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Klimt. Mère et enfant. 

 
  Si l'on prend acte de la « rollersmania », du triomphe contemporain de ce que Philippe Muray appelle « homo festivus » infiniment occupé à s'exhiber dans les gay-pride, techno-parade et autres fêtes qui sont en passe de constituer l'essentiel du calendrier, on se dit que l'âge des trottinettes et des cours de récréation, c'est-à-dire de l'enfance est moins à dépasser qu'à prolonger tard dans une vie d'homme. La question est de savoir si une telle éthique de vie peut être fondée en raison. Comment penser le statut de l'enfance dans l'économie d'une existence humaine? Ce qui doit être surmonté ou au contraire ce qu'il faudrait sauver pour accomplir dans son excellence son humanité ? L'énoncé nous demande, en effet, d'examiner le statut de l'enfance dans une perspective morale. Il s'agit de prescrire ce qui doit être non de décrire ce qui est. Qu'est-ce donc que l'enfance envisagée du point de vue de l'idéal intellectuel et moral ?

    Le sujet présuppose qu'elle recèle certaines faiblesses puisque n'est pas à « surmonter » ce qui incarne une perfection intellectuelle et morale. On « surmonte» un obstacle, une difficulté, une faiblesse. La notion implique qu'on se heurte à un donné jugé négativement. Quels sont les vices de l'enfance propres à donner un sens à l'injonction de la surmonter et au nom de quelle exigence morale cet impératif est-il formulé ?

  Pour autant on peut s'étonner de cette sévérité à l'égard de l'enfance puisque aussi bien on se donne pour mission de la protéger, on s'émerveille de sa fraîcheur, et l'on dit parfois qu'il faut savoir garder une âme d'enfant. N'est-ce pas l'aveu qu'elle n'a pas que des vices, qu'elle renferme aussi des vertus qu'un homme accompli doit arracher au naufrage du temps et des épreuves ? Quelles sont les qualités de l'enfance exaltées par le philosophe et le poète  lorsque avec Nietzsche ou Rilke retentit le mot d'ordre : « deviens tel un enfant » ?

  Ce qui pose un nouveau problème car quel est le sens de cette invitation ? S'agit-il de croire qu'il faut rester en enfance ou bien de découvrir que même lorsqu'il faut sauver des vertus de l'enfance, l'enfance est encore ce qui doit être surmonté ?

[Méthode : Etudiez bien comment est construite cette introduction. J'amène la problématique à l'aide d'une observation tirée de l'expérience. Ce n'est pas obligatoire. L'important est de faire apparaître les problèmes, ici l'ambiguïté de l'enfance et conséquemment le nécessité pour élucider la question posée d'avoir le sens dialectique. Vous pourriez aussi bien utiliser les jugements courants sur l'enfance : « tu es puéril » entend-on parfois et ce n'est pas un compliment mais a contrario on s'émerveille d'un regard d'enfant. Ces jugements contradictoires témoignent qu'il y a une ambiguïté de l'enfance. La problématique procède de cette ambiguïté : -   Thèse : L'enfance est ce qui doit être surmonté. > Quels sont les vices de l'enfance qui justifient cet impératif ? -  Antithèse : L'enfance est à sauver > Quelles sont les vertus de l'enfance qu'il nous semble souhaitable de sauver ? -   Dépassement : Sauver ce que nous admirons dans l'enfance n'est-ce pas encore la surmonter ? Remarquez que le traitement dialectique de la question et le dépassement sont annoncés par les questions appropriées. Celles-ci ne sont pas formulées n'importe comment, elles s'enchaînent de manière cohérente : -   Je pointe ce qui est en question : le statut de l'enfance envisagé dans une perspective morale. -   Je formule les termes de l'alternative : vices d'un coté, vertus de l'autre. -   Je rends possible le dépassement de l'apparente contradiction, car il ne s'agit jamais dans une dissertation de se contredire. Le développement ne peut donc pas soutenir une chose (l'enfance est à surmonter) et son contraire (l'enfance n'est pas à surmonter). Le dépassement dégage l'argument nous sauvant de cette inconséquence. Remarquez les connecteurs logiques ; Pour pointer le renversement dialectique j'utilise une expression « pour autant » qui indique le principe d'une objection, objection n'annulant pas l'analyse précédente mais exigeant de déplacer le point de vue et d'envisager le statut de l'enfance sous une forme positive, ce qui apparemment est contradictoire avec la première partie. Au fond le renversement dialectique est toujours du type : « oui, d'accord avec ce que vous venez d'établir mais....Les connecteurs logiques équivalents sont : toutefois, cependant, mais) Attention : Je vous livre une dissertation où je fais apparaître le plan avec des 1) 2) 3) et des titres pour chaque sous partie. C'est absolument interdit dans le devoir à rendre. Votre discours doit être rédigé en indiquant les parties par le retour à la ligne avec décalage pour les grandes parties et simple retour à la ligne pour chaque sous partie.]

 

I)                   La nécessité morale de surmonter l'enfance.

 

   Que l'enfance, premier âge de la vie soit destinée à être suivie de l'âge adulte est une loi naturelle ; il ne s'ensuit pas qu'un adulte au sens biologique du terme soit un homme au sens où l'humanité est un idéal moral. En effet, comment lire l'excellence humaine dans le spectacle de tous ces adultes inféodés aux superstitions les plus obscurantistes, proies consentantes de propagandes diverses dont le discours manichéen est un aveu d'infantilisme ? Comment contempler la vertu humaine dans tous ces grands enfants si prompts à s'abandonner à tous leurs penchants, à confondre le réel et l'imaginaire s'autorisant ainsi des revendications refusant de tenir compte des contraintes du réel ? Il ne suffit pas de grandir pour devenir un homme, encore faut-il le vouloir et se disposer à incarner l'idéal dans les faits. Voila pourquoi on parle de vertu. On entend par là, chez les Grecs, ce qui accomplit la nature humaine dans son excellence. Alain précise : «  ce qui est vertu est pouvoir de soi sur soi ». Notre premier effort pour affronter la question ouverte par l'énoncé exige donc de préciser au nom de quel idéal d'humanité on peut dire que l'enfance est en déficit, raison pour laquelle elle doit être surmontée.

 

La vertu de l'homme est de développer et de perfectionner les dispositions de sa nature.

 

   Il y a une spécificité de l'homme : il est un être de la nature auquel la nature a remis le soin de développer toutes ses aptitudes. Il commence, comme le montre Kant par n'être RIEN, il a à devenir TOUT ce qu'il peut être et cela par son propre effort. De ce point de vue, l'enfance, qu'il s'agisse de celle de l'individu ou celle de l'espèce humaine est le degré zéro des savoirs, des talents, de la moralité etc. C'est un état de nullité, d'indigence. L'enfant est, comme le disait  Henri Wallon, « un candidat à l'humanité » mais un candidat seulement. Les germes, les virtualités qu'il porte en lui sont destinés à s'atrophier s'ils ne sont pas actualisés or le devoir de l'homme tant à l'échelle individuelle qu'à l'échelle collective n'est-il pas de promouvoir la pleine réalisation des virtualités humaines ? Un enfant qu'une absence d'instruction et d'éducation laisse à l'état de friche, un enfant que la démission des adultes abandonne aux démons de la paresse et de la sauvagerie ne devient pas un homme en qui nous admirons les qualités de l'humanité. Accomplir son humanité c'est bien surmonter l'indigence et le caractère frustre de l'état enfantin.

 

L'excellence humaine c'est la conquête de l'autonomie tant sur le plan théorique que pratique.

 

   Etre autonome c'est s'affranchir de tout ce qui commence par nous déterminer pour faire du sujet pensant le principe du jugement, des évaluations et de la position des normes. Or il y a là une tâche infinie tant il est vrai que « nous avons tous été enfants avant que d'être hommes et qu'il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs »( Descartes) L'enfance c'est la fatalité d'un passif qui fait que nous sommes intimement le produit d'un certain nombre de conditionnements ;  « un même homme écrit encore Descartes, avec son même esprit, étant nourri dès son enfance entre des français ou des allemands, devient différent de ce qu'il serait s'il avait toujours vécu entre des chinois ou des cannibales » C'est là le thème platonicien de la caverne destiné à montrer combien l'aliénation de l'esprit est insidieuse et combien l'effort de libération est nécessaire. C'est que l'immaturité, la réceptivité, la dépendance, la crédulité de l'esprit enfantin le condamnent à être ce que Nietzsche donne à penser avec la métaphore du chameau. Le chameau est un animal ployant sous le poids de tout ce qu'il a emmagasiné. Ainsi en est-il de l'enfant : il a assimilé avec le lait maternel tout un système de représentations, d'habitudes, de principes de conduites et de valeurs. Il a la pesanteur de tout ce qu'il a incorporé à son insu. En ce sens, devenir un homme c'est secouer ce fardeau , dire non aux préjugés , aux visions du monde convenues , aux pseudo morales , c'est sortir de la minorité intellectuelle et morale pour accéder à la majorité. Et l'on sait que la devise des Lumières est « ose te servir de ton entendement »

 

 L'excellence humaine c'est la maîtrise de soi.

 

   Etre maître de soi c'est se gouverner soi-même non être gouverné, c'est agir non être agi .Or qu'est-ce qu'un enfant avant l'intervention du Père ou du Maître qui disent la loi, celle de la société qui n'est pas toujours celle de l'esprit ? Un petit animal pulsionnel traversé par de redoutables pulsions si l'on en croit Freud (« un pervers polymorphe ») « un nourrisson polycéphale » disait déjà Platon, qu'il convient de discipliner patiemment pour lui donner visage humain. L'enfance c'est d'abord le naturel dans ce qu'il a de sauvage. D'où la nécessité de l'éducation pour éviter que l'enfant ne devienne un barbare. Barbarie ou sauvagerie s'oppose en effet à civilisation. Le sauvage disait le grand penseur politique Hobbes est « un enfant robuste » Il se croit libre lorsqu'il satisfait ses pulsions, en réalité il est déterminé par les lois de la nature. Il n'a pas encore conquis la liberté qui advient avec la possibilité de se donner à soi-même la loi de sa conduite.  « L'impulsion du seul appétit est esclavage disait Rousseau. L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté » C'est dire que l'humanité se conquiert sur fond d'une double libération : libération du déterminisme naturel d'abord, ce qui est originairement la fonction de l'éducation dont la vocation est de  socialiser l'enfant. Voila pourquoi les adultes ont la responsabilité « d'accoutumer les enfants à dominer leurs désirs et à se passer de leur fantaisies » (Locke) s'ils ne veulent produire ce qu'un ministre de la République française a appelé « des sauvageons » Mais tant que l'homme n'est pas un sauvageon parce qu'il a bien intériorisé la loi du père ou du maître, il n'est pas encore un homme au sens moral du terme. Car il se peut que la loi morale inculquée soit une caricature de loi morale. « La vraie morale se moque de la morale » disait Pascal signifiant par là que les morales sociales ne résistent pas toujours à l'examen de l'esprit. Une autre libération est ainsi requise, celle par laquelle nous passons de l'hétéronomie première à l'autonomie conquise contre la pesanteur des tutelles trop bien intériorisées. C'est là une tâche personnelle exigeant de penser par soi-même. On sait que l'autonomie rationnelle est le grand enjeu de la philosophie et l'exercice philosophique n'est pas à la portée de l'enfant. Il faut d'abord qu'il reçoive une solide formation intellectuelle pour qu'il s'approprie sa propre capacité de penser. En ce sens encore l'enfance est vraiment ce qu'il faut surmonter.

 

 L'excellence humaine c'est le courage de la lucidité.

 

   Voir clair c'est apprendre à tracer la frontière entre le réel et l'imaginaire, à penser non point selon « nos appétits » comme le dit Descartes mais en soumettant l'exercice de l'esprit à la norme de vérité et d'objectivité. Or rien n'est plus étranger à l'enfant que cette aptitude. Pour deux raisons au moins. La première tient au fait que le rapport de l'enfant  au réel est médiatisé par des adultes. Ce qui l'incline à croire qu'il suffit de « brailler et de se dépiter » (Locke) pour vaincre les résistances du réel. Descartes remarquait finement que « nous avons tant de fois éprouvé dès notre enfance, qu'en pleurant, ou commandant etc. nous nous sommes faits obéir par nos nourrices, et avons obtenu les choses que nous désirions, que nous nous sommes insensiblement persuadés que le monde n'était fait que pour nous, et que toutes choses nous étaient dues » La deuxième raison est que l'imagination enfantine est fertile or si la fécondité de l'imagination est une force chez l'adulte qui est doué « pour s'exprimer d'organes virils et de l'esprit analytique » ( Baudelaire) elle est chez l'enfant un principe dangereux de confusion du réel et de l'imaginaire. Or  il est absolument nécessaire d'apprendre à tracer avec lucidité cette frontière : sur le plan personnel  afin de ne pas exposer sa vie à la souffrance de celui dont les désirs se brisent sur l'écueil de la réalité et sur le plan politique afin de  ne pas mettre le monde à feu et à sang ou de conduire des sociétés à la catastrophe parce qu'on est impuissant à identifier les contraintes du réel. Devenir un homme c'est prendre acte de l'hétérogénéité des ordres : le rêve, le désirable est une chose, le réel et le possible une autre. Cette sagesse là exige de surmonter de nombreux enfantillages. Il n'est pas sûr que nous vivions dans un monde où les adultes donnent de ce point de vue l'exemple aux enfants....L'expérience montre qu'ils les enrôlent au contraire dans leurs aveuglements, les rues débordant régulièrement des clameurs de ces grands enfants qui prennent leurs désirs pour des réalités.

 

 L'excellence humaine c'est l'aptitude à « se rendre contents »(Descartes)

 

   « Se rendre contents : l'expression pointe la part d'activité, de courage qui est requise pour ne pas être détruits par les épreuves de la vie, pour se disposer favorablement à l'égard du réel afin d'en tirer le meilleur parti. Le bonheur est, en effet, un des grands enjeux de la sagesse que les Anciens définissaient comme « la méthode du bonheur ». Or le bonheur de l'enfant dépend de ce qui lui arrive. Si les circonstances sont favorables il sourit, si elles lui sont hostiles il pleure. Il est ballotté par les évènements, entièrement dépendant des caprices de la fortune. Il n'oppose pas à l'adversité la force d'une intériorité spirituelle capable de se rendre supérieure aux aléas de l'existence pour sauver la paix de l'âme et la générosité d'un oui à la vie. Il y a en lui quelque chose de pathétique qu'il faut l'aider à dépasser. On ne forme pas au courage en flattant, comme on le fait aujourd'hui, les enfants dans leur souffrance, en prêtant une oreille complaisante à leurs plaintes, à leur découragement. Devenir un homme c'est conquérir en soi la force de faire front à la difficulté d'être et d'offrir aux autres le visage de la paix intérieure. Et s'il faut pour cela surmonter la tendance enfantine à dépendre de l'extériorité, il faut aussi, dans certain cas solder les comptes de l'enfance. Sans doute y a-t-il des enfances heureuses, encore que pour Freud il soit impossible d'éviter « le désastre » reste que notre rapport au monde et à nous-mêmes a été structuré dans le cadre de relations affectives dont nous n'avions pas la maîtrise .L'enfance c'est aussi le poids d'un passif affectif dont il faut se libérer pour éviter que le passé soit la loi du présent et de l'avenir.

 

Conclusion-transition : Au terme de cette première analyse l'enfance nous est apparue avec ses points faibles, ce qui fonde la légitimité du précepte nous enjoignant de la surmonter. Pour autant, un homme dépourvu de tout ce que nous aimons dans l'enfance serait-il un homme accompli ? La légèreté du chant et de la danse enfantine, sa fraîcheur nous invitent parfois à soupçonner certains idéaux d'avoir la pesanteur des morales s'alimentant à des sources impures. Son impertinence fait parfois résonner la petite musique salvatrice de la liberté. C'est que l'enfant nous offre le visage de la vie dans une spontanéité propre à nous émerveiller. Et l'on peut dire avec le poète Hölderlin : « la pensée la plus profonde aime la vie la plus vivante ». Alors quelles sont les vertus de l'enfance de nature à fonder la nécessité morale de les sauver, voire si d'aventure elles étaient mortes en nous de les retrouver ?

 

  II) La nécessité morale de sauvegarder les vertus de l'enfance.

 

 

 L'excellence humaine c'est une vie irriguée par une âme vivante.

 

   Avant de ployer sous le fardeau des idées toutes faîtes, l'enfant est l'être qui s'émerveille devant le réel. Son aptitude à s'étonner, à questionner est infinie, il a tout à apprendre et sa soif de savoir et de comprendre est le sel d'une vie proprement humaine. Platon, Aristote font de l'étonnement la source vive de la philosophie. Le symbole de la philosophie chez les Grecs est Iris, l'arc en ciel ; et Iris est fille de Thaumas : Merveille. A l'esprit éveillé pour lequel rien ne va de soi s'oppose l'âme habituée, « l'âme morte » selon la formule de Péguy.

 

 L'excellence humaine c'est la disponibilité confiante à la splendeur de l'être.

 

C'est la capacité d'accueillir l'offrande du jour dans sa banalité, dans sa trivialité même comme s'il suffisait qu'il y ait quelque chose plutôt que rien pour avoir des raisons de se réjouir. Or nul n'est plus indisponible à la contemplation de l'être que l'adulte affairé. Il fait, il sait rarement être dans la jouissance du simple fait d'exister. Nul n'est plus indisponible au don de l'être qu'un cœur empoisonné par le ressentiment. Il a vite fait de dévaloriser le réel au nom de supposés arrière-mondes lui permettant de répandre son fiel sur ce qui existe. Le monde sensible n'est qu'un pâle reflet du monde intelligible enseigne Platon ; « mon royaume n'est pas de ce monde » proclame le Christ. Pour Nietzsche il y a là de grandes figures du nihilisme qui procèdent de ce qu'il pointe comme des forces réactives de l'humanité. Elles en procèdent et en même temps les alimentent. Aux forces réactives symbolisées par l'image du lion Nietzsche oppose les forces actives, affirmatives. Le chameau n'est pas actif, il supporte le fardeau, le lion non plus. Il n'agit pas, il réagit. L'enfant au contraire a la légèreté du oui à la vie. Il ne lui arrive dit Rilke « rien d'autre que ce qui arrive à une chose ou à une bête » et pourtant « nous vivions leur vie avec les gestes humains et nous fûmes remplis d'images jusqu'au bord » Ce message du poète est aussi celui de l'amoureux de la sagesse. Si l'enfance est le don de la joie, pure de tout ressentiment, si elle est la capacité de cueillir le jour sans autre justification que la grâce d'exister alors oui il faut la sauver ou si nous l'avons perdue la retrouver.

 

L'excellence humaine c'est contre toutes les forces qui découragent et désespèrent maintenir le visage serein et le sourire de l'esprit courageux et généreux.

 

   « Le plus beau des visages humains écrit Baudelaire, est celui dont l'usage de la vie, passion, colère, péché, angoisse, souci, n'a jamais terni la clarté ni ridé la surface » L'enfant est le miracle de ce visage que les épreuves de la vie n'ont pas encore altéré. Il est indemne des plis amers que les blessures de l'existence ont creusés sur certains visages mûrs. Il est affranchi du rictus de la mesquinerie, de la jalousie ou de l'envie ou encore de la haine qui défigure si souvent le visage de l'homme. Il nous offre ainsi le spectacle du visage que nous devons conquérir pour que, par notre sagesse, la vie soit autre chose qu'une entreprise de déconstruction et l'être humain autre chose qu'une épave ballottée par les aléas de l'existence et travaillée  par des passions négatives. Si Nietzsche a raison de dire que « l'homme est une corde tendue entre la bête et le surhomme » alors oui il nous semble que l'amoureux de l'idéal d'humanité doit incarner dans son être cette réussite qu'il contemple dans le visage de l'enfant.

 

 L'excellence humaine c'est la capacité d'être créateur.

 

   Créer et non répéter voilà ce que ne sait pas faire le chameau, créer et non détruire, affirmer et non nier voilà ce que ne sait pas encore faire le lion. Il découvre l'imposture des valeurs convenues mais le lion ne sait que refuser l'ancien fondement métaphysique des valeurs. Il ne sait pas créer ses propres valeurs. Nietzsche écrivait vers 1887-1888 « ce que je raconte c'est l'histoire des deux siècles à venir : l'avènement du nihilisme » On ne peut que rendre hommage à la justesse de la prophétie. Car que sont les tragédies du vingtième siècle et du début de ce siècle sinon les effets hideux de ceux qui ne savent s'affirmer qu'en détruisant ? Nazisme, stalinisme, islamisme...la liste est longue des emblèmes des forces réactives de l'humanité. Nietzsche est le  penseur d'une morale de la création, d'un vouloir procédant d'un  « saint oui » à soi-même et au monde. Or que célébrons-nous dans l'enfance ? L'expression d'une spontanéité créatrice, la promesse de nouveaux commencements (cf. Hannah Arendt  « Le miracle qui sauve le monde , le domaine des affaires humaines de la ruine normale, naturelle,c'est finalement le fait de la natalité...c'est la naissance d'hommes nouveaux, le fait qu'ils commencent à nouveau...C'est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, dans la petite phrase des Evangiles annonçant leur « bonne nouvelle » : « un enfant nous est né » ) la manifestation d'une force artiste, la vitalité d'une sensibilité débordante de richesse et jouissant d'elle-même dans la gratuité du jeu, du rire, du chant et de la danse. Si l'homme accompli est un créateur, si le génie est selon la formule de Baudelaire « l'enfance retrouvée » alors oui il faut sauver en nous cette féconde vertu de l'enfance.

 

Conclusion-transition : D'une certaine manière la nostalgie de l'enfance est bien justifiable en droit. Il s'ensuit que l'homme de la maturité doit parfois se retourner sur ce qu'il a été pour savoir ce qu'il doit être. Toutefois il ne faut pas se fourvoyer dans des inconséquences. Sauver, retrouver, devenir tel un enfant, ce n'est jamais faire retour à un état qui, non seulement est pour un adulte irrémédiablement perdu, mais  auquel l'homme ne saurait se fixer sans renoncer à accomplir sa véritable humanité. On ne devient pas un homme en restant un enfant ou «  en retombant en enfance » C'est la formule dans la premier cas de l'infantilisme, dans le second de la sénilité. Alors quel est le sens de cette fascination que l'enfance exerce sur nous ?

 

 III) Sauver l'enfance est encore une invitation au dépassement.

  

  Ce n'est pas le programme d'une régression infantile et c'est ce que semble méconnaître l'infantilisme contemporain. Celui-ci s'atteste dans deux symptômes : d'une part la tendance d'un nombre croissant d'adultes à nier dans leur comportement la différenciation des âges, leur propension à singer la jeunesse, à jouer au copain copain avec leurs enfants, d'autre part l'idéalisation irréfléchie de l'enfance conduisant à renoncer à soumettre les enfants aux difficiles apprentissages formateurs sous prétexte qu'ils seraient immédiatement créateurs. Les deux erreurs sont de même nature. Elles traduisent l'ignorance du rôle cardinal des médiations dans le devenir homme et l'oubli d'une vérité élémentaire. Il se trouve que seul a de la valeur ce qui se mérite. Car que vaut une joie, un amour de la terre procédant de l'inconscience ? Que vaut une création ne donnant naissance qu'à des formes frustres et archaïques ? Que vaut un visage lisse dont la seule vertu est de ne pas avoir encore été exposé à la geste destructrice des épreuves ? En toute rigueur RIEN. C'est une image de ce qu'il nous faut conquérir, non la forme achevée de ce que signifie être un homme. La séduction de l'enfance est de donner à voir dans la perfection de l'immédiateté ce que nous ne pouvons approcher qu'au terme de médiations arides et douloureuses. La vivacité de l'esprit, la plénitude de la joie, la puissance créatrice de l'artiste sont la récompense d'un immense effort sur soi-même. L'illusion ou l'imposture consistent toujours à l'oublier. Ainsi, lorsque les artistes modernes initient le mouvement de la modernité en exaltant l'enfance, la virginité des commencements, ce ne sont ni des analphabètes, ni des barbouilleurs de toiles. Ce sont des hommes pétris d'une culture dont ils ne dénoncent le carcan que parce qu'ils sont allés jusqu'au bout de sa fécondité. « C'est une grande difficulté et une grande nécessité de devoir recommencer à zéro. Je veux être comme le nouveau né, qui ne sait rien, absolument rien de L'Europe, ignorant les poètes et les modes, être presque primitif » écrit Paul Klee en 1902. « Donner l'image de ce que nous voyons en oubliant tout ce qui a été fait avant » écrit Cézanne en 1904. Etre comme le nouveau né sauf qu'un nouveau né ne produira jamais un Klee ou un Cézanne. Il ne faut pas faire l'impasse sur le comme. La figure de l'enfance est une métaphore. Icicelle d'un art qui veut s'émanciper de la tradition en créant ses propres normes ; d'un regard sur le réel attentif à ne pas être opacifié par toutes les scories de la culture. Voilà pourquoi il revendique la virginité de l'enfance. Etre les initiateurs de quelque chose de nouveau, inventer les règles du goût, choisir son sujet, être soi-même et non plus les bons élèves d'un académisme. Si l'on veut que les enfants d'aujourd'hui aient la chance d'être les Klee ou les Cézanne de demain, il ne faut donc pas démagogiquement, les abandonner à leur supposée spontanéité créatrice. Il faut les instruire et les soumettre aux apprentissages rigoureux et exigeants sans lesquels les productions humaines sont grossières et d'une grande pauvreté spirituelle.

 

Conclusion générale :

 

  Il n'y a d'accomplissement pour l'homme que dans le dépassement de son indigence native. Il s'ensuit que l'enfance est toujours ce qui est à surmonter même quand il y a en elle une positivité. Telle est la rançon d'une condition ayant rendez-vous avec la régression sitôt qu'elle renonce à l'incessant dépassement. En témoigne de manière pathétique le vieillard, lorsqu'au soir de sa vie il « retombe en enfance ». Pourquoi est-il pitoyable ? Parce qu'est anéanti le capital des efforts l'ayant éloigné de la condition enfantine. A l'inverse l'enfance suscite notre émerveillement mais ce que nous admirons essentiellement, ce sont les promesses qu'elle contient et les traces d'une perfection morale qu'elle donne à voir sous la forme de l'immédiat. Mais ces traces ne sont pas encore des perfections en elle car des vertus ne sont vertus qu'autant qu'elles sont conquises contre tout ce qui leur fait obstacle.

 

Bibliographie :

 

-Locke : Réflexions sur l'éducation. -Descartes : Discours de la méthode. -Kant : Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique. -Nietzsche : Texte : les trois métamorphoses dans Ainsi parlait Zarathoustra. -Baudelaire. Textes sur l'enfance dans le peintre de la vie moderne.
 

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13 Réponses à “L’enfance est-elle ce qui doit être surmonté?”

  1. senga50 dit :

    Je suis d’autant plus intéressée que je possède de toi la proposition manuscrite de correction de ce sujet qui t’est cher ! Cette nouvelle version est un peu différente de la 1ère tout aussi intéressante cependant Merci

  2. geneviève dit :

    merci de cette dissertation qui va dans le sens du mémoire que j’achève en ce moment sur « l’enfance philosophe ».Si cela vous intéresse je peux vous l’envoyer il est bientôt fini.
    le commentaire sur Nietzsche est trés clair.

  3. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Merci pour votre proposition. Je lirai avec intérêt votre mémoire.
    Bon courage pour le terminer.

  4. Patrick dit :

    Bonsoir,

    Ce sujet me fait penser a ce koan japonais : ‘Au début les montagnes sont des montagnes. Au milieu les montagnes ne sont plus des montagnes. À la fin, les montagnes sont à nouveau des montagnes’

    Bien a vous.

  5. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Bel aphorisme. Merci de nous le faire connaître.
    Bien à vous.

  6. […] Chapitre XXV. Le plaisir. » Chapitre XXI – La liberté. » Chapitre VII – Le travail. » L’enfance est-elle ce qui doit être surmonté? Explications de texte. […]

  7. baer ines dit :

    Madame Manon,
    Un grand merci pour le partage d’un travail intellectuel d’une telle exigence et clarté.
    C’est une mine d’or pour la réflexion, car la précision de vos analyses apporte la nuance constitutive de la démarche philosophique, je pense.
    Ayant réussi le CAPES, j’apprends beaucoup de votre démarche.
    Bien à vous.

  8. Simone MANON dit :

    Merci, chère collègue, pour ce sympathique message.
    Tous mes vœux d’accomplissement dans le métier que vous avez choisi.
    Bien à vous.

  9. Anonymouuuus dit :

    Bonjour!
    Vos cours sont très bien écrits, félicitations à vous.
    Notre prof de philosophie aime énormément votre blog et nous le recommande quasiment chaque semaine, je voulais donc savoir si vous pouviez nous accorder une faveur (pour lui faire une petite surprise lorsqu’il lira le prochain article): dédier votre prochaine publication  » A V…. R…., grand connaisseur de la sauce béarnaise »
    Cordialement, merci!

  10. Simone MANON dit :

    Bonjour
    J’aime bien les plaisantins, mais ne comptez pas sur moi pour régler vos comptes.
    Bien à vous.

  11. Timothe dit :

    Bonjour ! Un grand merci pour cet article !
    Je tenais à vous faire partager cet aphorisme de Nietzsche qui m’est revenu en tête en lisant votre propos

     » La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant. » Par delà le bien et le mal §94

  12. Philoxène dit :

    Chère Madame,
    Merci pour cette dissertation aussi plaisante qu’instructive.
    Alain, que vous citez au début de votre propos, écrit énigmatiquement dans la douzième Leçon de son Cours de Pédagogie enfantine : « L’observation de[s] jeux [des enfants] est évidemment le commencement de la sagesse ».
    Ce message, donc, pour ajouter à la bibliographie que vous proposez les livres et recueils de Propos d’un philosophe duquel l’actuelle polémique le concernant n’aidera pas à mieux mesurer la profondeur. Je me contente donc de recommander, outre les Propos sur l’éducation et le Cours qui abordent directement cette question, et développent les lignes que vous esquissez dans votre troisième partie, d’autres oeuvres moins connues, mais qui peuvent se lire au prisme de cette même philosophie de l’éducation : le texte qui figure dans Préliminaire à la mythologie, sous le titre de « Source de la mythologie enfantine », méditation sur l’imagination de cet « animal qui a charge d’esprit » ; et également Les Idées et les Âges. Enfin, le magistral texte sur Les Dieux, et singulièrement sa première et sa dernière partie, celle-ci, en son ultime chapitre, développant la symbolique de la fête de Noël et faisant de l’enfant le symbole même de l’esprit, en qui il faut avoir foi d’abord, si l’on veut qu’il porte fruits. « Regardez encore l’enfant. Cette faiblesse est Dieu. Cette faiblesse qui a besoin de tous est Dieu. Cet être qui cesserait d’exister sans nos soins, c’est Dieu. Tel est l’esprit, au regard de qui la vérité est encore une idole. »
    Je vous remercie enfin de me donner l’occasion de proposer à l’admiration ces textes trop vite réduits à n’être que l’expression d’une supposée « philosophie officielle de la Troisième République ».
    Bonne continuation !

  13. Simone MANON dit :

    Bonjour
    La polémique est de l’écume, fort en vogue médiatiquement. Laissons-la à ceux qui ont oublié ce que penser veut dire.
    Merci pour toutes ces suggestions.
    Bien à vous.

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