« L'activité du génie ne paraît pas le moins du monde quelque chose de foncièrement différent de l'activité de l'inventeur en mécanique, du savant astronome ou historien, du maître en tactique. Toutes ces activités s'expliquent si l'on se représente des hommes dont la pensée est active dans une direction unique, qui utilisent tout comme matière première, qui ne cessent d'observer diligemment leur vie intérieure et celle d'autrui, qui ne se lassent pas de combiner leurs moyens. Le génie ne fait rien que d'apprendre d'abord à poser des pierres, ensuite à bâtir, que de chercher toujours des matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme. Toute activité de l'homme est compliquée à miracle, non pas seulement celle du génie mais aucune n'est un « miracle ».
D'où vient donc cette croyance qu'il n'y a de génie que chez l'artiste, l'orateur et le philosophe ? Qu'eux seuls ont une « intuition » ? (Mot par lequel on leur attribue une sorte de lorgnette merveilleuse avec laquelle ils voient directement dans « l'être » !) Les hommes ne parlent intentionnellement de génie que là où les effets de la grande intelligence leur sont le plus agréables et où ils ne veulent pas d'autre part éprouver d'envie. Nommer quelqu'un « divin », c'est dire : « ici nous n'avons pas à rivaliser ». En outre tout ce qui est fini, parfait, excite l'étonnement, tout ce qui est en train de se faire est déprécié. Or personne ne peut voir dans l'œuvre de l'artiste comment elle s'est faite ; c'est son avantage, car partout où l'on peut assister à la formation, on est un peu refroidi. L'art achevé de l'expression écarte toute idée de devenir, il s'impose tyranniquement comme perfection actuelle. Voilà pourquoi ce sont surtout les artistes de l'expression qui passent pour géniaux, et non les hommes de science. En réalité cette appréciation et cette dépréciation ne sont qu'un enfantillage de la raison ».
Nietzsche. Humain trop humain (1878), I, Chap. IV, aph. 162.
Thème : Le génie.
Question : Y a-t-il une légitimité du recours à l'idée traditionnelle du génie ?
Thèse : Non. Ce que la notion de génie recouvre relève d'une véritable mystification.
Enjeu du texte : Procéder à une radicale démystification de la thématique du génie. L'argumentation se déploie en deux moments.
Dans la première partie, Nietzsche conteste la singularité de l'activité artistique, présupposée dans la définition traditionnelle des Beaux-Arts comme arts du génie. En réalité, toutes les grandes œuvres humaines sont créatrices, qu'elles soient scientifiques, militaires, techniques ou artistiques et toutes ont dans leurs conditions de production quelque chose de commun. Le philosophe énumère les traits caractéristiques des génies scientifiques, techniques, artistiques ou autres en procédant à une sorte de phénoménologie de l'activité créatrice de haut vol : un engagement total de la pensée dans un seul but (monomanie), un sens aigu de l'observation, en particulier de la vie intérieure en tant qu'elle est la vie de l'esprit, une capacité de faire son miel de tout ce qui se présente, la confrontation à un matériau mis en forme patiemment mais obstinément par un travail régulièrement remis sur le métier.
Si Nietzsche pointe les conditions de possibilité des oeuvres de grande envergure, ce n'est pas pour banaliser ce qui est exceptionnel ou pour clarifier totalement ce qui garde sa part d'obscurité car « toute activité de l'homme est compliquée à miracle » mais c'est pour humaniser ce qu'on a divinisé de manière puérile. En effet « aucune n'est un miracle » c'est-à-dire quelque chose qui déroge aux lois naturelles et implique une intervention divine. La croyance au miracle n'est pas autre chose qu' « un enfantillage de la raison ».
Dans la deuxième partie, le marteau nietzschéen prétend dévoiler les intérêts, les affects, la supercherie qui sont au principe de la construction de l'idole. L'auteur donne ici un exemple de son puissant instinct de généalogiste.
Il interroge, comme à son habitude « les entrailles de l'esprit » et il remarque premièrement, qu'on est tenté de parler de génie, en présence d'œuvres d'un certain genre. Ce sont celles qui suscitent en nous du plaisir.
Tels sont les Beaux-Arts. Ils s'offrent à une expérience esthétique. Ils donnent lieu à une jouissance, ils plaisent par leur réussite formelle. L'œuvre d'art s'impose par sa beauté et la beauté est le propre de l'œuvre signifiante, saturée d'un contenu spirituel qu'elle rend sensible. L'œuvre réussie exhibe du sens et émeut par là celui qui la rencontre. Son expressivité lui confère ainsi un privilège car la sensibilité, la vie spirituelle qu'elle révèle est une expérience plus communément partagée que celle dont relève l'œuvre scientifique ou technique de haut vol.
Or, remarque Nietzsche, le plaisir esthétique ne veut pas être gâché par le poison de l'envie. L'envie est une haine à l'endroit de celui qui possède quelque chose dont on s'estime injustement privé. L'envie implique de la part de l'envieux le sentiment d'une infériorité se traduisant par une hostilité à l'égard de celui qui le suscite. Que la puissante réussite des « effets de la grande intelligence » puisse attiser l'envie, rien de plus naturel, mais en l'attribuant au « génie », c'est-à-dire à une aptitude divine et non humaine, on coupe en quelque sorte l'herbe sous le pied de ce triste sentiment en ne laissant place qu'à l'admiration. Tout se passe comme si on se mettait en situation de dire: « ici il ne peut pas y avoir de rivalité entre nous ». Nous ne sommes pas sur le même pied d'égalité.
Nietzsche remarque ensuite que la grande œuvre est admirée comme produit fini. On s'émerveille d'un résultat, on se garde bien de se faire une idée du travail d'élaboration. Car si on devait suivre le créateur dans le difficile accouchement de son œuvre, il y aurait de quoi être « refroidi » dit Nietzsche. Il signifie par là que l'attention à la genèse d'une œuvre réussie, quelle qu'elle soit, donne la mesure de l' effort humain, rien qu'humain avec les hésitations, les essais et les erreurs, les reprises patientes, dont elle est l'accomplissement. Tout cela est effacé dans la réussite finale, l'œuvre s'offre dans une forme ayant l'apparence du naturel, d'une facilité miraculeuse. Elle s'impose dans l'évidence de sa « perfection actuelle » et fait oublier qu'elle est le résultat d'une patiente et difficile gestation. Voilà pourquoi « les artistes de l'expression » jouissent d'un privilège sur les grands savants ou les grands techniciens car il est impossible de faire l'économie des étapes d'un raisonnement dans une théorie scientifique ou de l'enchaînement des moyens dans un savoir-faire complexe.
Par ailleurs une réussite scientifique ou technique est inscrite dans une histoire témoignant qu'elle est destinée à être dépassée. Il y a un progrès scientifique et technique, il n'y a pas de progrès en art. Chaque chef-d'oeuvre incarne un sommet se mesurant à l'intensité de l'émotion esthétique qu'il suscite. Poussin notait que le signe de l'art est "la délectation", Léonard, "l'émerveillement" et Eugène Delacroix disait qu'un tableau digne de ce nom devait prendre à la gorge celui qui l'admirait. "Il est une fête pour l'oeil". Peut-être faut-il admettre qu'il y a moins de participants aux fêtes de la grande intelligence scientifique ou technique.
Ce n'est pas l'argument kantien. Les sciences ne font pas intervenir le génie dit-il. "La raison en est que Newton pouvait rendre parfaitement clairs et déterminés non seulement pour lui-même, mais aussi pour tout autre et pour ses successeurs tous les moments de la démarche qu'il dut accomplir, depuis les premiers éléments de la géométrie jusqu'à ses découvertes les plus importantes et les plus profondes ; mais aucun Homère ou aucun Wieland ne peut montrer comment ses idées riches de poésie et toutefois en même temps grosses de pensées surgissent et s'assemblent dans son cerveau, parce qu'il ne le sait pas lui-même et aussi ne peut l'enseigner à personne" Critique de la faculté de juger.§ 47.
De là à prétendre que : "Dans le domaine, scientifique (...) le plus remarquable auteur de découvertes ne se distingue que par le degré de l'imitateur et de l'écolier le plus laborieux, tandis qu'il est spécifiquement différent de celui que la nature a doué pour les beaux-arts", il n'y a qu'un pas franchi allégrement par Kant. Or n'est-ce pas faire fi de ce qu'il y a de créateur dans l'invention d'une hypothèse qui sera ensuite élaborée sous la forme d'un système ayant une cohérence interne? Le saut dans l'imaginaire qu'impliquent les changements de paradigmes, l'intuition scientifique à l'oeuvre dans les grandes réussites théoriques ont-ils moins d'obscurité que la production artistique? Bref ne faut-il pas suivre Nietzsche lorsqu'il dit que : "Toute activité de l'homme est compliquée à miracle, non pas seulement celle du génie mais aucune n'est un miracle "?
D'où la nécessité d'expliciter ce que recouvre l'idée de génie, afin de comprendre que cette notion romantique et mystique soit le nom donné à ce qui demeure inexplicable dans le phénomène de la création.
La notion de génie.
Cf. https://www.philolog.fr/quest-ce-quune-oeuvre-dart/
Sont qualifiées de géniales des œuvres, ayant ceci de spécifique que leur mode de production semble impliquer une part de mystère. De fait l'artiste ne peut pas expliciter les opérations qu'il met en œuvre pour avoir telle idée ou pour réussir tel effet lorsqu'il donne forme au matériau qu'il travaille. C'est ce qui différencie un artiste d'un homme de métier. Celui-ci peut avoir un très grand talent mais ce qui distingue le talent du génie c'est que le premier peut définir ses opérations. Il s'ensuit qu'on peut apprendre les règles d'un métier, par exemple de la charpente, et au terme d'un apprentissage toujours exigeant, on peut être un bon charpentier. Partout où les techniques opératoires sont définissables, on peut par l'étude des règles et par leur application répétée parvenir à une certaine maîtrise dans une activité.
Il semble que ce ne soit pas le cas dans l'activité artistique car elle cesserait d'être artistique si elle n'était que l'application mécanique de certaines règles. Non point que l'artiste ne doive pas maîtriser des techniques. Le génie suppose bien du métier, mais il ne s'y réduit pas. Il faut posséder la technique du ciseau pour être sculpteur, être un bon artisan dans la domestication des caractéristiques d'une matière, mais cela ne suffit pas. La réussite d'une œuvre tient à son originalité et celle-ci ne résulte pas d'une application mécanique de règles préalablement définies. L'artiste invente ses règles en même temps qu'il produit son œuvre. Son œuvre prend forme au cours d'un processus dont il ne connaît pas à l'avance les étapes et les moyens. Cézanne voulait rendre, comme il disait « sa petite sensation » en présence de la montagne St Victoire ou d'un compotier de pommes. Mais comment ? Cézanne le sait si peu qu'il reprend inlassablement l'œuvre en gestation, changeant telle couleur, rectifiant le modelé jusqu'au moment où le résultat lui semble satisfaisant. Voilà pourquoi Kant écrit que « le génie est le talent qui consiste à produire ce pour quoi on ne saurait donner aucune règle déterminée, il n'est pas une aptitude à quoi que ce soit qui pourrait être apprise d'après une règle quelconque ». Ibid.
Certes on peut après coup décrire la manière d'un artiste et les artistes se forment d'ordinaire en apprenant la manière de leurs illustres prédécesseurs. Mais tant qu'un artiste imite la manière d'un autre, fût-ce avec un très grand talent, il ne peut pas être reconnu comme un artiste à part entière. Il est un bon imitateur, il n'est pas un créateur. L'originalité et l'exemplarité sont les caractéristiques de l'œuvre d'art. Et c'est ce qu'on signifie en disant que l'œuvre est belle et en définissant les Beaux-Arts comme les arts du génie.
Du fait que l'art ne peut pas expliciter ses opérations, on a été tenté de voir dans cette activité la manifestation d'un don, d'une aptitude naturelle. Kant le dit clairement : « A travers le génie la nature prescrit ses règles à l'art ». La nature est opposable à la culture, elle est ce qui est donné, ce qui relève de la spontanéité, ce qui exclut les idées d'apprentissages, d'acquisitions, de travail. Par ailleurs un don présuppose une instance qui donne. Un don est reçu. Il semble relever de la grâce comme en témoigne l'expression « un don gracieux ». D'où la référence au divin.
Platon, par exemple, propose de penser l'art du poète en termes religieux. Le don poétique est une faveur et une ferveur divine, une sorte de délire qui vient des dieux. « Le don des dieux l'emporte sur le talent qui vient des hommes ». Phèdre 244.a.
« Il y a une troisième espèce de possession et de délire, celui qui vient des Muses. Quand il s'empare d'une âme tendre et pure, il l'éveille, la transporte, lui inspire des odes et des poèmes de toute sorte et, célébrant d'innombrables hauts faits anciens, fait l'éducation de leurs descendants. Mais quiconque approche des portes de la poésie sans que les Muses lui ait soufflé le délire, persuadé que l'art suffit pour faire un bon poète, celui-là reste loin de la perfection, et la poésie du bon sens est éclipsée par la poésie de l'inspiration ». Phèdre 245.a.
(Les deux premières formes de délire auxquelles Platon fait allusion sont d'une part le délire amoureux, d'autre part l'inspiration prophétique ou la divination (Platon rappelle qu'on appelle cet art mantikè et que mantikè dérive de manikè : délire)
La création artistique aurait donc quelque chose de divin qui s'attesterait comme don ou inspiration. (Relisez le poème de Rimbaud : « Ma bohème », « J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal... »)
La notion de génie cristallise tout cet arrière plan religieux. Cf. Kant : « C'est sans doute la raison pour laquelle le mot génie vient de genius qui désigne l'esprit que reçoit en propre un homme à sa naissance pour le protéger et le guider et qui est la source d'inspiration d'où proviennent ces idées originales ».
Réfléchissant sur la force et l'origine des grandes œuvres, Nietzsche conduit une critique radicale de tous les présupposés impliqués dans la notion de génie.
Critique de la notion de don :
« Ne venez surtout pas me parler de dons naturels, de talents innés ! On peut citer dans tous les domaines de grands hommes qui étaient peu doués. Mais la grandeur leur est « venue », ils se sont faits « génies » (comme on dit) grâce à certaines qualités dont personne n'aime à trahir l'absence quand il en est conscient. Ils possédaient tous cette solide conscience artisanale qui commence par apprendre à parfaire les parties avant de se risquer à un grand travail d'ensemble ; ils prenaient leur temps parce qu'ils trouvaient plus de plaisir à la bonne facture du détail, de l'accessoire, qu'à l'effet produit par un tout éblouissant. Il est facile, par exemple, d'indiquer à quelqu'un la recette pour devenir un bon nouvelliste, mais l'exécution en suppose des qualités sur lesquelles on passe en général en disant : « Je n'ai pas assez de talent ». Ch. 163.
Critique de l'idée d'inspiration :
« La croyance à de grands esprits supérieurs et féconds est associée, non pas nécessairement, mais encore très fréquemment à cette superstition, religieuse en tout ou en partie, que, ces esprits sont d'origine surhumaine et possèdent certaines facultés merveilleuses grâce auxquelles ils acquerraient leurs connaissances par de tout autres voies que le reste des hommes. On leur attribue volontiers un regard plongeant directement dans l'essence du monde, comme par un trou du manteau de l'apparence et les croit capables, sans passer par la fatigue et la rigueur de la science, grâce à ce merveilleux regard divinatoire, de nous communiquer des vérités capitales et définitives sur l'homme et le monde ». Ch. 164.
« Les artistes ont quelques intérêts à ce que l'on croit à leurs intuitions subites, à leurs prétendues inspirations ; comme si l'idée de l'œuvre d'art, de poème, de pensée fondamentale d'une philosophie tombait du ciel comme un rayon de grâce. En vérité, l'imagination du bon artiste ou penseur, ne cesse de produire, du bon, du médiocre et du mauvais mais son jugement extrêmement aiguisé et exercé, rejette, choisit, combine ; on voit ainsi aujourd'hui dans les Carnets de Beethoven qu'il a composé ses plus magnifiques mélodies petit à petit, les tirant pour ainsi dire d'esquisses multiples ».Ch.164.
« Quand l'énergie créatrice s'est accumulée pendant un certain temps, quelque obstacle en ayant empêché le cours, elle se déverse à la fin dans un flot aussi soudain que si se produisait une inspiration immédiate sans aucun travail intérieur préalable, c'est-à-dire un miracle. C'est en cela que consiste l'illusion, bien connue au maintien de laquelle sont un peu trop intéressés, on l'a vu, les artistes. Le capital n'a justement fait que « s'accumuler », il n'est pas tombé du ciel tout à coup. Il y a du reste une inspiration apparente du même genre en d'autres matières, par exemple dans le domaine de la bonté, de la vertu, du vice ». Ch. 156.
Critique de la manière d'être hypnotisé par la perfection de l'œuvre achevée :
« Nous sommes habitués, devant toute chose parfaite, à omettre la question de sa genèse et à jouir de sa présence comme si elle avait surgi du sol d'un coup de baguette magique ». Ch.145.
Pb : Qu'est-ce qui est au principe du culte du génie ? La vanité.
« Parce que nous avons une bonne opinion de nous-mêmes, mais sans aller jusqu'à nous attendre à jamais pouvoir faire même l'ébauche d'une toile de Raphaël ou une scène comparable à celle d'un drame de Shakespeare, nous nous persuadons que pareilles facultés tiennent d'un prodige vraiment au-dessus de la moyenne ; représentent un hasard extrêmement rare, ou, si nous avons encore des sentiments religieux, une grâce d'en haut. C'est ainsi notre vanité, notre amour propre qui nous poussent au culte du génie : car il faut l'imaginer très loin de nous, en vrai miraculum, pour qu'il ne nous blesse pas (même Goethe l'homme sans envie appelait Shakespeare son étoile des altitudes les plus reculées ; on se rappellera alors ce vers : « les étoiles, on ne les désire pas »). Mais compte non tenu de ces insinuations de notre vanité, l'activité du génie ne paraît pas... » Ch. 162.
Cf. « le génie, c'est un pour cent de lueur, quatre vingt dix neuf pour cent de sueur ».
Newton : « Comment j'ai fait mes plus grandes découvertes ? En y pensant toujours ».
Partager :
Share on Facebook | Pin It! | Share on Twitter | Share on LinkedIn |
Dire en bout de ligne,(oui dire) et s’il y avait silence sur ces choses de l’art?Un peintre un sculpteur…etc sans les mots-qu’en serait-il de la chose de l’oeuvre?du peintre du sculpteur…etc?
La solitude est un atelier qui au vrai est un acte-lier.Le génie est l’intuition de l’éthique.
Si vous voulez dire que l’art est de l’ordre de la monstration, non du dire, qu’il atteste d’un rapport au réel que le langage est impuissant à exprimer, et que néanmoins il fait surgir un monde commun, à savoir l’expérience d’un monde où les catégories que le logos disjoint (matière/esprit; corps/âme; sensible/sens, subjectivité/universalité) sont réconciliées, je vous suis totalement.
Nietzsche voulait donc dire qu’avec du travail et du temps, quicquonque pouvait créer une oeuvre d’art ?
Je vois bien avec l’exemple de Beethoven, qui a composé ses symphonies les plus connus alors qu’il était assez agé, c’était dans sa période romantique.
Mais que penser de Mozart qui a seulement une quinzaine d’année a pu écrire déjà tant de musique ?
Et que penser de Rimbaud, Jarry qui sont connus seulement pour leurs oeuvres de jeunesse ?
Non, vous réduisez et appauvrissez lamentablement le propos de l’auteur.
Relisez le cours et évitez de trahir la richesse et la profondeur de l’analyse de Nietzsche.
Il me semble que la dernière citation de l’article n’est pas d’Einstein mais de Newton…
Merci de me permettre de rectifier une erreur.
Les grands théorèmes mathématiques (pour parler de la plus « aride » des sciences…) ne se résument pas aux enchainements qui en permettent la démonstration. En fait, ce n’est que la partie technique, comparable au chois de la couleur, du tracé, etc, chez le peintre. C’est ce qui relève de l’inexplicable qui est génial (voir par exemple Poincaré raconter comment il a eu l’idée d’un résultat mathématique sans qu’il ne puisse expliquer comme cette idée lui est venue). C’est pour cela que contrairement à Kant et à ce que vous écrivez, je ne crois pas que les artistes aient un quelconque privilège, de ce point de vue, par rapport aux savants, techniciens… Le problème est dans la réception de ces oeuvres: il est clair que la compréhension d’un théorème mathématique est impossible pour ceux qui n’ont pas les connaissances requises alors qu’on croit toujours pouvoir comprendre et… juger (!) l’oeuvre d’un peintre ou d’un philosophe. Qu’en pensez-vous?
Manifestement vous faîtes un contre sens sur ce que j’écris. Précisément, je critique Kant à l’aide de Nietzsche, en montrant qu’il n’y a pas de privilège de l’activité artistique et que toute activité créatrice qu’elle soit mathématique, technique ou autre met en jeu la même complexité et la même obscurité que l’invention artistique. Ce qui ne signifie pas qu’il faille consentir à ce que connote l’idée classique de génie.
Ma formule: Peut-être faut-il admettre qu’il y a moins de participants aux fêtes de la grande intelligence scientifique et technique dit exactement la même chose que ce que vous dîtes dans votre dernière phrase.
Je suis bien obligé de reconnaitre que vous avez raison. Merci pour ce site, qui m’est très utile en ce moment.
Bonjour ! j’aurais juste souhaité si possible connaître les références précises de l’extrait d' »Humain trop Humain » que vous proposez en tête. Je ne sais où retrouver le texte. Mais je ne souhaite pas vous ennuyer, c’est seulement si cela vous est facilement retrouvable. Cordialement
Votre requête me permet de donner la référence précise au bas du texte.
Bien à vous.
oui bonjour je trouve votre commentaire très intéressant, je me demandais juste de qui était la citation que vous mentionnez à la fin de votre travail, « le génie c’est 10% de lueur et 90% de sueur ». Merci d’avance.
Il semble que Thomas Edison ait dit dans un entretien: « Le génie est fait d’un pour cent d’inspiration et de quatre-vingt-dix-neuf pour cent de transpiration »
La formule que je donne en est une transcription.
Bien à vous.
Bonjour,
Tout d’abord merci pour ce commentaire très intéressant dont vous nous faites part qui est très clair. Mais j’aurais tout de même besoin de votre aide, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, concernant le passage où le philosophe aborde le sujet de la vanité. En effet je n’est pas bien compris ce qu’il voulait transmettre à ce moment, je pense avoir compris que c’est à partir de la vanité que « naît » le culte du génie mais ça reste très flou …
J’espère que vous pourrez m’aider, en vous remerciant d’avance.
Il faut vous demander, MacDouglas: qu’est-ce qu’un vaniteux?
Une personne ayant une haute idée de lui-même.
Qu’est-ce qui permet à une telle personne de ne pas mourir d’envie ou de ne pas se sentir humiliée par une autre dont les talents lui sont bien supérieurs?
Nietzsche répond : de se dire qu’il est en présence d’un génie c’est-à-dire d’un être qui tire son talent d’une dotation divine non de son investissement personnel ou de son travail acharné.
Ainsi peut-on se consoler de sa propre médiocrité.
En espérant vous avoir éclairé.
Bien à vous.
Donc si j’ai bien compris, pour Nietzsche, une personne X qui envie une personne Y à cause d’un ou des talents que la personne Y possède ne devrait pas réagir ainsi car le génie de la personne Y appartient au domaine du hasard ou du domaine divin et ne provient alors pas d’un travail d’approfondissement et de recherche, donc ne tire absolument rien en matière de expérience personnelle. C’est cela ?
Veuillez m’excusez d’insister autant mais je tenais vraiment à comprendre.
Merci encore d’avoir bien voulu tenter de m’expliquer.
Non, vous ne comprenez pas du tout. Vous faîtes même un contre sens.
Je ne vois guère d’autre conseil à vous donner que celui de lire et de relire le texte de Nietzsche et son commentaire. Car ce n’est pas parce que je répéterai les significations que vous les saisirez mieux.
L’intelligence du sens requiert patience et rigueur. Suivez mon conseil: les choses finiront par s’éclairer pour vous.
Bon courage.
Non, je me suis mal exprimé. Je voulais dire que pour Nietzsche c’était la définition d’un être vaniteux parce que j’ai bien compris que la thèse du philosophe était que la notion de génie relève d’une totale mystification et que pour lui le génie n’est qu’une question de technique.
Merci pour le conseil, je tacherai de le suivre.
Non, le génie ne se réduit pas à une question de technique. Voyez ce que dit Nietzsche: « activité compliquée à miracle ». Attention aux lectures hâtives et superficielles.
Bonnes fêtes de fin d’année.
Bonjour Madame,
Tout d’abord merci et bravo pour votre travail remarquable.
En lisant votre explicitation de la question du génie chez Kant et Nietzsche m’est venue une question, je vous la soumets. Est-ce que l’art ne témoigne pas d’une fascination humaine (trop humaine ?) pour la règle ? Est-ce que la règle (ici la règle de représentation) n’est pas l’objet premier de l’artiste, ce sur quoi il travaille avant tout ?
Je m’explique :
L’homme se donne des règles de conduite à travers la morale, la loi, les codes en tout genre (vestimentaire, langagier, sportif, etc.). Ces règles, il tente de les justifier selon une visée pratique. Aux « règles » de l’art, nulle justification pratique : Picasso ne représente pas « mieux » le visage humain que l’art égyptien, grec, ou qu’un Léonard. Pourquoi alors tant d’intérêt, tant de travail, pour apprendre et dépasser les règles ? N’est-ce pas que dans l’art on n’assiste à une pratique « libre », gratuite, de la règle ? L’œuvre d’art est bien une représentation réglée, codifiée, du monde (dire la colère en alexandrins par exemple, ou en gros plan au cinéma), et le génie en art ne serait pas tant celui qui dévoile une vérité que celui qui ferait preuve d’ingéniosité dans la production d’une nouvelle règle de représentation, comme si cela seul pouvait être source de plaisir esthétique, comme si par là se trouvait présenté à l’homme un miroir lui permettant de se reconnaitre comme celui qui « produit / donne des règles » pour tout et rien. En cela, contrairement à ce qu’avance Nietzsche, il y aurait peut-être bien une spécificité du génie artistique, dans la mesure où le « génie » scientifique voit son inventivité récompensée par une approche objectivement plus fine de la réalité (elle n’est donc pas gratuite).
J’espère ne pas avoir été trop long.
Bertrand
Bonjour Bertrand
J’avoue ne pas comprendre clairement ce que vous dîtes.
Car qu’est-ce qu’une « règle de représentation »? Il semble qu’en cours de route elle devienne une règle de production de l’oeuvre.
Peut-on à la fois parler de fascination pour la règle et de transgression des règles (car en produire de nouvelles suppose bien une transgession des anciennes)?
Le génie artistique n’est-il pas récompensé par la réussite de l’oeuvre (source de plaisir esthétique) au même titre que le génie scientifique l’est par ce que vous appelez une approche objectivement plus fine de la réalité (source de plaisir intellectuel)?
Bref, Veuillez m’excuser de ne pouvoir vous suivre dans vos affirmations.
Bien à vous.
J’ai lu le texte de Nietzsche dans une anthologie, sans commentaires, votre éclairage fin vient de m’éviter des simplifications grossières. J’apprécie énormément votre sens de la nuance et votre précision. J’aurais vraiment aimé vous avoir comme professeur et à défaut, depuis cet été, vous complétez mes cours de prépa HEC et votre aide m’est précieuse. Je ne résiste donc pas à l’envie de simplement vous faire part de mon plaisir et de mon enthousiasme à lire vos textes.
Encore merci et bonne continuation!
Merci pour ce sympathique message et tous mes voeux de réussite aux concours.
Bien à vous.
Bonsoir Mme Manon, j’ai trouvé votre commentaire très intéressant mais permettez-moi de vous poser une question. Si j’ai bien compris vous êtes d’accord avec la pensée de Nietzsche qui rapporte le fait que l’artiste produit des oeuvres et que celles-ci sont le fruit d’un travail de longue haleine tout comme l’inventeur en mécanique fabrique je ne sais quelle innovatin technologiques.Alors pouvez-vous expliquer le fait que certains guitaristes inconnus qui font de la musique depuis leur enfance sous la tutelle de nombreux professeurs n’ont pas le talent de Jimi Hendrix qui n’ a eu aucun professeur ?(il est possble que j’ai aussi mal interpreté le texte dans ces cas-là j’aimerai comprendre ce que dit Nietzsche)
Je vous remercie de nous permettre de vous poser des questions.
Bonjour Alexandre
Les lectures hâtives sont toujours calamiteuses.
L’enjeu de l’analyse de Nietzsche est de remettre en cause la conception religieuse du génie, non de soutenir une conception réductrice de l’activité créatrice des grandes oeuvres, qu’elles soient artistiques, scientifiques, techniques ou autres.
Relisez précisément ce qu’il dit et vous comprendrez qu’il n’appartient pas à n’importe quel tâcheron ou travailleur laborieux de produire une oeuvre admirable.
Voyez qu’il précise: « toute activité de l’homme est compliquée à miracle ».
Le talent de Jimy Hendrix à la guitare ne fait pas exception à cette complexité. Ce n’est pas parce qu’il était un autodidacte que sa réussite ne met pas en jeu un travail acharné. Les hallucinogènes, l’alcool,son expérience de la violence dans un milieu familial pathogène, les influences de ceux qu’il admirait, sa monomanie (dès l’enfance, il n’aspirait qu’à une chose: être un musicien) etc. sont sans doute, ce sans quoi, il n’aurait pu tirer de la guitare les accents qui ont fait sa gloire.
Bien à vous.
Bonjour,
Je suis en passe de commencer un mémoire sur l’idée de don comme explication d’une performance sportive de haut niveau. Dans la mesure où j’envisage avant tout, de déconstruire cette notion, votre article m’est éclairant, et je compte ainsi intégrer Nietzsche à mon analyse. Connaissez-vous d’autres philosophes, hormis Kant, qui ont écrit sur la question ?
Bien à vous.
Bonjour
Non, je ne pense pas à un philosophe en particulier.
Vous rencontrerez Bourdieu (pour la critique de l’idéologie du don) et vous aurez sans doute à ne pas tomber dans le double écueil que François Jacob appelait le mythe de la cire vierge et celui de la fatalité génétique.
Bien à vous.
Bonjour Madame,
comme toujours, je suis frappé par la qualité de ce commentaire qui sait être clair sans caricaturer la thèse, très nourrissant intellectuellement sans être trop long et érudit sans être indigeste ou pédant. Je ferais simplement une toute petite remarque : dans le premier paragraphe vous dîtes que le créateur de haut vol a « une capacité à faire son miel de tout bois ». Il me semble que la métaphore est maladroite : on peut faire flèche (ou feu) de tout bois, mais si quelqu’un réussissait à faire du miel à partir de bois, alors ce serait un véritable être surnaturel, miraculeux, divin… bref un de ces génies dont le texte veut montrer qu’ils n’existent pas.
Mais, je le répète, c’est une remarque de détail et encore bravo pour votre excellent travail.
Julien Rodriguez
Bonjour Julien
Merci infiniment d’épingler une formule aussi inadéquate et ne vous en excusez pas. La vigilance des internautes est précieuse pour permettre de corriger des fautes ou des impropriétés qu’on laisse passer par défaut d’attention.
Bien à vous.
J’aimerais connaitre, clairement, quelle est la thèse défendue par l’auteur? A priori je n’arrive pas à bien comprendre.
Merci de m’éclairer à ce sujet.
Bonjour
Si vous ne l’avez pas compris après lecture de ce cours, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-même. Nul ne peut comprendre à votre place des significations qui sont clairement explicitées.
Bon travail.
La tolérance… Non, on ne peut pas s’en prendre qu’à soi-même de ne pas comprendre un cours avec un langage aussi alambiqué et insupportable, surtout pour qui n’est pas habitué à ne pas lire du commentaire de philosophie. Le langage est d’ailleurs un peu maladroit. Je vous trouve bien difficile, Madame, avec les gens qui ne comprennent pas ce que vous dites. Il s’agirait peut-être de se remettre un peu en question. Je suis complètement abasourdi par la façon dont vous répondez aux internautes.
Bien à vous.
Bonjour
Personne ne vous oblige à fréquenter mon blog. Il faut donc vous empresser d’aller voir ailleurs et peut-être essayer de comprendre que votre référence à l’idée de tolérance est, dans ce contexte, déplacée.
Bien à vous.
Je voudrais réagir à ce petit billet fort sympathique.
J’ai longuement réfléchi à ce sujet (de même que j’ai longuement parcouru les œuvres de Nietzsche…) et j’aimerais avoir votre avis sur quelques points qui restent encore troubles à mes yeux.
Avant toute chose, je tiens à souligner que Nietzsche fut lui-même, ne l’oublions pas, éminemment investi par cette activité créatrice que l’on peut donc nommer don (je vais y revenir) ou génie. Il connaissait ces grands accès où l’extase (appelons-la hypomanie si nous voulons rester plus scientifiques) l’amenait à noircir des pages et des pages, sous le coup d’une inspiration subite.
Voilà d’ailleurs deux passages des fragments posthumes tout à fait éclairant sur sa vision et de cette soudaine inspiration, et de la définition du génie :
« Je tiens pour possible qu’un esprit abondamment nourri de faits et magistral de logique tire coup sur coup dans un moment d’excitation intellectuelle intense une série inouïe de conclusions et parvienne ainsi à des résultats qu’il faudra ensuite des générations entière de chercheurs pour trouver. »
« Les hommes qui connaissent des instants de ravissement sublime mais sont ordinairement livrés, par contraste et par suite de leur épuisante dissipation d’énergie nerveuse, à la détresse et au désespoir, considèrent ces instants comme leur être authentique, comme leur moi, la détresse et le désespoir comme une répercussion de ce qui leur est extérieure ; ainsi pensent ils à leur entourage, leur époque, leur monde tout entier avec un appétit de vengeance »
En somme, il faut bien admettre que ce trait caractéristique que nous retrouvons chez la majorité des génies reconnus usuellement comme tels, que cette inspiration ou excitation physiologique difficilement explicable (on peut toujours en éclairer quelque peu le fonctionnement en passant par la psychanalyse et la psychopathologie j’imagine) reste minoritaire et pourrait ainsi être caractérisé de don, si tant est que ce terme recouvre la part de souffrance qui va bien entendu avec.
Mais loin de moi l’idée de diviniser le génie : j’y verrai plutôt la capacité d’un artiste à voir véritablement (je rejoins ici l’idée de voyance chez Rimbaud) au-delà de sa seule individuation, ainsi que de la morale ; à rechercher un dépassement de soi voire de l’homme comme l’être tel qu’il est perçu actuellement, c’est-à-dire dans sa finitude et sa rationalité aliénante. Et c’est précisément là qu’intervient ce « don » qui est l’expérience et de la dépersonnalisation et de l’ivresse qui induit cette capacité à voir au-delà (sans même parler de ce qu’elle « excite » l’intuition ou les associations d’idées nouvelles)… La poésie de Rimbaud, notamment les Illuminations, est d’ailleurs tout à fait caractéristique de cela.
Pour résumer mon idée : si le labeur est indispensable à créer une œuvre géniale, s’il faut une grande intelligence, un penchant marqué pour l’érudition, l’introspection et une grande sensibilité… Je pense que sans cet « enthousiasme » ou « illumination », l’on ne peut parvenir à atteindre à ce que l’on nomme le génie, et que l’œuvre restera toujours en deçà, quand bien même brillante ou fruit d’une grande maîtrise.
Pour finir, j’aimerais ajouter une citation d’un remarquable écrivain japonais, Akutagawa, bien plus parlante j’en suis certain que cette laborieuse intervention :
« Que reflétait, à cet instant, son regard souverain ? Ni intérêt, ni amour, ni haine. Le respect humain avait depuis longtemps disparu du fond de ses yeux. Seule y demeurait une joie indicible, ou un enthousiasme tragique qui l’emportait jusqu’à l’extase. Ceux qui sont étrangers à cet enthousiasme, comment pourraient-ils saisir l’illumination ? Comment pourraient-ils comprendre l’âme ingénue de celui qui crée ? Ici, la « Vie », purifiée de ses déchets, ne luit-elle pas, magnifique comme un métal vierge aux yeux de l’auteur ? »
Bonjour
Il me semble que les propos que vous citez n’illustrent pas autre chose que la critique nietzschéenne du génie conçu comme don.
La première citation insiste sur l’idée que ce qui est pensé comme « don » est le propre « d’un esprit abondamment nourri de faits et magistral de logique ». L’inspiration ne tombe donc pas du ciel, elle résulte d’une longue germination intérieure, d’un long travail.
La deuxième dévoile dans la représentation d’un « moi authentique », fantasmée dans les instants d’exaltation, une illusion surdéterminée par la souffrance et le désespoir d’un être empoisonné par l’appétit de vengeance.
Bien à vous.
Mme merci pour votre excellent commentaire sur la conception de Nietszche sur le génie artistique. Mais comment comprendre l’expression » l’enfantillage de la raison ». ne pensez-vous pas que N se montre un peu excessif de qualifier ceux qui croient que le génie se limite uniquement à l’artiste comme des enfants qui font des capriceś qu’ils ne sont pas encore aptes à comprendre la conception de N, que cette conception échappe encore à leur raison. Comment expliqueriez-vous l’expression enfantillage de la raison merci pour votre réponse salutations
Bonjour
Il faut comprendre l’expression dans la littéralité de son sens. Faire preuve d’enfantillage consiste à manquer de maturité. La conception classique du génie comme privilège des artistes, comme inspiration divine (intuition) en est un cas de figure. Dès lors qu’on examine les choses avec moins de légèreté, on est amené à comprendre que le génie n’est pas le monopole des artistes, il faut du génie pour être un grand mathématicien, physicien, philosophe, ou un grand technicien, toutes ces activités de haut vol étant compliquées à souhait. Mais aucune n’est un miracle, dit Nietzsche, autrement dit toutes synthétisent de nombreuses caractéristiques que l’idée d’inspiration divine a le tort d’occulter. Au fond, cette dernière fonctionne comme un asile d’ignorance et cela ne peut abuser qu’une raison enfantine.
Bien à vous.
Article fort concis et clair. J’aimerais être d’accord. Et pourtant… Dans les faits, il y a bien des individus génialement doués, d’autres médiocres et entre les deux toutes les nuances possibles. Et ce, avant tout apprentissage quel qu’il soit. Au quotidien, dans l’exercice de la pédagogie (je suis professeur de piano), je suis confronté à cette réalité. Il y a donc bien un don, de la nature pour moi qui suis agnostique, de Dieu pour un croyant. Et malgré l’absolue nécessité d’un travail acharné, sans ce don rare et initial, il n’est point de grands artistes ni de grandes oeuvres! J’ajouterai qu’en ce qui concerne la musique, Nietzsche n’avait certainement pas de don particulier, malgré son admiration puis sa détestation pour Wagner. Il y a quelque chose d’aigris, comme un ressentiment, je trouve, dans cette négation de la réalité du génie. Kant me semble bien plus coller à la réalité de mon expérience… Si Nietzsche avait raison, ma profession serait beaucoup plus simple et quelquefois moins ingrate. Bien cordialement.
Bonjour
Qu’il y ait des dispositions naturelles différenciant les individus, personne ne peut le contester pas plus Nietzsche que les autres. Montaigne disait ainsi: » En vérité en toutes choses, si la nature n’aide un peu, il est malaisé que l’art et l’industrie aillent guère plus avant »
Ce que le maître du soupçon discute c’est l’idée de génie au sens d’un savoir-faire qui serait inné. Je ne crois pas que son analyse relève du ressentiment, seulement d’un art joyeux de la démystification. Toute activité de haute volée est complexe à souhait et garde sa part de mystère mais on en apprend plus sur ses conditions de possibilité avec l’analyse nietzschéenne qu’en recourant à l’idée de don, véritable asile d’ignorance.
Bien à vous.
Bonjour Madame,
Le petit texte initial de Nietzsche sur le génie ne fait pas référence à la créativité ni même à l’invention. Et il faut attendre le début de l’extrait du chapitre 156 pour entendre Nietzsche parler d’énergie créatrice.
Or tout au long de votre commentaire vous semblez tenir pour universellement acquis que « toutes les grandes oeuvres humaines sont créatrices », que le bon artiste « invente ses règles », « est un créateur ».
Je pense au contraire, à la suite d’Aristote, que nous n’inventons ni ne créons rien. Les génies ne font, selon moi, qu’imiter la nature, ils la découvrent (et nous, gens ordinaires, ne faisons que la singer -cf. les robots!): leurs oeuvres sont autant d’apocalypses.
L’épistémologue (voire le philosophe de mon point de vue)-mathématicien René Thom (décédé en 2002) disait voir en 4D dès l’âge de 10-11 ans. ( http://pedagopsy.eu/entretien_thom.html ) Je trouve d’autre part son oeuvre géniale.
Ne pourrait-on pas entrevoir au delà du don et du génie des pistes d’évolution ultérieure de l’espèce humaine?
Bien à vous.
Bonjour
Ce texte ne vise pas que les œuvres artistiques. Il a pour objet de réflexion les œuvres de haut vol, celles que l’on attribue d’ordinaire à des génies et il discute les présupposés de la notion.
Il est difficile de nier la part d’inventivité qu’impliquent ces œuvres, quel que soit par ailleurs le rapport qu’elles ont avec la nature.
Même lorsque l’art ne veut être qu’imitation de la nature, l’artiste doit inventer les règles de sa pratique. Je ne comprends donc guère le sens de votre objection, ni celui de votre question.
Bien à vous.
Bonjour Madame,
Merci de votre réponse.
Laissant de côté ma question, je reviens sur mon objection pour tenter d’en éclairer le sens.
Après relecture rapide, Nietzsche et vous parlez d’invention, de création et de découverte (le terme de découverte n’apparaissant que dans une citation -de Kant?). Laissant de côté la création, je voudrais ci-après me concentrer sur la distinction invention/découverte.
Mais auparavant quelques mots sur votre « Ce texte ne vise pas que les oeuvres artistiques » que j’interprète comme une réponse à l’aristotélicien « L’art imite la nature » de mon commentaire initial. L’ancien grec « teknè » s’est traduit (très tôt? avant le moyen âge?) en français par « art »; peut-être se traduirait-il mieux actuellement (depuis la coupure galiléenne) par « technique »? (Mais « notre » modernité semble s’être écartée de l’aristotélisme: de nos jours c’est le cerveau qui est un ordinateur et non l’ordinateur une (pâle) imitation du cerveau)
Quoi qu’il en soit mon commentaire initial vise René Thom, un philosophe-mathématicien, qu’il me semble difficile de cataloguer comme artiste ou technicien.
Distinction invention/découverte
– Je n’ai jamais entendu un matheux dire qu’il avait inventé une formule ou une démonstration.
– Les physiciens découvrent les lois de la physique; ils ne les inventent pas.
– Par contre, dans le milieu technique, on parle naturellement d’invention et c’est la qualification de découverte qui est incongrue.
Puissance et acte.
J’ai lu dans la métaphysique d’Aristote qu’un énoncé mathématique conjecturé était « en puissance » et qu’une démonstration était « en acte » (c’est l’un des exemples qu’Aristote fournit pour illustrer ces deux notions). Sur l’exemple du théorème de Pythagore on a l’unicité de l’énoncé conjecturé et la diversité des démonstrations (la première étant due à Euclide?) due à l’inventivité des mathématiciens. Ce constat me rallie alors à votre point de vue (« Il est difficile de nier la part d’inventivité qu’impliquent ces oeuvres »).
[Il est alors tentant d’extrapoler à la nature qui serait:
1. soumise à certaines lois « en puissance », éternelles et immuables (déterminisme);
2. capable d’inventivité pour la mise en oeuvre « en acte » des « logoï » de 1. (liberté de choix); (à ce propos on ne peut qu’être émerveillé par l’inventivité dont fait preuve la nature pour résoudre le problème de la locomotion, voire de la vision)]
Il suit alors que la distinction invention/découverte renvoie d’une part à l’opposition liberté/déterminisme et d’autre part, peut-être aussi, à l’opposition Aristote/Platon.
Je termine par un petit commentaire sur votre « l’artiste doit inventer les règles de sa pratique ». En art (comme en technique) il y a les règles de l’art (que les artistes contemporains ont, il me semble, une tendance certaine à transgresser). Les mathématiques sont un jeu aux règles précises; contrairement à celles des artistes les oeuvres des mathématicien(ne)s sont destinées à être comprises, ce qui interdit pratiquement tout délire (mais pas toute insignifiance). « Le philosophe doit-il inventer les règles de sa pratique? »: sujet de dissertation (je pense à la philosophie post-moderne…)?
Après une quarantaine d’années de mathématiques vécues de l’intérieur, je profite de ma retraite pour tenter d’examiner ma discipline depuis l’extérieur, ce qui m’amène à m’intéresser (quasiment ex-nihilo) à l’épistémologie et à la philosophie. J’ai un peu l’impression d’envoyer ce commentaire comme jadis je rendais ma copie: une sorte de cure de jouvence…
Bien à vous,
Jean-Claude Archer
Bonjour
Il faut inventer pour découvrir, quel que soit le domaine considéré. On ne peut donc pas opposer radicalement l’idée d’invention et celle de découverte.
Comme le dit René Thom « un saut dans l’imaginaire » est nécessaire pour élaborer l’hypothèse scientifique, Poincaré parle « d’intuition divinatrice ». En science, mathématique comprise, en technique, en art, rien n’est donné, tout est construit grâce aux facultés d’invention de l’esprit fécond.
https://www.philolog.fr/comment-selabore-le-savoir-scientifique/
Bien à vous.
@ Simone MANON.. je voulais vous remercier du fond du cœur pour votre blog et des commentaires qu’il génère… Vos interventions dénotent aussi d’un certain altruisme et là encore c’est tout à votre honneur.
personnellement, je ne suis pas philosophe mais instinctivement très attirée par cette activité et j’admire chez vous cette capacité à coucher sur le papier des pensées profondes en rappelant que les mots ne sont reçus que selon la distance qui nous sépare de notre monde sensible. C’est pourquoi je ressens ce que vous dites sans véritablement pouvoir l’exprimer et ainsi commenter.
Nietzsche disait que l’instinct est le génie de l’intelligence… il disait aussi : les vrais poètes, les vrais artistes sont des « accroisseurs » de vie.. qu’un accroissement de vie implique au stade initial : lutte et souffrance, l’enfer de tout homme qui est partout…
Voilà, en fait je disais tout ça, mais à la vérité, je voulais juste vous remercier.
Bien cordialement
Merci pour ce sympathique message.
Bien à vous.
Bonjour Madame,
Après lecture (et relectures) de 8h57 et de 8h54 je suis toujours gêné. En effet, s’il me semble plausible que vous y résumez correctement la pensée de Nietzsche (je dis ça parce que je n’ai quasiment rien lu de lui), j’ai l’impression que non seulement vous êtes d’accord avec FN, mais encore qu’il apparaît, à vous lire, comme une évidence que tout lecteur doit l’être également. Or des esprits du calibre de Platon et de Kant ne voient pas les choses de cette façon (vous écrivez en 10h02 que vous critiquez Kant à l’aide de Nietzsche, mais je ne vois pas l’ombre d’une critique dans votre texte, seulement le constat d’un clivage).
(En naviguant sur la toile, nombreux sont ceux qui pensent que FN était schizophrène, du genre « on/off » intégral, tout ou rien, « la volonté de puissance se scindant en volonté de vie et volonté du néant »*. Il me semble clair que les textes ci-dessus ont été écrits dans une phase nihiliste. Peut-être est-il arrivé à des conclusions diamétralement opposées dans une phase « on » (cf. Wbl 11h00)?)
Découverte et invention
Selon moi on découvre avant d’inventer, c’est « mon bon sens » (ainsi on découvre une grotte avant d’en faire l’inventaire).
Pour Thom « l’intelligence est la capacité de s’identifier à autre chose, à autrui ». Aussi je vais tenter de me faire violence et de m’identifier à votre position qui consiste à placer l’invention en amont de la découverte. Puisqu’il y a dans l’invention une connotation nettement subjective et, par opposition, dans la découverte une connotation objective, votre position est confortée par la remarque que dans une phrase transitive SVO, si l’un des actants disparaît, c’est très généralement l’objet*.
Table rase
Vous écrivez: « En science, en mathématiques, en technique, en art, rien n’est donné, tout est construit grâce aux facultés d’invention de l’esprit fécond ».
Mon bon sens me dit avec insistance qu’on ne peut construire ex nihilo: métaphoriquement, même si l’on part d’une table rase, il faut au moins qu’il y ait une table. Thom note à propos de la phrase SVO que le « théorème » ci-dessus admet quelques rares exceptions (« Le bois nourrit le feu », « Der Zucker versüsst das wasser ») et remarque « Ce n’est peut-être pas un hasard si, dans ces deux contre-exemples, l’actant qui survit est l’un des quatre éléments aristotéliciens [la table!] ». Thom a écrit un article sur l’invention qu’il a intitulé « De l’innovation » pour cette raison: pour lui on ne peut inventer ex nihilo. Ce qui précède suggère assez fortement qu’il y a des cas, peut-être peu nombreux mais selon moi fondamentaux, où l’inventivité de l’esprit fécond est subordonnée à la découverte préalable d’une « table » de travail.
En ce qui concerne la constructivité des mathématiques Thom est d’accord avec vous: « En mathématique il n’y a pas d’élément sémantique individué jouant le rôle du concept sous-jacent au substantif de la langue. A peine le point géométrique -impalpable entité, localisation pure sémantiquement vide-, peut-il jouer ce rôle: tout le reste n’est que relation, opération, construction ».
Don et fait
Vous écrivez en 8h54 que « rien n’est donné » et, dans votre commentaire des textes de FN, qu’un don renvoie au divin. Thom suggère qu’il en est peut-être de même pour les faits. Voici en effet ce qu’il écrit à leur propos:
« Nos expérimentateurs, sempiternels laudateurs du « hard fact » se sont-ils jamais demandé ce qu’est un fait? Faut-il croire -ce qu’insinue l’étymologie- que derrière un fait il y a quelqu’un ou quelque chose qui fait? Et que ce quelqu’un n’est pas réduit à l’expérimentateur lui-même, mais qu’il y a un « sujet » qui résiste sur lequel le fait nous apprend quelque chose? Telles sont les questions que notre philosophe [de la nature] devra constamment se reposer, insufflant ainsi quelque inquiétude au discours volontiers triomphaliste de la communauté scientifique. »
Le Géomètre médium?
Thom: « Selon beaucoup de philosophies, Dieu est géomètre. Il serait peut-être plus logique de dire que le géomètre est Dieu. »
(Devant l’angoissante uniformité de la « table », ici du plan infini, le géomètre n’a de cesse d’y marquer sa présence d’un point -stigmè- avec lequel il s’identifie pour se rassurer, pour se fixer les idées, et à partir duquel il fait le signe de la croix pour s’orienter -repérage cartésien-…)
Positivisme?
Votre « rien n’est donné » suggère que vous ne souhaitez pas rentrer dans ces considérations, que vous reculez devant l’idée d’ouvrir une boîte de Pandore dont vous sentez peut-être qu’elle sera bien difficile à refermer. Aussi peut-être est-ce pour cette raison que vous vous repliez dans quelque chose comme le positivisme (je ne suis pas philosophe)?
Jean Granier écrit dans l’EU: « Selon Nietzsche, la philosophie, depuis Parménide, est dans son principe essentiel une ontologie métaphysique ». Et la conclusion de « Esquisse d’une sémiophysique » (René Thom, 1988) se termine par: « Le positivisme a vécu de la peur de l’engagement ontologique. Mais dès qu’on reconnaît aux autres l’existence, qu’on accepte de dialoguer avec eux, on s’engage ontologiquement. Pourquoi ne pas accepter alors les entités que nous suggère le langage? Quitte à contrôler les hypostases abusives, c’est là la seule manière d’apporter au monde une certaine intelligibilité. Seule une métaphysique réaliste peut redonner du sens au monde. »
Le saut métaphysique que propose Thom n’est pas bien grand (je le qualifierai volontiers de minimal): juste un peu de géométrie (difficile, je ne suis pas au niveau), le saut métaphysique « minimal » étant que les objets mathématiques qu’il considère (les catastrophes) ont un rapport avec la réalité.
Et il propose pour feuille de route rien moins que des retrouvailles entre scientifiques et philosophes: « Il faut être philosophe en sciences et scientifique en philosophie », ne cesse-t-il de répéter.
Bien à vous,
Jean-Claude Archer
* J’ai lu ça dans l’article EU de Jean Granier sur FN.
** « Le chat mange la souris ».
Bonjour
Veuillez m’excuser de ne pas rebondir sur votre message. Pour l’essentiel votre propos me demeure inintelligible.
Bien à vous.
Bonjour madame,
je me permet un court message pour essayer de préciser pour moi une chose…
nietzsche ici s’oppose clairement à l’idée de génie de Kant comme vous l’expliquez,
cependant il parle d’un travail permanent qui ne peut pourtant devenir création que lorsque le créateur a suffisamment de talent pour trier ce qui est bon et mauvais dans son travail… il parle d’une observation longue et attentive mais n’est-ce-pas la le moment du « génie » qui sait ce qui est beau, esthétique, qui donne du plaisir artistique, qui a le « don » de reconnaitre cela?… Qu est ce qui formerait pour Nietzsche la règle de l’art si ce n’est le génie? pense-t-il qu’il en existe une simplement?
D’avance, merci pour votre attention!
S’il vous est pénible de me répondre, pourriez-vous simplement orienter mes recherches afin de trouver d’autres commentaires de la philosophie de l’art de Nietzsche?
Merci encore!
Je me permet d’ajouter une question encore, qui est en lien bien évidemment avec les précédentes!
Je me demandais comment Nietzsche peut affirmer que l’artiste est celui qui trie son travail sans affirmer que celui-ci détermine donc par la même occasion la règle de l’art, ce qui rapproche beaucoup sa thèse de celle de Kant … Ou peut-être est-ce simplement que les deux thèses sont vraiment proches, la seule différence étant que Nietzsche ne croit pas à une puissance extérieure qui aurait instillé du génie dans l’artiste ?
Dans ce cas d’où viendrait ce pouvoir de l’artiste ? Il n’existe pas? La puissance artistique est un choix d’être humain uniquement contingent, elle n’a aucune valeur universelle ?
Pardon et merci!