« Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut s'exprimer, qu'en répondant : Parce que c'était lui ; parce que c'était moi » Montaigne. Les Essais, §XXVIII.
L'amitié est un type de relation humaine dont Plutarque précise qu'elle est « un animal qui paît à deux. Elle ne vit pas en troupeau, ni en petit groupe comme les geais ». L'ami véritable.
L'ami n'est ni le frère, ni le copain, ni l'amant, objet du sentiment ou de la passion d'amour.
A la différence des relations de parenté excluant le choix, l'ami est élu librement comme tel. On peut subir sa famille, on ne subit pas son ami ; on se réjouit de partager avec lui une relation privilégiée.
Les liens familiaux sont marqués par l'inégalité (un père est supérieur à son fils, l'aîné n'est pas le cadet) et souvent empoisonnés par des affects (la jalousie par exemple). Dans l'amitié, au contraire, les sujets sont dans des rapports d'égalité et se rencontrent dans l'élément de l'intériorité. Un moi se met à exister pour un toi, chacun étant pour l'autre une présence glorieuse par le miracle de laquelle la vie devient une fête. Montaigne insiste sur le caractère miraculeux de cette expérience. « Il faut tant de rencontres à la bâtir que c'est beaucoup si la fortune y arrive une fois en trois siècles ».Ibid. La Rochefoucauld formule le même jugement : « Quelque rare que soit le véritable amour, il l'est encore moins que la véritable amitié » Maxime 473.
De fait, il n'y a rien de plus rare que cette entente de deux êtres, heureux d'éprouver leur harmonie et leur communauté. Que celle-ci se fonde sur ce qui tisse le « commun » ou la « communauté » cela va de soi. Ce quelque chose, c'est l'intérêt porté à la compréhension des choses, le plaisir de la conversation, le partage de peines et de bonheurs communs etc. En ce sens on peut dire que l'amitié est une relation spirituelle et morale et Allan Bloom a peut-être raison d'épingler l'inaptitude d'une époque comme la nôtre à en saisir la spécificité. « L'élan des âmes l'une vers l'autre [...], dit-il, est bien moins tangible, donc bien moins croyable que l'attrait des corps. Cette incrédulité de la plupart des hommes sur ce point est de nos jours renforcée par toutes sortes de théories pseudo-scientifiques qui nous expliquent que l'éros des âmes est fondé sur une illusion, étant en fait dérivé de l'éros des corps par le ministère d'une faculté ou d'un processus quasi miraculeux, la sublimation » L'amour et l'amitié.
Disons donc que l'amitié est la forme spirituelle et éthique de l'éros. Elle implique l'estime, l'admiration de l'autre, ce qui requiert des deux côtés des qualités (les Anciens disaient des vertus) à aimer. Voilà pourquoi un thème récurrent de la pensée antique et classique consiste à affirmer qu' « il ne peut y avoir de véritable amitié qu'entre gens de biens » Cicéron. Lélius ou l'amitié. Sans loyauté, sans droiture, sans générosité, sans grandeur d'âme pas d'amitié possible. Les être mesquins, envieux, déloyaux, intéressés, superficiels sont inaptes à ce type de relation. Le grand ami de Montaigne, Etienne de la Boétie ne dit pas autre chose : « L'amitié, c'est un nom sacré, c'est une chose sainte : elle ne peut exister qu'entre gens de bien, elle naît d'une mutuelle estime, et s'entretient non tant par les bienfaits que par bonne vie et mœurs. Ce qui rend un ami assuré de l'autre, c'est la connaissance de son intégrité.
Il a, pour garants, son bon naturel, sa foi, sa constance; il ne peut y avoir d'amitié où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l'injustice ». Discours de la servitude volontaire, §16.
Ce qui conduit Aristote à distinguer, dans l'Ethique à Nicomaque, l'amitié vertueuse de l'amitié plaisante et de l'amitié utile. Dans les deux dernières, les personnes sont liées par un élément extérieur à leurs êtres. L'autre n'est pas aimé pour lui-même mais pour les avantages qu'il procure. Dans l'amitié plaisante, très fréquente dans la jeunesse, l'attrait de l'autre tient au fait que son commerce est agréable. Si d'aventure il n'était plus source de partage de plaisirs, il cesserait d'intéresser. Dans l'amitié utile, sa séduction tient au fait qu'il rend des services. Les vieillards sont familiers de ce genre de relation. Au fond, dans les deux cas, « l'ami » fonctionne comme le moyen d'une satisfaction personnelle. Il n'existe pas comme une fin en soi, ce qui est le propre d'une relation morale.
Ce lien, extérieur aux personnes considérées dans leur être est aussi le propre des « camarades » ou des « copains ». La relation se fonde sur l'appartenance à une même classe, à un parti politique, à un club sportif, à une église etc. Les individus sont unis, moins par ce qu'ils sont que par ce qu'ils font ensemble. On peut néanmoins remarquer que l'ami a souvent commencé par être le copain. A l'occasion de leur commerce, deux êtres vont se découvrir, s'apprécier, cultivant peu à peu une relation interpersonnelle ayant la profondeur de l'amitié.
Enfin, il faut distinguer l'amitié de l'amour. Dans la mesure où celui-ci implique la dimension érotique, le trouble corporel, il en a l'intermittence et la versatilité. A l'amour « feu téméraire et volage, ondoyant et divers », Montaigne oppose la douceur et la solidité de l'amitié. « En l'amitié, c'est une chaleur générale et universelle, tempérée au demeurant et égale, une chaleur constante et rassise, toute douceur et polissure, qui n'a rien d'âpre et de poignant » Ibid.
L'amitié exclut la violence et les illusions de la passion amoureuse, elle échappe aux échecs de l'amour qui, dans sa source érotique, procède d'un fond obscur où la liberté n'est pas souveraine. Elle est une communion librement consentie des âmes qui vit et perdure par la seule force des qualités de ceux qui s'aiment. Comme Cicéron l'écrit : « Si l'amitié naît de l'estime qu'on éprouve pour la vertu, elle ne peut survivre quant on cesse d'être vertueux ».
A méditer :
"L'ami vrai, ce n'est pas celui qui sait se pencher avec pitié sur notre souffrance, c'est celui qui sait regarder sans envie notre bonheur". Gustave Thibon.
" Se réjouir du succès d'un ami plus que de son propre succès est une des choses les plus exaltantes de l'amitié" Philippe Soupault.
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Marqueurs:amitié, amitié plaisante, amitié utile, amitié vertueuse, amour, camarade, copain, parent, vertu
Que dire sinon que j’adhère à 100% !!!!!!!!!!!! Mais sûr que je ne t’apprends rien !
[…] année avec mes amies de coeur, nous fêtons nos anniversaires en septembre et en gourmandes ! Comme notre philosophe ne […]
http://www.philosophies.tv/spip.php?article245
Bonjour,
Deux petites questions.
1. Est-ce que l’amitié ne peut pas être plus houleuse que cela ? Il arrive à Bouvard et Pécuchet par exemple, de ne plus pouvoir se supporter, et de s’engueuler franchement. Ils sont amis néanmoins. Une amitié sans vague n’est-elle pas aussi impossible qu’un amour toujours calme ? Je change, l’autre aussi ; ce qui me lie, m’arrime à l’autre doit supporter bien de la tension pour résister à ces changements. non ?
2. Et est-ce que l’amitié est toujours plus éloignée de l’illusion que ne l’est l’amour ? Reprenons l’exemple de Bouvard et Pécuchet. Leur amitié ne naît bien d’une réalité : l’égalité de leur condition, et de leurs vues. Mais elle se nourrit ensuite d’un projet de vie fantasmé. Est-ce que l’égalité fondatrice de l’amitié n’est pas aussi le socle des illusions qui l’entretiennent ? C’est parce que je reconnais certains de mes traits ou de mes goûts dans l’autre que je peux juger bon de persévérer dans ces traits ou ces goûts. Mais peu importe que ces traits ou ces goûts soient pertinents « en eux-mêmes » (si cela a un sens), il suffit que je les voie en miroir dans l’autre pour leur attribuer de la valeur. N’est-ce pas là une illusion ?
Merci en tout cas pour ce blog !
Bertrand
Je ne peux que souligner la pertinence de vos remarques dans la mesure où l’amitié telle qu’elle est vécue par la plupart des hommes est rarement fidèle à l’essence de l’amitié que, peut-être, seuls des êtres d’exception ayant eu la chance de se rencontrer sont capables de vivre dans sa perfection.
Personne n’est une pure âme et ce qui est ici défini comme éros des âmes a sans doute l’ambiguïté des relations concrètes. Vous avez raison de pointer la part des illusions qu’elles peuvent receler et les risques auxquels la temporalité les expose. Néanmoins ces dimensions sont moins constitutives de l’amitié, à mes yeux, que l’épreuve du feu d’un sentiment ne se construisant et ne perdurant que par l’ascèse de tout ce qui est susceptible de troubler ce qui en est la source vive. Et je n’en vois pas d’autre que les qualités morales de ceux qu’elle unit.
Je ne peux pas exploiter l’exemple de Bouvard et Pécuchet car ma lecture est trop lointaine.
Bien à vous.
Bonsoir, merci beaucoup pour votre réponse si prompte !
Voici une question qui me vient en vous lisant, quand vous parlez de l’excellence morale des amis. Que pensez-vous d’une amitié entre crapules, qui serait sincère, solide, désintéressée ? Est-ce pure vue de l’esprit ? Ou bien est ce que l’amitié produit de la morale à partir de caractères qui peuvent ne pas être parfaitement moraux par ailleurs ?
Merci. Bien à vous.
B
Je vous remercie de poser les vraies questions et d’apporter les réponses avec beaucoup de finesse.
On peut en effet légitimement se demander si une amitié sincère, solide et en particulier désintéressée peut exister entre des crapules.
Et s’il s’agit d’une possibilité du réel comme de nombreux films semblent le montrer, alors il faut admettre deux choses:
-d’une part que ce qui est une vue de l’esprit, c’est l’existence d’une pure crapule, tout homme portant en lui des qualités dont le déploiement est tributaire des contingences de la vie (condition historique et sociale, hasard des rencontres etc.)
-d’autre part qu’il y a quelque chose de miraculeux dans l’amour puisqu’il est capable de libérer les ressources les plus sublimes de la nature humaine.
Bonsoir chère Madame,
C’est un plaisir de vous lire. Reprenant votre réponse, je suis tout prêt de vous suivre sur le caractère miraculeux de l’amitié ou de l’amour, mais si miracle il y a, que faut-il alors penser de ce caractère exceptionnel de ce qui se produit ainsi comme entre parenthèses ? Si la vertu supporte de n’être cultivée que dans le cercle restreint de l’amitié, faut-il y voir une entorse à l’universalité de la morale (quelque chose d’odieux, comme deux officiers SS, nobles amis entre eux et sans scrupules par ailleurs, pardon pour le cliché) ou bien au contraire cela nous force-t-il à voir la morale comme la forme atténuée, dégradée, spiritualisée, de ce qui se passe entre amis ?
Merci et bon week end.
Bertrand
Bonjour Monsieur
La réponse à votre première question ne va pas de soi. Pourquoi ce qui est noble, grand, beau est-il rare? Peut-être parce que cela appartient à l’ordre des choses difficiles. Nos faiblesses, nos petitesses ont l’avantage sur nos vertus de l’immédiateté. Elles ne définissent pas plus notre nature que nos qualités mais ces dernières demandent à être cultivées alors que les premières sont primitives et doivent être surmontées pour ne pas être le tombeau de nos ressources supérieures. Il faut tant d’éducation, d’exemples à imiter pour faire un homme alors qu’il suffit de suivre la pente naturelle pour faire une brute. De ce point de vue, il n’est pas indifférent de naître à une époque plutôt qu’à une autrre. Platon disait que « nul ne peut être formé à la vertu contre les leçons de la multitude » Avouons que notre époque, avec son culte de la facilité, du désir, de l’image, de l’ego surdimensionné, du succès, n’est guère propice à la culture de ce qu’il y a de meilleur dans la nature humaine.
Je ne vous suis pas dans votre deuxième remarque. Il ne me semble pas juste de dire que la vertu ne supporte d’être cultivée que dans le cadre étroit de l’amitié. Son cadre naturel est la citoyenneté. Il y a une relation de réciprocité entre cité juste et citoyens vertueux. Ce qui fonde l’aporie du politique. On ne peut pas attendre du tout une perfection faisant défaut à ceux qui le composent. Mais, comme dit kant, la destination de l’homme est moins d’incarner absolument, (il lui faudrait pour cela cesser d’être un homme) que de tendre, de s’approcher de la constitution civile parfaite que conçoit sa raison.
Il n’y a pas d’entorse à l’universalité de la morale. C’est pourquoi l’exemple que vous donnez est problématique. Il ne faut pas confondre l’amitié et ses caricatures. Parmi celles-ci, on peut pointer la morbidité de toutes ces relations qui, pour être intenses n’en sont pas moins fondées sur des affects passionnels ou un inconscient pathogique. Vous savez qu’elles ne résistent guère à l’oeuvre du temps ou au changement du cadre social ayant été propice à leur déploiement.
L’horizon de l’exigence morale étant la personne humaine, quelle qu’elle soit, la moralité ne peut être dérivée de ce qui se passe dans une relation interpersonnelle. Et c’est précisément la chaleur, la singularité d’une telle relation qui fait son intérêt et son infinie puissance d’émotion. La morale met en jeu les personnes comme êtres raisonnables, l’amitié donne à celles-ci la chair et la concrétude constitutives de l’existence elle-même. La rectitude morale n’est pas exclusive de l’expérience délétère de la solitude existentielle, l’amitié la dépasse en lui permettant de se partager.
Avec mes meilleurs sentiments.
Bonjour,
Merci pour cette riche et fine réponse. Je vous suis volontiers sur ces différents points. Quand je disais « si la vertu supporte d’être cultivée dans un cercle restreint », j’y voyais comme vous quelque chose de problématique, qui n’allait pas de soi, mais c’est l’exemple d’amis qui ne seraient moraux qu’entre eux qui m’y a fait penser.
Votre argument du caractère contingent et précaire de la pseudo amitié, si on peut le résumer ainsi, est convaincant. Mais du coup, est ce que ça ne fait pas de l’amitié un idéal, toutes les amitiés concrètes étant, elles, redevables d’une situation et de caractères donnés – est-ce que le « parce que c’était lui, parce que c’était moi » de Montaigne que vous citez en exergue ne nous renvoie pas à cette contingence ? Cela n’empêcherait pas de penser que ces amitiés contingentes aient besoin d’un idéal, d’une représentation idéalisée d’elles-mêmes, pour se maintenir malgré les changements de circonstances.
Par association d’idées, puisque vous parlez de Kant, et en songeant à cette représentation à laquelle l’amitié aurait recours, je me demande si on ne peut pas voir dans l’amitié quelque chose qui serait de l’ordre du jugement réfléchissant chez Kant, non ? Dans l’amitié, l’idée d’humanité se réfléchirait (je pense notamment à une amitié entre individus que tout semble opposer). Ce qui l’opposerait à bon nombre de relations humaines, qui seraient de l’ordre du jugement déterminant. Par exemple : je respecte mon partenaire en affaires, je suis honnête avec lui, avant tout parce que j’ai besoin de sa confiance. Ce qu’il est, sa fonction, son concept si on peut dire, détermine l’essentiel de mon comportement vis à vis de lui. Cette distinction ne me semble pas très rigoureuse, mais je vous la soumets.
Bien à vous,
Bertrand
ps. je ne voudrais pas accaparer votre temps, il n’y a aucune urgence. Merci pour toute cette « matière à réflexion ».
N’ayez aucun scrupule, ce n’est pas tous les jours que j’ai la chance d’échanger avec un interlocuteur aussi pertinent que vous.
Cela dit, vos remarques me posent problème. Je ne vous suis pas dans l’usage que vous faîtes de la distinction kantienne entre le jugement déterminant et le jugement réfléchissant mais il se peut que je comprenne mal. L’expérience sensible est toujours singulière mais les concepts permettant de subsumer le particulier sous l’universel sont donnés par l’entendement dans le cas du jugement déterminant. Ce n’est pas le cas dans celui du jugement réfléchissant. Outre que c’est alors le singulier qui donne à penser l’universel, celui-ci est une Idée non un concept. Or l’humanité, la vertu, par exemple la vertu d’honnêteté, pour reprendre votre exemple, sont des Idées. La rencontre de chaque personne est une invitation à exercer notre jugement, un jugement qui, dès lors que la personne n’est pas réduite à sa dimension phénoménale, ne peut être un jugement déterminant car toute appréciation morale met en jeu ce que Kant appelle la dimension nouménale à laquelle renvoie l’Idée de liberté.
L’existence est contingente, les rencontres aussi. Toutes les relations concrètes, amitié comprise, mettent en rapport des personnes singulières avec leurs qualités et leurs défauts. Le réel n’est pas l’idéal mais celui-ci travaille davantage dans certains profils humains que dans d’autres. Et c’est ce qui d’ordinaire les rend aimables. Les autres, me semble-t-il, nous émeuvent à proportion de l’exigence d’humanité qu’on sent en soi et dont ils nous renvoient l’écho. Voilà pourquoi « les amis », bien que pouvant être très différents, sont unis par quelque chose de commun. En ce sens, on peut dire qu’on a les amis que l’on peut mais aussi l’ami que les hasards de la vie ont mis sur notre chemin.
Si je prends mon expérience, le plus difficile est de concilier l’amour de la vérité et la culture de l’amitié. Leurs exigences ne sont pas toujours compatibles de telle sorte que pour préserver les relations de ceux qui nous sont chers, il faut parfois ne pas être trop pointilleux sur l’exigence de vérité. J’ai la faiblesse de penser que les grandes âmes, dont je n’ai pas la prétention de faire partie, sont exemptes de ces limites.
Bonsoir,
J’ai beau vous relire, je ne vois pas le point de désaccord avec ce que j’avais en tête quand j’essayais de « bricoler » avec la notion de jugement réfléchissant, j’ai dû mal m’exprimer. Je voulais dire, comme vous semblez l’envisager, que l’idée d’humanité se réfléchit, se donne à voir à l’occasion d’une amitié singulière. Je voyais une différence entre ce type de relation et une relation d’affaires par exemple.
Concernant l’autre point, c’est très intéressant : quelle est la place de la vérité en amitié ? Peut-on à la fois concevoir l’amitié sur le modèle de l’excellence morale et accepter de passer quelques vérités sous silence pour préserver l’amitié ? N’y a-t-il pas une contradiction, qui expliquerait l’échec fréquent en amitié ? Ou bien est ce que ça ne nous engage pas plutôt à considérer que la vérité, dans les relations humaines, n’est pas spontanément, de manière brute, une vertu ; pour s’inscrire dans une relation éthique comme l’amitié, il faudrait que la vérité devienne vertueuse. Mais n’est-ce pas absurde, une contradiction dans les termes qu’une vérité vertueuse ? On pense au politiquement correct. Mais ce pourrait être autre chose. Rendre la vérité vertueuse, cela pourrait vouloir dire : s’efforcer que toute vérité présentée à l’autre le soit de telle façon qu’elle puisse augmenter sa puissance. L’ironie, l’humour sont des aides précieuses. Mais ce n’est pas encore clair dans mon esprit.
Bien à vous,
Bertrand
Pour le premier point, preuve est faite que je vous avais mal compris.
Pour le second, vous avez raison d’en souligner la difficulté.
L’amour de la vérité est une dimension de l’excellence morale, à mes yeux. Mais Nietzsche a bien vu que la plus haute probité n’est pas la chose du monde la mieux partagée. Il a même prévenu que l’instinct de la connaissance peut se retourner contre la vie. Sans aller jusque là, reconnaissons qu’il faut être bien philosophe pour placer le respect de la vérité au-dessus de tout, or les vrais philosophes ne courent pas les rues. La fibre philosophique est au contraire ce qui souvent marginalise et même une cité philosophique ne serait pas une cité amicale. Les points aveugles de chacun, le dogmatisme de quelques-uns, les affects passionnels de tous auraient tôt fait de la transformer en enfer.
La seule vertu de la vérité est de se respecter elle-même en se cherchant modestement et fermement. Cependant sous sa forme brute et nue, elle peut être douloureuse pour la part sensible de l’humaine condition. Elle est alors vécue comme une violence. Voilà pourquoi votre suggestion finale est pleine de sagesse. La subversion de la raison par la sensibilité étant une réalité avec laquelle il faut compter, il convient de mettre en oeuvre d’autres vertus: la délicatesse, le tact et parfois le silence.
Bien à vous.
Cela me semble juste. Merci.
Bien à vous,
B
Bonjour,
Je dois bien en parler, qui parle d’amitié en vient également à discuter d’inimitié. ‘’Si l’on veut un ami, il faut aussi vouloir pour lui mener la guerre, et pour mener la guerre, d’être ennemi il faut être capable.’’ Il faudra de votre définition retrancher la nébuleuse éthique qui semble s’y rattacher, car n’est ami que celui qui parvient à être ennemi. Celui-là, qui dévalorisant l’un pour l’autre, pourra seul prétendre à l’amitié, et dans ce processus de hiérarchisation, fauchera l’ortie pour porter aux nues le laurier. Et donc s’il ne reste alors que l’amitié plaisante et l’amitié utile, l’ami n’est en définitive que l’instrument de la Volonté de puissance. Il n’y a alors rien de noble à vouloir combler les besoins primaires de son Soi.
Cordialement,
S.
Référence : Ainsi parlait Zarathoustra
Bonjour
Je crains bien qu’à défaut d’un véritable commentaire du texte de Nietzsche, vos propos ne soient guère féconds pour ceux qui les liront. Mais je n’ai pas le temps de l’élaborer.
Bien à vous
Bonjour Madame,
Je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre blog, qui est une véritable mine d’or. Je suis en khâgne et vos articles me permettent souvent de mieux comprendre ou d’approfondir des points seulement évoqués dans les cours.
Il y a quelque chose que je peine à comprendre à propos de la conception de l’amitié chez Aristote, et plus particulièrement son rapport à la politique. En effet, j’ai cru comprendre, en vertu des distinctions entre amitié utile / vertueuse, que l’amitié selon l’utile était au fondement de la communauté politique, puisque les individus ne peuvent vivre seuls. Or, l’amitié selon l’utile est-elle destinée à être supplantée par l’amitié vertueuse dans une communauté politique, permettant de comprendre la « fraternité » unissant les individu ? Ou doit-on en rester à une amitié utile dans une communauté politique ?
En vous remerciant par avance,
Diane.
Bonjour
Dans la mesure où la communauté politique intègre d’autres types de communauté, (la famille, le village dont la finalité est la satisfaction d’intérêts domestiques, économiques), la notion aristotélicienne de philia couvre l’ensemble des relations humaines dans la spécificité qui les caractérise. Mais la communauté spécifiquement politique est une communauté d’égaux dont la finalité est la vie bonne. En ce sens les citoyens ( en sont exclus les paysans, les artisans, les commerçants, les hommes de peine, les esclaves, les femmes, les enfants) sont unis par une amitié vertueuse, condition de l’accomplissement du bien commun, celui-ci impliquant sens de la justice, respect de la liberté et de l’égalité de tous, réciprocité. Néanmoins dans toutes les formes de relation humaine, la vertu est requise pour que chacun coexiste avec les autres conformément à l’ordre naturel des choses.
Bien à vous.
Gustave Thibon a raison jusqu’à un certain point car quand vos amis sont heureux et que vous l’acceptez sans envie, eux se fichent bien de savoir que vous ne l’êtes pas…
Votre cours me permet de comprendre que mes amitiés étaient surtout utiles et plaisantes.
Merci donc.