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Rousseau. Désir et sagesse. La route du bonheur.

 

   «En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n’est pas précisément à diminuer nos désirs ; car s’ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous ne jouirions pas de tout notre être. Ce n’est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s’étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n’en deviendrions que plus misérables : mais c’est à diminuer l’excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté. C’est alors seulement que toutes les forces étant en action l’âme cependant restera paisible, et que l’homme se trouvera bien ordonné.

   C’est ainsi que la nature qui fait tout pour le mieux l’a d’abord institué. Elle ne lui donne immédiatement que les désirs nécessaires à sa conservation, et les facultés suffisantes pour les satisfaire. Elle a mis toutes les autres comme en réserve au fond de son âme pour s’y développer au besoin. Ce n’est que dans cet état primitif que l’équilibre du pouvoir et du désir se rencontre et  que l’homme n’est pas malheureux. Sitôt que ses facultés virtuelles se mettent en action l’imagination, la plus active de toutes, s’éveille et les devance. C’est l’imagination qui étend pour nous la mesure des possibles soit en bien soit en mal, et qui par conséquent excite et nourrit les désirs par l’espoir de les satisfaire. Mais l’objet qui paraissait d’abord sous la main fuit plus vite qu’on ne peut le poursuivre; quand on croit l’atteindre il se transforme et se montre au loin devant nous. Ne voyant plus le pays déjà parcouru nous le comptons pour rien; celui qui reste à parcourir s’agrandit, s’étend sans cesse ainsi l’on s’épuise sans arriver au terme et plus nous gagnons sur la jouissance, plus le bonheur s’éloigne de nous.

   Au contraire, plus l’homme est resté près de sa condition naturelle, plus la différence de ses facultés à ses désirs est petite, et moins par conséquent il est éloigné d’être heureux. Il n’est jamais moins misérable que quand il parait dépourvu de tout: car la misère ne consiste pas dans la privation des choses, mais dans le besoin qui s’en fait sentir».

                                         Rousseau. Emile, Livre II. La Pléiade, t. IV, p.304.

NB : On peut lire plus bas les propos qui précèdent et suivent cet extrait. C’est bien utile pour la compréhension du sens.

Thème : Le bonheur.

Question : Qu’est-ce que le bonheur ? Il faut sans doute commencer par élucider cette question car à ignorer « ce qui convient à notre condition », on risque bien « de courir après des chimères ». Or il y a un ordre des choses qu’il est essentiel de comprendre, non seulement pour savoir être à sa place  mais aussi pour ne pas espérer plus qu’il n’est possible.

Thèse : La félicité parfaite n’appartient pas à la condition humaine. « Nous ne savons ce que c’est que bonheur ou malheur absolu. Tout est mêlé dans cette vie », nos états ne cessent de se transformer et glissent continuellement du plaisir à la peine, du bien-être au mal-être tant physique que moral. Le bonheur absolu est incompatible avec l’ordre naturel des choses. On ne peut aspirer qu’à un bonheur défini comme un rapport entre des maux et des biens tel que les plaisirs l’emportent sur les peines. « La félicité de l’homme ici-bas n’est donc qu’un état négatif, on doit la mesurer par la moindre quantité des maux qu’il souffre ».

   Il s’ensuit que la tâche d’un éducateur est bien circonscrite : « Assigner à chacun sa place et l’y fixer, ordonner les passions humaines selon la constitution de l’homme est tout ce que nous pouvons faire pour son bien-être. Le reste dépend de causes étrangères qui ne sont point en notre pouvoir ». Rousseau brosse ici un tableau très lucide de l’existence humaine. Quand bien même on met toutes les conditions de son côté pour avoir une vie heureuse, il faut encore compter avec des choses qui ne dépendent pas de nous : la maladie, le deuil de ceux qui nous sont chers, les catastrophes naturelles ou sociales. Apprendre à être heureux c’est aussi prendre la mesure de la nécessité et se disposer à l’accepter. C’est pourquoi toute bonne éducation doit faire sentir aux enfants les limites naturelles de leur puissance et le poids de la nécessité. Les mettre en situation de « ne rien faire par obéissance, mais seulement par nécessité ; ainsi les mots d’obéir et de commander seront proscrits de [leur] dictionnaire, encore plus ceux de devoir et d’obligation ; mais ceux de force, de nécessité, d’impuissance et de contrainte doivent y tenir une grande place » Ibid. p. 316.

Question : Cela dit, quelle est la route du bonheur ? Avec cette question rhétorique : « En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? », Rousseau s’inscrit dans la grande tradition des maîtres de la sagesse. Les Anciens, en effet, définissaient la sagesse comme la méthode de la vie bonne et heureuse or une méthode, c’est  un chemin (odos) vers (meta). Pas un chemin tracé au hasard, mais un chemin balisé. Autrement dit pour  être heureux il faut respecter quelques règles ou conseils. Quels sont ceux que donne Rousseau par la voix du gouverneur d’Emile ?

Thèse : Le secret de la sagesse, enseigne-t-il, consiste à accorder nos désirs et notre capacité de les satisfaire.

Question : Soit, mais que faut-il entendre par là ? Car on peut être tenté de croire que l’égalisation des désirs et des pouvoirs passe soit par la diminution des désirs soit par l’augmentation des pouvoirs. Or d’emblée l’auteur prévient qu’on aurait tort d’interpréter de cette manière le conseil. Pourquoi donc ces deux solutions sont-elles aporétiques ?

Thèse : Rousseau s’explique dans un développement où il s’applique à préciser ce que la sagesse n’est pas afin de bien faire comprendre ce qu’elle est :

Question : Mais voilà ce bon ordre est la chose du monde la moins bien partagée et la question est de savoir pourquoi l’homme est si peu doué pour le réaliser. Pourquoi a-t-il infiniment plus de talent pour le malheur que pour le bonheur ?

Thèse : Il suffit pour le comprendre de saisir ce qui distingue la condition humaine de la pure condition naturelle. Celle-ci renvoie au donné, à l’originaire, à ce qui n’a pas été modifié par l’intervention humaine, or notre aventure étant celle d’un être culturel et historique, l’homme que nous sommes devenus, « l’homme de l’homme », dit Rousseau, n’est plus « l’homme tel qu’il est sorti des mains de la nature ». Néanmoins, il est utile de s’en faire une idée car l’ordre naturel étant toujours pour notre auteur le bon ordre, on a compris qu’on serait bien inspiré de s’en servir de modèle pour mettre en ordre les choses humaines.

   Voilà pourquoi le philosophe construit la fiction théorique de l’homme à l’état de nature (le sauvage) dans le Discours sur l’origine de l’inégalité et se réfère ici à l’institution naturelle de notre condition. L’expression : « c’est ainsi que la nature qui fait tout pour le mieux l’a d’abord institué » affiche clairement un parti pris finaliste. La nature est conçue comme une volonté intelligente ne faisant rien au hasard. Elle fait bien les choses comme si l’ordre naturel était un ordre providentiel ayant pris soin, en ce qui concerne les besoins et les facultés, de les proportionner. Cet équilibre est celui de l’homme dans son état naturel. Dépouillé de tout ce qu’il a reçu de son milieu social, il est en effet un animal même si ce n’est pas un animal comme les autres puisqu’il n’est déterminé ni par un code naturel ni par un code culturel à être ce qu’il est. Il est doté de la capacité de changer, il est perfectible, autrement dit, il est libre. Mais au point zéro de l’histoire, ou en langage rousseauiste : « tel qu’il a dû sortir des mains de la nature, je vois un animal moins fort que les uns, moins agile que les autres, mais, à tout prendre, organisé le plus avantageusement de tous : je le vois se rassasiant sous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni son repas ; et voilà ses besoins satisfaits ».

    Toutes les facultés qui sont en puissance en lui : sa conscience, son intelligence, son imagination, sa sensibilité, ses diverses aptitudes sont « comme en réserve au fond de son âme ». Il est « un animal stupide et borné » n’ayant que des besoins car pour que le besoin s’exprime sous la forme du désir il faut le développement de la conscience. A l’instar de tout animal, le sauvage est un être réduit à ses seuls besoins biologiques et bien équipé par la nature pour les satisfaire. D’où « l’équilibre du pouvoir et du désir » et son relatif bien-être. Relatif car lui aussi est exposé à la maladie ou à la menace d’un autre amour de soi. Mais tant que le danger n’est pas présent, un être en état d’hébétude intellectuelle ne peut pas l’imaginer. Il n’a donc pas l’art d’empoisonner sa vie avec des craintes imaginaires. Il n’anticipe pas sa mort ou tous les maux qu’une conscience développée peut se représenter. Il s’ensuit que : « Ce n’est que dans cet état primitif que l’équilibre du pouvoir et du désir se rencontre et que l’homme n’est pas malheureux ».

   Manière de dire que la perfectibilité n’est pas nécessairement un avantage et qu’elle ne s’exerce pas par définition pour notre bonheur.

Question : D’où la nouvelle question : qu’est-ce qui dans le développement humain compromet le bon équilibre du désir et des pouvoirs ? Et puisque Rousseau répond que c’est l’entrée en scène de l’imagination, il s’agit de comprendre pourquoi c’est à l’imagination qu’il faut imputer l’impuissance des hommes à être heureux autant qu’ils peuvent l’être.

Thèse : L’imagination est la faculté d’élaborer des images, de se former une représentation des choses libérée des contraintes du réel. Elle exprime la liberté de l’esprit pour autant qu’il n’est pas prisonnier de ce qui est mais peut se figurer ce qui n’est pas : le possible, le souhaitable, l’idéal par exemple. Grâce à l’imagination l’homme fantasme un monde imaginaire à la couleur de ses rêves et met le monde en chantier pour lui donner réalité. Elle est donc au principe de la créativité humaine. Sans imagination créatrice, ni les œuvres d’art, ni les inventions techniques, scientifiques ou institutionnelles ne pourraient voir le jour. Mais elle n’a pas que des mérites. Rousseau pointe deux grands dangers de l’imagination :

      Dans ce texte de l’Emile, Rousseau ne veut pas initier son élève aux rêveries égotistes du promeneur solitaire. Il est un pédagogue soucieux de faire d’Emile un homme libre et heureux autant qu’on peut l’être sans le secours de la religion. C’est la route du « vrai bonheur» qu’il s’efforce de tracer, non celle des bonheurs vains que peut donner l’imagination. Le gouverneur doit donc parler contre les penchants de Rousseau.  (Cf. Marcel Raymond. Note de la page 304, p. 1341 dans la Pléiade). D’où l’extrême sévérité du jugement sur les effets de l’imagination. Sa malédiction est de rendre inapte au contentement et ingrat à l’égard de tous les accomplissements du désir. « Ne voyant déjà plus le pays déjà parcouru nous le comptons pour rien » dit le texte. Observation d’une grande profondeur. L’objet possédé, la fin atteinte sont toujours en-deçà de l’objet ou de la fin rêvée. A peine étreints, ils ont perdu leur séduction, « ils ne comptent plus » et le désir tourne déjà vers d’autres horizons son inépuisable aspiration à un bonheur qui n’est pas de ce monde. Misérable imagination qui ouvre les portes du « vierge Azur » (Mallarmé), elle frappe de nullité tout ce qui a la consistance du réel. Elle condamne à l’insatisfaction au sein de l’abondance ou de la générosité de Dame Fortune. Il s’ensuit que, paradoxalement, les plus malheureux ne sont pas ceux qui manquent de tout, ce sont ceux qui ne manquent de rien car le bonheur ennuyant les nantis, seul l’impossible peut encore les faire rêver.

    Mais l’impossible est précisément ce qui est au-delà du périmètre de nos forces. Or « Celui dont la force passe les besoins, fut-il un insecte, un ver, est un être fort. Celui dont les besoins passent la force, fut-il un éléphant, un Lion, fut-il un conquérant, un héros, fut-il un Dieu, c’est un être faible. L’Ange rebelle qui méconnut sa  nature était plus faible que l’heureux mortel qui vit en paix avec la sienne. L’homme est très fort quand il se contente d’être ce qu’il est, il est très faible quand il veut s’élever au-dessus de l’humanité ».

   D’où la légitime nostalgie de la condition naturelle. Elle exhibe la perfection d’un équilibre dont l’homme s’est éloigné au rythme du développement de ses possibilités virtuelles. Les progrès historiques, les conquêtes de la civilisation ont leur face sombre. En étendant ses facultés l’animal perfectible a accru d’autant ses désirs et s’est rendu plus misérable encore qu’il ne l’était à l’état sauvage. Que ne dirait Rousseau aujourd’hui ! Nos contemporains regorgent du superflu et pourtant, impuissants à se contenter de ce qu’ils ont, ils ont l’impression de manquer du nécessaire. Paradoxe sans doute mais paradoxe justifiant le propos final : il n’y a pas de misère en soi, le misérable n’est pas celui qui est privé de certains biens, c’est celui qui en ressent  le manque.

   L’équilibre naturel étant rompu, c’est à l’homme seul désormais qu’il incombe d’établir le juste rapport entre ses désirs et ses pouvoirs et cela s’appelle sagesse. Son salut est dans la domestication de la folle du logis car « Le monde réel a ses bornes, le monde imaginaire est infini ;  ne pouvant élargir l’un rétrécissons l’autre ».  Alors seulement on  pourra  retrouver la route du bonheur.

 TEXTE

  « Pour ne point courir après des chimères n’oublions pas ce qui convient à notre condition. L’humanité a sa place dans l’ordre des choses ; l’enfance a la sienne dans l’ordre de la vie humaine ; il faut considérer l’homme dans l’homme, et l’enfant dans l’enfant. Assigner à chacun sa place et l’y fixer, ordonner les passions humaines selon la constitution de l’homme est tout ce que nous pouvons faire pour son bien-être. Le reste dépend de causes étrangères qui ne sont point en notre pouvoir.

   Nous ne savons ce que c’est que bonheur ou malheur absolu. Tout est mêlé dans cette vie, on n’y goûte aucun sentiment pur, on n’y reste pas deux moments dans le même état. Les affections de notre âme, ainsi que les modifications de nos corps, sont dans un flux continuel. Le bien et le mal nous sont communs à tous, mais en différentes mesures. Le plus heureux est celui qui souffre le moins de peines ; le plus misérable est celui qui sent le moins de plaisirs. Toujours plus de souffrances que de jouissances ; voilà la différence commune à tous. La félicité de l’homme ici-bas n’est donc qu’un état négatif, on doit la mesurer par la moindre quantité des maux qu’il souffre.

    Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s’en délivrer ; toute idée de plaisir est inséparable du désir d’en jouir ; tout désir suppose privation, et toutes les privations qu’on sent sont pénibles ; c’est donc dans la disproportion de nos désirs et de nos facultés que consiste notre misère. Un être sensible dont les facultés égaleraient les désirs serait un être absolument heureux.

   En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n’est pas précisément à diminuer nos désirs ; car s’ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous ne jouirions pas de tout notre être. Ce n’est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s’étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n’en deviendrons que plus misérables : mais c’est à diminuer l’excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté. C’est alors seulement que toutes les forces étant en action l’âme cependant restera paisible, et que l’homme se trouvera bien ordonné.

   C’est ainsi que la nature qui fait tout pour le mieux l’a d’abord institué. Elle ne lui donne immédiatement que les désirs nécessaires à sa conservation, et les facultés suffisantes pour les satisfaire. Elle a mis toutes les autres comme en réserve au fond de son âme pour s’y développer au besoin. Ce n’est que dans cet état primitif que l’équilibre du pouvoir et du désir se rencontre et  que l’homme n’est pas malheureux. Sitôt que ses facultés virtuelles se mettent en action l’imagination, la plus active de toutes, s’éveille et les devance. C’est l’imagination qui étend pour nous la mesure des possibles soit en bien soit en mal, et qui par conséquent excite et nourrit les désirs par l’espoir de les satisfaire. Mais l’objet qui paraissait d’abord sous la main fuit plus vite qu’on ne peut le poursuivre; quand on croit l’atteindre il se transforme et se montre au loin devant nous. Ne voyant plus le pays déjà parcouru nous le comptons pour rien; celui qui reste à parcourir s’agrandit, s’étend sans cesse
ainsi l’on s’épuise sans arriver au terme et plus nous gagnons sur la jouissance, plus le bonheur s’éloigne de nous.

   Au contraire, plus l’homme est resté près de sa condition naturelle, plus la différence de ses facultés à ses désirs est petite, et moins par conséquent il est éloigné d’être heureux. Il n’est jamais moins misérable que quand il parait dépourvu de tout: car la misère ne consiste pas dans la privation des choses, mais dans le besoin qui s’en fait sentir.

   Le monde réel a ses bornes, le monde imaginaire est infini ;  ne pouvant élargir l’un rétrécissons l’autre; car c’est de leur seule différence que naissent toutes les peines qui nous rendent vraiment malheureux. Otez la force, la santé, le bon témoignage de soi, tous les biens  de cette vie sont dans l’opinion; ôtez les douleurs du corps et les remords de la conscience, tous nos maux sont imaginaires. Ce principe est commun, dira-t-on, j’en conviens. Mais l’application pratique n’en est pas commune, et c’est uniquement de la pratique qu’il s’agit ici.

   Quand on dit que l’homme est faible, que veut-on dire ? Ce mot de faiblesse indique un rapport. Un rapport de l’être auquel on l’applique. Celui dont la force passe les besoins, fut-il un insecte, un ver, est un être fort. Celui dont les besoins passent la force, fut-il un éléphant, un Lion, fut-il un conquérant, un héros, fut-il un Dieu, c’est un être faible. L’Ange rebelle qui méconnut sa  nature était plus faible que l’heureux mortel qui vit en paix avec la sienne. L’homme est très fort quand il se contente d’être ce qu’il est, il est très faible quand il veut s’élever au-dessus de l’humanité. N’allez donc pas vous figurer qu’en étendant vos facultés vous étendez vos forces ; vous les diminuez, au contraire, si votre orgueil s’étend plus loin qu’elles. Mesurons le rayon de notre sphère et restons au centre comme l’insecte au milieu de sa toile, nous nous suffirons toujours à nous-mêmes et nous n’aurons point à nous plaindre de notre faiblesse; car nous ne la sentirons jamais.

   Tous les animaux ont exactement les facultés nécessaires pour se conserver. L’homme seul en a de superflues. N’est-il pas bien étrange que ce superflu soit l’instrument de sa misère? »

                             Rousseau. Emile, Livre II. La Pléiade, t IV, p.303 à 305.