«En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n’est pas précisément à diminuer nos désirs ; car s’ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous ne jouirions pas de tout notre être. Ce n’est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s’étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n’en deviendrions que plus misérables : mais c’est à diminuer l’excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté. C’est alors seulement que toutes les forces étant en action l’âme cependant restera paisible, et que l’homme se trouvera bien ordonné.
C’est ainsi que la nature qui fait tout pour le mieux l’a d’abord institué. Elle ne lui donne immédiatement que les désirs nécessaires à sa conservation, et les facultés suffisantes pour les satisfaire. Elle a mis toutes les autres comme en réserve au fond de son âme pour s’y développer au besoin. Ce n’est que dans cet état primitif que l’équilibre du pouvoir et du désir se rencontre et que l’homme n’est pas malheureux. Sitôt que ses facultés virtuelles se mettent en action l’imagination, la plus active de toutes, s’éveille et les devance. C’est l’imagination qui étend pour nous la mesure des possibles soit en bien soit en mal, et qui par conséquent excite et nourrit les désirs par l’espoir de les satisfaire. Mais l’objet qui paraissait d’abord sous la main fuit plus vite qu’on ne peut le poursuivre; quand on croit l’atteindre il se transforme et se montre au loin devant nous. Ne voyant plus le pays déjà parcouru nous le comptons pour rien; celui qui reste à parcourir s’agrandit, s’étend sans cesse ainsi l’on s’épuise sans arriver au terme et plus nous gagnons sur la jouissance, plus le bonheur s’éloigne de nous.
Au contraire, plus l’homme est resté près de sa condition naturelle, plus la différence de ses facultés à ses désirs est petite, et moins par conséquent il est éloigné d’être heureux. Il n’est jamais moins misérable que quand il parait dépourvu de tout: car la misère ne consiste pas dans la privation des choses, mais dans le besoin qui s’en fait sentir».
Rousseau. Emile, Livre II. La Pléiade, t. IV, p.304.
NB : On peut lire plus bas les propos qui précèdent et suivent cet extrait. C’est bien utile pour la compréhension du sens.
Thème : Le bonheur.
Question : Qu’est-ce que le bonheur ? Il faut sans doute commencer par élucider cette question car à ignorer « ce qui convient à notre condition », on risque bien « de courir après des chimères ». Or il y a un ordre des choses qu’il est essentiel de comprendre, non seulement pour savoir être à sa place mais aussi pour ne pas espérer plus qu’il n’est possible.
Thèse : La félicité parfaite n’appartient pas à la condition humaine. « Nous ne savons ce que c’est que bonheur ou malheur absolu. Tout est mêlé dans cette vie », nos états ne cessent de se transformer et glissent continuellement du plaisir à la peine, du bien-être au mal-être tant physique que moral. Le bonheur absolu est incompatible avec l’ordre naturel des choses. On ne peut aspirer qu’à un bonheur défini comme un rapport entre des maux et des biens tel que les plaisirs l’emportent sur les peines. « La félicité de l’homme ici-bas n’est donc qu’un état négatif, on doit la mesurer par la moindre quantité des maux qu’il souffre ».
Il s’ensuit que la tâche d’un éducateur est bien circonscrite : « Assigner à chacun sa place et l’y fixer, ordonner les passions humaines selon la constitution de l’homme est tout ce que nous pouvons faire pour son bien-être. Le reste dépend de causes étrangères qui ne sont point en notre pouvoir ». Rousseau brosse ici un tableau très lucide de l’existence humaine. Quand bien même on met toutes les conditions de son côté pour avoir une vie heureuse, il faut encore compter avec des choses qui ne dépendent pas de nous : la maladie, le deuil de ceux qui nous sont chers, les catastrophes naturelles ou sociales. Apprendre à être heureux c’est aussi prendre la mesure de la nécessité et se disposer à l’accepter. C’est pourquoi toute bonne éducation doit faire sentir aux enfants les limites naturelles de leur puissance et le poids de la nécessité. Les mettre en situation de « ne rien faire par obéissance, mais seulement par nécessité ; ainsi les mots d’obéir et de commander seront proscrits de [leur] dictionnaire, encore plus ceux de devoir et d’obligation ; mais ceux de force, de nécessité, d’impuissance et de contrainte doivent y tenir une grande place » Ibid. p. 316.
Question : Cela dit, quelle est la route du bonheur ? Avec cette question rhétorique : « En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? », Rousseau s’inscrit dans la grande tradition des maîtres de la sagesse. Les Anciens, en effet, définissaient la sagesse comme la méthode de la vie bonne et heureuse or une méthode, c’est un chemin (odos) vers (meta). Pas un chemin tracé au hasard, mais un chemin balisé. Autrement dit pour être heureux il faut respecter quelques règles ou conseils. Quels sont ceux que donne Rousseau par la voix du gouverneur d’Emile ?
Thèse : Le secret de la sagesse, enseigne-t-il, consiste à accorder nos désirs et notre capacité de les satisfaire.
Question : Soit, mais que faut-il entendre par là ? Car on peut être tenté de croire que l’égalisation des désirs et des pouvoirs passe soit par la diminution des désirs soit par l’augmentation des pouvoirs. Or d’emblée l’auteur prévient qu’on aurait tort d’interpréter de cette manière le conseil. Pourquoi donc ces deux solutions sont-elles aporétiques ?
Thèse : Rousseau s’explique dans un développement où il s’applique à préciser ce que la sagesse n’est pas afin de bien faire comprendre ce qu’elle est :
- Elle ne consiste pas à « diminuer nos désirs ; car s’ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous ne jouirions pas de tout notre être ». Il y a dans ce propos une nouvelle indication sur ce qu’est le bonheur et toute une méditation implicite sur la condition humaine en tant qu’elle est définie par la perfectibilité. Le bonheur, souligne-t-il, est dans le contentement, la jouissance de notre être mais encore faut-il que toutes les facultés qui sont en lui à l’état virtuel ( = en germe) soient développées. L’enfance de l’individu comme celle des peuples incarne un âge de la vie dont on est destiné à sortir. Les potentialités de la nature humaine (intellectuelles, sensitives, pratiques, morales etc.) doivent être actualisées pour pouvoir jouir d’elles-mêmes or sans l’aiguillon du désir, elles n’en auraient pas l’occasion. « Quoiqu’en disent les moralistes, l’entendement humain doit beaucoup aux passions, qui, d’un commun aveu, lui doivent beaucoup aussi : c’est par leur activité que notre raison se perfectionne ; nous ne cherchons à connaître que parce que nous désirons de jouir ; et il n’est pas possible de concevoir pourquoi celui qui n’aurait ni désirs ni craintes se donnerait la peine de raisonner.» (Discours sur l’origine de l’inégalité, Première partie). Rousseau signifie ici que nous ne faisons les efforts nécessaires à l'actualisation de nos diverses aptitudes que parce que nous en attendons des bénéfices. Par exemple sans le désir de soulager leur peine dans l'effort les hommes auraient-ils inventé le levier et déployé leur inventivité technicienne? Sans le désir de se faire une place au soleil, d'améliorer leurs conditions de vie, ne s'abandonneraient-ils pas à leur indolence naturelle, leurs facultés restant en friche? Il faut donc que nos désirs s’étendent jusqu’où nos facultés peuvent aller. A défaut, une partie d’entre elles « resterait oisive », inemployée, gâchée. L’homme ne doit pas vivre en-dessous de ce qu’il peut et il est heureux que la nature ou les hasards de l’histoire ait placé les individus et les peuples dans des situations ayant rendu nécessaires les progrès de l’esprit et l'actualisation des talents pour pourvoir à leurs besoins et aux passions qui en dérivent. Les seules bornes légitimes de nos désirs sont donc les limites de nos facultés et les contraintes du réel. Nul n’est fait pour rester « un animal stupide et borné » dans un état primitif. Notre vocation est de devenir « un être intelligent et un homme » et de construire un monde à notre mesure. Rousseau ne fait jamais l’apologie de la condition originaire et s’il lui arrive de la regretter, c’est seulement parce que la perfectibilité n’a pas tenu toutes ses promesses. En témoigne ce passage du Contrat social où il célèbre l’état civil : « Quoiqu’il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu’il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s’exercent et se développent, ses idées s’étendent, ses sentiments s’ennoblissent, son âme tout entière s’élève à tel point que, si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais et qui, d’un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme ». Contrat social, I, § VIII.
- La sagesse ne consiste « pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s’étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n’en deviendrons que plus misérables ». Nos facultés sont grandes et il ne faut pas les laisser en friche si l’on veut jouir de tout son être, mais développement n’est pas synonyme d’extension illimitée. Il y a des limites naturelles que l’homme peut franchir par divers artifices puisqu’il peut augmenter les pouvoirs de son corps ou de son esprit par son génie inventif mais il concourt alors à sa misère non à sa félicité. Pourquoi ? Parce que l’accroissement des pouvoirs est aussi accroissement des désirs. Plus l’homme peut, plus ses désirs se multiplient et sa volonté de puissance se croyant irrésistible, il s’imagine être un dieu dont le caprice peut faire loi. N’avons-nous pas vu défiler des personnes aux cris de « A bas le cancer ! A bas la mort ! ». Les conquêtes de la science, les progrès techniques alimentent chez les insensés les désirs les plus fous, et ceux-ci les exposent à des réveils douloureux….En effet si l’homme peut beaucoup grâce à son ingéniosité il ne peut pas tout. Misérable celui qui ignore ses limites et entretient des rêves chimériques. Il s’expose nécessairement à rencontrer le mur de l’adversité et à souffrir en proportion de sa folie.
- Alors que signifie mettre en accord les désirs et les pouvoirs ? Seulement « diminuer l’excès des désirs sur les facultés, et mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté ». L’important est de comprendre que le secret de la sagesse est dans l’intelligence d’un juste rapport. Car la limite souhaitable de nos désirs ne peut pas s’apprécier a priori. Elle est tributaire de la limite de nos facultés et comme celle-ci varie selon la constitution des individus et pour un même individu d’un âge à un autre et aussi de ses conditions sociales et historiques d’existence, l’important est de bien savoir apprécier la situation. « C’est alors seulement que toutes les forces étant en action l’âme cependant restera paisible, et que l’homme se trouvera bien ordonné ». Remarquons combien Rousseau lie la jouissance de soi à l’activité optimale de ses capacités. Le bon ordre n’est pas dans l’inertie, il est dans l’exercice de son potentiel mais celui-ci n’est jamais mieux exploité que sous le régime de la volonté. Car la volonté n’est pas réductible à la spontanéité du désir. Elle est le désir régulé par les lumières de l’entendement sans lesquelles les projets ne sont pas maintenus dans les limites du possible. Alors l’âme est en paix parce que l’homme ne désirant rien qu’il ne puisse accomplir exerce sa force pour son plaisir. Il jouit de sa liberté au sens où Rousseau dit que : « L’homme vraiment libre ne veut que ce qu’il peut et fait ce qu’il lui plaît » Emile, II, Pléiade, t.IV, p.309. Tel est le bon ordre des choses, l’ordre naturel qui, pour ne pas être réalisé instinctivement chez l’homme, n’en est pas moins ce qui devrait normer sa conduite.
Question : Mais voilà ce bon ordre est la chose du monde la moins bien partagée et la question est de savoir pourquoi l’homme est si peu doué pour le réaliser. Pourquoi a-t-il infiniment plus de talent pour le malheur que pour le bonheur ?
Thèse : Il suffit pour le comprendre de saisir ce qui distingue la condition humaine de la pure condition naturelle. Celle-ci renvoie au donné, à l’originaire, à ce qui n’a pas été modifié par l’intervention humaine, or notre aventure étant celle d’un être culturel et historique, l’homme que nous sommes devenus, « l’homme de l’homme », dit Rousseau, n’est plus « l’homme tel qu’il est sorti des mains de la nature ». Néanmoins, il est utile de s’en faire une idée car l’ordre naturel étant toujours pour notre auteur le bon ordre, on a compris qu’on serait bien inspiré de s’en servir de modèle pour mettre en ordre les choses humaines.
Voilà pourquoi le philosophe construit la fiction théorique de l’homme à l’état de nature (le sauvage) dans le Discours sur l’origine de l’inégalité et se réfère ici à l’institution naturelle de notre condition. L’expression : « c’est ainsi que la nature qui fait tout pour le mieux l’a d’abord institué » affiche clairement un parti pris finaliste. La nature est conçue comme une volonté intelligente ne faisant rien au hasard. Elle fait bien les choses comme si l’ordre naturel était un ordre providentiel ayant pris soin, en ce qui concerne les besoins et les facultés, de les proportionner. Cet équilibre est celui de l’homme dans son état naturel. Dépouillé de tout ce qu’il a reçu de son milieu social, il est en effet un animal même si ce n’est pas un animal comme les autres puisqu’il n’est déterminé ni par un code naturel ni par un code culturel à être ce qu’il est. Il est doté de la capacité de changer, il est perfectible, autrement dit, il est libre. Mais au point zéro de l’histoire, ou en langage rousseauiste : « tel qu’il a dû sortir des mains de la nature, je vois un animal moins fort que les uns, moins agile que les autres, mais, à tout prendre, organisé le plus avantageusement de tous : je le vois se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas ; et voilà ses besoins satisfaits ».
Toutes les facultés qui sont en puissance en lui : sa conscience, son intelligence, son imagination, sa sensibilité, ses diverses aptitudes sont « comme en réserve au fond de son âme ». Il est « un animal stupide et borné » n’ayant que des besoins car pour que le besoin s’exprime sous la forme du désir il faut le développement de la conscience. A l’instar de tout animal, le sauvage est un être réduit à ses seuls besoins biologiques et bien équipé par la nature pour les satisfaire. D’où « l’équilibre du pouvoir et du désir » et son relatif bien-être. Relatif car lui aussi est exposé à la maladie ou à la menace d’un autre amour de soi. Mais tant que le danger n’est pas présent, un être en état d’hébétude intellectuelle ne peut pas l’imaginer. Il n’a donc pas l’art d’empoisonner sa vie avec des craintes imaginaires. Il n’anticipe pas sa mort ou tous les maux qu’une conscience développée peut se représenter. Il s’ensuit que : « Ce n’est que dans cet état primitif que l’équilibre du pouvoir et du désir se rencontre et que l’homme n’est pas malheureux ».
Manière de dire que la perfectibilité n’est pas nécessairement un avantage et qu’elle ne s’exerce pas par définition pour notre bonheur.
Question : D’où la nouvelle question : qu’est-ce qui dans le développement humain compromet le bon équilibre du désir et des pouvoirs ? Et puisque Rousseau répond que c’est l’entrée en scène de l’imagination, il s’agit de comprendre pourquoi c’est à l’imagination qu’il faut imputer l’impuissance des hommes à être heureux autant qu’ils peuvent l’être.
Thèse : L’imagination est la faculté d’élaborer des images, de se former une représentation des choses libérée des contraintes du réel. Elle exprime la liberté de l’esprit pour autant qu’il n’est pas prisonnier de ce qui est mais peut se figurer ce qui n’est pas : le possible, le souhaitable, l’idéal par exemple. Grâce à l’imagination l’homme fantasme un monde imaginaire à la couleur de ses rêves et met le monde en chantier pour lui donner réalité. Elle est donc au principe de la créativité humaine. Sans imagination créatrice, ni les œuvres d’art, ni les inventions techniques, scientifiques ou institutionnelles ne pourraient voir le jour. Mais elle n’a pas que des mérites. Rousseau pointe deux grands dangers de l’imagination :
- Elle « étend pour nous la mesure des possibles soit en bien soit en mal, et par conséquent excite et nourrit les désirs par l’espoir de les satisfaire ». L’imagination est en effet capitale dans l’expérience du désir car il est une visée imaginative. Désirer c’est tendre vers un objet ou une fin que l’on se représente comme promesse de bonheur. Le sujet construit l’objet de son désir dans l’imaginaire dans une dialectique subtile où l’énergie désirante suscite le travail de l’imagination, celui-ci alimentant ou « excitant » en retour le désir. La puissance de nos désirs est donc tributaire de notre fantaisie qui, affranchie des limites que le réel ou l’exigence morale assignent à notre existence, peut déplacer les bornes du possible et entretenir la prétention de les dépasser. « La folle du logis », comme l’appelle Malebranche, peut ainsi donner naissance à toutes sortes de projets et pas nécessairement aux plus souhaitables mais surtout, vice constitutif de la bonne aspiration comme de la mauvaise, elle fait vivre d’espoir. Or espérer c’est remettre à demain le temps du bonheur, c’est déporter celui-ci dans un temps imaginaire et oublier de se soucier d’être heureux au présent. Grande imprudence car seul le temps présent est le temps réel. Celui qui fait du seul avenir le vecteur de ses soins, celui qui diffère le temps de vivre et remet à plus tard la promesse de la jouissance ne sera peut-être plus là pour goûter les fruits espérés. Cette vanité n’est pas la formule de la sagesse, aussi l’homme fort et heureux de sa force n’existe pas hors de lui. Ses projets ne sont que le déploiement de sa surabondance de forces. Il en jouit au présent, avec toute la gratitude qui sied à celui qui ne vit pas forcément de peu mais sait se contenter de ce qu’il a et de ce qu’il est à l’inverse de celui dont la démesure des aspirations est le symptôme de la faiblesse. « Ô homme ! resserre ton existence au-dedans de toi, et tu ne seras plus misérable. Reste à la place que la nature t’assigne dans la chaîne des êtres, rien ne t’en pourra faire sortir : ne regimbe point contre la dure loi de la nécessité, et n’épuise pas à vouloir lui résister des forces que le ciel ne t’a point données pour étendre ou prolonger ton existence, mais seulement pour la conserver comme il lui plaît et autant qu’il lui plaît. Ta liberté, ton pouvoir ne s’étendent qu’aussi loin que tes forces naturelles et pas au-delà ; tout les reste n’est qu’esclavage, illusion, prestige ». Emile, II, Pléiade, t. IV, p. 308.
- Le deuxième danger de l’imagination est plus redoutable encore. Rousseau s’emploie à en décrire finement les sortilèges en montrant qu’elle creuse la distance entre l’objet rêvé et l’objet obtenu et répand ainsi sur le désir comblé la déception de la désillusion. Il pointe les pouvoirs quasi magiques de l’imagination. Sa force est de rendre sensible, quasiment présent l’objet puissamment désiré aussi donne-t-elle l’illusion qu’il est « sous la main » mais dès que l’on croit s’en emparer il s’éloigne. Ce grand rêveur que fut Rousseau sait de quoi il parle et s’il fait ici le procès de l’imagination, son romantisme n’exclut pas des propos plus complaisants à son endroit. On se souvient de la déclaration de Julie dans La nouvelle Héloïse : « Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède ». Le bonheur n’est pas dans la jouissance réelle mais dans le désir lui-même, affirme-t-elle. Les jouissances du réel sont ennuyeuses, heureusement que l’imagination peut en offrir à la dimension de l’aspiration infinie travaillant l’âme humaine. « Tant qu’on désire on peut se passer d’être heureux ; on s’attend à le devenir : si le bonheur ne vient point, l’espoir se prolonge, et le charme de l’illusion dure autant que la passion qui la cause. Alors cet état se suffit à lui-même, et l’inquiétude qu’il donne est une sorte de jouissance qui supplée à la réalité, qui vaut mieux peut-être » Julie ou la nouvelle Héloïse, VI, Lettre VIII, Pléiade, t. II, p. 693. L’imagination permet l’expansion de l’existence humaine, l’élan vers Dieu ou la dilatation de son être aux dimensions de l’univers mais cet amour infini des âmes ardentes est moins fait pour sentir la plénitude de son existence que pour en découvrir le vide. Dans une Lettre à Malesherbes Rousseau décrit la chute après l’exaltation : « Cependant au milieu de tout cela je l’avoue, le néant de mes chimères venait quelquefois la (l’âme) contrister tout à coup. Quand tous mes rêves se seraient tournés en réalités, ils ne m’auraient pas suffi ; j’aurais imaginé, rêvé, désiré encore. Je trouvais en moi un vide inexplicable que rien n’aurait pu remplir, un certain élancement du cœur vers une autre sorte de jouissance dont je n’avais pas l’idée et dont pourtant je sentais le besoin. Eh bien Monsieur cela même était jouissance, puisque j’en étais pénétré d’un sentiment très vif et d’une tristesse attirante que je n’aurais pas voulu ne pas avoir » Troisième lettre à Malesherbes, Pléiade, t. I, p. 1140.
Dans ce texte de l’Emile, Rousseau ne veut pas initier son élève aux rêveries égotistes du promeneur solitaire. Il est un pédagogue soucieux de faire d’Emile un homme libre et heureux autant qu’on peut l’être sans le secours de la religion. C'est la route du « vrai bonheur» qu'il s'efforce de tracer, non celle des bonheurs vains que peut donner l'imagination. Le gouverneur doit donc parler contre les penchants de Rousseau. (Cf. Marcel Raymond. Note de la page 304, p. 1341 dans la Pléiade). D’où l’extrême sévérité du jugement sur les effets de l’imagination. Sa malédiction est de rendre inapte au contentement et ingrat à l’égard de tous les accomplissements du désir. « Ne voyant déjà plus le pays déjà parcouru nous le comptons pour rien » dit le texte. Observation d’une grande profondeur. L’objet possédé, la fin atteinte sont toujours en-deçà de l’objet ou de la fin rêvée. A peine étreints, ils ont perdu leur séduction, « ils ne comptent plus » et le désir tourne déjà vers d’autres horizons son inépuisable aspiration à un bonheur qui n’est pas de ce monde. Misérable imagination qui ouvre les portes du « vierge Azur » (Mallarmé), elle frappe de nullité tout ce qui a la consistance du réel. Elle condamne à l’insatisfaction au sein de l’abondance ou de la générosité de Dame Fortune. Il s’ensuit que, paradoxalement, les plus malheureux ne sont pas ceux qui manquent de tout, ce sont ceux qui ne manquent de rien car le bonheur ennuyant les nantis, seul l’impossible peut encore les faire rêver.
Mais l’impossible est précisément ce qui est au-delà du périmètre de nos forces. Or « Celui dont la force passe les besoins, fut-il un insecte, un ver, est un être fort. Celui dont les besoins passent la force, fut-il un éléphant, un Lion, fut-il un conquérant, un héros, fut-il un Dieu, c’est un être faible. L’Ange rebelle qui méconnut sa nature était plus faible que l’heureux mortel qui vit en paix avec la sienne. L’homme est très fort quand il se contente d’être ce qu’il est, il est très faible quand il veut s’élever au-dessus de l’humanité ».
D’où la légitime nostalgie de la condition naturelle. Elle exhibe la perfection d’un équilibre dont l’homme s’est éloigné au rythme du développement de ses possibilités virtuelles. Les progrès historiques, les conquêtes de la civilisation ont leur face sombre. En étendant ses facultés l'animal perfectible a accru d’autant ses désirs et s’est rendu plus misérable encore qu’il ne l’était à l’état sauvage. Que ne dirait Rousseau aujourd’hui ! Nos contemporains regorgent du superflu et pourtant, impuissants à se contenter de ce qu’ils ont, ils ont l’impression de manquer du nécessaire. Paradoxe sans doute mais paradoxe justifiant le propos final : il n’y a pas de misère en soi, le misérable n’est pas celui qui est privé de certains biens, c’est celui qui en ressent le manque.
L’équilibre naturel étant rompu, c’est à l’homme seul désormais qu’il incombe d’établir le juste rapport entre ses désirs et ses pouvoirs et cela s’appelle sagesse. Son salut est dans la domestication de la folle du logis car « Le monde réel a ses bornes, le monde imaginaire est infini ; ne pouvant élargir l’un rétrécissons l’autre ». Alors seulement on pourra retrouver la route du bonheur.
TEXTE
« Pour ne point courir après des chimères n’oublions pas ce qui convient à notre condition. L’humanité a sa place dans l’ordre des choses ; l’enfance a la sienne dans l’ordre de la vie humaine ; il faut considérer l’homme dans l’homme, et l’enfant dans l’enfant. Assigner à chacun sa place et l’y fixer, ordonner les passions humaines selon la constitution de l’homme est tout ce que nous pouvons faire pour son bien-être. Le reste dépend de causes étrangères qui ne sont point en notre pouvoir.
Nous ne savons ce que c’est que bonheur ou malheur absolu. Tout est mêlé dans cette vie, on n’y goûte aucun sentiment pur, on n’y reste pas deux moments dans le même état. Les affections de notre âme, ainsi que les modifications de nos corps, sont dans un flux continuel. Le bien et le mal nous sont communs à tous, mais en différentes mesures. Le plus heureux est celui qui souffre le moins de peines ; le plus misérable est celui qui sent le moins de plaisirs. Toujours plus de souffrances que de jouissances ; voilà la différence commune à tous. La félicité de l’homme ici-bas n’est donc qu’un état négatif, on doit la mesurer par la moindre quantité des maux qu’il souffre.
Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s’en délivrer ; toute idée de plaisir est inséparable du désir d’en jouir ; tout désir suppose privation, et toutes les privations qu’on sent sont pénibles ; c’est donc dans la disproportion de nos désirs et de nos facultés que consiste notre misère. Un être sensible dont les facultés égaleraient les désirs serait un être absolument heureux.
En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n’est pas précisément à diminuer nos désirs ; car s’ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous ne jouirions pas de tout notre être. Ce n’est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s’étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n’en deviendrons que plus misérables : mais c’est à diminuer l’excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté. C’est alors seulement que toutes les forces étant en action l’âme cependant restera paisible, et que l’homme se trouvera bien ordonné.
C’est ainsi que la nature qui fait tout pour le mieux l’a d’abord institué. Elle ne lui donne immédiatement que les désirs nécessaires à sa conservation, et les facultés suffisantes pour les satisfaire. Elle a mis toutes les autres comme en réserve au fond de son âme pour s’y développer au besoin. Ce n’est que dans cet état primitif que l’équilibre du pouvoir et du désir se rencontre et que l’homme n’est pas malheureux. Sitôt que ses facultés virtuelles se mettent en action l’imagination, la plus active de toutes, s’éveille et les devance. C’est l’imagination qui étend pour nous la mesure des possibles soit en bien soit en mal, et qui par conséquent excite et nourrit les désirs par l’espoir de les satisfaire. Mais l’objet qui paraissait d’abord sous la main fuit plus vite qu’on ne peut le poursuivre; quand on croit l’atteindre il se transforme et se montre au loin devant nous. Ne voyant plus le pays déjà parcouru nous le comptons pour rien; celui qui reste à parcourir s’agrandit, s’étend sans cesse ainsi l’on s’épuise sans arriver au terme et plus nous gagnons sur la jouissance, plus le bonheur s’éloigne de nous.
Au contraire, plus l’homme est resté près de sa condition naturelle, plus la différence de ses facultés à ses désirs est petite, et moins par conséquent il est éloigné d’être heureux. Il n’est jamais moins misérable que quand il parait dépourvu de tout: car la misère ne consiste pas dans la privation des choses, mais dans le besoin qui s’en fait sentir.
Le monde réel a ses bornes, le monde imaginaire est infini ; ne pouvant élargir l’un rétrécissons l’autre; car c’est de leur seule différence que naissent toutes les peines qui nous rendent vraiment malheureux. Otez la force, la santé, le bon témoignage de soi, tous les biens de cette vie sont dans l’opinion; ôtez les douleurs du corps et les remords de la conscience, tous nos maux sont imaginaires. Ce principe est commun, dira-t-on, j’en conviens. Mais l’application pratique n’en est pas commune, et c’est uniquement de la pratique qu’il s’agit ici.
Quand on dit que l’homme est faible, que veut-on dire ? Ce mot de faiblesse indique un rapport. Un rapport de l’être auquel on l’applique. Celui dont la force passe les besoins, fut-il un insecte, un ver, est un être fort. Celui dont les besoins passent la force, fut-il un éléphant, un Lion, fut-il un conquérant, un héros, fut-il un Dieu, c’est un être faible. L’Ange rebelle qui méconnut sa nature était plus faible que l’heureux mortel qui vit en paix avec la sienne. L’homme est très fort quand il se contente d’être ce qu’il est, il est très faible quand il veut s’élever au-dessus de l’humanité. N’allez donc pas vous figurer qu’en étendant vos facultés vous étendez vos forces ; vous les diminuez, au contraire, si votre orgueil s’étend plus loin qu’elles. Mesurons le rayon de notre sphère et restons au centre comme l’insecte au milieu de sa toile, nous nous suffirons toujours à nous-mêmes et nous n’aurons point à nous plaindre de notre faiblesse; car nous ne la sentirons jamais.
Tous les animaux ont exactement les facultés nécessaires pour se conserver. L’homme seul en a de superflues. N’est-il pas bien étrange que ce superflu soit l’instrument de sa misère? »
Rousseau. Emile, Livre II. La Pléiade, t IV, p.303 à 305.
Partager :
Share on Facebook | Pin It! | Share on Twitter | Share on LinkedIn |
Bonsoir,
Je voulais savoir si la méthode que vous employez ici est celle que vous attendez de nous pour le devoir de mardi? Est-ce par soucis de commodité -l’explication en deux heures- que vous progressez sous forme de Question These Developpement Question These Developpement etc…? Ou est-ce la méthode que vous nous conseillez à l’avenir?
Merci de votre réponse
A Mardi
Bonsoir Léo
Oui c’est la méthode que je vous conseille. J’ai pu observer au cours de mes corrections qu’elle est d’une grande efficacité pour ceux qui s’y plient. Au bac, il vous suffira de faire disparaître l’intitulé: question-thèse; mais si vous procédez ainsi votre développement sera d’une rigueur à toute épreuve. Impossible de laisser échapper une seule idée. Vous êtes mis en situation de lire avec précision le texte c’est-à-dire au fond de retrouver la démarche de l’auteur dans la production de son propre discours. J’aurais dû penser plus tôt à cette stratégie. Elle me semble servir votre intérêt.
bonjour,
j’aurai aimé lors de ma scolarité au lycée avoir un professeur qui se donne la peine de répondre à mes nombreuses questions sur ce mécanisme à la fois omniprésent et peu accessible qu’est la philosophie. Je regrette le manque de considération en cette matière si importante qu’est la philosophie. Il apparait clairement que la plupart des élèves ne savent tout simplement pas parler. Etudier la philosophie demande de l’étudier dans son ensemble et non quelques éléments, la philosophie est un tout qui s’assemble et malheureusement l’éducation nationale ne prête que peu d’attention à cette machine intellectuelle.
Le seul reproche que je me permets de vous faire concerne l’introduction et plus particulièrement » le bonheur d’être philosophe « , car la plupart des philosophes sont dépressifs et souffre d’un réel malaise psychologique. J’ai remarqué, cotoyant des philosophes que l’impact de leur réflexion est si fort et si usant qu’il reflète physiquement tellement ils paraissent usés. Je n’ai peut-être pas compris la philosophie dans son enssemble, mais j’ai compris une chose c’est qu’être philosophe n’est pas un choix c’est une fatalité qui dans le fond n’a que peu d’intérêt. Zénon nous disait qu’une flêche tirée ne touche jamais sa cible, où se trouve l’intérêt de cette phrase fausse? parler pour ne rien dire ou tout simplement provoquer? ou apporter à l’espèce des éléments nécessaires à son évolution peut être.
bonne chance pour la suite de votre carrière, et j’espère voir le site s’enrichir ( peut être en s’approchant d’un nouveau problème contemporain qu’est l’environnement? ).
cordialement
Il me faut vous reprendre sur un certain nombre de vos propos.
1) D’abord l’idée de philosophie et celle de mécanisme sont antinomiques. L’amour de la sagesse est l’expression de la plus haute liberté de l’esprit. Aucun acte de pensée ne se produit par favorable mécanique. Elle est aussi antinomique de celle de fatalité pour la même raison.
2) L’éducation nationale paie très cher la formation philosophique qu’elle dispense à tous les élèves de classes terminales. Vous lui faîtes un procès bien injuste.
3) Votre jugement sur le caractère dépressif des philosophes est pour le moins fantaisiste. Les Anciens définissaient la sagesse comme la méthode de la vie bonne et heureuse et s’il y a une activité qui est une source inépuisable de joie, c’est bien la philosophie. Sans doute avez-vous rencontré des personnes qui viennent à la philosophie pour de très mauvaises raisons mais de toute façon on ne peut, à partir de quelques exemples singuliers, se permettre en la matière une généralité.
4) Enfin le propos de Zénon est d’une grande profondeur. Les stoïciens nous apprennent à distinguer ce qui dépend absolument de nous et ce qui n’en dépend pas. Il appartient à chacun de bien viser la cible, c’est-à-dire de faire tout ce qu’il faut pour réussir ce qu’il entreprend, il ne dépend pas entièrement de lui de toucher la cible car l’action met en jeu l’action des autres (toujours susceptible de mettre en échec la nôtre) et des contingences diverses et variées (on peut tomber malade avant d’avoir achevé sa tâche).
Bien à vous.
rien d’autre à dire qu’un grand merci pour ce site, bravo d’avoir pris le temps de faire un site aussi complet, j’espère qu’il continuera de l’être et que je pourrai continuer de le conseiller à beaucoup.
j’ai suivi de nombreuses « thérapies » afin d’essayer de trouver des réponses à tous ces tourments qui m’empêchaient de vivre, j’ai trouvé grâce à votre site de nombreux textes avec vos analyses qui me permettent maintenant d’avoir de nouveaux critères de réflexion bien plus concrets et intéressants que tout ce que j’ai pu voir par le passé. cela me permet d’avancer à nouveau et d’être sorti de cet état dépressif sans tous les médicaments qu’on a voulu me prescrire
la philosophie devrait être enseignée d’une manière différente au lycée je suis d’accord avec anthony, car c’est une réalité la plupart des élèves ne prennent pas le temps de se consacrer à cette « matière » comme il le faut et beaucoup de professeurs l’enseignent très mal
fini les religions et les psys pour moi la reflexion philosophique me satisfait pleinement!
j’ai 19ans et je passe mon bac en candidat libre cette année, maintenant que je me suis servis de la philosophie pour mieux réfléchir à la vie (je pense que c’est ainsi qu’il faut avant tout la voir), on verra si j’arriverai à appliquer les méthodes que l’éducation nationale a associé à cette étude pour décrocher le diplome!
très cordialement,
Tous mes voeux de réussite à l’examen et d’épanouissement dans votre vie. Vous avez raison de penser que la philosophie est le sésame de l’accomplissement de soi et la meilleure voie pour promouvoir le bonheur de son existence.
Bonsoir madame,
Je suis étudiante en classe préparatoire aux grandes écoles et je voudrais savoir si vous pouviez me conseiller des ouvrages, ou des passages clés d’oeuvres, portant sur le merveilleux thème qu’est l’imagination.
Je vous remercie d’avance et vous souhaite une bonne soirée.
Cordialement,
Marie A.
Je suppose que votre professeur a dû vous constituer une bibliographie.
Si ce n’est pas le cas, ce qui est inimaginable, voyez ce site: http://www.mollat.com/dossier/l_agregation_de_philosophie_le_programme-8527.html.
Ou celui-ci; http://www.hansen-love.com/article-l-imagination-theme-culture-generale-hec-2011-bibliographie-53666836.html.
La collection corpus chez Garnier Flammarion propose certainement un numéro.
Kant (avec le thème du schématisme), Descartes, Spinoza, Pascal, Rousseau, Baudelaire, Sartre etc. sont des incontournables.
Bon courage.
Bonjour,
je n’ai pas de question, je vous remercie simplement de prendre la peine de publier tout cela pour en faire profiter les uns et les autres. Je passe cette année mon Bac L et je sens que je vais me référer à votre site pour certains textes !
Merci encore, je vous souhaite une excellente journée.
Merci Myrific pour ce sympathique message. Je vous souhaite une bonne année de philosophie.
Bien à vous.
Bonjour,
Actuellement, en classe de Terminale Es, je viens de lire de nombreux articles afin d’approfondir mes connaissances et de m’aider pour ma dissertation que j’ai à faire. Le sujet est le suivant : » Ne faut il désirer que le possible ? » Etant donné que c’est la première fois que je fais une dissertation, je suis un peu perdue, et je voudrais savoir si ma problématique est bonne : » Quelles sont les limites de ne désirer que le possible ? Quels sont les dangers de désirer l’impossible ? » Avec cette problématique, je ferais donc 2 parties.
Je vous remercie par avance,
Andréa
Désolée, Andréa, je n’interviens pas dans le travail des élèves.
Consultez pour vous aider : vaut-il mieux changer ses désirs qur l’ordre du monde?
Bon travail.
Je voudrais faire une remarque sur la thèse de ce texte.
Le point difficile ici, à mon avis, est de déterminer les limites de nos facultés. Comment savoir précisément jusqu’où peuvent s’étendre nos possibilités? Sans doute, l’expérience de l’échec ou de la deception peut nous donner une idée de telles limites, mais elle ne peut nous apporter aucune certitude véritable. Par exemple, j’échoue plusieurs fois à faire des dissertations. Cela signifie-t-il pour autant que je suis incapable de faire une dissertation, que cette exercice est au-delà de mes facultés, et que je dois alors renoncer à mon désir de faire de la philosophie? Le désir, s’il est vraiment fort, tient rarement compte de tels échecs, et cela ne veut pas dire qu’il est nourri par une puissance illusoire, l’imagination, qui nous présente les objets visés comme à portée de la main alors qu’ils sont inaccessibles. Si le désir persiste malgré les échecs répétés, c’est plutôt parce qu’il est impossible de déterminer absolument ce qui est à notre portée et ce qui ne l’est pas.
Ainsi, la formule du bonheur d’après Rousseau, qui repose sur cette connaissance, demeure à mes yeux problématique.
Il est vrai qu’il est difficile de tracer la limite entre le possible et l’impossible pour nous. On ne le saura qu’en essayant et donc en prenant le risque de la souffrance. Mais enfin on peut tirer les leçons de ses échecs, l’enjeu dans ce domaine n’étant pas la certitude mais la sérénité.
La dernière partie de votre propos me semble donc creuse. Vous reconnaissez vous-même que le désir ardent ne tient pas compte des échecs. Effectivement, par sa composante imaginative, le désir ne peut pas être sage. La sagesse est un effort de soi sur soi, et cela exige lucidité et tempérance. La folie du désir ne procède pas d’une difficulté théorique (la juste appréciation des limites de nos facultés) mais d’une subversion de la raison par l’imagination.
Bien à vous.
Oui, vous avez tout à fait raison.
Ce que je voulais souligner en fait, c’est le caractère dangereusement persuasif du désir. Et l’un de ses plus redoutables arguments, c’est précisément cette difficulté (voire cette impossibilité théorique) de déterminer les limites de nos facultés.
En réalité, le désir passionnel ne procède pas tant d’une subversion de la raison par l’imagination, que d’un retournement de la raison contre elle-même. Le désir utilise, pour persévérer malgré les échecs répétés et la souffrance, des arguments très rationnels. C’est, il me semble, ce qu’exprime Freud lorsqu’il parle des résistances intellectuelles que le médecin rencontre dans son analyse du névrosé. Ce dernier oppose à son psychanalyste des arguments très subtils et tout à fait rationnels pour protéger et justifier ses désirs pathogènes. Ceux-ci se rencontrent alors plus fréquemment chez les personnes très intelligentes et cultivées. Je ne suis donc pas étonné lorsque Rousseau avoue être habité lui-même par de tels désirs (vous disiez même que le romantisme de Rousseau l’a amené, paradoxalement, à donner une justification rationnelle à l’existence de ces désirs).
Le désir se pare du masque de la raison, et c’est ce qui le rend très difficile à déraciner.
Le désir dans sa spontanéité est une chose, la stratégie à adopter pour remédier à sa folie en est une autre. Autrement dit la subversion de la raison par l’imagination n’est pas une fatalité. Tout le monde peut comprendre ses passions disait Spinoza. Il s’ensuit que chacun peut se disposer de telle sorte qu’il ait moins à les subir. L’enjeu du texte de Rousseau n’est pas de décrire un fait mais de formuler une leçon de sagesse. Il y est question de la « route du bonheur » et celle-ci est à notre portée. Aucun maître de sagesse ne le met en doute, même si aucun ne prétend que la tâche soit facile.
Bien à vous.
Simone MANON dit:
8 février 2010 à 5h 16 min
Aucun acte de pensée ne se produit par favorable mécanique.
Geo Rum Phil a répondu:
La pensée est le rayonnement de la mémoire, or la mémoire est mécanique.
Exemple:
Je pense à…, donc je me souviens d’un,e tel,telle, de l’histoire de la philosophie que j’ai appris par coeur pour reussir mes études, etc.
La pensée n’est pas (encore) la réflexion !
Réfléchissez-vous vos pensées que vous partager avec vos élèves ?
Votre définition de la pensée est pour le moins fantaisiste.
« Penser à quelque chose » peut signifier se souvenir, rêver, être gouverné par des associations etc.
Ce qui évidemment est différent de ce que connote l’expression: « un acte de pensée ». Le mot acte renvoie à l’idée « d’activité » et penser consiste toujours à examiner des énoncés afin d’en interroger le sens, la valeur et le fondement. Ce que je vous incite à mettre en oeuvre afin de comprendre correctement l’expression: « aucun acte de pensée ne se fait par favorable mécanique ».
Bien à vous.
Vous avez raison, le mot acte renvoie à l’idée d’activité => mecanique;
agir sans réfléchir selon ses croyances…
je pense que/je crois que
je ne pense pas que/je ne crois pas que
Vous n’avez pas dit quelle distinction faites vous entre penser et réfléchir ?
😉
Mais il me semble que l’énoncé de ce que penser veut dire contient la réponse à votre question. Nulle interrogation sur le sens, la valeur et le fondement de nos affirmations ou croyances n’est possible sans retour de l’esprit sur lui-même. L’activité pensante et l’activité réflexive sont donc une seule et même chose. Cette intentionnalité de l’esprit déjoue évidemment tous les mécanismes par sa difficulté et ses exigences.
Bien à vous.
Tout d’abord bravo pour ce commentaire, très clair et très complet.
J’aurais juste une réserve sur la référence à la Nouvelle Héloïse : le texte de Julie n’est pas nécessairement la traduction de la pensée de Rousseau. Il me semble même que le personnage de Julie offre un contrexemple et qu’elle représente la mauvaise limitation des désirs. Il y a une façon de limiter ses désirs qui est mortifère et une autre qui est libératrice et joyeuse. Julie (et surtout son mari) incarnent la première. Il faudrait ici raconter tout le roman, mais disons rapidement qu’elle a renoncé à son amour de jeunesse pour épouser le mari que son père avait choisi. Mais elle ne peut s’empêcher de rêver à ce qu’aurait été sa vie si elle avait pu épouser Saint Preux. Pour se consoler de ne pas l’avoir fait, elle se tient le discours qu’on peut lire dans l’extrait que vous citez. En gros, elle se dit, « si nous nous étions mariés, mon bonheur ne serait pas à la hauteur de mes rêves, donc tout est bien ainsi : je préfère rêver notre amour plutôt que de l’avoir vécu ». Cependant cette stratégie est inefficace. Julie n’arrive pas vraiment à être heureuse. Elle s’est construit un pseudo bonheur fait de résignation. Elle appelle cela le bonheur, mais elle n’est pas heureuse. Elle dira d’ailleurs un peu plus loin : « le bonheur m’ennuie ». C’est bien le signe que sa résignation n’est pas vraiment sincère. Au contraire, lorsqu’on renonce à de faux biens (ex : à la gloire) ce renoncement n’est pas triste, il nous rend au contraire disponible pour profiter pleinement du présent.
Je pense donc que Rousseau ne partage pas la thèse de Julie (même si lui-même a pu éprouver des tentations semblables à celles décrites par Julie et chercher une forme de consolation dans l’imagination, par exemple en écrivant son roman). Pour aller vite, je citerai simplement la remarque que Rousseau ajoute en son nom propre au bas de la lettre de Julie : « Quoi Julie ! Aussi des contradictions ! Ah : je crains bien charmante dévote, que vous ne soyez pas, non plus, trop d’accord avec vous même ! ». Au contraire, dans les tableaux que Rousseau fait du bonheur (mis à part le passage cité de la Lettre à Malesherbes) on ne trouve pas un rôle centrale de l’imagination : quand il décrit sa vie idéale dans l’Emile (« si j’étais riche… ») ou quand il raconte les fêtes de vendanges dans La Nouvelle Héloïse, le bonheur est tout entier dans le présent, dans l’action accomplie en commun, dans la fête, la communion des égaux, etc. Dans une certaine mesure, on pourrait en dire autant du bonheur décrit dans le Rêveries : le promeneur allongé dans une barque se laisse bercer par le bruit des vagues, il ne pense à rien et jouit simplement de son être présent.
Quant à la Lettre à Malesherbes, que vous rapprochiez du texte de Julie, il s’agit là d’une forme d’imagination très particulière : c’est une sorte d’extase mystique, de communion avec la Nature. On ne peut pas vraiment rapprocher cela des rêveries amoureuses de Julie.
Qu’en pensez-vous ?
Bonjour Julien
Je pense qu’à vouloir exonérer Rousseau des folies de Julie, vous faîtes l’impasse sur son romantisme tout aussi constitutif de sa personne que sa sagesse philosophique. Il suffit de lire les Confessions pour n’avoir aucun doute là-dessus. Voyez par exemple, le livre IX (La Pléiade, p. 427.428).
L’imagination est très développée chez notre philosophe, il ne cesse de le reconnaître. La représentation qu’il se fait des cités antiques, de Genève dans les sciences et les arts ou la lettre à d’Alembert l’atteste amplement.https://www.philolog.fr/rousseau-les-sciences-et-les-arts/#more-3399
Cf. « Ma vie entière n’a été qu’une longue rêverie »
Bien à vous.
Bonjour Simone (c’est fou comme on devient vite intime sur internet),
je crois que nous nous sommes mal compris ; mais je dois reconnaître également que vos remarques et les textes auxquels vous renvoyez m’ont fait réfléchir et changer un peu d’avis. Voici le résultat des réflexions que vos remarques ont suscitées.
1) Si j’avais laissé un commentaire, c’était pour réagir à votre phrase : « si Rousseau fait ici le procès de l’imagination, son romantisme n’exclut pas des propos plus complaisants à son endroit », à la suite de quoi vous citiez la lettre de Julie. Or, il me semble que Julie n’est pas le porte parole de Rousseau. En effet, ce qu’elle dit, l’éloge du désir et de l’imagination qu’elle expose, entre en contradiction avec ce que dit Rousseau à de multiples reprises. De plus, comme je le disais, Rousseau signale en note son désaccord avec Julie. Une première question se pose donc : Rousseau aurait-il pu reprendre à son compte les propos qu’il prête à son personnage ?
2) Si j’ai bien compris votre réponse, vous signalez une sorte de dualité chez Rousseau. Il y aurait d’un côté, le philosophe, ou disons le sage, qui développe une condamnation de l’imagination, et d’un autre côté, l’homme Jean Jacques qui est romantique et se laisse aller aux plaisirs, aux folies de l’imagination. C’est ainsi, dîtes-vous, que « le pédagogue doit parler contre les penchants de Rousseau ». De plus vous vous placez, me semble-t-il, du côté du sage contre le romantisme, quand vous me dîtes que je chercherais à « exonérer » Rousseau des « folies » romantiques de Julie. Ceci nous conduirait à une deuxième question : que vaut la théorie morale de Rousseau, s’il n’est même pas capable de se l’appliquer à lui-même ? A quoi sert une sagesse qui condamne l’imagination, si son auteur passe la moitié de sa vie à rêver ?
Je répondrai à ces deux questions en disant que, à mon avis, il faut distinguer quatre types d’imagination qui n’ont pas le même statut chez Rousseau.
a) il y a une imagination pathologique, celle que dénonce précisément le texte de l’Emile qui nous sert de point de départ. Je ne reprends pas le détail de sa condamnation ; vous l’avez parfaitement fait plus haut. Cette imagination est l’ennemie ; elle doit être combattue. C’est pourquoi Rousseau ne pourrait pas écrire : « malheur à qui n’a plus rien à désirer ». Toute sa doctrine morale montre que l’homme proche de la nature atteint le bonheur, précisément parce qu’il n’a plus rien à désirer, parce qu’il ne s’imagine qu’il serait plus heureux en possédant davantage de choses. L’imagination devient donc pathologique quand elle nous présente de faux biens comme des vrais biens. Chez le Sauvage cette imagination pathologique ne se développe pas, car il n’a aucune idée de ces faux biens (les mots « puissance » et « réputation » n’ont aucun sens dans son esprit, dit la fin du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité) ; chez nous, il faut un effort de l’intelligence pour contrecarrer le discours trompeur de l’imagination. Rousseau dit ainsi dans La Nouvelle Héloïse que les paysans seraient tout à fait heureux, si seulement ils connaissaient leur bonheur, c’est-à-dire s’ils n’avaient pas l’impression qu’ils pourraient être plus heureux en ville. Ainsi, ce qui ferait le bonheur du paysan conscient de son propre bonheur c’est précisément qu’il n’aurait plus rien à désirer. On ne peut donc pas dire que Rousseau soit d’accord avec Julie, il dirait au contraire « bonheur à qui n’a plus rien à désirer ».
b) Cependant, il est vrai que certains éléments du texte de Julie correspondent tout à fait à ce que dit Rousseau dans certains autres textes. Est-ce parce que le romantisme de Rousseau contredit sa philosophie ? Je ne le crois pas. Il me semble, au contraire, que sa philosophie, ouvre une place au romantisme. En effet, il peut y avoir un rôle positif de l’imagination, utilisée comme palliatif au malheur.
Supposons qu’un homme soit placé dans de telles circonstances que son bonheur soit impossible, il lui restera la possibilité de le rêver. Ce ne sera pas un remède à sa détresse, mais ce sera une sorte de consolation, d’atténuation temporaire de sa peine. Telle est précisément la situation de Julie. Les préjugés de son père et la mort de sa mère l’ont placée face une alternative tragique : elle devait renoncer à son amour filial ou à son amour. Mais, selon Rousseau, ses deux choses sont essentielles, indispensables à une vie véritablement épanouie (il est vrai que le Sauvage du début du Second Discours ne connaît pas ces biens-là, mais Rousseau dit précisément que c’est un manque). Julie est donc condamnée ; elle ne pourra pas être totalement heureuse. Ayant choisi d’épouser le mari choisi par son père, il lui reste cependant une consolation : elle peut rêver son amour.
Rousseau s’est trouvé placé dans une situation analogue : les préjugés de ses contemporains et leur malignité l’ont forcé à devoir choisir entre la sincérité et l’amitié des hommes. En effet, Rousseau découvre les méfaits de la civilisation et la bonté originelle de l’homme, mais cela fait de lui un homme isolé sur la scène intellectuelle française. Il est rejeté de tous, même de ses anciens amis, il est rejeté par la ville de Genève, il est rejeté par les paysans dont il fait pourtant l’éloge et qui manquent de le lapider si mes souvenirs sont bons. Il cherche à se retirer, mais on ne cesse de l’attaquer, de le calomnier, de caricaturer ses écrits, etc. Que peut-il faire ? Doit-il se taire, voire se renier ou continuer à défendre ses principes qui lui valent tant d’hostilité ? Rousseau choisit la seconde voie ; mais, de fait, cela l’isole (il est certain que Rousseau porte une partie des torts, il a sans doute manqué de diplomatie, mais là n’est pas la question). Il se sent exilé au milieu des hommes, à tel point qu’il choisit comme épigraphe de deux de ces textes le mot d’Ovide, le poète de l’exil : « C’est moi qui suis un étranger puisqu’ils ne me comprennent pas » (je devrais peut-être dire « c’est moi qui suis un barbare… », la traduction serait plus littérale, mais à mon avis moins juste sur le fond). Or, là encore, ce qui manque à Rousseau ce n’est pas d’un faux bien, mais d’une chose essentielle. La morale de Rousseau implique en effet un éloge de la communauté, du groupe soudé et solidaire ; il est l’un des grands théoriciens de la famille ou de l’amitié. Il souffre donc un mal essentiel, non pas un mal d’imagination. Face à ce mal réel, l’imagination peut offrir un palliatif : rejeté par les hommes, il se rêve auprès d’hommes selon son coeur. Ce sont les compagnons imaginaires qu’il se donne dans ses promenades racontées à Malesherbes ou bien ce sont les personnages de son roman. Rousseau décrit ainsi la genèse de la Nouvelle Héloïse comme une fuite dans l’imaginaire. J’en dirais autant à propos de la Cité antique : se sentant exilé dans son siècle, Rousseau rêve une Rome idéale ou une Genève idéale où il pourrait enfin rencontrer un Milord Edouard, c’est-à-dire un Caton, un Scipion l’Africain ou un Fabricius. Là il se sentirait chez lui, car là il serait compris.
Alors, Rousseau et Julie même combat ? Oui et non. Oui, car tous les deux rêvent un bonheur qu’ils ne peuvent atteindre. Mais non, parce que Julie triche avec ses propres sentiments : au lieu de dire « le bonheur imaginaire n’est qu’un palliatif », elle dit que le bonheur imaginaire est le vrai bonheur. Or c’est faux. La stratégie de Julie se solde par un échec. Sa vie réelle l’ennuie (relativement), ses rêves n’apaisent pas le manque qu’elle ressent. Rousseau au contraire est plus sincère : dans tous les textes où il décrit cette imagination et les plaisirs qu’elle lui apporte, il dit bien que ce n’est un pis-aller.
c) l’essentiel étant dit, j’irai plus vite sur les deux derniers points. Il reste une imagination qui n’est ni pathologique, ni une consolation, mais qui serait tout à fait saine. Disons qu’un homme heureux dans sa propre vie pourrait toujours se faire plaisir à imaginer d’autres vies. Il s’amuserait donc à rêver comme on s’amuse à jouer. Pour le dire d’un mot, si Rousseau avait pu construire la maison de rêve qu’il décrit à la fin du livre IV de L’Emile, je crois qu’il y laisserait une bibliothèque et un exemplaire de Plutarque. Ici l’imagination serait pure récréation, plaisir du monde enchanté succédant aux plaisirs du monde réel.
d)Eenfin, il y a la sorte d’imagination mystique, l’élan vers l’Idéal que décrit la Lettre à Malesherbes. L’homme est un être qui aspire à l’Infini. Cela n’a rien de mauvais ni de vraiment triste, puisque cette aspiration se traduit par une sorte de tristesse heureuse. Je ne vois pas pourquoi le bonheur ici bas serait incompatible avec ses aspirations romantiques. En d’autres termes, le combat contre l’imagination pathologique n’implique pas un rejet de l’imagination romantique comprise comme un élan vers l’Idéal. Le paysan modeste qui cultive sa terre et vit heureux en se contentant de son travail peut, de temps à autre, lever les yeux et se laisser emporter par un lever du Soleil. J’ajouterais même que cette « bonne » imagination peut aider à combattre la mauvaise : pendant qu’il pense à la beauté de la Création, il s’élève vers l’idéal ; ce n’est pas dans ses moments-là qu’il risque de s’imaginer qu’il serait plus heureux avec une nouvelle charrue !
Cordialement.
Bonjour Julien
Je ne peux pas tout à fait vous suivre dans vos affirmations mais enfin je vous remercie de ces précisions.
Bien à vous.
Bonjour Madame Manon,
Je suis tombée sur votre site en faisant des recherches sur Rousseau et j’avais une question à vous poser. Dans la phrase « nous ne savons pas ce qu’est le bonheur ou le malheur absolu » Rousseau nous dit que pour nous, les hommes, le bonheur (à 100%) n’est pas une réalité. Et pourtant dans la phrase « en quoi consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? » Rousseau nous donne la solution pour trouver ce bonheur, (présumé) hors de portée. Je trouve cela contradictoire. L’auteur formule-t-il cette question rhétorique pour faire comprendre que le bonheur est un idéal auquel on doit se rapprocher ?
Merci.
Bonjour Clothilde
Non, Rousseau ne se contredit pas, c’est vous qui comprenez mal. « Vrai bonheur » ne signifie pas « bonheur absolu « . Celui-ci n’est pas à la portée de l’humaine condition pour les raisons qui ont été explicitées. C’est donc folie d’y aspirer. La sagesse consiste à viser le bonheur qu’il nous est possible de vivre. L’expression « vrai bonheur » est donc à comprendre comme ce qui s’oppose à « bonheur illusoire ou chimérique « au nombre desquels il faut compter le bonheur parfait ou absolu.
Bien à vous.
Bonjour,
j’ai quelques doutes sur ce texte dont j’espérais que vous puissiez m’éclairer. Rousseau est-il en train de démontrer que le bonheur absolu est inaccessible à l’homme? car il semble dire que c’est dans sa nature même de ne pas trouver un équilibre entre volonté et pouvoir? Et faut-il établir une différence entre bonheur absolu et bonheur vrai?
Merci
Bonjour
Il vous suffit de lire le message qui précède le vôtre, le texte qui figure à la fin de l’article et les explications données dans celui-ci pour avoir la réponse à votre question.
PS: Les raisons qui font du bonheur humain un état négatif sont multiples. Rousseau les explicite avec soin dans le texte auquel je vous renvoie.
Attention à l’expression: « ce texte dont j’espérais ». Il faut écrire: ce texte à propos duquel…
Bon travail.
Bonjour,
J’épreuve quelques difficultés pour analyser ce texte car je ne sais pas si mon interpretation de la thèse de Rousseau est correcte. Est ce que Rousseau déclare que l’homme aura toujours plus de peines que de plaisirs ne pouvant ainsi être vraiment heureux « toujours plus de souffrances que de jouissances voilà la différence commune à tous » et il ne lui est donc possible d’aspirer qu’à un bonheur défini par rapport à ses semblables, l’être humain le plus heureux étant celui qui a le moins de peines par rapport aux autres êtres humains? car s’il n’est pas possible d’accorder nos désirs et nos facultés et que donc qu’on ne peut pas être vraiment heureux on ne peut définir notre degré de bonheur que par rapport aux autres ?
Merci d’avance pour votre temps
Bonjour
Vous faîtes complétement fausse route parce que vous ne vous donnez pas la peine d’analyser le passage où Rousseau explicite le sens de son affirmation. Votre propos est particulièrement erroné dans la mesure où pour Rousseau le pire des malheurs et la pire des servitudes est de dépendre du regard des autres. Cf. La célèbre distinction entre l’amour de soi et l’amour propre. Le vrai bonheur n’a donc rien à voir avec la comparaison de son état avec celui des autres. https://www.philolog.fr/innocence-de-lamour-de-soi-rousseau/
Mais le vrai bonheur n’est pas le bonheur parfait pour les raisons qui sont énoncées dans ce passage: « Nous ne savons ce que c’est que bonheur ou malheur absolu. Tout est mêlé dans cette vie, on n’y goûte aucun sentiment pur, on n’y reste pas deux moments dans le même état. Les affections de notre âme, ainsi que les modifications de nos corps, sont dans un flux continuel. Le bien et le mal nous sont communs à tous, mais en différentes mesures. Le plus heureux est celui qui souffre le moins de peines ; le plus misérable est celui qui sent le moins de plaisirs. Toujours plus de souffrances que de jouissances ; voilà la différence commune à tous. La félicité de l’homme ici-bas n’est donc qu’un état négatif, on doit la mesurer par la moindre quantité des maux qu’il souffre ».
Que signifie: « tout est mêlé en cette vie »? « flux continuel »? sentir le bien et le mal en « différentes mesures »? etc.
Si vous vous efforcez d’analyser ces expressions, vous comprendrez.
Bien à vous.
Bonjour,
je vous remercie de prendre le temps de partager autant votre savoir sur la philosophie.
Je suis actuellement en terminale ES et la philosophie n’est pas mon point fort.
Nous avons vu avec notre professeur que pour une étude de texte, le nombre de parties de la dissertation est égal au nombre de parties du texte en plus même. J’ai pu voir dans les commentaires que vous encouragez vos élèves à étudier les textes de la même façon que celui-ci avec question, thèse. J’en ai donc déduit qu’une question + une thèse = une grande partie. Pourtant ici j’en compte 5…
Est-ce que je me suis trompée dans ma déduction ou alors vous ne vous basez pas sur une partie de texte correspond à une partie de dissertation ? Ou peut-être que je me trompe dans le découpage du texte en lui-même..
Bien à vous.
Bonjour
La stratégie consistant à identifier les questions implicites du texte et leurs réponses ne correspond pas au découpage du texte. Elle vise simplement à aider les élèves à ne rien omettre de la richesse du texte en suivant littéralement le déploiement de l’argumentation.
Il va de soi que ce texte ne comporte pas cinq parties.
Dans le premier paragraphe, Rousseau énonce sa thèse, la suite du texte consistant à en apporter les justifications.
Bien à vous.