Remarques liminaires: J'ai entendu la demande de Claire. J'ai observé aussi que des corrigés sont disponibles sur internet mais ils sont souvent payants. J'ai un énorme paquet de copies à corriger en section S, aussi n'ai-je guère le temps de produire des corrigés substantiels. Néanmoins pour vous remercier d'aimer le travail de la pensée, maintenant que vous avez compris sa nécessité morale et les jouissances que la philosophie donne, je vais essayer de vous satisfaire, au moins pour ce qui concerne la section L.
La perception est la fonction par laquelle l'esprit se forme une représentation des objets extérieurs. Percevoir consiste à se représenter des objets dans l'espace. C'est dire qu'il s'agit d'une faculté essentielle dans le rapport de l'homme et du réel. C'est elle qui donne le sentiment de la présence des choses perçues, c'est encore elle qui est au principe de l'image que nous nous en faisons. Or si nous suivons la leçon de Platon dans l'allégorie de la caverne ou celle de nombreux artistes, la perception est une expérience étonnante car ce qui devrait être une fonction d'ouverture de l'homme au monde s'accomplit souvent comme fonction d'une réelle fermeture. En témoignent le prisonnier de la caverne qui prend l'ombre des choses pour les choses elles-mêmes ou Klee qui en appelle à l'art pour rendre visible ce que spontanément on ne sait pas voir. Est-ce à dire qu'il faille apprendre à percevoir et que la perception ait besoin d'être éduquée ?
Telle est la question que l'énoncé invite à affronter. Il s'agit d'interroger la nature de la perception afin de déterminer ses conditions de possibilité. Est-elle, comme on le croit naïvement, un mécanisme naturel tributaire de facteurs innés et universels ou met-elle en jeu des opérations donnant prises à des apprentissages et à des processus éducatifs ? En tant qu'elle implique des récepteurs sensoriels, des lois selon lesquelles ceux-ci sont affectés par divers stimuli, la prégnance de certaines formes, il semble que la perception ne dépende pas d'une volonté de création de soi. Et pourtant l'expérience montre que l'homme dont la sensibilité est développée par une culture artistique et l'esprit averti par la connaissance scientifique ne perçoit pas le réel de la même manière que le sujet frustre et inculte.
Il convient donc d'examiner ce qui intervient dans l'activité perceptive, activité complexe car si les organes de la réception c'est-à-dire les sens ont un rôle, l'esprit traite les informations qu'il reçoit et exerce une fonction interprétative et synthétique. Ce n'est pas l'œil mais l'esprit qui voit, disait Descartes. Dès lors, même si intellectualistes et phénoménologues ne font pas exactement la même analyse de la nature de la perception, ne commence-t-elle pas, pour les uns et les autres, à être l'otage d'une langue, d'un contexte culturel, d'habitudes conditionnant les individus à percevoir le réel d'une certaine manière ?
Or la possibilité même de conditionner et de diminuer indique en creux la possibilité inverse : celle qu'incarne un véritable projet éducatif et qui consiste toujours à affranchir l'homme de ce qui le limite pour cultiver ce qui l'augmente. Eduquer consiste en effet à développer les potentialités humaines, à promouvoir leur expression spirituelle et morale; ici à développer les conditions sensibles et les conditions intellectuelles de la perception. Car y a-t-il quelque chose de plus important ? Avec la perception, il y va du rapport de l'homme au monde et chacun sait bien que ce qui se joue dans ce rapport, ce sont les biens supérieurs de l'existence : le bonheur, la liberté, la vertu. Alors ne faut-il pas défendre la nécessité morale de promouvoir l'éducation artistique afin d'apprendre à voir et de rendre disponible à l'infinie richesse et à la splendeur du réel ainsi que l'éducation scientifique et philosophique afin d'honorer l'exigence de la vérité et de la valeur dans la perception de ce qui nous entoure?
Il s'ensuit que l'enjeu de cette question est de comprendre, non seulement que la perception peut s'éduquer, mais que c'est un devoir de s'y employer.
Plan du développement :
I) La perception est un mélange de réceptivité et d'activité.
Interroger la notion de possibilité. Analyser la nature de la perception afin de savoir si elle peut donner prise à des modifications, ce qu'indique l'idée d'éducation > Si ce qu'il y a de passif dans la perception renvoie à des conditions biologiques et incarne une limite à l'idée d'une éducation possible, la part d'activité, qu'il s'agisse de celle de l'intellect (Descartes) ou celle du sujet corporel en débat avec le monde (la phénoménologie) indique que le biologique n'est pas déterminant.
Cf. Le répertoire : La distinction : sensation/perception pour pointer la distinction du naturel et du culturel.
Alain : « Sentir n'est pas sentir. Sentir c'est savoir qu'on sent et savoir qu'on sent c'est percevoir »
« C'est toujours vieilli que l'oeil aborde son activité, obsédé par son propre passé et par les insinuations anciennes et récentes de l'oreille, du nez, de la langue, des doigts, du coeur et du cerveau. Il ne fonctionne pas comme un instrument solitaire et doté de sa propre énergie, mais comme un membre soumis d'un organisme complexe et capricieux. Besoins et préjugés ne gouvernent pas seulement sa manière de voir mais aussi le contenu de ce qu'il voit, Il choisit, rejette, organise, distingue, associe, classe, analyse, construit. Il saisit et fabrique plutôt qu'il ne reflète; et les choses qu'il saisit et fabrique, il ne les voit pas nues comme autant d'éléments privés d'attributs, mais comme des objets, comme de la nourriture, comme des gens, comme des ennemis, comme des étoiles, comme des armes. Rien n'est vu tout simplement, à nu.
Les mythes de l'oeil innocent et du donné absolu sont de fieffés complices. Tous deux renforcent l'idée, d'où ils dérivent, que savoir consiste à élaborer un matériau brut reçu par les sens, et qu'il est possible de découvrir ce matériau brut soit au moyen de rites de purification, soit par une réduction méthodique de l'interprétation. Mais recevoir et interpréter ne sont pas des opérations séparables; elles sont entièrement solidaires. La maxime kantienne fait ici écho: l'oeil innocent est aveugle et l'esprit vierge vide. De plus, on ne peut distinguer dans le produit fini ce qui a été reçu et ce qu'on a ajouté. On ne peut extraire le contenu en pelant les couches de commentaires ».
Nelson Goodman. Langages de l'Art (1968), trad. J. Morizot.
S'il n'y a pas « d'œil innocent » et « de donné absolu » cela signifie que la perception commence par être parasitée par tout ce qui nous conditionne à notre insu. La langue, le contexte socioculturel, les idéologies, les préjugés, les habitudes etc.
D'où la nécessité d'une éducation pour rendre à la perception une jeunesse qui commence par lui faire défaut.
II) Le remaniement des conditions de la perception par l'éducation.
1) Le développement des capacités sensorielles : vue, ouïe, toucher, goût, odorat par des apprentissages.
« Comme la vue est de tous les sens celui dont on peut le moins séparer les jugements de l'esprit, il faut beaucoup de temps pour apprendre à voir ; il faut avoir longtemps comparé la vue au toucher pour accoutumer le premier de ces deux sens à nous faire un rapport fidèle des figures et des distances ; sans le toucher, sans le mouvement progressif, les yeux du monde les plus perçants ne sauraient nous donner aucune idée de l'étendue. L'univers entier ne doit être qu'un point pour une huître ; il ne lui paraîtrait rien de plus quand même une âme humaine informerait cette huître. Ce n'est qu'à force de marcher, de palper, de nombrer, de mesurer les dimensions, qu'on apprend à les estimer ; mais aussi, si l'on mesurait toujours, les sens, se reposant sur l'instrument, n'acquerrait aucune justesse ».
Rousseau. Emile. (1762).
Importance du stade sensori-moteur dans l'exploration de l'espace, dans la sensibilité aux différents stimuli. On peut utiliser ici l'exemple du handicap pour souligner combien l'hyper développement de certains sens supplée le sens manquant ou celui de la culture d'un sens par l'apprentissage d'un art. Ex : La capacité du chef d'orchestre d'identifier tant de notes à la fois. Le développement des papilles gustatives dans l'œnologie ou la gastronomie.
2) La métamorphose de la perception du réel par les arts.
Les nécessités de la vie conduisant à nouer avec le réel un rapport utilitaire, la médiation linguistique substituant aux choses les étiquettes que les mots collent sur elles, les représentations collectives assimilées avec le lait maternel tissent un voile entre le réel et celui qui le perçoit ; l'artiste déchire ce voile, il déstabilise ainsi la perception commune et ouvre un autre rapport possible au monde.
« Mais de loin en loin, par distraction, la nature suscite des âmes plus détachées de la vie. Je ne parle pas de ce détachement voulu, raisonné, systématique, qui est oeuvre de réflexion et de philosophie. Je parle d'un détachement naturel, inné à la structure du sens ou de la conscience, et qui se manifeste tout de suite par une manière virginale, en quelque sorte, de voir, d'entendre ou de penser. Si ce détachement était complet, si l'âme n'adhérait plus à l'action par aucune de ses perceptions, elle serait l'âme d'un artiste comme le monde n'en a point vu encore. Elle excellerait dans tous les arts à la fois, ou plutôt elle les fondrait tous en un seul. Elle apercevrait toutes choses dans leur pureté originelle, aussi bien les formes, les couleurs et les sons du monde matériel que les plus subtils mouvements de la vie intérieure. Mais c'est trop demander à la nature. Pour ceux mêmes d'entre nous qu'elle a faits artistes, c'est accidentellement, et d'un seul côté, qu'elle a soulevé le voile. C'est dans une direction seulement qu'elle a oublié d'attacher la perception au besoin, Et comme chaque direction correspond à ce que nous appelons un sens, c'est par un de ses sens, et par ce sens seulement, que l'artiste est ordinairement voué à l'art. De là, à l'origine, la diversité des arts. De là aussi la spécialité des prédispositions. Celui- là s'attachera aux couleurs et aux formes, et comme il aime la couleur pour la couleur, la forme pour la forme, comme il les perçoit pour elles et non pour lui, c'est la vie intérieure des choses qu'il verra transparaître à travers leurs formes et leurs couleurs. Il la fera entrer peu à peu dans notre perception d'abord déconcertée. Pour un moment au moins, il nous détachera des préjugés de forme et de couleur qui s'interposaient entre notre oeil et la réalité. Et il réalisera ainsi la plus haute ambition de l'art, qui est ici de nous révéler la nature. - D'autres se replieront plutôt sur eux-mêmes. Sous les mille actions naissantes qui dessinent au dehors un sentiment, derrière le mot banal et social qui exprime et recouvre un état d'âme individuel, c'est le sentiment, c'est l'état d'âme qu'ils iront chercher simple et pur. Et pour nous induire à tenter le même effort sur nous-mêmes, ils s'ingénieront à nous faire voir quelque chose de ce qu'ils auront vu: par des arrangements rythmés de mots, qui arrivent ainsi à s'organiser ensemble et à s'animer d'une vie originale, ils nous disent, ou plutôt ils nous suggèrent, des choses que le langage n'était pas fait pour exprimer. - D'autres creuseront plus profondément encore. Sous ces joies et ces tristesses qui peuvent à la rigueur se traduire en paroles, ils saisiront quelque chose qui n'a plus rien de commun avec la parole, certains rythmes de vie et de respiration qui sont plus intérieurs à l'homme que ses sentiments les plus intérieurs, étant la loi vivante, variable avec chaque personne, de sa dépression et de son exaltation, de ses regrets et de ses espérances. En dégageant, en accentuant cette musique, ils l'imposeront à notre attention; ils feront que nous nous y insérerons involontairement nous-mêmes, comme des passants qui entrent dans une danse. Et par là ils nous amèneront à ébranler aussi, tout au fond de nous, quelque chose qui attendait le moment de vibrer. - Ainsi, qu'il soit peinture, sculpture, poésie ou musique, l'art n'a d'autre objet que d'écarter les symboles pratiquement utiles, les généralités conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui nous masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité même.
Henri Bergson (1859-1941). Le Rire (1900).
« Je vous accorde que l'artiste n'aperçoit pas la Nature comme elle apparaît au vulgaire, puisque son émotion lui révèle les vérités intérieures sous les apparences.
Mais enfin le seul principe en art est de copier ce que l'on voit. N'en déplaise aux marchands d'esthétique, toute autre méthode est funeste. Il n'y a point de recette pour embellir la Nature.
Il ne s'agit que de voir.
Oh! sans doute, un homme médiocre en copiant ne fera jamais une oeuvre d'art, c'est qu'en effet il regarde sans voir, et il aura beau noter chaque détail avec minutie, le résultat sera plat et sans caractère. Mais le métier d'artiste n'est pas fait pour les médiocres et à ceux-là les meilleurs conseils ne sauraient donner le talent.
L'artiste au contraire voit : c'est-à-dire que son oeil enté sur son cœur lit profondément dans le sein de la Nature.
Voilà pourquoi l'artiste n'a qu'à en croire ses yeux »
Rodin. Entretiens réunis par Paul Gsell.
3) L'enrichissement de la perception par le savoir.
La science et la philosophie comme manière de changer la direction du regard et de médiatiser la perception par ce qui ne se perçoit pas mais permet de percevoir de manière plus objective et plus riche.
III) Dépassement : Eduquer pour déjouer les médiations occultantes et retrouver une sorte de virginité perceptive : la nostalgie de l'immédiat.
Les apprentissages sensoriels, la culture de la sensibilité par la relation humaine et la pratique ou la fréquentation des arts, l'ouverture de l'esprit par la réflexion philosophique et la connaissance scientifique transforment profondément la perception du monde.
Cependant qu'en est-il de ce détour ? Ne consiste-t-il pas à substituer une médiation à d'autres et ne faut-il pas admettre que le réel étant le corrélat d'une construction de l'esprit et des sens, le sujet percevant est toujours exilé de la présence immédiate des choses et ne peut avoir accès à celle-ci ?
Il semble que ce soit contre cette fatalité que s'insurgent un Bergson ou l'art moderne. "Tout mais pas çà" se serait écrié Bergson en lisant Kant. Tout mais pas le renoncement à la possibilité de saisir le réel tel qu'il est en soi. S'il faut échapper aux sédimentations d'une culture, aux pièges du langage, à la pauvreté du rapport pragmatique, c'est qu'il doit être possible de retrouver la disponibilité émerveillée et innocente de l'enfance pour enfin percevoir l'Etre dans sa vérité. Paradoxalement le souci d'éduquer la perception procède souvent de la nostalgie d'un rapport au réel qui nous en livrerait la vérité essentielle. S'il faut un détour, c'est parce qu'il est la condition de l'accès.
Rêve bergsonien que cette tentation de l'immédiat. Rêve aussi de l'art moderne.
Songeons à Monet disant qu'il aurait aimé naître aveugle afin, en recouvrant la vue, de voir des formes et des couleurs qui ne seraient que formes et couleurs indépendamment des objets et de leurs usages.
A Cézanne soucieux de remonter aux racines du monde, à sa « virginité » comme il le disait.
A Gauguin poursuivant jusqu'en Océanie le rêve d'une source sauvage et primitive où régénérer une perception fatiguée et agonisante. « Je pars, dit-il au journaliste Jacques Huet en février 1891, pour être tranquille, pour être débarrassé de l'influence de la civilisation. Je ne veux faire que de l'art simple ; pour cela j'ai besoin de me retremper dans la nature vierge, de ne voir que des sauvages, de vivre leur vie sans autre préoccupation que de rendre, comme le ferait un enfant, les conceptions de mon cerveau avec l'aide seulement des moyens d'art primitifs, les seuls bons, les seuls vrais ».
A Malevitch et à sa recherche d'une manifestation pure de l'être abyssal, en deçà des objets ou apparences illusoires où vient s'abîmer la souveraineté originaire.
A Klee enfin hanté par « le souvenir des temps immémoriaux et de l'obscurité originelle ».
Recherche du degré zéro de l'art conçue comme recherche du degré zéro de la présence de l'homme au monde et du monde en lui.
Beau rêve mais rêve sans doute vain. On n'échappe pas à l'interprétation ne serait-ce que parce que les récepteurs sensoriels ne sont pas neutres. Tout au plus peut-on reconnaître que certaines médiations ouvrent plus que d'autres un rapport dense et heureux au réel.
Conclusion :
La perception n'est pas tributaire de seules conditions biologiques. Celles-ci constituent une limite à l'action éducative mais même dans sa dimension sensible l'homme est davantage sa propre œuvre qu'une donnée naturelle. La perception peut donc être éduquée pour le bonheur et la dignité de l'existence. Le remaniement de ses conditions sensibles et intellectuelles est peut-être même ce qu'il y a de plus essentiel dans l'éducation.
Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible?
- D'abord il convient de s'étonner de la formulation du sujet. Le possible c'est ce qui peut être mais n'est pas actuellement. Or la connaissance scientifique du vivant c'est-à-dire la biologie n'est-elle pas une science constituée et en plein essor? L'énoncé suggère donc que cette science porte sur un objet qui ne se prête pas sans difficulté à une approche scientifique. Au fond on la soupçonne de ne pas pouvoir rendre compte par ses procédures mêmes de ce qui fait la spécificité du vivant. On pointe sa dimension réductionniste qui la condamnerait à étudier sous le nom de vivant un objet délesté de la vie proprement dite.
-En ce sens ce sujet est un sujet académique. Il s'agit d'une part de préciser ce qui caractérise une démarche scientifique, d'autre part de pointer ce qui dans le vivant constitue de véritables obstacles épistémologiques. J'ai traité cette question dans les cours : "matière, vie, esprit" et "le modèle mécanique". Il suffisait de les avoir assimilés pour affronter le sujet de manière pertinente. Je vous y renvoie.
- Si je corrigeais cette section, je serais sensible à une réflexion qui problématiserait les présupposés de l'énoncé car par méthode toute science simplifie l'objet qu'elle étudie. Elle propose des modèles d'intelligibilité et peut donc être accusée de réductionnisme. Or personne n'aurait l'idée de se demander si une science physique est possible. Pourtant le physicien fait, lui aussi, abstraction des données non formalisables pour élaborer ses lois. Par exemple il fait tomber les corps dans le vide, ce qui ne correspond pas à la réalité phénoménale. Certes l'ordre biologique incarne un niveau de complexité supérieur mais pourquoi l'intelligence humaine ne donnerait-elle pas là aussi sa mesure? Ce dont elle administre chaque jour la preuve. Les biologistes comme les physiciens décrivent le déterminisme des phénomènes et lorsque nous sommes malades, nous ne sommes pas mécontents de bénéficier des applications médicales de leurs découvertes. Aussi peut-on soupçonner la question d'être travaillée par autre chose que des préoccupations théoriques. Tout se passe comme si "la vie", "le vivant" devait être arraché au statut des choses matérielles, manipulables, comme s'il fallait lui conférer une dignité le soustrayant à l'ordre naturel des choses et relevant d'un ordre surnaturel ou moral. Manière contemporaine de recycler les préjugés ayant fonctionné historiquement comme des obstacles à la constitution de la biologie. La vie fait fantasmer. Elle est liée à la mort et celle-ci angoisse. Elle suggère irrépressiblement l'idée d'un créateur et dès que Dieu intervient dans les affaires humaines, les choses se compliquent. C'est patent chez tous ceux qui voudraient interpréter l'idée de possibilité au sens moral. La question serait alors: avons-nous le droit d'élaborer une connaissance scientifique du vivant? Comme si le désir de savoir devait être encadré par d'autres préoccupations que celle de la recherche de la vérité! Comme si la disjonction de l'éthique et du scientifique, du religieux et du scientifique n'était pas une grande conquête de la modernité! Comme si là aussi, il ne fallait pas se prémunir contre les régressions qui semblent être le propre de la post-modernité!
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J’hallucine, avec toutes les copies que tu as , produire encore un tel corrigé relève de l’exploit sportif pardon…… intellectuel qui peut nuire à ton sommeil !
Bonjour,
je suis élève aux Beaux arts, j’ai donc été très intéressée par cet article ainsi que vos explications sur le fait que l’on échappe pas à l’interprétation, et merci pour les citations d’artistes!
En fait je suis en train de lire un livre qui traite un peu du même sujet, on y parle aussi de « l’oeil innocent », d’après l’auteur ce serait une métaphore pour un oeil hautement expérimenté et cultivé.
J’ai donc l’impression que d’après l’auteur, grâce à des efforts et du travail, il est possible de renouer avec l’expérience sensorielle primaire…
Après lecture de votre article je dois avouer que je trouve le rêve de Bergson tout à fait légitime, la tentation de l’immédiat, car c’est effectivement fataliste de dire que l’on n’échappe pas à l’interprétation.
Au final (si j’ai bien compris vos explications) je ne vois plus très bien en quoi l’expérience sensorielle et l’interprétation d’une oeuvre d’art diffèrent (ce que je trouve assez triste)…
Je vous souhaite une bonne soirée,
Et merci encore pour vos explications qui donnent a réfléchir!
Je sais que les intellectuels excellent dans le maniement des paradoxes mais enfin lorsque Nelson Goodman parle « d’oeil innocent », c’est moins pour désigner un oeil hautement expérimenté et cultivé qu’un impossible oeil vierge, indemme de toute activité informante du donné, disponible pour un rapport de transparence avec le réel.
Qu’il y ait chez l’homme une nostalgie de l’immédiat, rien de plus légitime mais ce n’est pas parce que c’est légitime que c’est fondé.
N’oubliez pas que si vos récepteurs sensoriels étaient ceux de l’abeille ou de la chauve-souris vous construiriez une autre image du monde. Toute perception suppose une transposition du donné en une image et cette transposition implique nécessairement interprétation.
Merci pour votre réponse si rapide!
Avant de lire votre article je faisais l’erreur, assez commune j’ai l’impression, de séparer sensation et interprétation,
Pour moi être confronté à une oeuvre d’art faisait d’abord appel à une expérience physique, sensorielle, puis ensuite commençait l’interprétation, l’analyse de l’oeuvre, essayer de comprendre ce que l’artiste veut me transmettre, me dire…
Car si percevoir c’est déjà interpréter, qu’est ce que l’analyse d’une oeuvre d’art finalement?
Mais bien sûr que l’expérience esthétique a une dimension sensible. C’est même par là qu’elle peut être appelée « esthétique ». Voyez le cours sur le jugement de goût.
Cela dit si l’expérience sensible était simplement sensation, il n’y aurait ni perception, ni discours possible sur l’oeuvre. La sensation est en effet le choc indifférencié de l’homme et du monde, ce qui est antérieur à la scission du sujet et de l’objet par laquelle il devient possible pour le sujet de dire qu’il perçoit ceci ou cela. Toute perception met donc en jeu des significations, elle suppose langage, mémoire, jugement.
A tous les étages l’opération fait intervenir l’interprétation.
Percevoir est une chose, procéder à partir de cette expérience à l’analyse d’une oeuvre en est une autre. Celle-ci implique une capacité d’observation de l’oeuvre requérant un certain détachement de l’expérience première car l’émotion esthétique peut rétrécir l’approche de l’oeuvre en focalisant l’attention sur un seul de ses aspects. Elle implique aussi après l’analyse descriptive, une interrogation sur les significations et là il y faut la connaissance de l’histoire de l’art, des codes de la production artistique à l’intérieur d’une société donnée etc. Voyez le cours: l’art est-il langage?
J’y vais de ce pas,
Un grand merci pour ces précieuses explications,
et votre site web qui est de la même qualité!
(je l’ai mis dans mes favoris)
Et que pensez vous de « l’habitus » de Bourdieu, en rapport avec cette étude autour de la réception et de la perception de l’oeuvre d’art ?
J’ai rencontré cette question dans l’article sur le jugement de goût. Je vous y renvoie.
Je ne crois pas que l’on puisse réduire le rapport au beau au seul habitus. Kant me paraît beaucoup plus pertinent mais en l’absence d’une véritable culture (au sens classique de culture de l’âme et donc aux antipodes du philistinisme cultivé ambiant https://www.philolog.fr/le-philistinisme-cultive/) ce sont bien les habitus qui déterminent les appréciations et les actions humaines. Conditionnements sociaux obligent.
Bien à vous.
[…] » La perception peut-elle s'éduquer? […]
Merci infiniment pour votre dévouement à la philo et à tous les élèves de france ! toute ma classe vous remercie pour l’aide précieuse que vous nous apportez sans le savoir (hypokhâgne paris)
Merci Elvire pour ce témoignage.
Tous mes vœux de réussite à vous et à vos camarades dans vos études.
Bonsoir,
Tout d’abord, je tiens à vous remercier très sincèrement pour la richesse et la clarté de votre blog extrêmement enrichissant.
Lisant votre conclusion, qui est celle d’un primat irréductible de la perception et de l’interprétation, une question et une suggestion me viennent à l’esprit.
Ma question d’abord, qui est peut être inappropriée dans ce contexte et cette problématique. J’essaie actuellement de saisir pleinement les notions husserliennes d’intentionnalité et de réduction phénoménologique (tâche difficile à cause de l’abscondité d’une majorité de commentateurs) et lisant la remarque de Nelson Goodman, soulignant le caractère inséparable de la réception et de l’interprétation je me demande si la réduction qu’entend entreprendre Husserl ne procède pas précisément de l’ambition d’une telle dissociation.
D’autre part, je ressens presque une amertume dans votre constat de l’indéfectible dimension interprétative de l’existence, comme il s’agissait de faire « à défaut de mieux ». Il me semble comme vous que l’ambition d’absolu qui parcourt l’art moderne notamment a quelque chose de vain quoique cette naïveté puisse être motrice. Toutefois je crois que Nietzsche est un des rares qui ait su être pleinement conséquent avec cette condition qui est la notre lorsqu’il conviait à quelque chose comme une « gaya scienza »; la relecture de l’aphorisme 374 de l’ouvrage du même nom, intitulé « Notre nouvel infini », m’a rappelé la richesse du rapport au monde que nous ouvre ce qu’il nomme une « existence interprétante » et combien cette existence là pourrait bien se révéler plus féconde que l’absolu déchu des modernes.
A s’approprier une telle pensée on gagnerait, me parait-il, à se débarrasser d’un pessimisme latent et à ne pas commettre les écueils dans lesquelles nous induisent l’absoluité dans la conception de l’art, qui peuvent par exemple être de l’ordre de l’ethnocentrisme si la critique d’art juge à l’aune d’un tel paradigme -si la réalité est une, comment penser la diversité? Je parle de critique car dans le cadre de la conception, il est probable qu’entendre conspuer une telle aspiration relève de la naïveté. Qu’est-ce que cela vous inspire? Je serais très heureux d’avoir votre sentiment sur ce point.
Au plaisir de vous lire.
Bonjour
Non, il n’y a pas d’amertume dans mon propos. Seulement un constat. L’immédiat nous est refusé parce que dans le rapport au monde il est impossible de dissocier radicalement les pôles du sujet et de l’objet.
Les choses se compliquent lorsqu’il s’agit de préciser ce à quoi renvoie l’idée de sujet. La notion se volatilise même avec le thème de » l’existence interprétante », aussi ne suis-je pas sûre que Nietzsche fonde un véritable optimisme. Il fonde bien plutôt une conception tragique du réel même si le tragique peut être assumé dans la joie d’un nihilisme héroïque. https://www.philolog.fr/dieu-est-mort-disait-nietzsche-quel-est-le-sens-de-cette-affirmation/
Voyez comment il suggère dans le paragraphe 374 que la mort de dieu ouvre un boulevard au diable, à la bêtise ou à la folie. Car la dissolution du sujet transcendantal (qu’il s’agisse de sa forme cartésienne, kantienne ou husserlienne) dans sa vérité psycho-physiologique implique de faire le deuil de la possibilité d’un monde commun et il ne me semble pas que ce soit une bonne nouvelle.
Bien à vous.
Toute ma reconnaissance, Madame, pour ce travail exceptionnel que vous mettez généreusement à la disposition des internautes. Vos cours sont passionnants: ils m’ont permis d’éclairer beaucoup de questions restées sibyllines (malgré mes soixante-quinze ans). Pour le moment, le terme « représentation » m’interroge… Mais à force de glaner dans vos écrits, j’avancerai dans ma quête. Et toujours avec gratitude.
Merci, Madame, pour ce sympathique message.
Le statut de la représentation, ses conditions de possibilité, ses conditionnements, sa fonction médiatrice, aliénante ou libératrice, etc. sont au cœur de la réflexion philosophique. Il n’est donc pas étonnant que tout cela vous fasse problème Dans l’allégorie de la caverne et dans l’ensemble de son œuvre, Platon ne cesse d’en méditer l’énigme. Votre quête ouvre un champ de réflexion immense et passionnant pour les esprits qui, comme le vôtre, ont la chance d’être éveillés. Sésame d’une jeunesse inaltérable…
https://www.philolog.fr/la-conscience/
Bien à vous.
[…] » La perception peut-elle s'éduquer? Remarques liminaires: J'ai entendu la demande de Claire. J'ai observé aussi que des corrigés sont disponibles sur internet mais ils sont souvent payants. J'ai un énorme paquet de copies à corriger en section S, aussi n'ai-je guère le temps de produire des corrigés substantiels. Néanmoins pour vous remercier d'aimer le travail de la pensée, maintenant que vous avez compris sa nécessité morale et les jouissances que la philosophie donne, je vais essayer de vous satisfaire, au moins pour ce qui concerne la section L. […]
merci