L’expression est de Clément Rosset dont l’œuvre consiste essentiellement à instruire le procès de la dénégation de la réalité, si complaisamment entretenue par la tradition philosophique et d'abord par Platon dans sa critique du monde sensible. Celui-ci est accusé de ne pas avoir de réalité ontologique et de ne pas contenir en soi son principe d’explication. D'où la nécessité de construire un double : le monde intelligible, décrété plus réel que celui des apparences. Rosset soupçonne cette dénégation du réel d’être symptomatique de l'intolérance de la philosophie à l’égard de la cruauté du réel beaucoup plus que de son exigence d'intelligibilité. Ce qui le conduit à définir ce qu’il appelle une éthique de la cruauté se caractérisant par deux principes : le principe de réalité suffisante et le principe d’incertitude.
Le principe d’incertitude renvoie à l'idée que le doute c'est-à-dire une certaine réserve à l'égard des vérités qu'un penseur énonce, trace la frontière entre «véritables et faux philosophes : un grand penseur est toujours des plus réservé quant à la valeur des vérités qu’il suggère, alors qu’un philosophe médiocre se reconnaît, entre autres choses, à ceci qu’il demeure toujours persuadé de la vérité des inepties qu’il énonce » (L’école du réel, Editions de Minuit, 2008, p 223). Ce n'est pas cette conception minimaliste de la philosophie qui m'intéresse ici mais ce que l'auteur entend par cruauté du réel et condition de son acceptation.
Je n'ai jamais douté que l'acceptation du réel, lorsqu'elle ne va pas de pair avec le sacrifice de la lucidité, a quelque chose de miraculeux. Et comme le hasard des échanges sur ce blog a été l'occasion pour moi de rappeler que la joie d'exister en dépit de la cruauté du réel relève d'une forme de grâce, j'ai pensé qu'il serait judicieux d'inviter à lire celui qui n'a cessé d'en témoigner.
« La seule mais grande faiblesse des arguments philosophiques tendant à faire douter de la pleine et entière réalité du réel est que ceux-ci dissimulent la véritable difficulté qu’il y a à prendre en considération le réel et seulement le réel : difficulté qui, si elle réside secondairement dans le caractère incompréhensible de la réalité, réside d’abord et principalement dans son caractère douloureux. Autrement dit, je soupçonne fort la brouille philosophique avec le réel de n’avoir pas pour origine le fait que la réalité soit inexplicable, à s’en tenir à elle seule, mais plutôt le fait qu’elle soit cruelle et qu’en conséquence l’idée de réalité suffisante, privant l’homme de toute possibilité de distance ou de recours par rapport à elle constitue un risque permanent d’angoisse et d’angoisse intolérable, – pour peu que se présente une circonstance fâcheuse qui rende, à l’occasion par exemple d’un deuil, la réalité soudainement insoutenable ; ou encore qu’en dehors de toute circonstance particulièrement pénible il advienne qu’on jette un regard soudain lucide sur la réalité en général . « Hypocondrie mélancolique », note Gérard De Nerval dans un carnet. « C’est un terrible mal : elle fait voir les choses telles qu’elles sont ». p. 208.
Par « cruauté » du réel, j’entends d’abord, il va sans dire, la nature intrinsèquement douloureuse et tragique de la réalité. Je ne m’étendrai pas sur ce premier sens, plus ou moins connu de tous, et dont en outre j’ai eu l’occasion ailleurs de parler plus qu’abondamment ; qu’il me suffise de rappeler ici le caractère insignifiant et éphémère de toute chose du monde. Mais j’entends aussi par cruauté du réel le caractère unique, et par conséquent irrémédiable et sans appel, de cette réalité, — caractère qui interdit à la fois de tenir celle-ci à distance et d’en atténuer la rigueur par la prise en considération de quelque instance que ce soit qui serait extérieure à elle. Cruor, d’où dérive crudelis (cruel) ainsi que crudus (cru, non digéré, indigeste), désigne la chair écorchée et sanglante : soit la chose elle-même dénuée de ses atours ou accompagnements ordinaires, en l’occurrence la peau, et réduite ainsi à son unique réalité, aussi saignante qu’indigeste. Ainsi la réalité est-elle cruelle — et indigeste — dès lors qu’on la dépouille de tout ce qui n’est pas elle pour ne la considérer qu’en elle-même : telle une condamnation à mort qui coïnciderait avec son exécution, privant le condamné de l’intervalle nécessaire à la présentation d’un recours en grâce, la réalité ignore, pour la prendre toujours de court, toute demande en appel. De même que ce qui est cruel dans la peine capitale est d’une part d’être condamné à mort, d’autre part d’être exécuté, de même ce qui est cruel dans le réel est en quelque sorte double : d’une part d’être cruel, d’autre part d’être réel, — avec cette différence notable que, dans le cas de la condamnation à mort, l’exécution ne suit pas nécessairement la condamnation, alors que dans le cas de la réalité l’exécution suit automatiquement la condamnation pour ne faire qu’un avec elle, pour, si je puis dire, situer d’emblée ses « arrêts » au niveau de l’exécution. Reste qu’une distinction mentale est ici possible, encore qu’il soit impossible de distinguer dans les faits. Je veux dire qu’on peut assez ordinairement, et même, dans une certaine mesure, assez raisonnablement estimer que la réalité est cruelle par nature, mais aussi, et par une sorte de dernier raffinement de cruauté, bel et bien réelle. C’est à peu près ce qu’exprime Proust au début d’Albertine disparue: il est déjà bien triste qu’Albertine m’ait quitté avec armes et bagages, — mais le pire est encore de penser que tout cela est vrai (Proust commente cette distinction en écrivant que «la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie »; il aurait pu à mon sens plus exactement dire que la souffrance va plus loin en réalité que toutes les représentations ou anticipations qu’on peut s’en donner)…p. 209.. […] la réalité, si elle dépasse la faculté humaine de compréhension, a pour autre et principal apanage d’ « excéder », et ce dans tous les sens du terme, la faculté humaine de tolérance»
« L’acceptation du réel suppose donc, soit la pure inconscience — telle celle du pourceau d’Epicure, seul à l’aise à bord alors que la tempête qui fait rage angoisse équipage et passagers —, soit une conscience qui serait capable à la fois de connaître le pire et de n’être pas affectée mortellement par cette connaissance. Il est à remarquer que cette dernière faculté, de savoir sans en subir de dommage mortel, est située absolument hors de portée des facultés de l’homme, — à moins il est vrai que ne s’en mêle quelque extraordinaire assistance, que Pascal appelle la grâce et que j’appelle pour ma part la joie. En effet, la connaissance constitue pour l’homme une fatalité et une sorte de malédiction, déjà reconnues dans la Genèse (« Tu ne goûteras pas à l’arbre de science ») étant à la fois inévitable (impossible d’ignorer tout à fait ce que l’on sait) et inadmissible (impossible également de l’admettre tout à fait), elle condamne l’homme, c’est-à-dire l’être qui s’est hasardé dans la reconnaissance d’une vérité à laquelle il est incapable de faire face (tel un général malavisé qui se lance à l’assaut sans s’être assuré de l’état des forces en présence et de ses possibilités de retraite), à un sort contradictoire et tragique, tragique au sens où l’entend par exemple Vladimir Jankélévitch (« alliance du nécessaire et de l’impossible »). Ce qu’il y a de plus aigu et de plus notoire dans ce qu’on appelle la condition humaine me semble résider précisément en ceci d’être munie de savoir — à la différence des animaux ou objets inanimés — mais en même temps d’être démunie des ressources psychologiques suffisantes pour faire face à son propre savoir, d’être dotée d’un surcroît de connaissance, ou encore d’un «œil en trop » comme dirait André Green, qui fait indistinctement son privilège et sa ruine, bref, de savoir mais de n’en pouvoir mais. Ainsi l’homme est-il la seule créature connue à avoir conscience de sa propre mort (comme de la mort promise à toute chose), mais aussi la seule à rejeter sans appel l’idée de la mort. Il sait qu’il vit, mais ne sait pas comment il fait pour vivre; il sait qu’il doit mourir, mais ne sait pas comment il fera pour mourir. En d’autres termes : l’homme est l’être capable de savoir ce que par ailleurs il est incapable de savoir, de pouvoir en principe ce qu’il est incapable de pouvoir en réalité, de se trouver confronté à ce qu’il est justement incapable d’affronter. Egalement incapable de savoir et d’ignorer, il présente des aptitudes contradictoires qui en interdisent toute définition plausible, comme le répète Pascal dans les Pensées. On dirait qu’un programmateur divin et universel, à moins qu’il ne s’agisse seulement du hasard des choses comme le suggère Epicure, a commis ici un impair de base, adressant une information confidentielle à un terminal hors d’état de la recevoir, de la maîtriser et de l’intégrer à son propre programme : révélant à l’homme une vérité qu’il est incapable d’admettre, mais aussi, et malheureusement, très capable d’entendre. C’est pourquoi le poème de Lucrèce, qui se propose de guérir l’angoisse humaine par la révélation de la vérité, a et ne peut avoir pour principal résultat que d’accroître encore cette angoisse même. L’administration de la vérité ne vaut rien pour celui qui souffre justement de la vérité; de même la perception forcée de la réalité, à laquelle invite Lucrèce, est-elle sans effet bénéfique chez celui qui justement redoute avant tout la réalité saisie quant à elle-même, en son état nu et cruel. Le remède est ici pire que le mal: excédant les forces du malade, il ne peut que soigner un cadavre ayant déjà succombé à l’épreuve d’un réel qui était au-dessus de ses forces, — ou occasionnellement conforter un bien portant, qui n’en avait pas besoin. Leopardi analyse parfaitement, dans un passage de son Zibaldone, cette inadéquation et contradiction nécessaire qui oppose l’exercice de la vie à la connaissance de la vie: « On ne peut mieux exposer l’horrible mystère des choses et de l’existence universelle (...) qu’en déclarant insuffisants et même faux, non seulement l’extension, la portée et les forces, mais les principes fondamentaux eux-mêmes de notre raison. Ce principe, par exemple — sans lequel s’effondrent toute proposition, tout discours, tout raisonnement, et l’efficacité même de pouvoir en établir et en concevoir de véridiques —,ce principe, dis-je, selon lequel une chose ne peut pas à la fois être et ne pas être, semble absolument faux lorsqu’on considère les contradictions palpables qui sont dans la nature. Etre effectivement et ne pouvoir en aucune manière être heureux, et ce par impuissance innée, inséparable de l’existence, ou plutôt être et ne pas pouvoir ne pas être malheureux, sont deux vérités aussi démontrées et certaines quant à l’homme et à tout vivant que peut l’être aucune vérité selon nos principes et notre expérience. Or l’être uni au malheur, et uni à lui de façon nécessaire et par essence, est une chose directement contraire à soi-même, à la perfection et à sa fin propre qui est le seul bonheur, une chose qui se ravage elle-même, qui est sa propre ennemie. Donc l’être des vivants est dans une contradiction naturelle essentielle et nécessaire avec soi-même. Extrait traduit par Mr Orcel, p 91.92 ». Cioran résume brièvement la même pensée dans un aphorisme de La Tentation d’exister « Exister équivaut à une protestation contre la vérité. »
On ne peut ainsi ordinairement vivre qu’à la condition de tenir en respect la vérité, ou plutôt de la prendre perpétuellement à rebours : tâche épuisante illustrée, entre autres, par l’ancien mythe de Sisyphe. Illustrée aussi par la plupart des entreprises philosophiques, dont la principale visée n’est pas de révéler à l’homme la vérité, mais bien de la lui faire oublier : de faire « passer» sa cruauté comme un médicament fait provisoirement cesser une douleur, d’adoucir l’épreuve de la réalité par une infinie variété de remèdes — plus ou moins improvisés selon que le philosophe a plus ou moins de ressources mentales — qui se ramènent toujours en fin de compte à un exorcisme hallucinatoire du réel, semblable à la déclaration naïve d’Eric Weil évoquée plus haut (« Ce qui se donne immédiatement n’est pas réel »). Le philosophe — encore une fois, pas tous les philosophes, mais un grand nombre d’entre eux est semblable au médecin au chevet d’un malade incurable : soucieux d’apaiser à tout prix la souffrance, mais indifférent à la valeur des moyens mis en œuvre pourvu que ceux-ci aient un effet tangible et immédiat. Son premier soin est d’établir coûte que coûte que le réel n’est pas réel, puisque c’est le réel dont on souffre et qui est en somme la cause de tout le mal »
L'école du réel, Editions de Minuit, 2008. p.212 à 216.
«La joie est la condition nécessaire sinon de la vie en général, du moins de la vie menée en conscience et connaissance de cause. Car elle consiste en une folie qui permet paradoxalement — et est seule à le permettre — d’éviter toutes les autres folies, de préserver de l’existence névrotique et du mensonge permanent. A ce titre elle constitue la grande et unique règle du « savoir-vivre ». Or il n’est rien de plus dur ni de plus malaisé — rien qui ne paraisse plus compromis d’avance — qu’un tel savoir. On connaît sur ce cas le diagnostic célèbre de Montaigne, à l’extrême fin des Essais « il n’est rien si beau et légitime que de faire bien l’homme et dûment, ni science si ardue que de bien et naturellement savoir vivre cette vie. » La simple prise en considération de la réalité, le simple exercice de la réflexion suffisent ici à décourager tout effort, — sauf s’il s’y mêle l’assistance de la joie qui, telle celle du Dieu pascalien, vient se substituer aux forces défaillantes pour faire triompher, in extremis et contre toute attente, la cause la plus faible : ce par l’entremise d’un soutien que Pascal, dans l’apologue terminal de la seconde Provinciale, définit justement comme « secours extraordinaire». Reste que ce secours de la joie demeure à jamais mystérieux, impénétrable aux yeux mêmes de celui qui en éprouve l’effet bienfaisant. Car au fond rien n’a changé pour lui et il n’en sait pas plus long qu’avant : il n’a aucun argument nouveau à invoquer en faveur de l’existence, il est toujours parfaitement incapable de dire pourquoi ni en vue de quoi il vit, — et cependant il tient désormais la vie pour indiscutablement et éternellement désirable. C’est ce mystère inhérent au goût de vivre que résume un vers d’Hésiode, au début des Travaux et les jours : krupsantès gar ékousi théoi bion anthropoisi, « Les dieux ont caché ce qui fait vivre les hommes ».
Je dis donc que l’appoint de la joie est nécessaire à l’exercice de la vie comme à la connaissance de la réalité. Cependant, il existe une autre manière de s’accommoder de la réalité, — mais je viens de dire qu’elle était névrotique c’est celle qui consiste à la nier; ou, plus exactement, à en considérer les composantes malheureuses non comme inéluctables mais comme provisoires et sujettes élimination progressive. Rien de plus fréquent on le sait, ni de plus moderne, que cette sorte d’accommodement avec le réel. Je lis par exemple aujourd’hui même, ouvrant par hasard un hebdomadaire utilitaire « Coline Serreau, elle, croit que l’on peut “changer la vie”. Il suffit d’un peu de courage, d’amitié et de confiance réciproque. » Si je cite cette réflexion assez triviale, c’est parce qu’elle est représentative d’une façon de penser qu’on rencontre à peu près partout, quoique sous des formes très différentes et sous des allures parfois moins caricaturales et plus savantes. Ce genre de propos, que signe en l’occurrence une collaboratrice attitrée de Télérama, chacun a pu le lire hier et pourra le lire demain, non seulement dans son hebdomadaire favori mais aussi dans tel ouvrage réputé d’un penseur ou d’un philosophe en renom. Il est à remarquer toutefois que la sensibilité d’esprit dont il témoigne, si elle ne date pas d’hier, n’est pas non plus éternelle et comme inhérente à la condition humaine. Elle paraît plutôt caractéristique d’une mentalité proprement moderne, dont elle constitue à mon sens la figure la plus générale de style, ce que j’appellerai sa névrose ordinaire. Mais je n’en trouve pas trace avant le XVIII° siècle : probablement parce que l’esquive du réel, assumée essentiellement, depuis le siècle dit des Lumières, par l’idée d’amélioration, s’accomplissait auparavant à l’aide d’autres formes de superstition et d’illusion »
La force majeure, Editions de Minuit, 1983. p. 26.27.28.
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Bonjour,
Merci pour ces textes remarquables qui mettent en lumière ce que je sentais. Cette fuite du réel est vraiment l’activité permanente de l’homme pour supporter une réalité cruelle et effectivement dont les sentences sont immédiates et sans appel.
Il faut donc travailler à accepter je dirais les réalités avec comme outils la joie , et le foi pour d’autres.
L’homme invente des substitus (religion, ésotérisme, etc…), des occupations (jeux, guerre, etc…) pour ne pas trop penser et fuir la cruauté des réalités.
Bonjour,
L’angoisse qui découle de notre connaissance de la mort inéluctable -angoisse « avouée » admirablement me semble-t-il par Unamuno dans « Le sentiment tragique de la vie », est certes cruelle.
Le deuil, mentionné par Rosset, est à mes yeux encore bien pire, car la mort d’un être aimé nous ampute sans anesthésie -« à vif » serait un jeu de mots un peu facile- d’une part essentielle de nous-mêmes, irrémédiablement aussi.
Et la souffrance physique, qu’il ne mentionne pas, en tout cas pas ici, lorsqu’elle devient torture atroce, n’est-elle pas pire cruauté elle aussi, surtout quand l’accompagne la perspective d’une aggravation fatale et illimitée, sinon justement par la mort.
C’est pourquoi d’ailleurs il m’est difficile de souscrire avec Spinoza par exemple à la notion d’une perfection du monde, car nul n’a à nous enjoindre de ne pas juger sans tout connaître: nous jugeons en humains, avec notre entendement, nos passions et nos tripes d’humains, et cela me semble aussi inévitable que légitime.
Car essayer de brider ou de transcender la moindre parcelle de cette humanité -le plus souvent souffrante comme l’a dit Schopenhauer-, ne nous conduirait-il pas IPSO FACTO à l’artifice et à la fausseté?
Cordialement.
Bonsoir
La philosophie a toujours été, dans sa grande tradition, amour de la sagesse et la sagesse, selon la définition des Anciens, est la méthode de la vie bonne et heureuse.
Le spinozisme appartient à cette tradition. Il est difficile de pratiquer la voie qu’il définit mais il n’y a aucun sens à parler d’artifice et de fausseté.
C’est une philosophie de la liberté, du désir actif et de la béatitude. Il en est du spinozisme ce qu’il en est du stoïcisme. On ne peut les comprendre que de l’intérieur et cela passe par un déploiement des ressources de la raison et une ascèse des passions.
Dans les grandes épreuves de ma vie, ces grandes philosophies ont été pour moi d’un grand secours. Mais je comprends très bien qu’on puisse leur rester extérieur. Seulement, dans ce cas, il faut peut-être éviter d’en réduire l’authenticité, la grandeur spirituelle et la portée existentielle..
Bien à vous.
Bonjour,
J’ai exprimé ici et ailleurs sur le blog une prise de position liée plus à des affects qu’à la raison, qui s’assume purement subjective, ouverte d’ailleurs à la contradiction, et qui ne prétend à l’opposé à nul caractère péremptoire malgré sa véhémence.
Pour ma part j’ai toujours cherché des questions pertinentes et intrigantes plus que des réponses par le biais de la philosophie, m’étant arrêté au stade du « Que sais-je? » de Montaigne, et pour être plus précis me refusant à le dépasser.
Je ne voudrais pas non plus donner l’impression d’un partisan du « laisser-aller » moral et des instincts débridés, nuisibles à nous-mêmes comme aux autres je crois.
J’éprouve un profond respect pour cette grandeur spirituelle que vous évoquez, même si je ne peux adhérer à certaines doctrines, ni surtout à certaines certitudes qu’elles impliquent, quel que soit le soulagement que, telle la croyance à tel dogme religieux, pourrait nous apporter dans nos épreuves.
Concernant Spinoza, je dois avouer à ma grande honte que c’est aussi ce qui est pour moi en tout cas l’extrême difficulté de sa langue, toute pétrie de concepts et d’abstractions, qui me bloque; il est loin d’ailleurs d’être le seul dans ce cas, établir une liste serait aussi aléatoire que futile, mais je me demande parfois pourquoi la langue de Clément Rosset, pour prendre un exemple qui nous ramène aux deux textes de l’article, et aussi d’ailleurs celle de Schopenhauer dans « Le Monde comme volonté et comme représentation » ainsi que celle de Lucrèce, me paraissent si claires voire limpides et élégantes -ce qui ne gâte rien-, en comparaison, mettons de celles de Hegel ou de Plotin…
Bien à vous.
Lire au paragraphe 4: « …quel que soit le soulagement que, (…) ELLES POURRAIENT nous apporter dans nos épreuves. »
Veuillez une fois de plus excuser le retard apporté à me relire!!
Bonjour
Vos craintes sont injustifiées. Rien dans votre propos ne suggère l’idée d’un abandon à la dynamique des instincts. En revanche j’ai bien compris les présupposés irrationalistes de votre position.
Or le parti pris irrationaliste m’a toujours paru paradoxal chez un philosophe, car je ne crois pas que l’enjeu d’une vie consacrée à la réflexion philosophique puisse consister à critiquer la possibilité même de la philosophie. Le moyen d’expression adapté de l’irrationalisme me semble être la littérature, l’art, non le travail du concept et de l’argumentation car ceux-ci ouvrent, par principe, l’horizon d’une communauté de sens or l’accord pacifique n’est-il pas rendu impossible par la souveraineté des affects?
Par ailleurs si le souci de la sagesse implique une méthode de la vie bonne et heureuse, n’est-ce pas parce que nous considérons que la souffrance est un mal et qu’il nous faut mettre en oeuvre des ressources permettant de la tenir en respect? Cela a moins à voir avec des certitudes, des croyances qu’avec une pratique. Socrate parlait du soin de son âme. Je ne vois pas d’autre instance en nous que la raison pour accomplir cette tâche. Mais que les exigences de celles-ci relèvent d’une sorte de révélation, c’est un fait. Le père de la philosophie le dit clairement avec sa référence à son « démon ». En ce sens on n’échappe pas à un irrationnel de fondement.
Bien à vous.
Bonjour,
Mais je ne suis pas un philosophe! j’étais un professeur de français (de littérature pour être précis puisque j’enseignais dans le second cycle), désormais à la retraite pour invalidité liée à des raisons nerveuses.
Excusez-moi d’étaler ici une part de ma vie privée, mais je crois que cette précision était utile pour éviter les malentendus concernant précisément mon attitude envers la philosophie, dont certaines problématiques me passionnent, mais dont certains discours me déconcertent ne serait-ce que pour des raisons linguistiques (paradoxalement? peut-être en apparence seulement: excusez-moi de le dire franchement, mais si des élèves m’avaient rendu des copies rédigées dans le style de certains philosophes reconnus comme « grands », tels Heidegger, le Sartre de « L’Etre et le Néant » ou même le Merleau-Ponty de « Phénoménologie de la perception », je leur aurais fortement baissé leur note en mettant ici ou là le commentaire « amphigouri » dans la marge!! J’espère que vous ne m’en voudrez pas? En disant cela, je ne pense nullement à votre style à vous, bien au contraire (ellipse, héhé!!)
La précision mentionnée est utile aussi je crois pour que vous compreniez mieux certaines de mes grosses lacunes, que j’espère combler partiellement notamment en visitant ce blog très clair dans son didactisme, soit dit sans vouloir vous flatter, je vous assure!
Cela dit je me crois rationaliste, du moins dans mes convictions, et même si je penche vers ce qu’on appelle l’idéalisme métaphysique…
Bien à vous.
Bonjour,
J’avais répondu un peu vite, et je crois utile la précision suivante:
oui, « l’accord pacifique » serait rendu « impossible par la SOUVERAINETE des affects », mais je crois que l’être humain par nature est un composé d’affects et d’intelligence rationnelle, comme d’ailleurs les autres mammifères supérieurs, à parts variables selon les individus, et que sa physiologie, notamment neuronale ou cérébrale si vous préférez, détermine cela; on n’échappe pas à son corps et en l’occurrence qui nous occupe à son cerveau, et je n’aurai pas l’outrecuidance à ce propos de vous rappeler une phrase célèbre de Pascal à propos des anges!
Ce qui ne signifie nullement à mes yeux qu’il soit « bon » de s’abandonner à l’état d’Hermione dans l' »Andromaque » de Racine, quand, prise dans ses contradictions passionnelles, elle s’écrie: « Je crains de me connaître en l’état où je suis »!
Mais sommes-nous libres de décider de notre degré de… liberté? La réponse me paraît être: NON.
Bien à vous.
Bonsoir
Cas pathologiques mis à part, l’homme dispose de certaines possibilités d’action sur son être. Pascal, que vous aimez citer, considère même qu’on peut se disposer à recevoir la grâce: Cf. https://www.philolog.fr/la-foi-peut-elle-se-passer-dun-rituel-pascal-et-isaac-bashevis-singer/#more-2741
Le philosophe que je suis ne parle pas de grâce, plus modestement d’un travail de soi pour soi pour transformer les passions tristes et passer ainsi d’une moindre perfection à une plus grande. (Cf. Spinoza)
Cordialement.
N’y à t il pas une interprétation erronée (actuelle) du mot « perfection » quand Spinoza l’utilise ?
Dans son « Ethique », il donne quelques définitions dont la suivante : « par réalité et perfection, j’entends la même chose », l’explication suit quelques pages après : « quant à l’habituelle prétention que la nature est parfois en défaut ou encore commet un péché et produit des choses imparfaites, je la mets au nombre des fables, la perfection et l’imperfection ne sont en réalité que des modes de penser, des notions que nous avons l’habitude de construire en comparant entre eux des individus de même espèce ou de même genre, voila pourquoi par réalité et perfection, j’entends la même chose »
Remplacer directement le mot par réalité peut aider à la compréhension de l’auteur, (qui annonce l’inconditionné de Kant ?)
Vous avez raison, on devrait toujours prendre la peine d’anticiper les malentendus. Mais il faudrait à chaque fois faire un cours.
Le spinozisme est une philosophie de la positivité de l’être. Il assimile en effet la perfection à l’affirmation de la réalité ou de l’essence d’une chose. La plus ou moindre perfection correspond à plus ou moins de puissance d’agir. La puissance d’agir parfaite s’accomplit comme vertu c’est-à-dire comme recherche de l’utile propre sous la conduite de la raison.
Merci de cette invitation à la précision.
On ne peut discuter que dans le langage, il n’y a pas « d’en-dehors ».
On ne peut discuter que dans le langage, c’est sûr, mais qu’il n’y ait pas d' »en dehors », c’est une autre histoire.
Le dogmatisme en la matière me semble totalement déplacé.
Martinus von Biberach ( C. Rosset -La force Majeure p. 102)
Je viens je ne sais d’où,
Je suis je ne sais qui,
Je meurs je ne sais quand,
je vais je ne sais où,
Je m’étonne d’être aussi Joyeux.
…. Rien à redire à un tel verdict (dixit C. Rosset)
Il va de soi qu’il n’y a rien à redire à un tel verdict mais je ne vois pas le rapport entre ces sages propos et votre affirmation consistant à dire qu’il n’y a pas d’extériorité du langage.
Si vous en voyez un, il faudra nous l’expliquer!
Lorsque je lis la citation d’Alain Marc immédiatement je pense à Jacob Bohme ce cordonnier philosophe et surtout théosophe qui à essayé de mettre en lumière ce qu’est Dieu, l’homme, en tout cas ce qu’il percevait comme telle.
Malheureusement ces écrits sont difficilement compréhensibles néanmoins une thèse remarquable de David König de juin 2006 a donné quelques éclairages. J’aurais voulu recueillir d’autres avis sur cette démarche bohmienne dont le caractère macro et mystique avait interessé Hegel.
Pour compléter Emile Boutroux disait que Bohme représentait la conciliation de l’idéalisme et du réalisme.
Je suis désolée, je n’ai de ce théosophe qu’une connaissance de seconde main. Ce qui ne m’autorise pas à me croire compétente pour en parler.
Les mystiques sont d’immenses poètes mais quand on a été formé à la rigueur du kantisme, il est bien difficile de souscrire sans réserve à leurs grandes intuitions.
Une petite question à l’égard de l’acceptation du réel que préconise Rosset: est-ce qu’elle n’entre pas en contradiction avec la mise au jour par Heidegger de l’être de l’homme comme être de possibles et plus précisément comme être-en-avance-sur-soi? Rosset nous incite notamment à coincider avec nous mêmes, mais au fond ce que je me demande c’est si cela est tout simplement possible, dans la mesure précisément où sommes des êtres de possibles.
Il est fort possible que les arguments de ces deux philosophes ne soient pas situés sur le même plan, et que quand l’un (Rosset) se situe à un niveau historique et psychologique l’autre fasse de l’ontologie existentiale. Mais tout de même, il me semble qu’il y a là au moins une différence quant à ce qui fait le plus sens pour l’homme, à savoir le réel ou le possible…
Je ne vois pas, Simon, ce qui vous fait dire que Rosset nous invite à coïncider avec nous-mêmes. Cette interprétation est erronée, votre objection aussi. Il faut lire les textes avec plus de rigueur.
Que l’homme soit l’être des possibles ne le dispense pas de prendre acte avec lucidité de ce qui est. Or c’est précisément cette incapacité que l’auteur épingle.
Bien à vous.
Chère Simone,
Je passais par hasard sur votre blog et j’en sors réjoui.
Le spinozisme est, pour moi aussi, une tradition qui m’est chère. Et cependant, l’expérience m’apprends régulièrement que pour l’apprécier, une véritable conversion philosophique est nécessaire. Non pas une conversion sous forme de « libre décret de la raison » mais plutôt de l’ordre de la coïncidence affective. Du moins est-ce ainsi que je m’explique les malentendus dont il me semble que le spinozisme est régulièrement l’objet.
Enfin, ajoutons que Spinoza lui-même était conscient de la difficulté du chemin philosophique qu’il proposait puisqu’il conclue son Ethique par ces mots : « Si la voie que j’ai montré qui [conduit au vrai contentement], paraît être extrêmement ardue, encore y peut-on entrer. Et cela certes doit être ardu qui est trouvé si rarement. Comment serait-il possible, si le salut était sous la main et si l’on y pouvait parvenir sans grand-peine, qu’il fût négligé par presque tous ? Mais tout ce qui est beau est difficile autant que rare. »
Merci donc, chère Simone d’avoir partagé avec nous ces textes de l’excellent Clément Rosset et d’avoir par là participé à l’enrichissement et à l’intensification de notre joie.
A vous
Merci pour ce sympathique message.
Bien à vous.
[…] Cours de philosophie […]
Bonjour Madame Manon,
Voici un petit message pour vous remercier une nouvelle fois pour votre travail pour ce site qui, tout en fournissant un crible d’analyse précieux, continue d’inciter à la découverte de textes, d’auteurs et, plus globalement à l’étonnement et au questionnement. Et cette abnégation, malgré les nombreuses questions fainéantes voire impolies qui vous sont adressées lorsque l’on suit quelque peu les commentaires qui vous sont faits, force l’admiration.
J’ai lu avec grand profit, ou plus modestement, avec une joie intellectuelle indéniable, les ouvrages de Pierre Manent que vous m’aviez conseillés (Cours familier / L’histoire du libéralisme) et ils m’ont à leur tour m’ont incité à lire Tocqueville, Rousseau … Je me permets d’ailleurs de recommander la lecture d’un ouvrage d’Ortega y Gasset : La révolte des masses. En dépit du fait qu’il date de 1930, dresse des constats d’une grande justesse sur notre époque moderne (dont certains sont notamment partagés par Muray ou Baudrillard).
Il me semble avoir trouvé une réponse forte au désarroi (certes jouissif sur le moment) dans lequel m’avait plongé la lecture de Muray dans la philosophie de l’affirmation qui est celle de Clément Rosset dans La Force Majeure. Le chapitre éponyme d’une vingtaine de page sur la joie de vivre m’a bouleversé, et il me semble avoir trouvé là une voie d’exploration passionnante entre Spinoza et Nietzsche, une voie qui permet de traquer toujours plus les illusions tout en évitant de sombrer dans un spleen mélancolique. Ce qui m’y semble très puissant, c’est la possibilité d’éduquer son regard, et, très concrètement, de parvenir à s’adonner à l’envie d’apprendre tout en évitant d’avoir à penser que nous étions finalement plus heureux en étant plus ignorants. Une manière, je trouve, de rendre la quête de la lucidité – « blessure la plus rapprochée du soleil » – absolument désirable.
J’ai une question qui n’a peut-être pas sa place ici mais n’avez-vous jamais envisagé d’ouvrir votre site aux dons ? Il me semble comprendre que le but dans lequel vous alimentez philolog est absolument étranger à ce type de motivations, mais parallèlement, je me dis aussi que je dépense bien souvent de l’argent pour des livres qui me sont in fine bien moins profitables, et qu’une rétribution, même sous cette forme, ne serait pas illégitime, même si l’on est sur internet …
Bien à vous,
Raphaël
Bonjour Raphaël
D’abord vous dire combien votre message me touche. Il est tellement aux antipodes de l’anémie intellectuelle et morale qui s’exhibe régulièrement dans des commentaires d’internautes. Je n’approuve pas la plupart. Ils ont cependant, à mes yeux, le mérite d’interroger sur ce qui se fait à l’école aujourd’hui …
Votre proposition est généreuse mais vous avez bien compris que je tiens à la gratuité. Il est vrai que ce n’est pas gratuit pour moi car un blog doit être hébergé et maintenu en état de fonctionnement. Pour l’instant mes frais restent raisonnables. Le jour où ce sera trop lourd j’arrêterai l’expérience.
Je vous remercie infiniment.
Bien à vous.