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Magritte. 1898.1967. Les amants. 1928.

 

     «  Tous les hommes recherchent d'être heureux; cela est sans exception: quelques différents moyens qu'ils y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre, et que les autres n'y vont pas est ce même désir, qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui vont se pendre.

      Et cependant, depuis un si grand nombre d'années, jamais personne sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent [...] de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions.
      [...] Qu'est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance sinon qu'il y a eu autrefois dans l'homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu'il essaye inutilement de remplir de tout ce qui l'environne, recherchant des choses absentes le secours qu'il n'obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c'est-à-dire que par Dieu même?
     Lui seul est son véritable bien; et depuis qu'il l'a quitté c'est une chose étrange, qu'il n'y a rien dans la nature qui n'ait été capable de lui en tenir la place : astres, ciel, terre, éléments, plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpents, fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère, inceste. Et depuis qu'il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paraître tel, jusqu'à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble. »
                                           Blaise Pascal. Pensées, B 425.
 
 
 « Voilà tout ce que les hommes ont pu inventer pour se rendre heureux.
     Et ceux qui font sur cela les philosophes, et qui croient que le monde est bien peu raisonnable de passer tout le jour à courir après un lièvre qu'ils ne voudraient pas avoir acheté, ne connaissent guère notre nature. Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue de la mort et des misères, mais la chasse - qui nous en détourne - nous en garantit. [...]
    Et ainsi, quand on leur reproche que ce qu'ils recherchent avec tant d'ardeur ne saurait les satisfaire, s'ils répondaient, comme ils devraient le faire s'ils y pensaient bien, qu'ils ne recherchent en cela qu'une occupation violente et impétueuse qui les détourne de penser à soi, et que c'est pour cela qu'ils se proposent un objet attirant qui les charme et les attire avec ardeur, ils laisseraient leurs adversaires sans repartie. Mais ils ne répondent pas cela, parce qu'ils ne se connaissent pas eux-mêmes. Ils ne savent pas que ce n'est que la chasse, et non pas la prise, qu'ils recherchent. [...]
    Ils s'imaginent que, s'ils avaient obtenu cette charge, ils se reposeraient ensuite avec plaisir, et ne sentent pas la nature insatiable de leur cupidité. Ils croient chercher sincèrement le repos, et ne cherchent en effet que l'agitation.
    Ils ont un instinct secret qui les porte à chercher le divertissement et l'occupation au dehors, qui vient du ressentiment de leurs misères continuelles; et ils ont un autre instinct secret, qui reste de la grandeur de notre première nature, qui leur fait connaître que le bonheur n'est en effet que dans le repos, et non pas dans le tumulte; et de ces deux instincts contraires, il se forme en eux un projet confus, qui se cache à leur vue dans le fond de leur âme, qui les porte à tendre au repos par l'agitation, et à se figurer toujours que la satisfaction qu'ils n'ont point leur arrivera, si, en surmontant quelques difficultés qu'ils envisagent, ils peuvent s'ouvrir par la porte au repos.
    Ainsi s'écoule toute la vie. On cherche le repos en combattant quelques obstacles; et si on les a surmontés, le repos devient insupportable; car, ou l'on pense aux misères qu'on a, ou à celles qui nous menacent. Et quand on se verrait même assez à l'abri de toutes parts, l'ennui, de son autorité privée, ne laisserait pas de sortir au fond du coeur, où il a des racines naturelles, et de remplir l'esprit de son venin. »
                                 Blaise Pascal. Pensées, B 139.   Cf Cours.
 
 « Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels les autres vains, et que parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même Et en effet une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l'ataraxie de l'âme, puisque c'est là la perfection même de la vie heureuse. Car nous faisons tout afin d'éviter la douleur physique et le trouble de l'âme. Lorsqu'une fois nous y avons réussi, toute l'agitation de l'âme tombe, l'être vivant n'ayant plus à s'acheminer vers quelque chose qui lui manque, ni à chercher autre chose pour parfaire le bien-être de l'âme et celui du corps. Nous n'avons en effet besoin du plaisir que quand, par suite de son absence, nous éprouvons de la douleur et quand nous n'éprouvons pas de douleur nous n'avons plus besoin du plaisir. C'est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse - En effet, d'une part, le plaisir est reconnu par nous comme le bien primitif et conforme à notre nature et c'est de lui que nous partons pour déterminer ce qu il faut choisir et ce qu il faut éviter ; d autre part, c'est toujours à lui que nous aboutissons, puisque ce sont nos affections qui nous servent de règle pour mesurer et apprécier tout bien quelconque si complexe qu'il soit. Mais, précisément parce que le plaisir est le bien primitif conforme à notre nature, nous ne recherchons pas tout plaisir, et il y a des cas où nous passons par-dessus beaucoup de plaisirs, savoir lorsqu'ils doivent avoir pour suite des peines qui les surpassent et, d autre part, il y a des douleurs que nous estimons valoir mieux que des plaisirs savoir lorsque après avoir longtemps supporté les douleurs, il doit résulter de là pour nous un plaisir qui les surpasse. Tout plaisir, pris en lui-même et dans sa nature propre est donc un bien, et cependant tout plaisir n'est pas à rechercher pareillement, toute douleur est un mal, et pourtant toute douleur ne doit pas être évitée. En tout cas, chaque plaisir et chaque douleur doivent être appréciés par une comparaison des avantages et des inconvénients à attendre, Car le plaisir est toujours le bien, et la douleur le mal ; seulement il y a des cas où nous traitons le bien comme un mal et le mal a son tour comme un bien. C'est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu'il faille toujours vivre de peu, mais afin que si 1'abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadés que ceux-là jouissent le plus vivement de l'opulence qui ont le moins besoin d'elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, tandis que ce qui ne répond pas à un désir naturel est malaisé à se procurer. En effet, des mets simples donnent un plaisir égal à celui d'un régime somptueux si toute la douleur causée par le besoin est supprimée, et, d'autre part, du pain d'orge et de l'eau procurent le plus vif plaisir à celui qui les porte à sa bouche après en avoir senti la privation. L'habitude d'une nourriture simple et non pas celle d'une nourriture luxueuse, convient donc pour donner la pleine santé, pour laisser à l'homme toute liberté de se consacrer aux devoirs nécessaires de la vie, pour nous disposer à mieux goûter les repas luxueux, lorsque nous les faisons après des intervalles de vie frugale, enfin pour nous mettre en état de ne pas craindre la mauvaise fortune. Quand donc nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs des voluptueux inquiets, ni de ceux qui consistent dans les jouissances déréglées ainsi que 1'écrivent des gens qui ignorent notre doctrine, ou qui la combattent et la prennent dans un mauvais sens. Le plaisir dont nous parlons est celui qui consiste, pour le corps, à ne pas souffrir et, pour l'âme, à être sans trouble Car ce n'est pas une suite ininterrompue de jours passés a boire et à manger, ce n'est pas la jouissance des jeunes garçons et des femmes, ce n'est pas la saveur des poissons et des autres mets que porte une table somptueuse, ce n'est pas tout cela qui engendre la vie heureuse, mais c'est le raisonnement vigilant, capable de trouver en toute circonstance les motifs de ce qu'il faut choisir et de ce qu'il faut éviter, et de rejeter les vaines opinions d'où provient le plus grand trouble des âmes. Or, le principe de tout cela et par conséquent le plus grand des biens, c'est la prudence. Il faut donc la mettre au-dessus de la philosophie même, puisqu'elle est faite pour être la source de toutes les vertus, en nous enseignant qu il n'y a pas moyen de vivre agréablement si 1'on ne vit pas avec prudence, honnêteté et justice, et qu'il est impossible de vivre avec prudence, honnêteté et justice si l'on ne vit pas agréablement Les vertus en effet, ne sont que des suites naturelles et nécessaires de la vie agréable et, à son tour, la vie agréable ne saurait se réaliser en elle-même et à part des vertus. »
                                             Epicure, Lettre à Ménécée.
 
 
 
 
    «  Il faut être indifférent aux choses extérieures et attentif à leur usage.
     Quoi ! Faut-il user d'elles avec négligence ? Pas du tout ; à l'inverse, la négligence est un mal pour la volonté et ainsi elle est contraire à la nature. Il y faut à la fois de l'attention, parce que l'usage n'en est pas indifférent et du calme et de l'équilibre, parce que, en elles-mêmes elles sont indifférentes. Quand il s'agit d'une chose qui n'est pas indifférente, nul ne peut me faire obstacle ni me contraindre ; dès que je trouve obstacle ou contrainte, c'est qu'il s'agit d'une chose où la réussite, ne dépendant pas de moi, n'est ni un bien ni un mal, mais où l'usage que j'en fais, bon ou mauvais, dépend de moi. Il est difficile d'unir et de joindre à l'attention de l'homme qui s'attache aux choses le calme de celui qui y reste indifférent ; mais ce n'est pas impossible ; si l'on n'y arrive pas, on ne peut atteindre le bonheur. Faisons comme dans un voyage en mer: que puis-je? choisir le pilote, les matelots, le jour, l'occasion propice. Puis la tempête survient: pourquoi m'en soucier encore ? En ce qui me concerne, tout a été fait; c'est maintenant l'affaire d'un autre, du pilote. Mais le bateau est englouti ! Qui puis-je ? Ce que je peux, je le fais : disparaître sans peur, sans cri ni reproche contre Dieu* en sachant bien qu'un être qui est né doit périr. Je ne suis pas l'Eternel, je suis un homme, une partie de l'univers comme l'heure est une partie du jour ; il me faut être présent comme l'heure et passer comme elle ».
                                                           Epictète, Entretiens, II, 5.
 
* Dans le stoïcisme comme dans le spinozisme Dieu est synonyme de Nature, Nécessité, Ordre des choses. Dans le stoïcisme la Nécessité se dit aussi Destin. Cf. texte de Spinoza : Ni rire, ni pleurer mais comprendre..
 
 
 
« Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune et à changer mes désirs que l'ordre du monde ; et généralement, de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir, que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux, touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est, au regard de nous, absolument impossible. Et ceci seul me semblait suffisant pour m'empêcher de rien désirer à l'avenir que je n'acquisse, et ainsi pour me rendre content. Car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que, si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n'aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou du Mexique ; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d'être sains, étant malades, ou d'être libres, étant en prison, que nous faisons maintenant d'avoir des corps d'une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux. Mais j'avoue qu'il est besoin d'un long exercice, et d'une méditation réitérée, pour s'accoutumer à regarder de ce biais toutes les choses ; et je crois que c'est principalement en ceci que consistait le secret des ces philosophes, qui ont pu autrefois se soustraire de l'empire de la fortune et, malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux. Car, s'occupant sans cesse à considérer les bornes qui leur étaient prescrites par la nature, ils se persuadaient si parfaitement que rien n'était en leur pouvoir que leurs pensées que cela seul était suffisant pour les empêcher d'avoir aucune affection pour d'autres choses ; et ils disposaient d'elles si absolument, qu'ils avaient en cela quelque raison de s'estimer plus riches, et plus puissants, et plus libres, et plus heureux, qu'aucun des autres hommes qui, n'ayant point cette philosophie, tant favorisés de la nature et de la fortune qu'ils puissent être, ne disposent jamais ainsi de tout ce qu'ils veulent ».
 
                                   Descartes : Discours de la méthode. Troisième partie. (1637).
 
 
 
 «  Il me semble que l'erreur que l'on commet le plus ordinairement touchant les désirs est qu'on ne distingue pas assez les choses qui dépendent entièrement de nous de celles qui n'en dépendent point : car pour celles qui ne dépendent que de nous, c'est-à-dire de notre libre arbitre, il suffit de savoir qu'elles sont bonnes pour ne les pouvoir désirer avec trop d'ardeur, à cause que c'est suivre la vertu que de faire les bonnes choses qui dépendent de nous, et il est certain qu'on ne saurait avoir un désir trop ardent pour la vertu. Outre que ce que nous désirons en cette façon ne pouvant manquer de nous réussir, puisque c'est de nous seuls qu'il dépend, nous en recevons toujours toute la satisfaction que nous en avons attendue. Mais la faute qu'on a coutume de commettre en ceci n'est jamais qu'on désire trop, c'est seulement qu'on désire trop peu ; et le souverain remède contre cela est de se délivrer l'esprit autant qu'il se peut de toutes sortes d'autres désirs moins utiles, puis de tâcher de connaître bien clairement et de considérer avec attention la bonté de ce qui est à désirer »
                                          Descartes, Les passions de l'âme, Art.144.
 
 
   « Un sentiment qui est une passion cesse d'être une passion, sitôt que nous en formons une idée claire et distincte.
     Un sentiment qui est une passion est une idée confuse [...]. Si donc nous formons de ce sentiment une idée claire et distincte, cette idée ne se distinguera du sentiment lui-même en tant qu'il est rapporté à l'esprit seul - que par une raison [...] et par conséquent [...] le sentiment cessera d'être une passion.
    Un sentiment est donc d'autant plus en notre pouvoir, et l'esprit est par lui d'autant moins passif, qu'il nous est mieux connu.
    Il n'est aucune affection du corps dont nous ne puissions former quelque concept clair et distinct.
    [...]Chacun a le pouvoir de se comprendre, soi-même et ses sentiments, clairement et distinctement, sinon absolument, du moins en partie, et par conséquent de faire qu'il soit moins passif dans ses sentiments. C'est donc à cela surtout que nous devons apporter nos soins, à connaître chaque sentiment, autant qu'il est possible, clairement et distinctement, afin qu'ainsi l'esprit soit déterminé par le sentiment à penser ce qu'il perçoit clairement et distinctement et en quoi il trouve pleine satisfaction; et par conséquent, afin que le sentiment même soit séparé de la pensée d'une cause extérieure et associé à des pensées vraies. Alors non seulement l'amour, la haine, etc., seront détruits, mais aussi l'appétit ou les désirs, qui naissent d'ordinaire d'un tel sentiment, ne pourront plus être excessifs [...]. Il faut, en effet, remarquer, avant tout, qu'il n'y a qu'un seul et même appétit qui fait que l'on dit l'homme actif aussi bien que passif. Par exemple, nous avons montré que la nature humaine est disposée de telle sorte que chacun désire que les autres vivent selon son naturel propre [...]. Or cet appétit, chez un homme qui n'est pas conduit par la Raison, est une passion, qu'on appelle l'ambition et qui ne diffère pas beaucoup de l'orgueil. Au contraire, chez un homme qui vit selon le commandement de la Raison, c'est une action ou une vertu, qu'on appelle moralité [...]. Et ainsi tous les appétits ou désirs sont des passions dans la seule mesure où ils naissent d'idées inadéquates, et ils sont assimilés à la vertu quand ils sont provoqués ou engendrés par des idées adéquates [...]. En dehors de ce remède aux sentiments, qui consiste dans leur connaissance vraie, on n'en peut concevoir aucun autre qui soit supérieur et dépende de notre pouvoir. ».
                                  Spinoza, Éthique, V, Prop. III, Scolie Prop. IV.
 
 
 
« Proposition XXXV
   Dans la seule mesure où les hommes vivent sous la conduite de la Raison, ils s'accordent toujours nécessairement par nature.
Démonstration
   En tant que les hommes sont dominés par des sentiments qui sont des passions, ils peuvent être différents par nature et opposés les uns aux autres. Au contraire, on dit que les hommes agissent dans la seule mesure où ils vivent sous la conduite de la Raison ; et par conséquent tout ce qui suit de la nature humaine, en tant qu'elle est définie par la Raison, doit être compris par la seule nature humaine, comme par sa cause prochaine. Mais puisque chacun, d'après les lois de sa nature, désire ce qu'il juge être bon, et s'efforce d'écarter ce qu'il juge être mauvais, puisque en outre, ce que nous jugeons bon ou mauvais d'après le commandement de la Raison, est nécessairement bon ou mauvais, les hommes, dans la seule mesure où ils vivent sous la conduite de la Raison, font nécessairement ce qui est nécessairement bon pour la nature humaine et par conséquent pour chaque homme, c'est-à-dire qui s'accorde avec la nature de chaque homme. Et donc les hommes s'accordent nécessairement entre eux, en tant qu'ils vivent sous la conduite de la Raison.
Corollaire I
   Dans la nature, il n'y a rien de singulier qui soit plus utile à l'homme qu'un homme qui vit sous la conduite de la Raison. Car ce qui est le plus utile à l'homme, c'est ce qui s'accorde le mieux avec sa nature, c'est-à-dire l'homme. Or l'homme agit, absolument parlant, selon les lois de sa nature, quand il vit sous la conduite de la raison et dans cette seule mesure il s'accorde toujours nécessairement avec la nature d'un autre homme. Donc parmi les choses singulières, rien n'est plus utile à l'homme qu'un homme, etc.
Corollaire II
   C'est lorsque chaque homme cherche avant tout l'utile propre qui est le sien que les hommes sont le plus utiles les uns aux autres. Car plus chacun cherche l'utile qui est le sien et s'efforce de se conserver, plus il est doué de vertu, ou ce qui revient au même, plus grande est la puissance dont il est doué pour agir selon les lois de sa nature, c'est-à-dire pour vivre sous la conduite de la Raison. Or c'est lorsque les hommes vivent sous la conduite de la Raison qu'ils s'accordent le mieux par nature. Donc les hommes sont les plus utiles les uns aux autres, lorsque chacun cherche avant tout l'utile qui est le sien.
Scolie
   Ce que nous venons de montrer, l'expérience même l'atteste chaque jour par de si clairs témoignages, que presque tout le monde dit que l'homme est un Dieu* pour l'homme. Pourtant il est rare que les hommes vivent sous la conduite de la raison ; mais c'est ainsi ; la plupart se jalousent et sont insupportables les uns aux autres. Néanmoins ils ne peuvent guère mener une vie solitaire, de sorte que la plupart se plaisent à la définition que l'homme est un animal politique ; et de fait, les choses sont telles que, de la société commune des hommes, on peut tirer beaucoup plus d'avantages que d'inconvénients. [...] »
                                                       Spinoza, Ethique, IV.
 
* Cf.  Le commentaire du proverbe grec auquel Spinoza fait ici référence : l'homme est un Dieu pour l'homme.

 

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Une Réponse à “Textes à méditer en vue de la dissertation:Un être désirant peut-il se dispenser de se préoccuper de sagesse?”

  1. Florian dit :

    Merci beaucoup pour ces textes magnifiques !

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