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 Introduction détaillée:

  

   La certitude est l’état d’un esprit qui se croit en possession de la vérité. Elle est le contraire du doute c’est-à-dire de cette inquiétude de l’esprit le conduisant à suspendre son jugement, à examiner les énoncés, à chercher la vérité plutôt qu’à prétendre la posséder.

 
   Or si l’on voit bien en quoi une idée vraie, selon des critères à expliciter, peut fonder une certitude, on ne voit pas en quoi la certitude pourrait être tenue pour un bon indice de la vérité. Car l’intensité subjective d’une conviction, ce que connote l’idée de certitude, peut montrer qu’on ne voit pas le caractère douteux d’une affirmation mais non pas que l’on ait raison de ne pas le voir. Les hommes ne sont donc pas en manque de certitudes, l’expérience attestant que plus on est ignorant plus on en a. Voilà pourquoi l’éveil de la pensée a toujours la couleur du constat cartésien : «Il y a déjà quelques temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j’avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables et que ce que j ‘ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain» Descartes, Première Méditation métaphysique. Le premier travail du penseur consiste donc à révoquer en doute toutes ses certitudes, les certitudes rationnelles aussi bien que les certitudes sensibles. De même contre le dogmatisme de la doxa, la science comme institution est un scepticisme organisé, devant sa réussite à sa méfiance à l’égard des certitudes premières et à sa modestie à l’endroit des vérités qu’elle élabore. Celles-ci ne se prétendent ni absolues, ni définitives, seulement approximatives. La science ne promet pas à l’esprit le confort de la certitude.
   Il semble donc que le critère de détermination de la vérité ne trouve pas dans la certitude sa condition suffisante car une condition suffisante est ce qui n’a pas besoin d’autre chose pour assurer ce dont elle est la condition. Or il s’en faut de beaucoup qu’il suffise d’être certain pour être dans le vrai, le premier enjeu de cette question étant de comprendre pourquoi l’assentiment d’un esprit à un contenu de pensée ne peut pas en garantir la vérité.
 
   Pourtant s’il ne suffit pas d’être certain pour être dans le vrai, il devrait suffire qu’une idée soit vraie pour entraîner la certitude, La question est donc de savoir ce qui confère à une idée le statut d’une vérité susceptible de fonder une certitude. Y a-t-il un critère infaillible de vérité et est-il possible pour un esprit exigeant d’être absolument certain? Pour Descartes oui, l’évidence, dont le cogito est le modèle, emporte nécessairement l’adhésion de l’esprit. Mais il se trouve que là où Descartes voit une idée claire et distincte, Nietzsche dénonce une fiction grammaticale. La certitude que le philosophe du doute méthodique croyait susceptible de résister aux plus extravagantes objections des sceptiques ne résiste pas au marteau nietzschéen.
 
   Alors faut-il considérer que le scepticisme est un destin? Oui si, refusant la finitude de notre condition, nous aspirons à la vérité absolue. Celle-ci hante l’esprit humain et toujours se refuse. Mais que nous ayons « une impuissance à prouver invincible à tout le dogmatisme» (Pascal) ne signifie pas que nous n’ayons pas « une idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme» (Pascal). Notre tâche est donc bien de discriminer le vrai du faux, de construire des savoirs capables de faire l’accord des esprits même si les résultats de nos efforts restent pour un esprit en éveil, incertains. L’incertitude du philosophe ou du savant n’est pas synonyme du renoncement à la vérité mais hommage rendu à ses exigences et conviction qu’elle n’est pas tributaire de l’état de l’esprit qui la vise. Sa mesure n’est pas la certitude subjective mais la communauté des sujets pensants qu’il s’agisse de la république des lettres ou de la cité scientifique.

   Il nous faut donc conclure sur un paradoxe: le principal obstacle au dévoilement du vrai n’est pas le doute, c’est la certitude. Il s’ensuit que c’est dans la mesure où l’esprit se défie de la certitude qu’il parvient à faire reculer l’ombre pour faire surgir un peu de lumière. Seuls s’approchent de l’antichambre du vrai les esprits incertains. C’est peut-être la seule certitude que l’expérience de la pensée et de la science justifie.

  «En fait, c’est dans son incertitude même que réside largement la valeur de la philosophie » disait Russell. On pourrait aussi le dire de la science.

 

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13 Réponses à “Suffit-il d'être certain pour être dans le vrai?”

  1. Nabdou dit :

    Bonsoir
    Pourquoi donner à voir et à lire , et ne pas donner à copier et à imprimer???????????

  2. Simone MANON dit :

    Bonjour
    D’une part l’impression des cours est possible.
    D’autre part la fonction copier-coller est bloquée parce que ce blog n’a pas pour vocation d’encourager la paresse.
    Ce n’est pas en recopiant la réflexion d’un autre que vous pouvez conquérir des compétences intellectuelles!
    Il est urgent d’en prendre conscience.
    Bien à vous.

  3. Louise B dit :

    Bonjour Madame,

    Je tenais tout d’abord à vous remercier pour votre incroyable blog qui a nourri ma réflexion philosophique depuis quelques années déjà.
    Comme vous le savez déjà probablement le thème de culture générale pour les concours des écoles de commerce est  » La vérité ». Je voudrais donc savoir s’il vous serait possible de me conseiller quelques lectures ( philosophiques ou plus littéraires) ou références cinématographiques un peu originales pour les vacances afin de commencer à s’imprégner de cet ambitieux thème.

    Merci par avance et bonnes vacances !

  4. Simone MANON dit :

    Bonjour Louise
    Merci pour votre sympathique message.
    Dès que je rentre de vacances, je répondrai à votre question.
    Pour ce qui est de la problématique de ce sujet, à un autre niveau que celui des classes terminales, il faudrait développer la thèse spinoziste selon laquelle la vérité est signe d’elle-même et a une force de conviction.
    A bientôt.
    Bien à vous.

  5. Simone MANON dit :

    Bonjour Louise
    Avant de vous construire une bibliographie, j’ai eu l’idée de regarder sur internet s’il y en avait sur ce thème.
    Résultat: vous n’avez que l’embarras du choix.
    Ex: http://www.saintjeandepassy.fr/webfm_send/806
    http://michelis.lyc.ac-amiens.fr/IMG/pdf/verite_bibliographie_ece2.pdf
    http://www.internat-sourdun.fr/_fichiers/enseignement/prepa/biblio_ece2.pdf
    Vous pouvez lire avec intérêt ce livre de Victor Brochard: de l’erreur http://www.ac-nancy-metz.fr/enseign/philo/textesph/Brochard_de_l_erreur.pdf
    Bien à vous.

  6. Louise dit :

    Bonjour,

    Un grand merci pour votre réponse, j’aurais du y penser moi même !
    Passez de très bonnes vacances
    Respectueusement

  7. Faustine Le Marec dit :

    Bonsoir Madame,
    Un de vos cours traite-t-il de la question du fondement des valeurs, s’il vous plaît?

    Par avance merci
    et merci de nous consacrer toute ce temps!
    Faustine

  8. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Ce thème est traité transversalement dans de multiples cours du fait des approfondissements nécessaires à chacun des fondements envisageables (thèse religieuse: transcendance divine ou transcendance des Idées à la manière platonicienne – thèse rationaliste: transcendance de la raison (Kant) – thèse sociologique ou psychosociologique: l’école écossaise est ici très intéressante (Smith, Hume)- l’agir communicationnel (Habermas)- la question économique, esthétique, etc.
    Bien à vous

  9. Federic dit :

    Bonjour,
    Je lis vos textes depuis quelques jours, et je dois dire que cela m’aide beaucoup dans mes réflexion actuelles sur les vertus, la justice et la vérité.
    Merci de rendre cela accessible.
    Cordialement
    Frédéric

  10. Lisa dit :

    Bonsoir,

    J’ai parcouru plusieurs réflexions sur la philosophie sceptique que vous abordez dans ce blog, et il y a une partie qui m’échappe.
    Les sceptiques s’attaquent aux positions dogmatiques, car selon eux on ne peut affirmer détenir une opinion vraie. Alors, ils énoncent une méthode qui consiste à mettre face à chaque thèse, une thèse opposée, tout aussi légitime. C’est cette absence d’issue qui permettrait d’accéder à la tranquillité de l’esprit, et donc au bonheur?
    Les sceptiques renoncent à chercher la vérité, mais seulement la vérité absolue? Ou peut-on considérer qu’en portant un jugement sur l’apparence, ils sont à la recherche d’une vérité qui tend à se rapprocher du réel?
    En fait, je me demande si les sceptiques ont totalement renoncé à la conquête d’une vérité, sachant qu’ils sont néanmoins à la recherche du bonheur?

    Cordialement

  11. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Non un jugement portant sur l’apparence n’est pas un jugement plus fidèle à la réalité qu’un autre. S’en tenir aux apparences n’est qu’une question de règle de vie puisque par principe l’esprit est impuissant à prétendre au vrai et que néanmoins vivre implique d’agir.
    La tranquillité est une chose, la vérité une autre. Je ne vois pas en quoi une éthique de l’ataraxie implique nécessairement la conquête d’une ou de la vérité.
    Relisez cet article: https://www.philolog.fr/le-scepticisme-est-il-un-destin/
    Bien à vous.

  12. ethel dit :

    Bonjour,
    Je me demandais si nous pouvions qualifier Nietzsche de sceptique ? ou si il est « hors catégorie »

    Merci pour votre attention

    Cordialement

  13. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Un sceptique doute de tout, s’interdit d’affirmer quoi que ce soit. Le doute est dans un premier temps nécessaire à l’activité critique et en ce sens la radicalité critique de Nietzsche implique un moment sceptique. Mais la critique nietzschéenne est conduite sur fond d’intuitions, d’affirmations (par exemple le rôle conféré aux instincts de vie: « les entrailles de l’esprit », l’idée de « l’éternel retour ») qui sont antinomiques d’une attitude sceptique. https://www.philolog.fr/dieu-est-mort-disait-nietzsche-quel-est-le-sens-de-cette-affirmation/
    Voyez le paragraphe 208 de Par-delà le bien et le mal où l’auteur règle ses comptes avec le scepticisme:

    « Le scepticisme, en effet, est l’expression la plus intellectuelle d’une complexion physiologique très répandue que la langue courante nomme neurasthénie et débilité maladive ; elle apparaît chaque fois que des races ou des classes longtemps séparées se croisent brusquement et d’une manière décisive. Dans la race nouvelle qui reçoit en son sang l’héritage de normes et de valeurs différentes, tout est agitation, dérèglement, doute, projet ; les meilleures énergies agissent comme des inhibitions, les vertus mêmes se contrarient et s’affaiblissent mutuellement ; les corps aussi bien que les âmes ne connaissent ni équilibre ni centre de gravité ni aplomb. Mais ce qui est le plus atteint dans de tels métis, ce qui dégénère le plus profondément, c’est la volonté : ils ont perdu le sens de la décision indépendante, du hardi plaisir de vouloir – ils doutent de leur « libre arbitre » jusque dans leurs rêves. C’est pourquoi notre Europe contemporaine, théâtre d’une tentative follement rapide de mélanger radicalement les classes et par conséquent les races, est sceptique de fond en comble ; c’est tantôt un scepticisme agile, qui bondit impatiemment, lascivement, de branche en branche, tantôt un scepticisme trouble comme une nuée chargée d’interrogations, car elle est lasse de sa volonté à en mourir. Paralysie de la volonté : où ne rencontre-t-on pas cet infirme aujourd’hui ! Et dans quelle tenue, par surcroît, dans quel séduisant costume ! On a taillé pour cette maladie les plus somptueux habits de mensonge ; la majeure partie, par exemple, de ce qui se propose aujourd’hui dans les vitrines sous le nom d' »objectivité », d' »esprit scientifique », d' »art pour l’art », de « connaissance pure et désintéressée » n’est que sceptique paré et aboulie déguisée : voilà un diagnostic de la maladie européenne dont je me porte garant ».

    Bien à vous.

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