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Suffit-il d'être certain pour être dans le vrai?

  

 Introduction détaillée:

  

   La certitude est l’état d’un esprit qui se croit en possession de la vérité. Elle est le contraire du doute c’est-à-dire de cette inquiétude de l’esprit le conduisant à suspendre son jugement, à examiner les énoncés, à chercher la vérité plutôt qu’à prétendre la posséder.

 
   Or si l’on voit bien en quoi une idée vraie, selon des critères [1] à expliciter, peut fonder une certitude, on ne voit pas en quoi la certitude pourrait être tenue pour un bon indice de la vérité. Car l’intensité subjective d’une conviction, ce que connote l’idée de certitude, peut montrer qu’on ne voit pas le caractère douteux d’une affirmation mais non pas que l’on ait raison de ne pas le voir. Les hommes ne sont donc pas en manque de certitudes, l’expérience attestant que plus on est ignorant plus on en a. Voilà pourquoi l’éveil de la pensée a toujours la couleur du constat cartésien : «Il y a déjà quelques temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j’avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables et que ce que j ‘ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain» Descartes, Première Méditation métaphysique. Le premier travail du penseur consiste donc à révoquer en doute toutes ses certitudes, les certitudes rationnelles aussi bien que les certitudes sensibles. De même contre le dogmatisme de la doxa, la science comme institution est un scepticisme organisé, devant sa réussite à sa méfiance à l’égard des certitudes premières et à sa modestie à l’endroit des vérités qu’elle élabore. Celles-ci ne se prétendent ni absolues, ni définitives, seulement approximatives. La science ne promet pas à l’esprit le confort de la certitude.
   Il semble donc que le critère de détermination de la vérité ne trouve pas dans la certitude sa condition suffisante car une condition suffisante est ce qui n’a pas besoin d’autre chose pour assurer ce dont elle est la condition. Or il s’en faut de beaucoup qu’il suffise d’être certain pour être dans le vrai, le premier enjeu de cette question étant de comprendre pourquoi l’assentiment d’un esprit à un contenu de pensée ne peut pas en garantir la vérité.
 
   Pourtant s’il ne suffit pas d’être certain pour être dans le vrai, il devrait suffire qu’une idée soit vraie pour entraîner la certitude, La question est donc de savoir ce qui confère à une idée le statut d’une vérité susceptible de fonder une certitude. Y a-t-il un critère infaillible de vérité et est-il possible pour un esprit exigeant d’être absolument certain? Pour Descartes oui, l’évidence, dont le cogito est le modèle, emporte nécessairement l’adhésion de l’esprit. Mais il se trouve que là où Descartes voit une idée claire et distincte, Nietzsche dénonce une fiction grammaticale. La certitude que le philosophe du doute méthodique croyait susceptible de résister aux plus extravagantes objections des sceptiques ne résiste pas au marteau nietzschéen.
 
   Alors faut-il considérer que le scepticisme est un destin? Oui si, refusant la finitude de notre condition, nous aspirons à la vérité absolue. Celle-ci hante l’esprit humain et toujours se refuse. Mais que nous ayons « une impuissance à prouver invincible à tout le dogmatisme» (Pascal) ne signifie pas que nous n’ayons pas « une idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme» (Pascal). Notre tâche est donc bien de discriminer le vrai du faux, de construire des savoirs capables de faire l’accord des esprits même si les résultats de nos efforts restent pour un esprit en éveil, incertains. L’incertitude du philosophe ou du savant n’est pas synonyme du renoncement à la vérité mais hommage rendu à ses exigences et conviction qu’elle n’est pas tributaire de l’état de l’esprit qui la vise. Sa mesure n’est pas la certitude subjective mais la communauté des sujets pensants qu’il s’agisse de la république des lettres ou de la cité scientifique.

   Il nous faut donc conclure sur un paradoxe: le principal obstacle au dévoilement du vrai n’est pas le doute, c’est la certitude. Il s’ensuit que c’est dans la mesure où l’esprit se défie de la certitude qu’il parvient à faire reculer l’ombre pour faire surgir un peu de lumière. Seuls s’approchent de l’antichambre du vrai les esprits incertains. C’est peut-être la seule certitude que l’expérience de la pensée et de la science justifie.

  «En fait, c’est dans son incertitude même que réside largement la valeur de la philosophie » disait Russell. [2] On pourrait aussi le dire de la science.