-Soit religare (Lactance ou Tertullien)): se lier aux dieux par des vœux ou des serments.
La religion serait le lien unissant les hommes aux dieux et les hommes entre eux.
-Soit relegere (Cicéron) : relire, revoir avec soin, respecter.
Selon le linguiste Benveniste, relegere renvoie à legere signifiant cueillir, ramasser, ressaisir par la pensée, redoubler d'attention et d'application. Ce sens s'atteste dans des expressions comme « écouter religieusement », « faire quelque chose religieusement ». La religion serait alors non pas ce qui relie mais ce qui recueille une parole, un message ; le relit avec l'attention respectueuse qu'on témoigne à quelque chose de sacré. C'est cette relecture recueillie d'un texte fondateur qui ferait alors le lien entre les membres de la communauté qui en a le dépôt.
« Une religion, si l'on se fie à ce que suggère cette étymologie, relève moins de la communion (qui relie) que de ce que j'appelle la fidélité (qui recueille et relit), ou plutôt elle ne relève de celle-là qu'à proportion de celle-ci. C'est en recueillant-répétant-relisant les mêmes paroles, mythes ou textes (selon qu'il s'agit de cultures orales ou écrites) qu'on finit par communier dans les mêmes croyances ou les mêmes idéaux. Le relegere produit le religare, ou le rend possible : nous relisons, donc nous nous relions. Le lien ne se crée (à chaque génération) qu'à la condition de se transmettre (entre les générations). C'est en quoi la civilisation toujours se précède elle-même. On ne peut se recueillir ensemble (communier) que là où quelque chose, d'abord, a été recueilli, enseigné, répété ou relu. Pas de société sans éducation. Pas de civilisation sans transmission. Pas de communion sans fidélité » écrit André Comte Sponville dans L'Esprit de l'Athéisme.2006.
PB : Quelle est la nature du sentiment religieux ?
1) Le sentiment religieux est d'abord le sentiment d'une dépendance.
Confronté à l'épreuve de sa finitude, à sa misère de créature, l'homme ressent le besoin de se lier à quelque chose qui le dépasse, à une transcendance par laquelle son existence prend sens et valeur. Ce sentiment traduit l'impuissance à se suffire à soi-même, à se comprendre au ras de son immanence, dans la relativité et la facticité de son être-là. On se lie à un au-delà, un absolu, un arrière monde qui enchante ce monde ci, en le lestant de profondeur et de réalité. Le théologien Schleiermacher (fin 18°siècle) disait : « La religion consiste dans un sentiment absolu de notre dépendance ».
2) Le sentiment religieux est aussi le sentiment du sacré.
C'est l'expérience consistant à distinguer du sacré et du profane. Sacré désigne ce qui est à la fois séparé et circonscrit (cf. le latin sancire : délimiter, entourer, sacraliser et sanctifier).
Profane désigne ce qui se trouve devant l'enceinte réservée, le temple (pro-fanum).
Etre religieux revient à distinguer deux domaines régis par des lois différentes et à se soucier de régler harmonieusement leurs rapports. Si l'ordre profane renvoie à une sphère où l'homme a la liberté de penser et d'agir selon sa propre loi ; l'ordre sacré définit la sphère du tout-autre, du transcendant, du surnaturel, du mystérieux, de l'interdit.
Le sentiment que le sacré suscite est un mélange d'effroi et de fascination. Pour le théologien Rudolf Otto (Cf. Le sacré 1917), le sacré est le principe qui anime toute religion. Pour le décrire dans ce qu'il a de spécifique, il a forgé le terme de numineux. Numen en latin signifie la divinité. Le numineux est un mystère qui fait frissonner. Il traduit le sentiment « d'être une créature » en présence d'une grandeur incommensurable, d'une puissance majestueuse. « L'homme s'enfonce et se dissout dans son néant et sa petitesse. Plus la grandeur de Dieu se découvre claire et pure à ses yeux, plus il reconnaît sa propre petitesse » dit un mystique chrétien.
Mais cette puissance majestueuse qui effraie est aussi ce qui captive et fascine.
Face à la terreur, le premier besoin est de se protéger. Le profane cherche par des prières, des sacrifices, des offrandes à se garantir contre le numineux. Le sacrifice est un rite propitiatoire qui est aussi expiatoire. L'homme profane se sent impur, indigne d'approcher le sacré qu'il risquerait de souiller. (D'où les rites de purification).
Mais il veut aussi être possédé par le numineux. D'où les pratiques de la communion par lesquelles il cherche à absorber cette puissance, à en être habité.
PB : Le sentiment religieux implique-il la croyance au divin ?
Croire au divin peut signifier admettre l'existence d'un ou de plusieurs dieux et se sentir tenu de leur rendre un culte. La croyance au divin implique nécessairement le sentiment religieux mais qu'en est-il de la réciproque? Le sentiment religieux va t-il nécessairement de pair avec une telle croyance et une pratique proprement religieuse? Ne peut-on pas éprouver ce sentiment alors même qu'on ne croit pas en Dieu ou aux dieux et qu'on est étranger à une appartenance religieuse, au sens commun ?
Le sentiment religieux étant le sentiment d'une dépendance et le sentiment du sacré, la question doit être examinée aux deux niveaux.
Sentiment d'une dépendance par rapport à une transcendance :
Cette transcendance peut être celle d'une valeur (la liberté, la paix, la fraternité, la vérité etc.). Elle peut aussi être celle de la nation, de la classe, de l'humanité ou de l'esprit.
En ce sens, le sentiment religieux n'implique pas la croyance explicite en une réalité divine. Il peut s'investir dans la pratique philosophique ou scientifique ou dans le militantisme politique, comme on l'a vu avec la ferveur communiste ou nationaliste.
Avec Platon, par exemple, le philosophe se lie à une transcendance, celle du suprasensible. Dans l'allégorie de la caverne, Platon sépare le monde sensible et le monde intelligible au sommet duquel trône l'Idée suprême symbolisée par le soleil. Un principe de supériorité est révélé qui donne sens à l'existence humaine. Ce qui est typique d'une expérience religieuse même s'il n'y a pas croyance en l'existence d'une divinité. Cette transcendance peut simplement être celle de l'esprit en chacun de nous.
Einstein (1879.1955) prétendait que le véritable homme de science est imprégné « d'un sentiment religieux cosmique ». Pour lui, la transcendance est celle du réel auquel le savant a le sentiment d'appartenir, cosmos qui le dépasse et qu'il cherche à connaître avec cette vénération que l'on voue à un ordre supérieur. « Je soutiens que la religiosité cosmique est le ressort le plus noble et le plus fort de la recherche scientifique. Seul celui qui peut mesurer les efforts énormes et surtout, le dévouement sans lequel les créations scientifiques ouvrant de nouvelles voies ne pourraient être réalisées, est en état d'apprécier la force du sentiment qui seul, a pu donner naissance à un tel travail détaché de la vie pratique immédiate... C'est le sentiment religieux cosmique qui donne à un homme de telles forces ». Idées et opinions.
Sentiment du sacré :
Le sens du sacré correspond à une expérience universelle n'impliquant pas forcément la référence à une divinité. Une expérience amoureuse d'une grande intensité, une œuvre d'art, un paysage sublime peuvent susciter ce sentiment. Dans ces situations, il arrive qu'on ait le sentiment qu' « il y a autre chose », que le visible dévoile de l'invisible. Même sans croyance en un être surnaturel, une certaine « dimension surnaturelle » fait signe, transcendant l'ordre phénoménal et semblant agissante dans la vie personnelle ou dans la nature. En ce sens, on peut considérer la vie, l'amour, la beauté etc. comme des réalités sacrées auxquelles on confère une valeur religieuse.
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Malgré ce décortiquement minutieux, (un peu comme si on relevait les rifeaux d’une scène de théâtre pour en montrer les mécanismes), la religion garde un attrait qu’on ne peut pas expliquer La personne qui « enseigne » la religion compte beaucoup dans cela L’affection qu’on lui porte arrive à -presque- faire passer la pilule de la nature faible de la femme (la femme qui doit être protégée des hommes) , ou de la nature nocive de certains aliments Et on a beau se prémunir rationellement, cela garde une douceur et une séduction qui peut faire tomber la critique Une desp remières phrases qu’elle ma dit à propos de cela « Il faut que tu lises ce livre comme si c’était la vérité, et que tu devais la comprendre » ou « L »homme est de naissance imparfait, il doit se purifier »
Je suis revenue ici, sur ce site, pour m’éloigner de la douceur et en revenir aux bons vieux principes d’analyse Je reste sceptique malgré tout, je sens que je flanche… Mais elle aura beau lutter, le principe d’infériorité de la femme, elle ne me le fera pas avaler!
Voila, c’était juste une petite réflexion, je vous souhaite une bonne journée
Joanna
Bon commentaire et argumentation plus ou moins bonne
Il serait judicieux de nous en proposer une bonne.
Bonjour,
Après la lecture de cet article très complet, une question demeure en mon esprit:
Ce sens sacré qui n’implique pas forcément une référence à une divinité, n’est pas ce qu’on appelle « une spiritualité »? sinon qu’est-ce que la spiritualité et en quoi diffère t-elle de la religion?
Ou bien est-ce ce que certains ont appelé « une religion sans dogme »?
L’idée de spiritualité connote celle de vie de l’esprit, d’expérience intérieure, d’aventure de l’âme. Il y a bien de la spiritualité dans toute religion mais toute religion est une institution sociale. Or l’institution, les dogmes, les rites dans ce qu’ils peuvent avoir de codifié et d’habituel (de mécanique), sont souvent ce qui stérilise et anémie la vie de l’âme. Celle-ci peut donc s’épanouir en dehors de tout corps de dogmes et de toute pratique codée. Voilà pourquoi le sentiment de la transcendance et celui du sacré, constitutifs du sentiment religieux, ne sont pas le monopole d’une croyance religieuse définie et peuvent s’exprimer sous des formes n’impliquant pas la croyance au divin.
Mais la société peut elle se passer de religieux?
Beau sujet de dissertation. Il faut vous empresser de réfléchir à la question.
Justement j’ai réfléchi au sens de religieux : pour moi il y a le religieux= religion et le religieux = le sacré, les rituels, c’est-à-dire ce que vous disiez, les réalités auxquelles on confère une valeur religieuse( ex amitié…) … Est ce une bonne distinction ? Si religion est « facile » à traiter, j’ai du mal à trouver des vrais arguments. Aussi me demandais-je si ma distinction notionnelle était vraiment pertinente. Pourriez vous me donner votre avis?
Votre professeur a posé le problème avec beaucoup d’intelligence dans la mesure où cet énoncé exige de distinguer la religion comme institution sociale et le religieux comme sentiment ou expérience personnelle. Votre distinction est donc tout à fait pertinente.
Voyez ce texte de Marcel Gauchet pour vous aider dans votre réflexion: « Une sortie complète de la religion est possible. Cela ne signifie pas que le religieux doive cesser de parler aux individus. Sans doute même y a-t-il lieu de reconnaître l’existence d’une strate subjective inéliminable du phénomène religieux, où indépendamment de tout contenu dogmatique arrêté, il est expérience personnelle. C’est la part de pertinence que comportent les thèses qui font dépendre la religion des nécessités intangibles de la fonction symbolique. Elles reposent sur une juste intuition de cet ancrage dernier que trouve la croyance collective dans le registre individuel. Sauf qu’elles en concluent un peu vite à un besoin incontournable de religion […]. Car pour commencer l’expérience subjective à laquelle renvoient en effet les systèmes religieux constitués, peut parfaitement fonctionner pour elle-même, à vide, en quelque sorte. Elle n’a nul besoin de se projeter dans des représentations fixées, articulées en corps de doctrine et socialement partagées pour s’exercer. Car ensuite, elle peut très bien trouver à s’investir ailleurs que dans le type de pratiques et de discours qui fut jusqu’à présent son terrain d’élection. Même à supposer l’âge des religions définitivement clos, il faut bien se persuader […] que nous n’en aurons jamais terminé, probablement, avec le religieux. Il y a deux erreurs à éviter : celle qui consiste à conclure de l’existence de ce noyau subjectif à la permanence ou à l’invariance de la fonction religieuse ; celle qui consiste à tirer de l’indiscutable dépérissement du rôle de la religion dans nos sociétés l’annonce certaine de sa volatilisation sans traces ». Le désenchantement du monde (1985)
Bon courage.
Merci de votre précieuse aide. Je vais essayer de faire un plan structuré et trouver de bons arguments.
Bonjour,
Je vous recontacte car j’ai du mal à faire ma dissertation dont le sujet est je le rappelle : « Une société peut-elle se passer du religieux? ».
Quel est réellement le paradoxe dans ce problème ? C’est sur cela que je bloque et cela qui m’empêche, je crois, de faire un plan bien bâti.
Pour le plan, je me sers d’un raisonnment conditionnel sur le terme » religieux ».
I/ Si j’entends par religieux, la religion en tant qu’institution sociale alors une société semble pouvoir s’en passer. De fait, de moins moins de pratiquants. Et pourtant c’est la religion qui fonde l’ordre social au départ mais, c’est aussi elle qui le fracture ( ex: secte, intégrisme …)
transition: Et pourtant, la religion ne disparait pas totalement et aucune société ne vit sans religion. Donc la croyance se porte donc sur autre chose … peut on se passer de ce qui joue le rôle du religieux de nos jours.
II/ Mais, si j’entends par religieux, les croyances en qq chose ( pas en un Dieu) qu’ont une société, c’est-à-dire ce à quoi on confère une valeur religieuse, alors une société semble difficilement pouvoir s’en passer. En effet, elles rassurent l’homme. Nous avons besoin de qq chose qui nous transcende, que l’on sacralise ( ex : science …)
Que pensez vous de cette ébauche ?
Merci
Julie.
II/
Je vous rappelle Julie que je n’interviens pas dans le travail des élèves, sauf parfois pour quelques suggestions comme je l’ai fait avec vous.
NB: Attention à ne pas confondre religion et religieux comme vous le faîtes dans votre transition. Ce qui vous conduit à vous contredire. Donc soyez plus rigoureuse dans l’usage des concepts. Les choses s’éclaireront d’elles-mêmes. Pensez à exploiter le texte de Marcel Gauchet.
Bon courage.
Bonjour,
Après la lecture de cet article, une question me revient à l’esprit: celle de savoir si la ferveur religieuse est due à l’inflation du sacré ou à la quête de la transcendance. Question qui m’a par ailleurs été proposée comme thème d’un travail de recherche en philosophie de la religion.
Pouvez vous me donner quelque pistes pour m’aider à bien mener cette réflexion? Je vous remercie.
Bonjour
Je ne sais pas ce que vous mettez sous les expressions que vous employez. Il m’est donc bien difficile de vous répondre.
Par exemple, parlez-vous de la ferveur religieuse comme expérience personnelle (expérience intérieure qui, dans sa sincérité, n’est guère encline à s’exhiber) ou comme expérience collective?
Dans son expression collective, la ferveur religieuse a moins à faire avec un authentique sens du sacré ou une quête de la transcendance qu’aux requêtes d’un existant ayant besoin d’un protecteur pour assumer la difficulté d’être. Le constat freudien est ici d’une redoutable lucidité: https://www.philolog.fr/quel-est-le-role-de-la-religion-freud/.
Bien à vous.
bonsoir
félicitations pour votre site qui représente une véritable mine.
Je viens vous demander une référence. J’ai le souvenir d’avoir lu, lorsque j’étais adolescente, un texte de Kant dans un manuel de Philosophie, texte que je recherche aujourd’hui et que je n’arrive pas à retrouver.
Il s’agit d’un texte de Kant dans lequel se trouve la célèbre phrase « « Deux choses remplissent le cœur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. » Il s’agit apparemment de la Conclusion de la Critique de la Raison pratique, et je souhaiterais en retrouver la page complète.
Merci d’avance pour votre aide.
Bonjour
Merci pour votre sympathique message.
Oui, le texte auquel vous faîtes allusion est extrait de la conclusion de la critique de la Raison Pratique. Elle est composée de trois pages. Vous trouverez ce texte dans n’importe quelle bibliothèque universitaire.
J’en donne un extrait à la fin de ce cours: https://www.philolog.fr/liberte-et-obligation-kant/
Vous pouvez aussi le lire ici:
http://philosophie.ac-creteil.fr/IMG/pdf/Kant_FMM_et_Critique_de_la_raison_pratique.pdf
Bien à vous.
Bonjour,
Lors d’un cours sur l’art et l’Egypte antique que j’ai suivi récemment, l’importance essentielle de la notion de cycle pour les anciens égyptiens a été soulignée (divers cycles naturels symboliquement reliés à des cycles de vie et de mort). Selon l’intervenant, non seulement à l’époque antique mais de nos jours également, les femmes, du fait du cycle menstruel, seraient beaucoup plus sensibles que les hommes à la notion même de cycle. Il en résulterait que les femmes auraient naturellement une représentation cyclique de l’existence, plus perçue que par les hommes comme une succession infinie de morts-renaissances, là ou ceux-ci auraient plus une vision bornée par un début et une fin de leur existence. Ceci induirait un questionnement sur la nature de l’existence plus fort chez les hommes que chez les femmes, source d’un sentiment religieux plus fort chez ceux-ci que chez celles-là. Je suis étonné de cette affirmation qui sous-tend, me semble-t-il, l’idée d’une expérience intérieure plus riche chez l’homme que chez la femme. Si c’était le cas, cette idée ne porterait-elle pas en germe le principe, inacceptable, d’infériorité de la femme sur l’homme ?
Pourriez-vous me donner quelques pistes pour enrichir cette réflexion ?
Bonjour
Je vous avoue que ce type de propos me paraît arbitraire, fantaisiste.
Toutes les sociétés antiques ont conçu le temps sous forme cyclique. C’est le judéo-christianisme qui apporte la conception linéaire du temps. Or les maîtres des significations n’ont jamais été les femmes, ce furent toujours les hommes. Nul besoin de vivre dans sa chair le cycle pour faire du temps cyclique naturel le paradigme du temps.
Bien à vous.
Bonjour
Je vous remercie pour votre réponse. Je comprends votre dernière phrase, s’agissant du temps cyclique naturel. J’ai été en revanche surpris de votre choix de classement de ma question dans votre blog. J’ai lu attentivement votre paragraphe (ci-dessus) sur le sentiment religieux et je crois que mon questionnement ne portait pas tant sur celui-ci, que sur l’influence que l’expérience personnelle de chacun a sur sa représentation de l’existence. Ainsi, en dépit de mes nombreuses répétitions des mots homme/femme, c’est, d’une manière plus générale, l’influence de ce que perçoivent nos sens (de manière individuelle) sur notre représentation de l’existence qui me préoccupait, et j’aurais dû exprimer cela de manière plus explicite. Ainsi, que ce soit notre genre, notre couleur de peau, le lieu où nous vivons, les gens que nous rencontrons, notre passé idéalisé et notre futur rêvé, font de chacun de nous un être unique. Nous pourrions donc penser que cette situation devrait conduire à autant de représentations individuelles de l’existence qui pourraient se suffire à elles-mêmes. Or, ce n’est pas ce que nous constatons, puisqu’à toutes les époques émergent des représentations collectives de l’existence. D’où viennent ces représentations : Devons-nous aspirer à une sorte de « plus petit dénominateur commun » ? Devons-nous collectivement, bon grès mal grès, accepter une doxa ? La recherche d’une représentation collective n’est-elle pas en soi contradictoire avec notre unicité ?
Pour illustrer, et puisque vous soulignez le mythe de la caverne dès l’introduction de votre blog, je voudrais me référer à une autre caverne du monde grec, celle de Polyphème. Que perçoivent du monde, individuellement, Ulysse et Polyphème ? Leurs caractères physiques sont très différents : Ulysse n’est pas très grand et voit le relief du monde, Polyphème est un géant doté d’une vision monoculaire. Leurs modes de vie sont radicalement différents : Ulysse vit en société et se conforme à des règles, Polyphème, confiant dans les dieux vit de ce que la nature procure sans qu’une organisation politique ne lui soit nécessaire. Leurs expériences du monde sont très inégales : Ulysse le parcourt, Polyphème vit dans une ile, etc … Hormis la croyance commune dans les dieux, difficile d’imaginer chez Ulysse et Polyphème une représentation commune de l’existence. Peut-être, au moment de leur rencontre, seul le sentiment d’être imbattables l’un et l’autre les réunit-il.
J’espère contribuer positivement à votre blog que j’ai découvert il y a environ un an. J’arrivais à la fin d’une carrière industrielle, et mes souvenirs de philo remontaient au Lycée (même si le monde des idées ne m’a pas été étranger pendant tout ce temps). Intrigué par des articles de lancement du film Sils Maria, j’ai fait quelques recherches sur l’Eternel retour, et c’est ainsi que j’ai trouvé votre blog et m’y suis intéressé. Ceci a relancé mon intérêt pour la philosophie, mais je trouve ma culture dans ce domaine insuffisante pour me confronter à d’autres, dans des ateliers type UTA par exemple. Il se peut que j’interagisse de temps à autre dans votre blog sans autre objectif que d’y trouver un peu de « vita activa ».
Cordialement
Bonjour
Je n’ai pas choisi le classement de votre question, j’ai seulement apporté une réponse à votre propos sur le temps.
Vous avez raison de souligner la singularité de la manière dont les hommes se représentent le monde. Mais il ne faut pas sous-estimer le fait que la perception et les représentations sont aussi déterminées par la langue que nous parlons et le groupe auquel nous appartenons. Le conditionnement culturel est indidieux. Les individus n’ont pas conscience d’être souvent la caisse de résonance de manières de sentir, de percevoir, de penser etc. qui ne procèdent pas de leur activité autonome. C’est la grande leçon de l’allégorie de la caverne. La pensée autonome est une conquête difficile et jamais achevée. Mais cela ne signifie pas qu’on puisse se désintéresser des représentations collectives. S’il y a sens à parler de vérité celle-ci doit pouvoir être reconnue par tous les esprits. Il n’y a pas de vie civile possible sans valeurs et significations communes. Et comme le travail de la raison n’est pas la chose la mieux partagée, on peut dire que les hommes vivent sous l’empire de la doxa.
Bien à vous.
[…] Revenons Maintenant aux Lumières et au fanatisme. Voltaire, dans son « Dictionnaire philosophique« , il écrit: « Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un enthousiaste ; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique. […]« . Voltaire est habile dans la progression de son raisonnement, explique Bertrand Vergely: « S’il y a le fait de croire, il y a dans celui-ci le fait de croire vraiment à ce que l’on croit. Ce qui débouche sur deux types de folie; la folie douce qui croit en ce en quoi elle croit au point de le prendre pour une réalité et la folie meurtrière qui non seulement croit en ce en quoi elle croit mais qui veut que tout le monde y croit en étant prête à tuer pour cela ». C’est effectivement une habile façon de présenter la croyance. La folie douce existe, la folie meurtrière aussi. Comment ne pas penser que Voltaire n’a pas raison explique que croire est mauvais et que cela conduit, en croyant ce que l’on croit, à basculer dans la folie meurtrière. Conclusion: il faut croire avec modération, c’est à dire sans trop y croire, en étant un religieux modéré. C’est ce qu’il faut devenir… Il n’y a plus de religion, celle-ci est morte. Mais la religion existe parce qu’on y croit vraiment et non parce qu’on y croit modérément. Ce qui se passe aujourd’hui est-il l’aboutissement de la pensée de Voltaire (et des Lumières): la religion est systématiquement reliée non pas simplement à une question politique, qui était déjà posée avec les Lumières, mais à la question du fanatisme et de la modération. Sous couvert de laïcité et d’humanisme, c’est une façon habile de détruire définitivement le sentiment religieux. […]
Bonjour
le transhumanisme peut-il être qualifié de religion?
en effet, les transhumanistes considèrent que l’Intelligence Artificielle va permettre à l’homme de dépasser la souffrance et la mort. Est ce une forme de paradis finalement?
D’autres personnes (Stéphane Hawking, Elon Musk par exemple) disent se méfier de l’Intelligence Artificielle car elle pourrait mettre fin à l’humanité. Serait-ce donc l’enfer?
La croyance en la possibilité d’une IA forte (c’est à dire une IA qui peut, non seulement, reproduire des raisonnements mais aussi les comprendre et apprendre de façon autonome, disposer d’une conscience) n’est elle pas alors semblable à la croyance en une religion?
Bonjour
Voyez cet article qui me parait intéressant pour éclairer votre lanterne.
https://transhumanistes.com/transhumanismes-religion/
Bien à vous