La distinction conceptuelle de l'essence et de l'existence invite à se demander comment on peut articuler l'une et l'autre en ce qui concerne la réalité humaine. Faut-il penser que l'existence de l'homme est le déploiement d'une essence ou d'une nature prédéfinie (en Dieu ou dans l'ordre naturel des choses) ou bien que l'essence de l'homme, c'est l'existence?
Avec Heidegger on comprendra que l'essence de l'homme c'est l'existence, avec Sartre que l'existence précède l'essence.
I) Heidegger et le thème de « l'oubli de l'Etre ».
Est-ce parce que la pensée est inquiétée par l'extériorité et la contingence de l'existence, toujours est-il qu'on peut avec Heidegger (1889.1976) remarquer que les philosophes, depuis Platon, ont envisagé l'Etre comme essence, généralité logique, jamais comme événement, comme « un il y a » se déployant comme fait d'être. Voilà pourquoi Heidegger affirme que ce qui caractérise la métaphysique est « l'oubli de l'Etre ». Le philosophe montre que cet oubli n'est pas innocent. Il est le signe d'un certain type de rapport à l'Etre où celui-ci est dévoilé comme un fonds privé de toute autonomie destiné à être « arraisonné » par une subjectivité souveraine. La connaissance (et la technique : dernière version de la métaphysique occidentale) est donc science des étants qu'elle conceptualise, classe, met en ordre au service de la volonté de puissance de cet étant singulier qu'est l'homme. Elle n'est pas souci de faire advenir au langage le mystère de la présence de l'Etre.
D'où l'inattention de la pensée aux choses envisagées sous l'angle de leur existence. S'étonner de la simple présence des choses, de l'étrangeté du « il y a », se rendre disponible à l'événementialité de l'Etre est, paradoxalement, ce qui, pour la pensée, est le moins familier.
Si l'on veut renouer avec la question métaphysique par excellence, c'est-à-dire avec la question de l'Etre, il faut donc dépasser la métaphysique classique, la déconstruire, projet exigeant de comprendre que « l'homme n'est pas le maître de l'étant, il est le berger de l'Etre ». (Cf. Lettre sur l'humanisme. 1947.)
Par là, Heidegger lie la question de l'Etre à celle de l'être de l'homme. Il nous demande de repenser l'humanité de l'homme. La critique de la métaphysique classique est ainsi critique de l'humanisme traditionnel.
II) L'essence de l'homme est l'existence.
Heidegger soutient que les catégories humanistes définissant l'homme comme être doué de raison, comme subjectivité opposable à objectivité, « n'expérimente pas encore la dignité propre de l'homme » qui est d'être « le berger de l'Etre ». Il lie donc la capacité d'interroger, de dire l'Etre, d'en éclaircir la vérité à une caractéristique humaine occultée et dévoyée par les catégories humanistes. Cette caractéristique est l'existence.
Alors que les choses sont et qu'en elles l'être demeure clos, non dévoilé, l'homme n'est pas, il existe et dans l'existence le dévoilement de l'Etre peut s'opérer et advenir au langage.
Heidegger affirme que c'est comme être jeté dans cette modalité d'être que l'homme peut être le penseur de l'Etre. Au fond, il enseigne, selon la formule de Levinas, que « la compréhension de l'être est l'attribut déterminant et le fait fondamental de l'existence humaine ».
Pourquoi donc l'homme est-il cet existant par qui les choses et lui-même se révèlent comme existant ? En allemand existence ou réalité humaine se dit : Dasein. Littéralement « être-là ». Si le Dasein peut être le là de l'Etre, c'est qu'il est ouverture à soi-même et au monde. De fait exister, c'est être impuissant à être sous la forme d'un étant fermé sur soi. Exister, c'est se tenir à distance, hors de soi. C'est se projeter vers des possibles. L'existence est mouvement extatique, dépassement, transcendance, intentionnalité c'est-à-dire manière de s'avancer au-delà de vers quelque chose. Or vers quoi s'avance l'existant pour être « une clairière pour la présence » ; le là de l'Etre ?
Tout l'intérêt de l'analyse heideggérienne est d'établir que l'au-delà pour l'existence qui transcende (expression tautologique) n'est pas un autre côté, un arrière-monde comme le suprasensible dans l'idéalisme platonicien ou Dieu dans la théologie chrétienne. L'existence transcende au-delà vers ce qui n'est pas et qu'on peut appeler le néant, à condition de préciser que ce néant n'est pas un être mais le retrait de l'Etre par quoi il peut paraître. Ainsi, c'est parce que l'existant se projette vers des possibles et en particulier vers « la possibilité de l'impossible », à savoir la mort, qu'il est l'étant par qui l'Etre peut surgir dans son étonnante présence.
Si le Dasein est le là, le lieu, de l'Etre, c'est qu'il a le privilège d'être le lieutenant du néant. « Mort : écrin du rien, abri de l'Etre » écrit Heidegger.
III) L'existence est être pour la mort.
Exister consiste ainsi à expérimenter le mourir au fondement de son être. L'existant n'est pas certain de lui-même comme sujet pensant (cogito ergo sum dit Descartes), il est certain de soi comme « le destiné à mourir ». Sum moribundus, donne à entendre Heidegger. « Je suis mourant ». C'est le retrait de l'Etre dans le mourir qui conditionne l'épiphanie de l'Etre dans l'exister. La mort n'est donc pas un événement auquel je me rapporte dans une relation d'extériorité. Elle me constitue de manière interne et intime comme existant. Etre pour la mort n'est pas une caractéristique existentielle accidentelle. C'est ce que Heidegger appelle un « existential » c'est-à-dire une catégorie ontologique déterminant la manière dont l'existant se rapporte à soi et au monde.
Le « se savoir mortel », le « exister la mort » est ainsi la vraie définition de l'existence ou de la mortalité. Il s'ensuit que la mort ne borde pas la vie humaine comme une limite externe. Elle l'habite de manière interne. « Aussitôt qu'un homme vient à la vie, il est déjà assez vieux pour mourir » écrit Heidegger. Etre et Temps. §48. p. 245.
Ce statut du mourir pointe la faiblesse de la position épicurienne, selon laquelle la mort n'est rien pour nous. Cf. Commentaire de la lettre à Ménécée.
Il trace aussi la frontière entre le vivre et l'exister. Cf. Cours.
IV) Le thème existentialiste : l'existence précède l'essence.
« Lorsqu'on considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet objet a été fabriqué par un artisan qui s'est inspiré d'un concept; il s'est référé au concept de coupe-papier, et également à une technique de production préalable qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le coupe-papier est à la fois un objet qui se produit d'une certaine manière et qui, d'autre part, a une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l'objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence, - c'est-à-dire l'ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir - précède l'existence; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée. Nous avons donc là une vision technique du monde, dans laquelle on peut dire que la production précède l'existence.
Lorsque nous concevons un Dieu créateur, ce Dieu est assimilé la plupart du temps à un artisan supérieur; et quelle que soit la doctrine que nous considérions, qu'il s'agisse d'une doctrine comme celle de Descartes ou de la doctrine de Leibniz, nous admettons toujours que la volonté suit plus ou moins l'entendement ou, tout au moins, l'accompagne, et que Dieu, lorsqu'il crée, sait précisément ce qu'il crée. Ainsi, le concept d'homme, dans l'esprit de Dieu, est assimilable au concept de coupe-papier dans l'esprit de l'industriel; et Dieu produit l'homme suivant des techniques et une conception, exactement comme l'artisan fabrique un coupe-papier suivant une définition et une technique. Ainsi l'homme individuel réalise un certain concept qui est dans l'entendement divin.
Au XVIII° siècle, dans l'athéisme des philosophes, la notion de Dieu est supprimée, mais non pas pour autant l'idée que l'essence précède l'existence. Cette idée, nous la retrouvons un peu partout, nous la retrouvons chez Diderot, chez Voltaire, et même chez Kant. L'homme est possesseur d'une nature humaine; cette nature humaine, qui est le concept humain, se retrouve chez tous les hommes, ce qui signifie que chaque homme est un exemple particulier d'un concept universel, l'homme [...] Ainsi, là encore, l'essence d'homme précède cette existence historique que nous rencontrons dans la nature.
L'existentialisme athée, que je représente, est plus cohérent, li déclare que si Dieu n'existe pas, il y a au moins un être chez qui l'existence précède l'essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c'est l'homme ou, comme dit Heidegger, la réalité-humaine. Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. L'homme est non seulement tel qu'il se conçoit, mais tel qu'il se veut, et comme il se conçoit après l'existence, comme il se veut après cet élan vers l'existence, l'homme n'est rien d'autre que ce qu'il se fait. Tel est le premier principe de l'existentialisme.
C'est aussi ce qu'on appelle la subjectivité, et que l'on nous reproche sous ce nom même. Mais que voulons-nous dire par là, sinon que l'homme a une plus grande dignité que la pierre ou que la table ? Car nous voulons dire que l'homme existe d'abord, c'est-à-dire que l'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir. [...]
[...] l'homme n'est rien d'autre que son projet, il n'existe que dans la mesure où il se réalise, il n'est donc rien d'autre que l'ensemble de ses actes, rien d'autre que sa vie. D'après ceci, nous pouvons comprendre pourquoi notre doctrine fait horreur è un certain nombre de gens. Car souvent ils n'ont qu'une seule manière de supporter leur misère, c'est de penser : «Les circonstances ont été contre moi, je valais beaucoup mieux que ce que j'ai été; bien sûr, je n'ai pas eu de grand amour, ou de grande amitié, mais c'est parce que je n'ai pas rencontré un homme ou une femme qui en fussent dignes, je n'ai pas écrit de très bons livres, c'est parce que je n'ai pas eu de loisirs pour le faire; je n'ai pas eu d'enfants è qui me dévouer, c'est parce que je n'ai pas trouvé l'homme avec lequel j'aurais pu faire ma vie. Sont restées donc, chez moi, inemployées et entièrement viables, une foule de dispositions, d'inclinations, de possibilités qui me donnent une valeur que la simple série de mes actes ne permet pas d'inférer. » Or, en réalité, pour l'existentialiste, il n'y a pas d'amour autre que celui qui se construit, il n'y a pas de possibilité d'amour autre que celle qui se manifeste dans un amour; il n'y a pas de génie autre que celui qui s'exprime dans des œuvres d'art : le génie de Proust c'est la totalité des œuvres de Proust; le génie de Racine c'est la série de ses tragédies, en dehors de cela il n'y a rien; pourquoi attribuer à Racine la possibilité d'écrire une nouvelle tragédie, puisque précisément il ne l'a pas écrite? Un homme s'engage dans sa vie, dessine sa figure, et en dehors de cette figure il n'y a rien. Évidemment, cette pensée peut paraître dure à quelqu'un qui n'a pas réussi sa vie. Mais d'autre part, elle dispose les gens à comprendre que seule compte la réalité, que les rêves, les attentes, les espoirs permettent seulement de définir un homme comme rêve déçu, comme espoirs avortés, comme attentes inutiles; c'est-à-dire que ça les définit en négatif et non en positif »
Sartre. L'existentialisme est un humanisme, 1946.
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Quelques remarques:
La formulation » L’essence de l’homme c’est l’existence » est égarante si elle n’est pas nettement distinguée du sens traditionnel des termes « essence » et « existence » hérités de la métaphysique traditionnelle. Voyons et écoutons ce que dit Heidegger dans La Lettre sur l’humanisme ( automne 1946):
» Ce que l’homme est, c’est-à-dire dans la langue traditionnelle de la métaphysique, l' »essence » de l’homme, repose dans son ek-sistence. Mais l’ek-sistence ainsi pensée n’est pas identique au concept traditionnel d’ existentia, qui désigne la réalité, en opposition à l’essentia conçue comme possibilité. On trouve dans Sein un Zeit, p.42, cette phrase imprimée en italique: » L' »essence » de l’être-le-là réside dans son existence ». Mais il ne s’agit pas là d’une opposition entre existentita et essentia, car ces deux déterminations métaphysiques de l’Être en général, et à bien plus forte raison leur rapport, ne sont pas encore en question. La phrase contient moins encore un énoncé général sur l’existence, si cette appellation surgie au XVIIIème siècle pour le mot « objet » doit exprimer le concept métaphysique de la réalité du réel. Bien plutôt veut-elle dire que l’homme déploie son essence de telle sorte qu’il est le « là », c’est-à-dire l’éclaircie de l’Être. Cet « être » du là, et lui seul, comporte le trait fondamental de l’ek-sistence, c’est-à-dire l’in-stance extatique dans la vérité de l’Être. L’essence extatique de l’homme repose dans l’ek-sistence, qui reste distincte de l’existentia pensée d’un point de vue métaphysique. […]
L’ek-sistence, pensée de façon extatique, ne coïncide, ni dans son contenu, ni dans sa forme avec l’existentia. Dans son contenu,, ek-sistence signifie ek-stase en vue de la vérité de l’Être. Existentia ( existence) veut dire par contre actualitas, réalité, par opposition à la pure possibilité conçue comme idée. Ek-sistence désigne la détermination de ce qu’est l’homme dans le destin de la vérité. Existentia reste le nom qu’on donne à la réalisation de ce qu’une chose est, lorsqu’elle apparaît dans son idée. La proposition: » l’homme ek-siste » n’est pas une réponse à la question de savoir si l’homme est réel ou non; elle est une réponse à la question portant sur l’ « essence » de l’homme. Cete question est aussi mal posée, que nous demandions ce qu’est l’homme, ou que nous demandions qui est l’homme ? Car avec ce qui ? Ou ce quoi ? Nous prenons déjà sur lui le point de vue de la personne ou de l’objet. Or la catégorie de la personne tout autant que celle de l’objet laisse échapper et masque à la fois ce qui fait que l’ek-sistence historico-ontologique déploie son essence. Aussi est-ce à dessein que la phrase de Sein und Zeit (p.42) citée plus haut porte ce mot « essence » entre guillemets. On indique par là que l’ « essence » ne se détermine plus désormais, ni à partir de l’esse essentiae, ni à partir de l’esse existentiae, mais à partir du caractère ex-statique de l’ être-le-là. En tant qu’ek-sistant l’homme assume l’être-le-là, lorsque en vue du « souci » il raçoit le là comme l’éclaircie de l’Être. […] »
En lisant ce texte on comprend que :
1)Sartre comprend l’essence et l’existence au sens traditionnel. Pour lui, l’existence précédant l’essence, elle est la réalité de la vie personnelle construisant par ses actes la possibilité de son essence. Comme le souligne Sartre, l’homme n’est jamais réductible à un objet ( un quoi ), mais il est tout entier une personne ( un qui) qui se réalise dans ses actes en faisant apparaître une idée de soi et de l’homme. L’ essence de l’homme c’est donc précisément son existence, conçue comme projet de la personne se réalisant librement dans l’action.
2)Heidegger ne comprend pas l’essence et l’existence au sens traditionnel. C’est pourquoi il prend la peine d’écrire ces termes de manière décalée et surprenante en parlant d’ « essence » et d » ek-sistence ». L’ek-sistence ne désigne pas d’abord une ouverture à soi et au monde au sens où la conscience du sujet fait alternativement apparaître le sujet à lui-même, et le monde dans son objectivité donnée. Elle ne désigne pas d’abord le rapport de l’homme à l’étant donné ( existentia ), ni même d’abord l’être de l’étant ( essentia), mais, bien avant cette distinction, elle désigne l’ouverture de l’homme à l’être. C’est cela que signifie Dasein, » l’être-le-là ». Non pas exister dans le monde ou en soi, mais être ouvert au sens de l’être. Si le Dasein peut être le là de l’Être, ce n’est pas parce qu’il est ouverture à l’étant, ouverture à soi-même et au monde, mais d’abord par ce qu’il est ouverture à l’Être, au rien d’étant. Exister ne veut pas dire chez Heigger être hors de soi comme intentionnalité qui se projette dans le temps et dans le monde, mais être ouvert à l’éclairice de l’Être. Si l’on peut dire, l’existentia et l’essentia regardent du côté de l’étant, alors que l’ ek-sistence et l' »essence » regardent du côté de l’Être. L’être n’est pas un étant, mais la clairière de sens dans laquelle tout rapport à l’étant est possible. L’énigme de la présence de l’Être ne tient pas seulement à la contingence inouïe de l’existence ( « il y a quelque chose »), mais bien davantage à la différence abyssale entre l’Être et l’étant, ce que Heidegger nomme la différence ontologique ( il y a de l’Être, au sens où l’ëtre se donne dans l’étant sans jamais s’y confondre). Il appartient à la vérité de l’Être qu’au grand jamais il ne soit possible sans l’étant, qu’au grand jamais non plus l’étant ne soit possible sans l’être, chacun n’étant jamais réductible l’un à l’autre. Par où l’on voit que la question métaphysique traditionnellle n’est pas la question de l’Être mais la question de l’Être de l’étant, ce qui n’est pas la même affaire.
En ce qui concerne le texte de Sartre en fin :
– Heidegger n’est ni existentialiste ni athée
– Dasein est mal traduit par « réalité humaine »
Merci pour ces éclaircissements.
Hum… attention avec la photo. Est-elle libre de droit ? La postérité du berger allemand de l’Etre est assez sourcilleuse pour ne pas dire procédurière.
Je ne peux répondre à votre question. Je changerai la photo si on me met en demeure de le faire. Votre formule pour me mettre en garde m’amuse…
Bonjour,
Je voudrais savoir la différence entre Nature de l’Homme et Essence de l’Homme
Merci !
Voyez l’article: essence et existence.
Bonjour 🙂
Après avoir lu cet article, les éclaircissements complémentaires de Perbost, et relu le texte dont je vous avais parlé, il me semble maintenant mieux cerner le sujet, et les relations entre les notions d’Etre, d’essence, d’ek-sistence, etc.
Néanmoins, je me permets de solliciter de nouveau votre aide pour ce même extrait, que je vous avais retranscrit dans les commentaires de votre article « Vivre et exister » (issu du livre Visions éthiques de la personne).
En effet, la prose riche en métaphores et autres images de l’extrait m’est vraiment difficile à comprendre, bien que les concepts soient maintenant clairs dans mon esprit : « présence prééminente dans la densité opaque de l’Etre »… kézako ?!
Je pense avoir néanmoins compris maintenant que :
– « parole de l’Etre », thème heideggerien, signifie simplement épiphanie, surgissement de l’Etre (au travers de l’ek-sistence) ?
– Avec Heidegger, la métaphysique tente de résoudre la question de l’Etre de l’étant et non plus de l’Etre (qui se conçoit comme la « cause première » ni expliquée ni explicable) ?
– On ne doit plus selon lui envisager les éléments sous l’angle de leur existence, mais sous celui de leur essence ?
Voilà, je ne vous demande aucunement de me mâcher le travail, (je sais à quel point la réflexion personnelle est riche en enseignements !), mais juste de m’éclairer sur les images employées dans ce texte, car j’ai beau réfléchir, je ne comprends pas encore le sens profond de celui-ci…
N.-B : Concernant votre article proprement dit, deux-trois éléments m’échappent :
– Dans le IV) § 1. Sartre dit que « la production précède l’existence » ; mais je ne vois pas la différence entre ces deux termes (étant donné le sens que l’auteur leur a donné) : production correspond bien à fabrication donc à existence réelle et concrète de l’objet ?
– Selon Heidegger, « l’existence est être pour la mort » ; il faut comprendre par-là que, étant donné que la mort « est », par définition, au contact d’elle-même i.e. de la mort (désolée pour cette tautologie honteuse), on en déduit que son « être » se confond avec son « existence », étant donné la définition même d’existence (« se savoir mortel » comme vous l’avez dit) ?
Merci à vous et bonne après-midi !
Bonjour Maya
Je dois relever la grande confusion de votre propos. Manifestement vous n’avez pas encore assimilé certaines points des cours ou de vos lectures. A revoir donc.
Il faut dire que la philosophie de Heidegger ne brille pas par sa clarté.
Vous faîtes un contresens lorsque vous écrivez que : « on ne doit plus, selon lui, envisager les étants sous l’angle de leur existence, mais sous celui de leur essence » C’est le contraire qu’il faut entendre car l’interrogation sur l’essence est précisément ce qui caractérise la métaphysique classique, accusée par notre auteur d’être coupable d’un « oubli de l’être ». Il s’ensuit qu’être à nouveau attentif à la question de l’être consiste à interpréter celui-ci comme fait d’être, (il y a quelque chose # ce que les choses sont).
L’ouverture à l’être comme à un « il y a » est précisément le propre de cet étant qu’est l’existant, le Dasein. Il est ouverture à soi-même et à tout ce qui est. Il appartient à l’être du Dasein, dit Heidegger, de se rapporter à son être et à l’être du monde, mais il n’est pas dans la même situation relativement à lui et aux autres étants.Ceux-ci lui demeurent relativement opaques, entendez, obscurs, résistants au dévoilement qu’il opère. Cette opacité, il a le pouvoir de la réduire en ce qui concerne son propre être s’il rompt avec l’affairement quotidien et l’impersonnalité du « on ». Il existe la temporalité qui lui est propre, son être pour la mort est le sien et pas celui d’un autre. Son être est absolument singulier et cette singularité a pour lui un statut ontologique de prédilection. D’où la formule: « présence préeminente dans la densité opaque de l’être ».
Sartre: L’essence du stylo préexiste dans l’esprit du technicien qui le conçoit. Son essence précède son existence et celle-ci ne sera effective qu’au terme du processus de fabrication de l’objet.
Heidegger: Vous êtes dans la plus grande confusion. Il me semble que j’explique ce que signifie cette expression. A quoi bon répéter? Revoyez les explications.
Pour comprendre demandez-vous: Si l’existant n’expérimentait pas le mourir au coeur de son être, s’il ne faisait pas l’expérience du retrait de l’être, autrement dit du néant, pourrait-il être le berger de l’être? Qu’est-ce qui atteste avec éloquence de cette expérience? un existential auquel personne n’échappe; l’angoisse.
En espérant avoir clarifié les choses.
Merci beaucoup pour votre réponse 🙂
Ainsi, l’ « existence est être-pour-la-mort » est synonyme de l’ « existant porte en lui la certitude de sa mort (tôt ou tard) » ? C’est comme cela qu’il faut le comprendre ? Désolée d’insister mais je préfère être sûre d’avoir compris plutôt que de rester sur un « c’est un truc comme ça » !
Quand Sartre dit « la production précède l’existence » je saisissais mal le sens parce que je comprenais « production » comme « mise en œuvre d’une technique pour créer un objet réel, qui « existe » », et du coup j’avais l’impression que production était synonyme d’existence… En fait on pourrait étayer cette idée si l’on considère l’étape finale de la production, quand l’objet souhaité « existe » enfin ! Enfin bref, voilà le pourquoi de ma question !
En tout cas je vois plus net maintenant ! Je me permettrais une dernière question, par pur soucis, disons, « technique » ^^ :
Quand vous ne répondez pas directement à une de mes questions, c’est que mon explication est juste ? Par exemple pour : « « parole de l’Etre », thème heideggerien, signifie simplement épiphanie etc. ? »
Voilà voilà, encore une fois merci de prendre le temps de nous expliquer les choses, toujours de façon claire et élégante je trouve !!
Bonne soirée 🙂
Bonjour Maya
Voyez le cours: https://www.philolog.fr/la-mort-est-impensable/ pour mieux comprendre.
Ayez bien présente à l’esprit l’idée que l’existant, pour la phénoménologie, n’est pas le sujet pensant de la philosophie classique mais l’être hors de soi, l’être qui n’est pas mais a à être. Autrement dit l’être qui se projette vers des possibles et donc qui est toujours déjà en situation par rapport à la mort puisqu’en dernière analyse il transcende vers la possibilité de l’impossible. Cet apparaître à soi-même du caractère fini de sa propre existence s’expérimente dans l’angoisse. Il s’ensuit, que le rapport que l’existant entretient avec le mourir n’est pas une détermination extrinsèque de l’existence, mais un attribut essentiel de celle-ci.
Lorsque je ne réponds pas à une question, c’est que c’est globalement compris.
Bien à vous.
Merci beaucoup ! C’est compris !!
Bonjour Simone,
Encore merci pour ce site qui est un pont vers la philosophie, un tremplin pour la réflexion.
Ma conception de la réalité est comparable à l’idée que s’en fait Spinoza.
Dans ce cadre, je peine beaucoup à identifier la logique qui permet au mouvement existentialiste de partir de postulat que pour l’homme : C’est l’existence qui précède l’essence.
Est-ce uniquement au nom de l’athéisme ? Le déterminisme est-il uniquement démontré par la seule existence de dieu (= nature au sens de Spinoza) ?
Ou au nom de la liberté (ou du libre-arbitre) ?
Si oui, ce libre-arbitre et/ou cet athéisme sont-ils seulement démontrés ?
Bonjour Alban
1) Vous devez avoir présent à l’esprit que l’existentialisme est d’abord une phénoménologie.
Or l’existence ne peut pas être décrite comme plénitude d’être, clôture sur soi, permanence. Elle est mouvement de transcendance vers, désir, échappement au donné par le projet etc. Cette réalité phénoménale, c’est ce que Sartre synthétise dans l’idée de liberté. L’homme n’est pas, il est projet et ne sera donc que ce qu’il se sera fait. Il n’est rien d’autre que ses actes et l’on ne pourra le penser sous la catégorie de l’être qu’au passé (il a été ceci ou cela) que lorsqu’il ne sera plus.
Cf. https://www.philolog.fr/ambiguite-de-la-condition-humaine/
Cf. https://www.philolog.fr/etre-en-situation-dans-le-monde-sartre/
Que l’homme n’ait pas la déterminité d’un être est donc ce qui se révèle à une approche phénoménologique.
Ce qui n’exclut pas le saut métaphysique dès lors qu’on prétend définir l’être de l’homme par la liberté. Ce parti pris est indistinctement métaphysique et moral. Voilà pourquoi Sartre qualifie de « salaud » et de lâche celui qui cherchera à fuir sa responsabilité en prétendant être déterminé. Cf. « Les uns qui se cacheront par l’esprit de sérieux ou par des excuses déterministes, leur liberté totale, je les appellerai lâches; les autres qui essaieront de montrer que leur existence était nécessaire, alors qu’elle est la contingence de l’homme sur la terre, je les appellerai des salauds ».
2) Vous devez ensuite bien comprendre qu’une option métaphysique (qu’il s’agisse de celle de Spinoza ou de Sartre) n’est passible d’aucune démonstration possible.
Voyez sur ce point l’article: liberté/déterminisme: la question épineuse.https://www.philolog.fr/libertedeterminisme-la-question-epineuse/
Bien à vous.
Bonjour , j’ai lu ce texte qui m’as beaucoup éclairé , mais ce que je me demande depuis quelques mois c’est qu’elle est l’essence de l’homme SELON NOTRE SOCIÉTÉ D’AUJOURDHUI??
Merci de m’éclairer sur cette question! 🙂
Bonjour
Notre époque se caractérisant par la pluralité des représentations, le relativisme, la déconstruction des théories traditionnelles, il ne va pas de soi de dégager une anthropologie unifiée.
Néanmoins, il y a des tendances lourdes qui ont été explicitées avec pertinence par Francis Wolf dans son livre « Notre humanité, d’Aristote aux neuro-sciences ».
Je vous renvoie à ses analyses: https://www.philolog.fr/notre-humanite-daristote-aux-neurosciences-francis-wolff/
PS: J’attire votre attention sur la nécessité de corriger votre expression.
Ex: « Qui m’a beaucoup éclairée »
Quelle est l’essence de l’homme »
Bien à vous.
(Re) Bonjour Madame,
Je me permets de vous poser une deuxième question : que faut-il avoir lu a minima à votre avis pour espérer pouvoir entreprendre avec un tant soit peu de succès la lecture d’Etre et temps d’Heidegger réputée compliquée (même dans l’édition Martineau que j’ai réussi à débusquer sur la toile) ?
Enfin, j’aurais souhaité vous poser la même question sur Lacan, mais j’ai remarqué qu’aucune mention de lui n’était faite sur Philolog, est-ce délibéré ou est-ce simplement que vous n’avez pas vu l’utilité de le convoquer pour les sujets que vous abordiez sur le site ?
Merci beaucoup et désolé de ces nombreuses questions et demandes de « chemins pédagogiques » … ce n’est pas évident de s’orienter dans le paysage philosophique en autodidacte, même si votre site rend néanmoins cela plus facile !
Merci beaucoup,
Raphaël
(Re) Bonjour
La lecture de Heidegger est souvent moins obscure que celle de ses commentateurs.
Allez directement au texte. Le petit livre de Steiner sur Heidegger (champs/Flammarion) est limpide. Le Que sais-je de Alain Boutot sur Heidegger aussi.
Quant à Lacan, ma connaissance est très superficielle car il m’insupporte.
Bien à vous.
Merci également ! Je vais me procurer le livre de Steiner.
La réponse sur Lacan a le mérite d’être claire. Je n’en connais rien, mais la lecture du Désir Pur de Bernard Baas, qui avait été mon professeur du temps où j’étudiais, où il analyse grâce à Kant avec Sade la structure du désir selon une logique transcendentale m’avait donné envie de m’y intéresser.
Merci en tout cas pour vos réponses.
Bien à vous.
[…] » L’essence de l’homme c’est l’existence. Heidegger […]
[…] » L’essence de l’homme c’est l’existence. Heidegger […]
Bonsoir,
Est-il possible de vous demander des conseils de lecture pour traiter un sujet de dissertation ?
Bien à vous.
Oui, bien sûr.
Bien à vous.
Madame, je vous remercie d’avoir mis vos connaissances au service d’anonymes éclairés et profanes mélangés. Je suis assez instruit en culture générale par rapport à la moyenne, mais
j’aurais souhaité une lecture plus claire, car vous ne semblez vous adresser qu’à des interlocuteurs très avertis de philosophie. Pourtant, les notions d’existentialisme et d’essence sur l’etre humain m’intéressent , et restent cependant floues après un exposé aussi magistral. Un peu de » vulgarisation » pour nous cultiver est nécessaire. MERCI
Bonjour
Tous mon cours est à bien des égards une entreprise de mise à la portée du plus grand nombre d’ idées difficiles. Encore faut-il en suivre l’ordre didactique.
Je me permets de penser que vous n’avez pas commencé par le début, par exemple que vous n’avez pas assimilé le cours précédent: https://www.philolog.fr/essence-et-existence/
Dans la colonne de droite il y a l’intitulé des chapitres. Quand on en ouvre un on voit défiler les articles, les premiers exposant les prérequis des autres.
Bien à vous.
Visiblement ce pauvre Jean-Paul a raté un train, peut être aurait-il du commencer par lire ( et comprendre ) maître Eckhart, comme le fit abondamment Heidegger ( qui lui s’en cache, le coquin ). Et ces pauvres athées qui ne se rendront jamais compte qu’un des champions de leur « philosophie » doit sa « pensée » à une mauvaise interprétation d’un bon lecteur de ce bon Echart…
Je vous remercie chaleureusement pour vos publications dans le cadre de ce site, et notamment pour cet espace de dialogue autour de la pensée de Heidegger.
Je voudrais cependant vous faire part d’une critique sérieuse (et je vous assure qu’elle n’enlève rien de ma profonde reconnaissance pour l’esprit qui anime vos publications):
Dans cet article sur Heidegger, vous ne parlez pas un instant du philosophe Husserl. L’inventeur de la phénoménologie, comme vous le savez, est le dédicataire de « Sein und Zeit », et cet ouvrage a paru lui-même, en 1927, dans la principale revue phénoménologique de l’époque, dirigée par le même Husserl.
Or, voici mon sentiment: dans un souci de cohérence, vous pourriez au moins conseiller, à tous ceux qui s’intéressent sérieusement à la philosophie du XXème siècle (ici Heidegger et Sartre), de chercher d’abord à comprendre, sinon l’oeuvre entière de Husserl, du moins « la grande idée » de celui-ci.
Car une introduction sérieuse à la phénoménologie reste, à mon sens, absolument nécessaire à quiconque voudrait saisir l’originalité d’une philosophie comme celle de Heidegger ou de Sartre.
Le thème philosophique de Husserl, qui personnellement m’aide, et me retient encore, à chaque instant, dans mon effort pour comprendre Heidegger, est le suivant :
La question du signe et du sens, relativement à l’activité scientifique d’abord (sens de la pensée rationnelle, querelle avec le psychologisme), à la vie « concrète » ensuite (sens de la perception et du « vivre » dans le monde), à la « civilisation occidentale » enfin (crise du sens dans l’humanité occidentale).
Les quelques ouvrages d’introduction à Husserl qu’on pourrait recommander:
R. Barbaras: Introduction à la philosophie de Husserl (Editions de la transparence)
J. Derrida: préface à l’Origine de la géométrie (de Husserl, édition Puf épiméthée)
F. Lyotard: La phénoménologie (Puf Que sais-je)
P. Ricoeur: préface à Idées (de Husserl, édition Tel Gallimard)
Cependant, laissez-moi vous féliciter d’avoir laisser une place aux commentaires de vos précédents lecteurs. Je pense notamment à Perbost, qui, précisément, semble insister dans son commentaire sur le thème du SENS (de l’être, de l’étant, de l’existence) chez Heidegger. D’où l’on rejoint évidemment la pensée de Husserl.
Avec un profond hommage à vous, à votre site, à votre esprit de philosophie !
Murcie.
Bonjour
Je ne peux que vous donner raison et vous remercie de faire le travail à ma place.
Mais il faut bien voir que ce cours est un cours de terminale n’ayant pas pour objectif de présenter Heidegger, seulement de présenter aux élèves les différentes perspectives qu’il est possible de prendre sur la question de l’existence.
Bien à vous.
Message à PERBOST : Après de longues études en philosophie, j’ai toujours du mal à admettre que les commentateurs de Heidegger soient sinon incapables du moins peu enclins à reformuler les thèses Heideggeriennes dans un langage qui n’appartienne pas à Heidegger. Une transposition des idées du philosophe allemand dans un langage plus familier serait d’un grand secours et garantirait que les commentateurs savent de quoi ils parlent. J’ai connu un professeur agrégé, spécialiste de Heidegger qui me disait : « J’ai choisi Heidegger car je peux dire n’importe quoi, personne ne s’en rend compte »… De toute évidence, il y avait une part de vrai dans ce trait d’humour.
Vivement Heidegger ré-écrit par un grand philosophe français. Mais est-ce seulement possible?