient sur des forces économiques, par exemple sur un affamement plus ou moins savant, sur un boycottage, qu'elles s’appuient sur des sanctions d'appareils juridiques, sur des lois de majorités par exemple, non seulement au regard de la raison, elles ne valent pas plus l'une que l'autre, mais toutes les fois qu'on entend mêler l'autorité de compétence à l'autorité de commandement, toutes les fois qu'on entend mêler l'usage de la raison à l'usage de la force, ce n'est nullement la force qui est ennoblie par sa communication avec la raison, c'est au contraire la raison qui est avilie par sa promiscuité avec la force.

   Je prends un exemple qui s'applique à la plupart des pédagogies.  On élève des enfants, on veut leur faire croire, ce qui est difficile et mensonger, qu'on n'est pas les plus forts. On ne fait appel qu'à la raison, on les traite comme des personnes pures. A un moment cela ne marche pas. A ce moment la sanction réapparaît, que ce soit un pensum ou ...

   Toutes les fois qu'on entend mêler l'usage de la raison à l'usage de la force, il y a contamination de la raison par la force et nullement épuration de la force par la raison; la raison prétend se poser toute, être pure, ou ne se poser pas. En réalité, et je vais plus loin, peut-être les usages communs de la force et de la raison, même quand c'est la vraie raison, sont-ils beaucoup plus dangereux pour la raison et pour la liberté que les autorités de commandement qui se prétendent nettement des autorités de commandement. Si vous lisez dans les journaux tout ce qu'on dit de la société moderne, vous n'ignorez pas qu'il y a une religion de la société moderne ;  oubliant que ces sociétés bourgeoises sont fondées sur l'injustice économique, beaucoup les présentent comme ayant des vertus premières et  indiscutables. La plupart des raisonnements qu'on tient sont des raisonnements où la raison qui s'enseigne dans les leçons est contaminée par la raison économique qui s'enseigne dans les ateliers. » (1904)

               Péguy, Notes de la page 1292. La Pléiade, t. I, p. 1816.

 

 

Roger Caillois : commentaire des fondements de l’autorité selon Weber.

 

   « TOUT pouvoir est une magie réelle, si l’on appelle magie la possibilité de produire des effets sans contact ni agent, en provoquant pour ainsi dite une parfaite et immédiate docilité des choses. Or les choses ne sont pas dociles, il faut des forces pour les mouvoir et, pour ces forces, des points d’application. Aussi l’incantation du sorcier demeure-t-elle inoffensive, s’il n’y ajoute pas quelque manœuvre plus sûre. Mais les hommes sont plus obéissants que les choses : on peut beaucoup obtenir d’eux par des paroles ou par des signes. Il n’est pas d’expérience plus courante. La magie, c’est l’idée qu’on peut commander aux choses comme aux êtres.

   […] Il n’y a pas de pouvoir entièrement fondé sur la contrainte : le consentement est toujours le principal. Qu’est-ce qui arrête au carrefour la file des automobiles quand l’agent lève son bâton blanc? Certainement pas la force physique de l’agent. Quelque obscur raisonnement sur la nécessité que la circulation soit réglementée? C’est en effet là qu’on en arriverait si tous les conducteurs étaient des philosophes. Mais combien sont-ils qui ont réfléchi au problème et qui ont décidé après délibération de se conformer aux injonctions des agents ? Non, ils obéissent d’instinct au plus faible, mais qui détient l’autorité.

  Telle est l’image de tout pouvoir. On imagine parfois qu’il existe des despotes qui maintiennent leurs peuples en respect avec des mitrailleuses et qui forcent chacun à s’acquitter de sa tâche particulière sous la menace du fusil. Ce n’est finalement qu’une commodité, qu’une simplification de l’esprit. En fait, les mitrailleuses ne jouent jamais si grand tôle. Elles ont rarement l’occasion d’entrer en action. En outre, il est douteux qu’elles puissent obliger une multitude au travail. Elles peuvent seulement tuer beaucoup de monde. Aussi, ce ne sont pas tellement les mitrailleuses qui comptent, c’est plutôt l’idée des mitrailleuses. Et encore plus l’idée qu’elles sont au service du gouvernement. Je ne demande rien de plus: je veux seulement donner à penser qu’en toute relation de pouvoir, l’idée compte plus que la force. Sans cela, d’ailleurs, le pouvoir appartiendrait aux hommes qui manœuvrent les mitrailleuses, non aux officiers qui les commandent, encore moins à celui de qui ces officiers prennent les ordres et qui a généralement les mains nues.

   Certains pacifistes se persuadent d’une manière encore plus étrange que la majorité des gens vont à la guerre contraints et forcés, sous la surveillance de gendarmes qui ont, ou peu s’en faut, le revolver au poing. Pourtant il est clair que les soldats sont plus nombreux et mieux armés que la police, laquelle est en tout cas moins redoutable que l’ennemi. Pour qui ne veut pas se battre ou se battre le moins possible, le choix ne semble pas douteux. Mais les gendarmes représentent l’autorité. D’ailleurs il ne parait pas qu’il soit besoin de recourir à ces moyens extrêmes pour mobiliser un peuple. Le pouvoir s’exerce auparavant, et par un simple imprimé. Si les pacifistes sont tentés par la fable des gendarmes, c’est justement qu’ils se refusent à imaginer que les gens acceptent d’aller risquer de se faire tuer et essayer de tuer autrui sur la décision d’une douzaine et demie de personnages solennels assis autour d’une table. Ils s’expriment ainsi pour discréditer le pouvoir et rendre les choses incompréhensibles. Car ces personnages ne sont pas n’importe lesquels. Ils sont le gouvernement, c’est-à-dire précisément ce pouvoir qu’il convient d’expliquer.

   Il reste qu’une déclaration de guerre, une mobilisation générale et l’obéissance unanime de millions d’hommes à de tels ordres, qui mettent leur vie en jeu, fournissent en effet une des plus claires démonstrations de l’apparence ou, peut-être, de la réalité magique du pouvoir, suivant qu’on colore ou non l’adjectif de cette nuance surnaturelle dont ma définition s’efforce de le priver.

   Les sources et par conséquent les formes du pouvoir sont multiples. Depuis Max Weber, on les range sous trois rubriques principales, le pouvoir légitime, le pouvoir fonctionnel, le pouvoir charismatique. Le premier s’appuie sur une tradition. La naissance y destine. C’est le pouvoir des dynasties de souverains. Un prestige irrationnel y est attaché. La personne du prince est tenue pour sacrée. Il ne doit de compte à personne. Il règne par la grâce de Dieu. Sa majesté le protège de toute atteinte. Ce type, qui souffre des variantes nombreuses et des restrictions souvent considérables, correspond à une société qui se présente comme une communauté organique. Elle se considère un peu comme une grande famille et admet en conséquence une sorte d’autorité paternelle.

   La seconde espèce de pouvoir est attachée à la fonction. Celle-ci est définie par la loi, ainsi que ses prérogatives, ses devoirs et ses limites. En principe, elle est occupée par le plus compétent, par celui en qui ses concitoyens reconnaissent les plus remarquables aptitudes de direction. On constate un tel pouvoir dans les sociétés de type contractuel, c’est-à-dire dans celles qui se définissent par l’échange des prestations et l’unité des intérêts: le pouvoir s’y confond avec l’administration du bien public, II est confié pour un temps limité à des fonctionnaires responsables et contrôlés.

   Au contraire, le pouvoir charismatique est attaché à la personne du chef. Sa puissance n’est soumise à aucun contrôle. Elle lui vient de la faveur populaire et ne repose que sur la fascination qu’il exerce. Elu par acclamations, il prospère par l’enthousiasme qu’il entretient chez ses fidèles. Il commande arbitrairement et passe pour incarner les destinées du groupe, dont il apparaît comme le répondant mystique. Ce genre de pouvoir est caractéristique d’une société en mouvement, c’est-à-dire d’une association d’hommes réunis par une ambition identique dans la poursuite d’une entreprise commune. Ils voient dans leur conducteur à la fois l’instrument de la providence et une garantie de réussite. Aussi celui-ci se présente-t-il presque obligatoirement comme un chef de guerre, un conquérant ou un prophète. C’est en premier lieu un entraîneur d’hommes.

   Ni la mentalité, ni la complexité des sociétés modernes ne semble admettre un pouvoir de cette sorte. En général, les deux premières espèces de puissance se partagent leur gouvernement. Dans presque toutes, l’une et l’autre se combinent en proportions variables, où parfois le type traditionnel l’emporte et parfois le type fonctionnel. Jusque dans la guerre et dans la religion, il en est ainsi : le pouvoir des généraux ou des évêques dépend entièrement de leurs fonctions, nullement de leur popularité. Le pouvoir charismatique paraît à peu près éliminé. On le dirait plutôt un souvenir des premiers âges de l’humanité. Il ressuscite de loin en loin avec un grand bruit d’armes et dans un grand déploiement de violence pour produire sur la scène de l’histoire un fondateur de religion comme Mahomet ou un meneur de hordes comme Gengis-Khan. Pourtant, un examen plus attentif montre que, s’il affecte des formes plus modestes, il n’a nullement disparu. Il joue notamment un rôle appréciable dans la vie des partis, où le prestige personnel des chefs n’est pas sans influence. Mais, quand ils parviennent au gouvernement, la coutume veut qu’ils s’assagissent, c’est-à-dire que les nécessités du pouvoir fonctionnel remplacent pour eux les élans du pouvoir charismatique [..]»

   Roger Caillois. Le pouvoir charismatique, Adolphe Hitler comme idole dans Quatre essais de sociologie contemporaine, 1951, Olivier Perrin éditeur

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18 Réponses à “Qu’est-ce que l’autorité?”

  1. ASSOUKOU Jean-Philippe dit :

    Bonjour Madame
    Votre analyse de l’autorité est judicieuse car à la fois actuelle et inactuelle (au sens heideggérien du terme). En même temps, comme vous l’avez indiqué par moments, il ya une véritable crise de l’autorité dans tous les domaines et partout dans le monde de sorte que, ceux qui en ont un peu en abusent et ceux qui en manquent cherchent à la défier ou à la dérober. La conséquence, c’est que en politique par exemple (En Afrique surtout), cela nous conduit à des rébellions et à des guerres interminables puisque l’autorité est bafouée et « illégitimée ». En « pédagogie » comme vous dites -pour parler du milieu scolaire- le problème de la crise de l’autorité se pose encore plus viscéralement chez nous en Afrique en tout cas pour plusieurs raisons que pourrai vous expliquer plus tard. Le texte de Charles Péguy que vous nous proposez est plus que parlant; il dépeint la situation dans son ipséité car l’autorité ne marche pas toujours… « A un moment, cela ne marche pas » dit l’auteur pour parler seulement de l’enfant qu’on éduque à l’école. Je pourrai ajouter à la maison aussi, et plus loin, le peuple lui-même. Peut-être faut-il associer, pour tenter de résoudre le problème, Montesquieu et Machiavel.
    Philosophiquement.

  2. bouyges dit :

    « Aussi ne faut-il pas s’étonner que l’expérience de l’autorité ne corresponde plus à aucun vécu pour les hommes de la société moderne. Ses conditions de possibilité ont disparu. On ne peut pas déboulonner les hiérarchies traditionnelles, retirer au religieux un rôle structurant de l’existence privée et sociale, subvertir la tradition sans conséquence pour l’autorité. Ce qui est patent dans l’ensemble des relations humaines. Quand la relation du père et de l’enfant, du maître et de l’élève, du juge et du justiciable, du gouvernant et du gouverné se noue sur une ligne horizontale, l’un ne peut plus faire autorité pour l’autre.  »

    Cette phrase n’est-elle pas un tantinet exagérée ? l’autorité peut s’apprécier à travers les catégories de domination de Max Weber : traditionnelle , légale , charismatique. Il me semble que ces trois types d’autorité subsistent bien aujourd’hui. Où voyez vous que le juge et le justiciable sont sur une ligne horizontale ?

  3. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il appartient sans doute à l’essence de l’autorité d’être en crise mais je crois que partout, et pas seulement en Afrique, ses conditions culturelles ont été laminées.
    Nous devons construire notre être-ensemble sur d’autres fondements que ceux qui lui donnaient une substance. Cela me semble vrai dans tous les domaines.
    Je termine mon petit rappel de la dimension spirituelle et morale de l’autorité par l’évocation de l’analyse de Weber et très rapidement, je suggère la faiblesse de son support légal.
    Ainsi ce n’est pas parce que les conventions légales placent le professeur ou le juge sur une estrade, pour parler métaphoriquement, qu’ils font autorité, au sens précis du terme, aux yeux des élèves ou des justiciables. Pour la plupart (cf. les films: entre les murs, polisse, délits flagrants etc.) le rapport se noue moralement sur une ligne horizontale.
    En témoigne l’éloquence de la formule en vogue: « convaincre plutôt que contraindre ». N’est-elle pas l’aveu de la faillite de l’autorité et du souci de fonder le pouvoir conféré sur le dialogue, l’argumentation?
    Je précise que mon analyse est exempte de nostalgie. Ce n’est pas le philosophe qui va regretter une époque où l’idéal de l’autonomie morale et spirituelle n’avait pas de traduction politique. Reste que l’aporie kantienne est incontournable: comment développer l’aptitude à l’autonomie par la contrainte (car là où l’autorité s’est absentée ne demeure que le pouvoir brut) chez les enfants (aporie de la pédagogie); comment les citoyens peuvent-ils ne pas se sentir tyrannisés par la loi, s’ils n’en saisissent pas la légitimité (aporie du politique et du juridique) ?
    Bien à vous.

  4. Frédéric dit :

    Il me semble que nous heurtons là à un problème qui nous ramène à considérer deux vertus complémentaires à savoir la justice et la clémence.
    Trop de justice c’est-à-dire appliquée à la lettre conduit à l’autoritarisme, trop de clémence au laxisme.
    Alors s’il est exact que la justice n’est pas de ce monde la clémence en revanche fait partie de notre héritage ontologique lié à notre finitude. Ceci étant dit comment ne pas tomber dans les excès de ces deux « vertus » peut être en appliquant une autorité mesurée assortie d’une subjectivité la plus réduite possible.
    Le manque d’autorité conduit à des injustices qui elles mêmes conduisent à des excès générateurs de réactions extrêmes, le laxisme quant lui génère un fascisme latent dans la société ce qui semble être le cas actuellement en France. Il faut remettre au goût du jour des choses simples « qui aime bien châtie bien » user d’autorité est devenue une honte, comment en sommes nous arriver au constat d’une école en pleine déliquessence ? d’une justice qui part du principe que l’homme est bon et que c’est la société qui le corromp impliquant que l’agresseur a autant voire plus de droit que l’agressé ?
    Je crois qu’il faut faire acte de justice au sens vetero testamentaire d’en certains cas, et aussi être clément au sens néo testamentaire pour d’autres cas. Pour conclure faire acte d’autorité cela peut permettre d’éviter le choix entre justice et clémence.

  5. Simone MANON dit :

    Merci pour votre contribution Frédéric
    Je ne suis pas sûre de comprendre ce que signifie « trop de justice ».
    La crise contemporaine de l’autorité n’est-elle pas liée au relativisme des valeurs, au nihilisme ambiants qui font que l’idée même de justice, dès qu’on essaie de lui donner un contenu, a cessé de faire consensus? Otage des combats idéologiques, elle est indéfiniment discutée, or ce qui est discuté ne peut pas vraiment faire autorité.
    Bien à vous.

  6. […] » Qu’est-ce que l’autorité? […]

  7. […] » Qu’est-ce que l’autorité? La rumeur du monde bruisse d’un certain désaveu de la politique de l’enfant-roi. […]

  8. karen Derrida dit :

    Bonjour,

    tout d’abord un grand bravo et merci pour la qualité de ce blog et aussi pour la réactivité et la précision de vos réponses.
    J’avais envie de vous interroger, aussi bien sur ce remarquable article que sur le non moins remarquable consacré à la morale ouverte/close.
    J’avais en fait la même interrogation, survenue à chaque fois après la lecture de vos ouvertures finales sur l’enjeu actuel des questions.
    Je voulais donc vous demander si les figures modernes suivantes – Gandhi, Luther King, Mandela, Rabin – pouvaient représenter selon vous des contre exemples ou exceptions au fait que :
    – ils ont représenté (et représentent sans doute encore aujourd’hui) une figure/référence d’autorité au sens traditionnel du terme (ce serait donc encore possible ?)
    – et peut être même au sens bergsonien (cf les figures de saints et représentants de la morale ouverte) en ce sens que leur seule présence, leur être profond pourrait on dire au delà même de leurs discours (ce qu’ils étaient/leurs façons d’être, leurs vocation pacificatrice, leurs actes, tout autant que leurs paroles) représentait une autorité en droit autant qu’en fait, leur conférant un pouvoir certain sur les hommes, pouvoir reconnu/consenti par ces derniers (une partie d’entre eux certes mais suffisamment nombreuse pour compter )
    – ce qui explique sans doute aussi qu’ils aient été assassinés…
    Qu’en pensez-vous ? Bien à vous,

  9. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Merci pour votre appréciation positive de mon site.
    Les hommes modernes ne sont pas oublieux de leur dimension spirituelle et morale au point de ne pas en identifier l’écho dans des personnes de haute tenue morale. Mais:
    -je remarque que la notion de héros est proprement galvaudée. On voit des héros partout et je ne me souviens plus quel était le dissident soviétique (se voyant qualifié de héros par les journalistes à l’aéroport) qui déplorait, à juste titre, que dans le monde libre, il y avait beaucoup de héros et peu d’hommes.
    -je remarque aussi que l’aura de ces grands hommes a tôt fait de s’estomper dès qu’ils disparaissent. Cela me rappelle l’aveu d’Alcibiade confessant ressentir de la honte en présence de Socrate, une honte se dissipant aussitôt qu’il lui avait tourné le dos.
    Socrate savait bien que sans une parole vivante exhortant inlassablement les hommes à déployer le meilleur d’eux-mêmes, c’est le médiocre ou le pire qui triomphe. Il parlait de la petite musique de l’âme que sa parole savait faire entendre et invitait ses disciples à reprendre le flambeau. Mais cette musique là est certainement inaudible dans le bruit ambiant et la vulgarité médiatique.
    Bien à vous.

  10. Louise dit :

    Bonjour,
    Est ce que quelqu’un saurait me dire qu’elles sont les trois grandes idées qui se dégagent cet essai de Hannah Arendt « qu’est-ce que l’autorité » ainsi que les grandes lignes d’une réflexion sur la notion d’autorité et la position d’Arendt à ce sujet ?
    Biens à vous.

  11. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Votre demande ne fait qu’exhiber votre paresse et votre indécence. Prétendre parler d’un auteur que l’on n’a jamais lu est une grande imposture. La première chose que vous avez à faire est de lire cet article d’Hannah Arendt qui n’est pas long.
    Souvenez-vous que la culture d’emprunt est une absence de culture. Celle-ci consiste toujours à boire dans le creux de sa main, disait Alain, et, en chaque domaine, à remonter à la source.
    Puissiez-vous prendre conscience de ce que j’essaie ici de vous faire comprendre.
    Bien à vous.

  12. […] » Qu’est-ce que l’autorité? La rumeur du monde bruisse d’un certain désaveu de la politique de l’enfant-roi. L’heure est à l’émergence des « mamans tigres » si l’on en croit le débat ouvert en Amérique par la publication du livre d’Amy Chua : Hymne guerrier d’une maman tigre (Battle Hymn of the Tiger Mother, Penguin). Elle est donc à la redécouverte des vertus de l’autorité, en pédagogie semble-t-il plus qu’en politique. Et parce que sous le beau mot d’autorité, on peint ce qui en est la négation absolue, (discipline militaire, mobilisation de punitions sévères, la plus grotesque étant quatre ans d’anniversaire supprimés), il m’a paru intéressant de proposer ce modeste rappel des significations. […]

  13. Alexandre dit :

    Bonjour,
    Je ne suis pas certain de saisir comment l’autorité peut à la fois être acceptée par ceux auxquels elle s’applique et, en même temps, « incompatible avec la persuasion ». La reconnaissance de la légitimité d’une personne ou d’une institution n’implique-t-elle pas nécessairement d’être persuadé de son bien-fondé ? Ou alors s’agit-il de dire que la légitimité d’une autorité lui est accordée, par ceux qui s’y soumettent, une bonne fois pour toute et qu’ensuite ses décisions ne font plus l’objet d’aucune délibération ?
    Je pense, par exemple, à l’autorité du professeur sur ses élèves, prise en exemple par Arendt, qui s’exerce (ou s’exerçait) au quotidien sur l’enfant sans délibération mais qui, in fine, est fondée, pour la paraphraser, sur la dépendance des enfants et la nécessité d’assurer la continuité de la civilisation. Dès lors, elle ne me semble pas résulter pas d’une hiérarchie première et indémontrable entre le professeur et l’élève mais d’une idée acceptée par tous.
    En ce sens, ne pourrait-on pas parler d’autorité démocratique dans le cas où les lois sont respectées par les citoyens non pas parce qu’ils souscrivent aux règles particulières que chacune énonce mais parce qu’ils adhèrent au principe démocratique qui régit leur mode d’élaboration ?
    Je vous prie par avance de m’excuser si la réponse se trouve dans un passage de votre article que je n’aurais pas bien lu.
    Bien à vous.

  14. Simone MANON dit :

    Bonjour
    La légitimité d’une instance qui fonctionne comme une autorité pour ceux qui la vivent comme telle ne s’argumente pas. Elle s’impose d’elle-même d’en haut en vertu d’une aura spirituelle et morale témoignant que les deux termes de la relation coexistent dans un rapport hiérarchique.
    Si par « être persuadé » de cette légitimité, vous entendez que la personne soumise à cette autorité consent à son rayonnement par un assentiment intime, vous avez raison. Mais on n’a pas besoin pour cela de la persuader qu’elle est en présence d’une autorité. Si c’était le cas, s’il fallait que le maître d’école se justifie par des arguments aux yeux de son élève, cela signifierait précisément qu’il manque d’autorité. Votre difficulté de compréhension procède sans doute de cette confusion des deux usages du mot « persuadé ».
    Toute procédure de persuasion entre des individus indique que ceux-ci ne sont pas dans un rapport hiérarchique et par conséquent que l’un ne fonctionne pas pour l’autre comme une autorité. Il est un égal dont je discute les décisions ou le pouvoir, ceux-ci pouvant toujours être remis en cause dès lors que les arguments avancés ont moins de force persuasive.
    L’ordre démocratique est un ordre qui déstabilise par principe la tradition, le sens du sacré, toute forme de hiérarchie. Par voie de conséquence il désubstantialise toute forme d’autorité, ce qui fait sa fragilité. Il suppose pour être viable des citoyens raisonnables et responsables capables de comprendre la nécessité des lois afin de se soumettre à elles alors même qu’elles ne jouissent pas du prestige du sacré.https://www.philolog.fr/lesprit-democratique-des-lois-dominique-schnapper/
    Bien à vous.

  15. Grégory Massé dit :

    Bonjour, Madame Manon
    J’ai entrepris depuis environ 6 mois, de lire, et accessoirement de comprendre, l’ensemble des articles de votre site, ainsi que les commentaires.

    Vous comprendrez aisément, vu l’intérêt que je vous porte, que je m’associe aux nombreuses éloges qui vous sont faites.

    Je vous signale aussi que ce qui m’a amené à découvrir Philolog est le fait que j’ai été votre élève (bachelier C en 1992 ) mais cela, c’est une autre histoire : j’aurais souhaité vous écrire à titre personnel à ce sujet.

    Au fil des lectures sur votre site, j’ai relevé deux points qui m’ont interrogé sur vos partis pris, au delà de l’objectivité dont vous faites preuve dans 99% de vos écrits, objectivité revendiquée par rapport au projet que vous vous êtes fixé, qui fait en plus votre oeuvre officiellement, si je ne m’abuse, depuis que votre site est hébergé par la BNF. Je suis un grand admirateur de cette œuvre et en tant que tel, je m’autorise à déceler dans les écrits des éléments qui permettraient un jour, à un écrivain plus digne que moi, d’entreprendre une hagiographie : Simone Manon, sa vie, son œuvre.

    Avant d’aborder les deux points, je trouve qu’il est important quand on a un interlocuteur, de savoir d’où il parle. Je ne suis pas qu’un ancien élève. Je suis un collègue de mathématiques et j’exerce dans un collège en Rep+. (cela oriente mon choix de publier mon commentaire sous un article traitant de l’autorité)

    Ma première interrogation porte sur vos propos sur la délation. J’ai eu l’impression que vous en faisiez un principe catégorique et qu’en tant que tel, vous vous exposiez à des critiques aussi fondées à mon sens, que celles qui ont été faites à Kant sur le mensonge ou sur la loi du Talion qui l’amène à justifier la peine de mort. Du coup, j’ai du mal à vous suivre, à l’épreuve de certains faits. Pour moi, un Julian Assange reste quelqu’un d’admirable, courageux, dont on ne connaissait certes pas les intentions cachées mais qui, a été d’une grande utilité pour la compréhension de notre époque et de la démocratie américaine. Il a agi ! Cela honorerait les institutions américaines d’abandonner toute charge à son égard.
    L’autre exemple qui me touche d’un peu plus prêt, c’est l’Omerta. Je n’ai aucune admiration, à la manière d’un Scorsese, pour les supposées valeurs véhiculées par les mafia. Ce qui me touche de plus près, c’est que je suis en passe de devenir référent dans mon établissement contre le harcèlement scolaire. Et là, la question me pose un problème éthique. Si je veux être efficace dans mon rôle, je vais devoir être conséquentialiste. Cette efficacité est d’un enjeu capital : rien ne peut justifier qu’un enfant de 11 ans en arrive à se suicider. Je dois pour cela, encourager la dénonciation, et être attentif aux alertes qui me sont données, même anonymes. Pour arriver à faire ressortir des faits, je devrai peut-être user de la manipulation et aller à l’encontre même de ma déontologie d’enseignant même s’il est vrai que la mission qui m’est confiée n’est plus celle d’un professeur. J’aurais bien voulu savoir ce que Simone Manon en pense.

    L’autre interrogation porte sur la vision pessimiste que vous essaimez, au grès de vos commentaires sur l’école, égratignant au passage le corps enseignant. Je vous suis jusqu’à un certain point. Je me désole comme vous de constater que les lumières sont éteintes en salle des profs. C’est le règne de l’opinion qui y demeure, des jugements à l’emporte pièce, sans nuance, ou de l’indifférence sur les enjeux politiques ou intellectuels de notre modernité alors que nous sommes au cœur de ces enjeux. Nous voulons former des citoyens éclairés mais nos élèves ne pourront pas nous prendre en exemple. Nous avons des exigences envers eux dont nous nous dispensons. En définitive, l’absence de pensée théorisée par Hannah Arendt laisse entrevoir la pire des issues.

    Pour autant, je me refuse à m’enfermer dans une bulle, pessimiste, élitiste et désabusée qui surplomberait tout ce beau monde, d’un regard condescendant. Je veux lutter contre l’entre soi, fusse-t-il intellectuel et éclairé, d’autant plus que le dévouement pour les élèves et le professionnalisme reste la norme. Je ne peux pas m’en tenir là. Il arrive un moment où il faut bien redescendre dans la caverne, car, quand le choix n’est plus qu’entre la collaboration et la résistance, c’est qu’il est trop tard : c’est une faillite collective.

    Ceux dont j’ai dressé un portrait peu élogieux plus haut sont de mes amis les plus chers. En être semi-eclairé (en partie grâce à vous), je me demande comment on peut éveiller les consciences sans blesser, sans passer pour un pédant. On ne me fera pas boire la ciguë, certes, mais un bannissement, même symbolique, me ferait manquer mon objet.

    C’est là que j’en reviens à vous ? Comment faisiez vous avec vos collègues ? Vous en teniez vous aux bavardages ? (Vous deviez vous y entendre en pâtisserie avec l’amie que vous avez !) Que faisiez-vous de vos colères, de vos indignations ? Ne vous sentiez-vous pas un peu seule, parfois ? Décalée ? Cela ne m’étonne pas qu’à un moment, vous faillites être sujette à l’addiction vis à vis de ce blog-refuge. Vous deviez en imposer, en plus, même auprès de vos pairs. Moi même, en tant que votre élève, je me souviens avoir tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de me taire, pour ne pas raconter trop de conneries.

    Alors il est vrai que ces questions sont plus intrusives et qu’elles ne passeront peut-être pas le filtre de votre modération. Pourtant, je crois qu’elles ne sont pas étrangères à des questionnements philosophiques. Le Penser et l’Agir. Le renoncement. La faute.

    Vous en énoncerez des sujets de manière bien plus pertinente que moi.
    Bien à vous, Madame Manon, avec mes meilleurs souvenirs et toute mon admiration.

  16. Simone MANON dit :

    Bonjour Grégory
    C’est toujours un plaisir d’avoir des nouvelles d’un de ses anciens élèves. Je vous félicite pour votre parcours.
    Permettez-moi de vous dire que votre message est bien trop élogieux. J’ai simplement fait mon travail avec la conscience de mes limites et de mes obligations.
    Il y a 32 ans il y avait encore des professeurs de la vieille école refusant d’appliquer des décisions ministérielles démagogiques même s’ils étaient régulièrement convoqués à l’inspection académique ou chez le proviseur. Je n’avais dons pas de difficultés avec ces collègues que j’estimais.
    Pour la question de la délation la réponse à votre perplexité est plus difficile. La délation me fait viscéralement horreur tant l’expérience montre qu’elle procède souvent de ce qu’il y a de pire en l’homme: l’envie, la jalousie, le plaisir de nuire à autrui, l’espérance d’une gratification etc. On a vu ce qu’il en était sous l’Occupation ou aujourd’hui dans la Russie de Poutine.
    Mais l’ambiguïté étant la loi du réel, elle peut s’alimenter à une source plus respectable. Par exemple un médecin dénonçant l’usage d’un médicament dangereux pour la santé, d’un professeur dénonçant un élève coupable de harcèlement ne font sans doute qu’assumer une responsabilité qui leur a été confiée. Personnellement il me semble que j’essayerais d’abord de régler le problème de personne à personne, le recours à la dénonciation n’étant que la solution témoignant de l’échec de la première procédure.
    En espérant avoir répondu à vos questions
    Bien à vous.

  17. Pouderoux dit :

    Un plaisir de retrouver ce sujet, après le chemin de tueda en descendant du Mont Vallon!
    Amitiés, BP.

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