La lecture de ce livre m’a bouleversée. Est-ce parce que l’élégance de l’écriture et la pratique de l’ironie ne parviennent pas à étouffer le sanglot d’une solitude égarée dans un temps qui n’est pas le sien ? Est-ce parce qu’il me renvoie quelque chose de ma propre expérience alors même que nous n’appartenons pas à la même génération?
Les deux sans doute et cela vaut témoignage.
- Témoignage que la définition minimaliste, purement formelle de l’humanité à laquelle se résout mélancoliquement l’auteur est trop réductrice. Ce n’est pas seulement l’étendard de la liberté qui fait l’homme, c’est aussi un certain exercice de cette dernière car tous ses usages ne se valent pas. Encore faut-il qu’ils dessinent le visage de l’humain et non ses caricatures. Or nous avons appris au contact de ceux que Comte appelaient « les grands serviteurs de l’humanité » à faire la différence. En nous révélant à nous-mêmes, ils nous ont montré que la teneur de sens d’un texte, la puissance d’émotion d’une œuvre d’art, la grandeur d’une posture existentielle n’allaient pas sans tension des forces spirituelles, effort, inquiétude d’une conscience en manque d’elle-même. Dans ce qui a assuré sa continuité et survivra à son éclipse présente, notre grande tradition culturelle se recueille dans cette leçon. On peut déplorer avec Nicolas Grimaldi que ni l’Université, ni le lycée ne soient plus le sanctuaire de la culture conçue comme grand œuvre d’une humanité qui est à elle-même sa propre tâche, on ne peut pas douter que celui-ci continue à opérer clandestinement dans le silence des bibliothèques et le recueillement de certaines salles de musée. Car les exigences du vrai et du beau ne peuvent pas mourir et s’il est des périodes où elles sont subverties, elles n’en cessent pas pour autant de vivre et d’unir dans une fraternité spirituelle, une communauté d’hommes n’ayant jamais été autre chose qu’un cercle restreint d’aristocrates de l’esprit et du cœur.
- Témoignage aussi que le séisme culturel que ce livre médite a un sens spirituel et moral irréductible aux déterminations psychologiques et sociales d’une existence. Certains voudront n’entendre dans ce livre que la plainte d’un individu devenu étranger à son temps par l’effet de quelque pathos personnel. Ce sont ceux qui sont à l’aise dans le monde de l’insignifiance. Ceux-là même qui saturent la scène médiatique, les « événements culturels », les salles de classe, les colloques, de la futilité d’une parole dévastée par l’inquiétude du sens. Ils sont prolixes, bruyants, suffisants. Leur vacarme est celui de l’effervescence du vide. Du rien, ils sont parvenus à faire croire que c’est quelque chose et il est proprement stupéfiant d’observer comment, avec eux, l’anti-culture, la contre-culture a revêtu l’apparence de la culture.
Le constat n’est pas nouveau. La critique de l’art contemporain, la description de l’effondrement de l’institution universitaire à la suite des événements de 68, la conspiration de l’ensemble de la société à ce désastre, la démission des autorités… tout cela a été largement dénoncé déjà. Mais jamais peut-être, le cœur d’un homme de culture aux prises avec le désaveu ambiant du sens de sa vie n’avait été ainsi mis à nu. Avec la pudeur, la discrétion, la délicatesse et l‘élégance morale des grandes âmes, Nicolas Grimaldi donne la mesure du tribut qu’un homme, ayant passé sa vie à interroger le sens de la vie, doit payer au fait de vivre dans un monde où ce souci a cessé d’être vivant. Sentiment d’étrangeté, solitude, remise en cause de soi-même, tout se passe comme si dans le miroir de la vanité triomphante, une vie consacrée à l’enseignement était condamnée à se réfléchir elle-même comme vaine. Car le sens de la vie, c’est son expansion, sa capacité d’augmenter d’autres vies que la sienne. Et cela a toujours supposé arrachement aux facilités de l’immédiat, travail, exigence, or quand ce choix existentiel ne trouve plus l’écho de son humanité dans un monde caractérisé par la perte de la patience de la médiation n’est-il pas enclin à douter de lui-même ? C’est ce drame qui rend si émouvant le dernier livre de Nicolas Grimaldi.
Surtout quand on vient de visiter l’exposition de Buren au Grand Palais. Faire du rien avec quelque chose et se réfléchir dans les complaisances de l’institution comme un grand artiste ! Comment ne pas se sentir séparé de ses contemporains quand on s’ennuie là où ils s’enthousiasment !
Nicolas Grimaldi ne se contente pas de déplorer le nouveau régime de la culture. Il en interroge le sens et l’on apprend qu’il n’en a peut-être pas d’autre que celui de ne plus se préoccuper du sens.
A lire donc comme une invitation à sortir de « l’hébétude de l’instant » propre à « l’anticulture contemporaine » Grasset, 2012, p. 166.
Pour susciter le désir de lire l’auteur.
Ce texte bien utile aux élèves pour étayer la distinction : besoin/désir.
« A la différence de mes camarades dont la plupart étaient dans les années 50 ou communistes ou chrétiens, je ne pensais pas qu'il y eût aucun royaume où il pût suffire d'entrer pour ne plus connaître de la vie que l'extase ou l'ivresse. Pas plus en aucun lieu qu'en aucun régime politique le bonheur n'est au bout du chemin. Là-dessus, à la suite de Platon et d'Aristote, l'illusion de presque tous les philosophes fut d'avoir conçu le désir sur le modèle du besoin. Suscité par la nature de notre organisme, tout besoin nous fait attendre un objet spécifique qu'il suffit de s'approprier pour être satisfait. Tout comme il est suscité par l'absence d'un objet déterminé, la présence de cet objet suffit à le supprimer. Aussi tout besoin n'attend-il que du monde de nous procurer ce dont il nous fait sentir le manque. Mais à l'inverse du besoin, seule une illusion nous fait attribuer la présence du désir à l'absence d'un objet. Parce qu'il n'y a pas d'objet qui puisse satisfaire notre désir, nous découvrons jusque dans la satiété l'exaspération de désirer encore alors que nous ne savons pas même quoi désirer. Tel est l'ennui, cette indigence de la satiété, et qui consiste à sentir qu'il ne suffit pas de tout avoir pour ne manquer de rien. Le propre de l'ennui consiste en effet dans le malheur de désirer sans savoir quoi désirer. Il est donc à la fois l'évidence et la douleur d'un désir sans objet.
D'autant plus remarquable que le paradoxe en a été moins souvent dénoncé, un exemple rend manifeste le fait qu'aucun objet ne préexiste au désir. Sans doute tend-il vers quelque chose à venir, mais sans qu'on n'en puisse rien imaginer, et sans qu'il puisse s'agir d'un objet. C'est ce dont témoigne le récit le plus ancien de la tradition judaïque. Quoi qu'il s'agisse d'un mythe, c'est toutefois celui de l'origine, celui par lequel s'explique tout ce qui suit. Or il n'aurait pas été aussi spontanément ni aussi unanimement accepté si la conscience ne s'y était immédiatement reconnue. C'est celui de la tentation originaire et de la chute qui s'ensuit. Ce mythe nous invite à imaginer le premier homme au paradis face à face avec son créateur. Or telle est la perfection de Dieu qu'elle est constituée d'une infinité de perfections infinies. Au point que la théologie n'ait pu imaginer pour les élus plus prodigieuse béatitude que celle de contempler les perfections divines. Adam jouissait donc avant d'avoir eu à la désirer de cette béatitude que toute l'histoire de l'humanité se passera ensuite à espérer. Car que peut-on désirer de plus que l'absolument infini? Comment le premier homme eût-il rien imaginé au-delà? Comment eût-il jamais pu attendre de l'avenir ce dont il eût manqué, puisqu'il vivait dans le perpétuel émerveillement d'une infinité qui s'excède toujours elle-même? Pour inconcevable que ce soit, Adam fut cependant tenté. Quoiqu’objectivement il ne manquât de rien, il fallait néanmoins qu'Adam attendît quelque chose pour pouvoir être tenté. Quelque chose, mais quoi? Quel objet peut-on espérer hors de l'infini? Comme l'avaient pressenti Schopenhauer ou Sartre, cela n'est possible que si la conscience est à elle- même son propre manque.
S’agissant par conséquent d'un désir qu'aucun objet ne peut satisfaire, il va de soi que la conscience ne peut attendre du monde ni d'aucune transformation du monde cette réconciliation qui la réunirait à soi en ne lui laissant plus rien à attendre. On comprend, dans ces conditions, que le malheur de la conscience puisse consister d'une part à s'éprouver séparée de tout ce qu'elle se représente, fût-ce de l'absolument infini; et d'autre part dans cette sorte d'irrémédiable échec qui consiste à attendre toujours en vain ce qui nous délivrerait d'attendre. Inhérent au sens même de l'attente, ce qui ne laisserait plus rien à attendre n'en peut être que l'horizon.
Or en quoi consiste cette ultimité que toute attente semble nous promettre autant qu'elle nous en sépare? Pour ne plus rien laisser à attendre il n'y a que l'infini (qui n'a pas d'au- delà), l'éternité (pour laquelle rien n'est plus à venir), la perfection (si définitive qu'il n'y faut rien changer), la plénitude (à laquelle on ne peut plus rien ajouter), et la béatitude (que les théologiens identifient à cette plénitude que procure la contemplation de l'infini et de l'éternité). Voilà donc comment l'attente nous unit à toutes ces figures de l'absolu dont cependant elle nous sépare, de même que tout ce que nous voyons se profile sur fond de cet horizon que tout nous indique sans qu’on en puisse approcher. C'est ce qui fait de l’horizon le lointain absolu. Mais il n'y a pas que l'absolu pour ne plus rien nous laisser attendre, il y a aussi la mort. Aussi religions et mythologies les ont-elles si intimement associés qu’elles nous ont fait imaginer la mort comme le tout simple enjambement qui nous ferait passer du relatif à l’absolu, et de l’attente à l’accomplissement. Voilà sans doute pourquoi on ne peut se vouer ni se dévouer à l’absolu sans avoir déjà consenti à s’effacer dans la mort ». Nicolas Grimaldi. L’effervescence du vide. Grasset, 2012, p. 16 à 20.
Ou cet autre sur le snobisme.
« Pas plus que l'expérience religieuse ou l'expérience amoureuse, l'expérience esthétique n'est donc affaire de classe sociale. Car ce n'est ni leur culture ni leur goût qui réunissaient les membres du Jockey Club à l'Opéra à l'heure où allait y commencer le ballet, pas plus que les clients des maisons de passe n'y vont compléter ou vérifier leurs connaissances anatomiques. Comme le montre Yves Lorvellec (Culture et éducation, Paris, L'Harmattan, 2002, pp. 86-94) avec autant de précision que de lucidité, il ne suffit pas plus d'aller écouter Poulenc chez la duchesse de Polignac pour être musicien qu'il ne suffit d'avoir une bibliothèque pour avoir le goût du style et la passion de la littérature. Bien loin d'être propres à un milieu ou à une éducation, comme d'avoir une écurie de courses ou des meubles d'époque, ni la culture ni le goût ne s'héritent. Car il ne suffit pas qu'une éducation nous y accoutume ; encore faut-il qu'une affinité particulière nous y dispose et qu'une familiarité attentive et assidue nous en procure l'intimité. Aussi Proust nous montre-t-il deux frères comme le baron de Charlus et le duc de Guermantes, l'un cultivé et l'autre inculte, quoiqu'ils aient reçu de leur famille la même éducation.
Sans doute la société n'est-elle pas sans influence sur la culture. Mais pas au sens où s'en persuadent les sociologues. La notoriété artistique de Cocteau, de Picasso, de Ravel, de Stravinsky, n'est-elle pas en effet redevable de quelque chose à la notoriété sociale de Misia Sert, de la princesse de Polignac, ou de la vicomtesse de Noailles ? Mais, comme le salon des Verdurin, toutes ces petites coteries seraient restées sans effet si, de proche en proche et comme par contagion, tous les milieux n'en étaient venus à admirer ce qui n'était encore goûté que par une avant-garde. Qu'un fragment de miroir cassé et un peigne ébréché soient collés sur une petite toile, qu'on y fixe quatre bouts de ficelle flageolants et qu'on intitule le tout Danse de saint-Guy, il n'est pas absolument certain que tous en seraient si bouleversés qu'ils y reconnaîtraient immédiatement un chef-d'œuvre. Mais il suffit qu'une coterie s'en empare, en loue l'enjouement et l'audace, en admire la cocasserie, le tour est joué: de proche en proche il n'y aura bientôt plus personne pour oser avouer que l'ennuie ce dont s'émerveillent les plus raffinés. Et en effet comment ne seraient-ils pas experts du goût, ces gens qui ne consacrent qu'à leur plaisir le temps que tous les autres passent à leur travail? Parce qu'on les envie de s'appliquer à leur plaisir avec la même infaillible compétence que d'autres à leur métier, on finit par croire désirable ce qu'ils paraissent désirer, et par se persuader de devoir goûter ce qu'ils font profession d'admirer. C'est tout le ressort du snobisme. Il a deux faces. Tantôt un petit groupe se réjouit d'aimer ce que personne hors de lui n'aurait l'audace d'apprécier. Moins son goût risque d'être partagé, plus en éprouve-t-il la rareté comme celle d'un privilège. Le snobisme consiste alors à jouir d'autant plus d'une chose que la plupart en sont exclus. C'est le snobisme des avant-gardes. Tantôt, à l'inverse, comme si quelque promotion sociale devait accompagner cette conversion du goût, le plus grand nombre s'oblige à admirer ce qu'une coterie a déclaré admirable. Et voilà comment une simple toquade ou même quelque facétie peuvent devenir des modèles culturels. Rien que le snobisme a pu suffire à faire ainsi d'une pitrerie une œuvre d'art. Il consiste à affecter d'aimer ce qu'on se sentirait pitoyable de n'aimer pas, et à s'imaginer alors intronisé parmi les privilégiés en feignant d'avoir été initié à leurs codes. C'est le snobisme des parvenus. Le goût, à cet égard, est considéré comme font les sociologues, c'est-à-dire comme un signe social de reconnaissance, ou comme l'affectation propre à une classe. Ainsi Molière nous avait-il rappelé ce temps où, pour espérer séduire les soubrettes, des valets devaient paraître aimer Voiture, parler par énigmes, avoir perruque et porter rubans.
Mais le snobisme n'est pas à sens unique. Il ne persuade pas seulement les pauvres de partager le plaisir des plus riches. Il s'exerce de toute semblable façon à persuader les privilégiés que rien d'humain ne leur est étranger, et que les plaisirs de leur cocher peuvent être aussi les leurs. Aussi y a-t-il un snobisme de la java et des goualantes, du rock et des rockers. Avec quel émerveillement n'ai-je ainsi vu un ancien Premier ministre glisser son altière rondeur entre les travées du stade de France pour y voir Johnny Hallyday arriver par hélicoptère! C'était comme si j'avais vu Mme de Maintenon se faufiler au Moulin-Rouge pour y admirer de plus près la Goulue.
Si essentiel que puisse être le snobisme pour comprendre la vie des sociétés et l'histoire des mentalités, son explication me paraît toutefois bien plus relever des représentations individuelles que des représentations collectives. Pour la sociologie, le snobisme est un fait. Pour la philosophie, c’est un problème. Il relève à la fois de la conscience de soi, du jeu, de la croyance et de l’imaginaire. Car le snobisme est une feinte sincérité. Il consiste à feindre d’admirer ce qui ne nous est en fait qu’indifférent, et à se persuader d’éprouver ce qu’en fait on n’éprouve pas. Il s’agit donc d’un jeu. En se prenant au jeu, on feint d’oublier que ce n’était qu’un jeu. Et voilà comment on finit par se persuader d’aimer ce qu’on aurait voulu pouvoir aimer sans avoir à s’en persuader. Or il va de soi qu’un tel jeu consiste en un envoûtement où on s’imagine croire ce qu’en fait on ne croit pas ». Ibid., p. 122 à 126.
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Bonjour madame Manon,
Je l’avais écouté lors de son passage à l’émission Bibliothèque Médicis et ses reflexions m’avaient donné l’envie de lire son livre, merci pour votre analyse je vais le lire.
Cordialement
Merci infiniment pour le partage.
Le sentiment d’exil est difficile. Ne pas céder à la moutonnerie de la facilité, de l’égotisme et de l’immédiateté l’est tout autant. Nicolas Grimaldi vit dans l’ancien phare de Socoa, lieu qui me fait depuis longtemps rêver. Incarnation de sa posture de sentinelle en exil.
Lacan pointait en son temps la perte de ce qu’il appelait le Nom-du-Père et les idéaux.
Mais ne jetons pas la pierre à Duchamp et Picabia. Ces hommes étaient infiniment cultivés. Leurs questionnements et leurs recherches étaient légitimes en ces sombres temps où les humains s’entretuaient dans les tranchées de la Grande Guerre et où les premiers krachs boursiers étaient le reflet d’autres particularités humaines.
Vous nous aviez proposé de lire Sur les Falaises de marbre de Jünger. J’ai profondément aimé ce conte allégorique. Et j’aime que vous ne renonciez pas à proposer ainsi sur votre site. L’exil oui, résister oui mais en continuant à proposer un autrement, dans la joie, me semble essentiel. Merci.
J’aime votre message. Son intelligence et sa sagesse m’émeuvent.
Vous avez raison. Les postures iconoclastes des artistes du début du XX°siècle recevaient un sens, ne serait-ce que celui de subvertir une tradition. Mais le conformisme de la répétition de la subversion dans un monde où celle-ci est institutionnalisée finit par devenir insignifiant.
Bien à vous.
Oui, c’est exactement ça. Vous possédez le logos dont je ne dispose pas.
La subvention de la subversion dit Annie Le Brun (qui a aussi écrit un livre dont le titre comporte le signifiant vide).
Quelques figures de proue courageuses et des moutons suiveurs. Ainsi en est-il de l’humanité.
Votre démarche me plaît et votre site m’enrichit et me nourrit. Vous avez eu en tous les cas le grand mérite de me faire découvrir Ernst Jünger que je ne me lasse pas de lire.
Bien à vous aussi et vraiment.
Soudain, je suis traversée par la pensée de mon erreur. Pas de Vide dans le titre d’Annie Le Brun mais le mot Rien.
Et je me demandais quel était le sens du Vide pour Nicolas Grimaldi (qui a une posture bien mélancolique).
Le Vide est pourtant essentiel. Et c’est la peur du vide qui est à l’origine de bien des comportements humains basé sur l’accumulation et l’appropriation. La tendance à l’immédiateté et l’incapacité d’attendre en sont aussi les symptômes.
Mais je partage bien des constats de Nicolas Grimaldi. La question est maintenant pour chacun : que faire avec cela ?
Votre site est une des réponses.
Merci encore. (désolée pour les fautes, j’envoie le commentaire sans recommencer)
Il ne faut pas sous-estimer, Pascale, votre aisance conceptuelle et la pertinence de vos propos. Vous n’avez rien à m’envier au niveau de la maîtrise du logos.
Vide s’oppose à plein. Mais ce n’est pas ce sens qu’il faut entendre dans le titre du livre de Nicolas Grimaldi.
Un espace vide est aussi un espace où il n’y a « rien ». Il manque quelque chose et ce manque est pour Grimaldi celui de l’inquiétude du sens. Plus que des objets, des signes, des discours pléthoriques qui ne semblent plus vibrer des attentes de la conscience.
Car qu’est-ce qu’être une conscience si ce n’est se sentir en manque du sens, en attente de quelque chose vers quoi les grandes oeuvres de la culture font signe sans jamais pouvoir l’épuiser?
Bien à vous.
Je ne résiste pas au plaisir de partager dans l’élan, ces lignes lues à l’instant.
» Moins ils ont de talent, plus ils ont d’orgueil, de vanité et d’arrogance. Tous ces fous trouvent cependant d’autres fous qui les applaudissent, car plus une chose est contraire au bon sens, plus elle s’attire d’admirateurs ; ce qu’il y a de plus mauvais, est toujours ce qui flatte le plus grand nombre ; et rien n’est plus naturel, puisque, comme je vous l’ai déjà dit, la plus grande partie des hommes sont fous. Or, puisque les artistes les plus ignorants sont toujours très contents de leurs petites personnes et jouissent de l’admiration du plus grand nombre, ils auraient bien tort d’aller se donner des peines infinies pour acquérir de vrais talents, qui ne serviraient, au bout du compte, qu’à faire évanouir l’idée avantageuse qu’ils ont de leur propre mérite, qu’à les rendre plus modestes, et à diminuer le nombre de leurs admirateurs. »
Erasme. » Eloge de la folie « . Traduction de Thibault de Laveaux. Edition Le Castor astral.
Merci pour cette citation dont l’à propos est saisissant.
Vous suscitez en moi le désir de relire cet ouvrage.
Avec toute ma reconnaissance.
Quelques propos de Nicolas Grimaldi, lus hier par hasard dans le dernier numéro de Philosophies magazine. La fin de son entretien qui tempère le constat un peu noir et mélancolique mis en exergue dans votre article et qui dévoile une autre facette de cet homme.
Je me permets à nouveau cette incursion mais il me plaît de poser, ici, dans votre lieu, ces mots que je trouve très beaux. Pour que circule la joie.
» A présent, il me semble qu’il faut s’efforcer de continuer ce que l’on a commencé. Ne jamais laisser retomber l’élan. Se répandre, se propager, rayonner encore et toujours. Cela ne peut se faire seul. Contrairement à ce que Platon et les stoïciens nous enseignent, le sage ne saurait se suffire à lui-même. Mon éthique est une éthique de la joie, laquelle, loin d’être égoïste, tient à la communicabilité d’une ferveur. Elle survient quand je sens que mon émotion résonne en l’autre, ou lorsque la sienne retentit en moi. La joie est la mutualisation d’une fête, de conscience à conscience. Vivre ce n’est pas se replier sur soi-même, s’obnubiler de ses petits problèmes ou de son image. Vivre, c’est tout simple. C’est se communiquer, c’est se transfuser dans une autre existence. Je ne veux plus que souffler sur les braises de la vie. «
Cette idée que le sens de la vie réside dans son expansion, dans sa diffusion hors de soi dans d’autres vies est en effet la conviction profonde de Nicolas Grimaldi mais ce qu’il signifie surtout, dans l’effervescence du vide, c’est que cette diffusion est tributaire de conditions sociales ou culturelles. Or le milieu dans lequel nous vivons ne fait guère écho aux inquiétudes métaphysiques de la conscience, à ce que traditionnellement on a appelé « la culture de l’âme ». D’où le désarroi d’une vie faisant l’expérience de son étrangeté dans un monde où circule surtout l’esbroufe de l’insignifiance.
Ce qui n’exclut pas la possibilité d’une fraternité spirituelle possible même si le rayonnement d’une conscience comme celle de notre auteur reste très limité. Si ce n’était pas le cas il aurait renoncé à écrire ou à s’exprimer dans les médias.
Cette citation est en tout cas bienvenue.
Je vous remercie de promouvoir « la circulation de la joie ».
Bien à vous.
Bonjour Madame,
Je souhaitais simplement proposer à la lecture cette courte interview de Nicolas Grimaldi sur laquelle je viens de tomber : http://po.st/8CugtN et qui m’a fait penser à votre article.
Le phrases magnifiques sur Jankélévitch, la quête de l’absolu, la sagesse, l’amour (entre autres) m’ont donné envie de me plonger dans son oeuvre. Peut-être pourra-t-elle avoir le même effet sur d’autres personnes !
Bien à vous,
Raphaël
Merci Raphaël pour ce lien. Cet entretien avec Nicolas Grimaldi est en effet très intéressant.
Bien à vous.
Bonjour,
je viens d’écouter Nicolas Grimaldi à l’antenne de France-Culture et la curiosité de mieux le connaître, jointe au hasard de la navigation sur Internet, m’amène ici. Durant l’émission j’ai été étonnée d’entendre la déclamation de Phèdre enregistrée, puis des vers de Valéry enchaînés par Nicolas Grimaldi lui-même, qui essayait de faire entendre l’importance de la forme sonore de l’expression pour servir le fond du discours. Comme je viens de dévorer votre commentaire et l’extrait de ‘L’Effervescence du vide’ tout cela se conjugue -vanité ou vacuité et poésie !- et m’incite à commenter et écrire à mon tour.
« Les sentiments des hommes, mais aussi bien leurs actes, leurs histoires, ne sont rien de nouveau. La vie glisse la main dans notre marionnette (fort dure à enfiler d’abord, fort étroite, si l’on en croit les contorsions et cris du nouveau-né), et s’amuse d’elle-même en remuant les doigts dans nos membres, dans notre tête, en nous prêtant ses voix, en nous occupant. Elle fait nos personnages, nous oppose, nous accouple, nous distrait les uns des autres (de paroles, d’actions)… Elle nous fait ses pantins jusqu’à ce qu’elle se lasse comme l’enfant d’un jeu, et dépouille la guenille usée… On voit la trame. » (L.Latourre ‘Vers un théâtre d’art’)
Pour l’auteur de ce texte Louis Latourre ce n’est pas un constat désabusé mais la conscience d’un vide qui (cela semble paradoxal) se fait moteur, point de départ, source de création! La première conscience du premier vide concerne la parole même. Nos naïvetés s’évaporent! « Nos langues n’ont de sens que par des conventions que la force d’habitude nous rend insensibles. » « Nous n’avons de pensée, de pensées, que celles qu’à travers leurs structures et leurs formes nos corps et nos langues nous permettent, mais aussi nous imposent. » ( http://theatreartproject.com/langage.html )
Mais sur ce sentiment de tout ce qui se dérobe à la connaissance comme au Verbe se construit une poésie forme et fond, certainement ce qu’a dit Nicolas Grimaldi ce matin montre qu’il serait sensible à ce travail. http://www.youtube.com/watch?v=yIxpAE6MIfM
Louis avec qui j’ai travaillé s’exprimerait mieux que moi sur tout cela, mais peut-être avec les écrits de Nicolas Grimaldi ces liens vous intéresseront et vous toucheront comme moi. A travers une parole assourdissante et si omniprésente dans la vie moderne qu’elle s’en trouve dévaluée, c’est un effort d’exigence méritoire il me semble!
Bien cordialement
Jacqueline
Bonjour Jacqueline
Merci pour ces liens que je consulterai dès que possible.
Oui, la parole est creuse tant qu’elle ne résonne pas sur fond de silence et la présence des choses et des êtres privée de profondeur tant qu’elle ne se détache pas sur fond d’absence. Mais n’est-ce pas là un des sortilèges du désir dont la philosophie ou l’amour de la sagesse ne doit pas être dupe?
Bien à vous.
Bonjour Madame Manon
Et à tous les lecteurs de ce blog.
Merci mille fois de nous avoir parlé de Nicolas Grimaldi que je ne connaissais pas.
Choc encore une fois salutaire. Quelle érudition, quelle leçon d’humilité et de sagesse.
Je viens d’acheter « les métamorphoses de l’amour » et sa lecture me remplit de joie.
Je suis bien décidé à lire tous ses ouvrages.
Cordialement.