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      PB : Que faut-il entendre par division du travail ? S’agit-il d’un invariant anthropologique ou d’une caractéristique propre à une certaine organisation sociale et économique ?

   L’élucidation de cette question exige de distinguer ce que Adam Smith théorise sous l’expression « division du travail » de la traditionnelle répartition sociale des métiers. Celle-ci est aussi vieille que les sociétés humaines. Ainsi au livre II de la République, Platon souligne que ce qui donne naissance à une cité est le besoin que l’homme a d’une foule de choses et l’impuissance où il se trouve de pourvoir tout seul à l’entretien de sa vie. De même  Aristote, note que « ce n’est pas entre deux médecins que naît une communauté d’intérêts, mais entre un médecin par exemple et un cultivateur, et d’une manière générale entre des contractants différents et inégaux […] » Ethique à Nicomaque, V, 8, 1133a, 16.

   Néanmoins les Grecs n’emploient pas l’expression « division du travail » et ne voient pas en elle le principe de la cohésion ou de la solidarité sociale. Ils ne fondent pas la citoyenneté sur les besoins et l’activité économique car ceux-ci sont des besoins privés et une association d’intérêts privés ne fait pas un intérêt civil commun. La cité, dans son essence, n’est donc pas ordonnée à la satisfaction des intérêts domestiques. Elle a une fin morale, celle d’accomplir la nature rationnelle d’êtres libres et égaux dont la vocation consiste à nouer des rapports d’amitié et de justice.
 
   Il s’ensuit qu’il faut suivre Durkheim lorsqu’il écrit dans l’introduction de son livre De la division du travail social, 1893 : « Quoique la division du travail ne date pas d’hier, c’est seulement à la fin du siècle dernier que les sociétés ont commencé à prendre conscience de cette loi, que, jusque là, elles subissaient presque à leur insu. Sans doute, dès l’antiquité, plusieurs penseurs en aperçurent l’importance ; mais Adam Smith est le premier qui ait essayé d’en faire la théorie. C’est d’ailleurs lui qui créa ce mot, que la science sociale prêta plus tard à la biologie ».
 
 PB : Qu’est-ce que Adam Smith théorise sous ce vocable ?
   S’inspirant de l’article de l’Encyclopédie consacré à la description de la production manufacturière d’épingles, Adam Smith pense la division technique des opérations de travail et il commence par en souligner tous les avantages en terme de quantité de richesses qu’un seul travailleur peut produire et de qualité du travail fourni.
 
 « Cette grande augmentation dans la quantité d’ouvrage qu’un même nombre de bras est en état de fournir, en conséquence de la division du travail, est due à trois circonstances différentes — premièrement, à un accroissement d’habileté dans chaque ouvrier individuellement; deuxièmement, à l’épargne du temps, qui se perd ordinairement quand on passe d’une espèce d’ouvrage à une autre; et troisièmement enfin, à l’invention d’un grand nombre de machines qui facilitent et abrègent le travail, et qui permettent à un homme de remplir la tâche de plusieurs.
   Premièrement, l’accroissement de l’habileté dans l’ouvrier augmente la quantité d’ouvrage qu’il peut accomplir, et la division du travail, en réduisant la tâche de chaque homme à quelque opération très-simple et en faisant de cette opération la seule occupation de sa vie, lui fait acquérir nécessairement une très-grande dextérité. Un forgeron ordinaire qui, bien qu’habitué à manier le marteau, n’a cependant jamais été dans l’usage de faire des clous, s’il est obligé par hasard de s’essayer à en faire, viendra très difficilement à bout d’en faire deux ou trois cents dans sa journée; encore seront-ils fort mauvais. Un forgeron qui aura été accoutumé à en faire, mais qui n’en aura pas fait son unique métier, aura peine, avec la plus grande diligence, à en fournir dans un jour plus de huit cents ou d’un millier. Or, j’ai vu des jeunes gens au-dessous de vingt ans, n’ayant jamais exercé d’autre métier que celui de faire des clous, qui, lorsqu’ils étaient en train, pouvaient fournir chacun plus de deux mille trois cents clous par jour. Toutefois la façon d’un clou n’est pas une des opérations les plus simples. La même personne fait aller les soufflets, attise ou dispose le feu quand il en est besoin, chauffe le fer et forge chaque partie du clou. En forgeant la tête, il faut qu’elle change d’outils. Les différentes opérations dans lesquelles se subdivise la façon d’une épingle ou d’un bouton de métal sont toutes beaucoup plus simples, et la dextérité d’une personne qui n’a pas eu dans sa vie d’autres occupations que celles-là, est ordinairement beaucoup plus grande. La rapidité avec laquelle quelques-unes de ces opérations s’exécutent dans les fabriques, passe tout ce qu’on pourrait imaginer; et ceux qui n’en ont pas été témoins ne sauraient croire que la main de l’homme fût capable d’acquérir autant d’agilité.
   En second lieu, l’avantage qu’on gagne à épargner le temps qui se perd communément en passant d’une sorte d’ouvrage à une autre, est beaucoup plus grand que nous ne pourrions le penser au premier coup d’œil. Il est impossible de passer très-vite d’une espèce de travail à une autre qui exige un changement de place et des outils différents. Un tisserand de la campagne, qui exploite une petite ferme, perd une grande partie de son temps à aller de son métier à son champ, et de son champ à son métier. Quand les deux métiers peuvent être établis dans le même atelier, la perte de temps est sans doute beaucoup moindre; néanmoins elle ne laisse pas d’être considérable. Ordinairement un homme perd un peu de temps en passant d’une besogne à une autre. Quand il commence à se mettre à ce nouveau travail, il est rare qu’il soit d’abord bien en train; il n’a pas, comme on dit, le coeur à l’ouvrage, et pendant quelques moments il niaise plutôt qu’il ne travaille de bon coeur. Cette habitude de flâner et de travailler sans application et avec nonchalance, est naturelle à l’ouvrier de la campagne, ou plutôt il la contracte nécessairement en étant obligé de changer d’ouvrage et d’outils à chaque demi-heure et de mettre la main chaque jour de sa vie à vingt besognes différentes; elle le rend presque toujours paresseux et incapable d’un travail sérieux et appliqué, même dans les occasions où il est le plus pressé d’ouvrage. Ainsi, indépendamment de ce qui lui manque en dextérité, cette seule raison diminuera considérablement la quantité d’ouvrage qu’il sera en état d’accomplir.
   En troisième et dernier lieu, tout le monde sent combien l’emploi de machines propres à un ouvrage abrège et facilite le travail. Il est inutile d’en chercher des exemples. Je ferai remarquer seulement qu’il semble que c’est â la division du travail qu’est originairement due l’invention de toutes ces machines propres à abréger et à faciliter le travail. Quand l’attention d’un homme est toute dirigée vers un objet, il est bien plus propre à découvrir les méthodes les plus promptes et les plus aisées pour l’atteindre, que lorsque cette attention embrasse une grande variété de choses. Or, en conséquence de la division du travail, l’attention de chaque homme est naturellement fixée tout entière sur un objet très-simple. On doit donc naturellement attendre que quelqu’un de ceux qui sont employés à une branche séparée d’un ouvrage  trouvera bientôt la méthode la plus courte et la plus facile de remplir sa tâche particulière, si la nature de cette tâche permet de l’espérer. Une grande partie des machines employées dans ces manufactures où le travail est le plus subdivisé, ont été originairement inventées par de simples ouvriers qui, naturellement, appliquaient toutes leurs pensées à trouver les moyens les plus courts et les plus aisés de remplir la tâche particulière qui faisait leur seule occupation. Il n’y a personne accoutumé à visiter les manufactures, à qui on n’ait fait voir une machine ingénieuse imaginée par quelque pauvre ouvrier pour abréger et faciliter sa besogne. Dans les premières machines à feu, il y avait un petit garçon continuellement occupé à ouvrir et à fermer alternativement la communication entre la chaudière et le cylindre, suivant que le piston montait ou descendait. L’un de ces petits garçons, qui avait envie de jouer avec ses camarades, observa qu’en mettant un cordon au manche de la soupape qui ouvrait cette communication, et en attachant ce cordon à une autre partie de la machine, cette soupape s’ouvrirait et se fermerait sans lui, et qu’il aurait la liberté de jouer tout a son aise. Ainsi une des découvertes qui a le plus contribué à perfectionner ces sortes de machines depuis leur invention, est due à un enfant qui ne cherchait qu’à s’épargner de la peine.
   Cependant il s’en faut de beaucoup que toutes les découvertes tendant à perfectionner les machines et les outils, aient été faites par les hommes destinés à sen servir personnellement. Un grand nombre est dû à l’industrie des constructeurs de machines, depuis que cette industrie est devenue l’objet d’une profession particulière, et quelques-unes à l’habileté de ceux qu’on nomme savants ou théoriciens, dont la profession est de ne rien faire, mais de tout observer, et qui par cette raison, se trouvent souvent en état de combiner les forces des choses les plus éloignées et les plus dissemblables, Dans une société avancée, les fonctions philosophiques ou spéculatives deviennent, comme tout autre emploi, la principale ou la seule occupation d’une classe particulière de citoyens. Cette occupation, comme toute autre, est aussi subdivisée en un grand nombre de branches différentes, chacune desquelles occupe une classe particulière de savants, et cette subdivision du travail, dans les sciences comme en toute autre chose, tend à accroître l’habileté et à épargner du temps. Chaque individu acquiert beaucoup plus d’expérience et d’aptitude dans la branche particulière qu’il a adoptée il y a au total plus de travail accompli, et la somme des connaissances en est considérablement augmentée.
Cette grande multiplication dans les produits de tous les différents arts et métiers, résultant de la division du travail, est ce qui, dans une société bien gouvernée, donne lieu à cette opulence générale qui se répand jusque dans les dernières classes du peuple ».
 Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Livre I, § 1.
 
   Ce texte montre que Smith reconduit l’idée antique selon laquelle, la spécialisation du métier est la condition de la compétence. Seul peut acquérir la maîtrise d’un art celui qui s’y adonne exclusivement à tout autre. Platon par exemple stigmatisait la prétention de certains sophistes à tirer gloire d’être polytechniciens. Non seulement la répartition des métiers procède des différences d’aptitudes individuelles (cf. Le mythe de Prométhée. A la différence de l’aptitude morale qui est également répartie entre les hommes sur ordre de Zeus, les aptitudes techniciennes ne le sont pas et c’est ce qui rend nécessaire la coopération sociale), mais elle est au principe de l’habileté. Les savoirs-faire doivent s’acquérir et ils s’acquièrent par l’exercice constant.
   Il montre aussi que le machinisme est conçu par Smith comme un effet de la division du travail. Or dans un ouvrage intitulé : Adam Smith et la division du travail, la naissance d’une idée fausse, L’Harmattan, 2007, Jean-Louis Peaucelle soutient que le machinisme est probablement la cause et non l’effet de la division du travail.
   Enfin, il semble que Adam Smith surestime les avantages de la division du travail tant du point de vue des conditions de vie des travailleurs (le caractère abrutissant des cadences, la faiblesse de leurs revenus eu égard à la quantité de richesses produites) que du point de vue de l’habileté.
 
   Reconnaissons néanmoins que dans le Livre V, § 1, article II, des  Recherches, il en évoque les inconvénients :
« Dans les progrès que fait la division du travail, l’occupation de la très majeure partie de ceux qui vivent de travail, c’est-à-dire de la masse du peuple, vient à se borner à un très petit nombre d’opérations simples, très souvent à une ou deux. Or l’intelligence de la plupart des hommes se forme nécessairement par leurs occupations ordinaires. Un homme dont toute la vie se passe à remplir un petit nombre d’opérations simples, dont les effets sont aussi peut-être toujours les mêmes ou très approchant les mêmes, n’a pas lieu de développer son intelligence ni d’exercer son imagination à chercher des expédients pour écarter des difficultés qui ne se rencontrent jamais […]; l’engourdissement de ses facultés morales le rend non seulement incapable de goûter aucune conversation raisonnable, mais même d’éprouver aucune affection noble, généreuse ou tendre, et par conséquent de former aucun jugement un peu juste sur la plupart des devoirs même les plus ordinaires de la vie privée».
 
   Smith voit donc bien la part maudite de la division du travail. Elle a pour ceux qui sont réduits, non pas à utiliser des machines mais à être traités comme des machines un effet d’abrutissement. D’où la nécessité de discuter son propos sur un point qu’il présente comme l’avantage de la division du travail, à savoir le développement de l’habileté humaine. La parcellarisation, la rationalisation des tâches ne va-t-elle pas au contraire de pair avec la perte du métier, dont Valéry faisait l’éloge dans le cours précédent ?
   Certes elle permet le développement de la civilisation. C’est bien elle qui explique le passage de nations incultes à la civilisation. Elle engendre le progrès des arts, de l’industrie, des sciences, des mœurs, pour autant faut-il être antirousseauiste et en occulter la face sombre ?
 
   Dans un remarquable petit livre écrit en 1994, Qu’est-ce que la division du travail ? que  ce cours a pour ambition de faire lire, Jean-Pierre Séris établit que : « La division du travail marque, avant « la célèbre apothéose » que Smith lui réserve (expression de Max Weber dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Agora, p.194), le carrefour imprévu de trois visées :
  • La visée mercantiliste de la maximalisation du profit,
  • La visée morale anglaise, tendant à accréditer le principe du renversement des effets ou de la disparité axiologique des effets et des causes, principe selon lequel il n’y a pas de place pour des « vertus sociales » (dont on n’a d’ailleurs pas besoin),
  • La visée technologique, avec pour objectif l’efficacité opératoire, la maximalisation du rendement et l’économie d’effort ». Vrin, p. 55.
 
   Pour la première visée, sont nommés Thomas Mun (1571. 1641), William Petty (1623. 1687. Inventeur de l’expression : le drap doit revenir moins cher lorsqu’un homme carde, un autre file, un autre tisse, un autre teint, un autre emballe etc.), Henri Martyn (considérations sur le commerce des Indes orientales, 1701). Est aussi évoquée l’importance de la prédication religieuse protestante.
   Pour la troisième, Séris mobilise Babbage, Prony, Leibniz, Whitehead.
   Pour la deuxième, il se réfère à Mandeville  (1670. 1735) et à Ferguson (1723. 1816), le maître de Smith. C’est cette analyse que je voudrais restituer.
 
   Dans une perspective morale, la question est de savoir si la division du travail est à porter au crédit des vertus morales de l’homme et si l’on peut imputer à une action consciente et volontaire ses effets positifs. L'intérêt des analyses des moralistes anglais est, sur cette question,  d'établir qu'une démystification s’impose.    La division du travail n’est pas une stratégie intentionnellement visée par des acteurs intelligents et volontaires.
   Pour Mandeville, « avant d’être le ressort de la production manufacturière la plus compétitive, la division du travail est une solution modeste que des hommes besogneux et sans génie ont trouvée sans l’avoir cherchée, peu à peu, à mesure que s’est constitué le corps social » Ibid. p. 29.
   C’est que, pour l’auteur de la célèbre Fable des abeilles, 1714/1723, tous les avantages dont jouissent les hommes ne procèdent pas de leurs vertus mais de leurs vices. « Vices privés, bénéfices publics » soutient-il en illustrant la thèse avec l’image de la ruche. Tant que les abeilles sont libres de satisfaire leur cupidité, leur égoïsme, la ruche est prospère, introduisez la vertu ; c’en est fini, de sa vitalité et de ses progrès.
 
   Adam Smith se souviendra de la leçon quand il fera de la division du travail l’effet nécessaire d’un instinct propre à l’espèce humaine. (avec la réserve cependant qu’il conçoit cet instinct comme une conséquence nécessaire de l’usage de la raison et de la parole).
 « Cette division du travail, de laquelle découlent tant d’avantages, ne doit pas être regardée dans son origine comme l’effet d’une sagesse humaine qui ait prévu et qui ait eu pour but cette opulence générale qui en est le résultat; elle est la conséquence nécessaire, quoique lente et graduelle, d’un certain penchant naturel à tous les hommes, qui ne se proposent pas des vues d’utilité aussi étendues, c’est le penchant qui les porte à trafiquer, à faire des trocs et des échanges d’une chose pour une autre » Recherches, p. 46.47.
 
   Il s’en souviendra aussi lorsqu’il fondera la fécondité de l’échange sur la poursuite par chacun de son intérêt personnel :
 « […] l’homme a presque continuellement besoin du secours de ses semblables, et c’est en vain qu’il l’attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de réussir, s’il s’adresse à leur intérêt personnel et s’il leur persuade que leur propre avantage leur commande de faire ce qu’il souhaite d’eux. C’est ce que fait celui qui propose à un autre un marché quelconque; le sens de sa proposition est ceci : Donnez-moi ce dont j’ai besoin, et vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vous-même; et la plus grande partie de ces bons offices qui nous sont si nécessaires, s’obtient de cette façon. Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage ».  Ibid. p.48.
 
   En revanche il ne suit pas la leçon lorsqu’il prétend que la division du travail accroît l’habileté humaine, la qualité des compétences acquises par la spécialisation étant en jeu dans les progrès de la civilisation. Mandeville souligne plutôt que : « la division du travail est l’instrument qui permet à des hommes médiocres de produire des merveilles, et elle est également l’intermédiaire ou la médiation qui permet de comprendre que de l’ouvrier (très ordinaire) à l’ouvrage (très supérieur) la conséquence soit bonne, sans passer par « l’excellence du génie » […] il ne la qualifie que par son résultat, ou plus exactement par son rôle d’opérateur paradoxal. » Jean-Pierre Séris. Qu’est-ce que la division du travail ? p. 35.
 Effet nécessaire du jeu aveugle des passions humaines, la division du travail est au principe du développement de la civilisation dans ses plus hautes réalisations, mais au fond l’homme n’a pas à s’en enorgueillir. Ce sont des enfants soucieux avant tout de s’éviter la peine du travail (cf. le texte de Smith), des intellectuels désoeuvrés et indolents qui font les grands inventeurs, ce sont des êtres avides et égoïstes mus par toutes les concupiscences de l’humaine nature qui font les prodiges de la civilisation . Au « ni rire, ni pleurer » de Spinoza, Mandeville propose d’ajouter : ni s’émerveiller.
   Les Mandeville, Hume, Ferguson ont ainsi le mérite de nous déciller sur le supposé « génie humain ». Ils font avec intelligence, sans cynisme, ni mépris de l’humanité, « le procès de l’émerveillement sot et de l’admiration mal placée » p. 88, et si Ferguson ne suit pas entièrement Mandeville pour refuser de voir dans la division du travail un opérateur d’ingéniosité individuelle, il souligne qu’elle l’exacerbe chez certains et la diminue pour d’autres. Elle est donc facteur d’inégalité.
 
 « Mais si, dans la pratique de tout art, et dans le détail de tout département, il y a plusieurs parties qui n’exigent aucun talent, ou même qui sont propres à rétrécir et à borner l’esprit, il y en a d’autres qui mènent à des réflexions générales, et agrandissent le ressort de la pensée. En fait d’industrie même, le manufacturier peut avoir l’esprit cultivé, tandis que celui de l’ouvrier subalterne reste en friche. L’homme d’Etat peut avoir un génie vaste et une profonde connaissance des affaires humaines, tandis que les instruments qu’il emploie, ignorent jusqu’au système dans la combinaison duquel ils sont compris eux-mêmes. L’officier général peut être très habile dans l’art de la guerre, tandis que tout le mérite du soldat se borne à exécuter quelques mouvements du pied et de la main. L’un peut avoir gagné ce que l’autre a perdu ayant à diriger les opérations d’une armée disciplinée, il peut pratiquer en grand les ruses, les artifices de défense et les stratagèmes que le sauvage emploie à la tête d’une petite troupe, ou seulement pour sa propre conservation. »
                 Ferguson. Essai sur l’histoire de la société civile, 1783.
 
NB : On peut lire le texte de Ferguson et son commentaire dans l’ouvrage de Jean-Pierre Séris.
 
 
 
 

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Une Réponse à “Ambiguïté de la division du travail.”

  1. xena dit :

    merçiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii!du fond du coeur.

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