Merci pour ce court et hautement symbolique message de nouvel an.
la présentation des vœux, au-delà, d’un rite annuel, engage le plaisir de transmettre
dans la joie des souhaits de sérénité et de prospérité dont l’intensité participe du variable selon à qui ils s’adressent.
Je formule mes vœux de plein succès pour 2018 pour votre blog d’excellente qualité et vous transmets mes souhaits de réussite pour tous vos projets en cette même année.
En vous remerciant, en ma qualité de lecteur, pour ce plaisir constant de lecture et d’analyse.
Bien à vous.
Michel poulet.
Merci, cher Monsieur, pour vos encouragements. Vous avez certainement remarqué que je ne fournis plus mon blog. Je vous avoue que les attentats, le fait que plus de 40 pour cent de Français votent aux extrêmes, que de nombreux intellectuels réhabilitent les passions, la violence et s’acharnent à disqualifier les présupposés de l’humanisme rationaliste m’ont amenée à douter du sens de mon enseignement.
J’ai l’impression que nous vivons une régression historique d’une telle ampleur que je suis totalement découragée sur le plan pédagogique.
Bien à vous.
pour les âmes tristes votre blog est un enchantement et une promesse.
Le message porté derrière votre travail est une invitation au courage d’exister.
Je ne peux comprendre à sa hauteur votre doute, mais sachez que c’est un bonheur de vous lire.
Permettez moi de vous dédier ses mots en guise d’hommage pour cette nouvelle année;
« Tel est l’effet que sa vie produit qu’on a meilleure opinion de soi-même, parce qu’on a meilleur opinion des hommes ».
Bonjour Monsieur
Merci pour ce sympathique message.
Il me faut simplement corriger un malentendu. Je ne crois pas qu’il faille parler de tristesse. Seulement de lucidité pédagogique. La culture de masse aujourd’hui (et je peux m’en faire une idée précise par les nombreux messages que je reçois sans les approuver) montre combien le progrès des Lumières est chose difficile et sans doute utopique pour ce qui est du plus grand nombre. Il y faudrait une ascèse des passions, une libération de notre dimension raisonnable or vous savez bien que le procès de la Raison est un lieu commun des discours contemporains.
Cela n’empêche pas de rester à titre privé ce que l’on est mais cela engage une réserve de la parole publique et le soupçon que la culture de l’âme, la recherche de la sagesse gardent une dimension aristocratique (au sens spirituel) difficilement démocratisable.
Bien à vous.
Bonjour Madame,
Vous évoquez, dans votre commentaire, l’ampleur d’une régression historique, qui de par cette réalité vous décourage sur le plan pédagogique. Nous vivons, en effet, dans une société et un monde où, comme vous le citez » de nombreux intellectuels réhabilitent les passions, la violence et s’acharnent à disqualifier les présupposés de l’humanisme rationaliste ».
Cette dimension de faux intellectualisme et de fausse morale qui semblent mener le monde ne doit pas nous (vous) décourager. C’est ce principe de liberté, si bien décrit dans votre « 10 leçons sur la liberté » qui nous encourage à faire face à cela. C’est grâce au travail constant de penseur et passeur d’idées comme vous le faites qu’il est possible, au quotidien, d’exister intellectuellement dans cette réalité ; de la faire comprendre à nos enfants et petits enfants pour une meilleure appréhension de celle-ci.
Votre blog d’une grande richesse est l’illustration de cette volonté de faire face.
Bien à vous.
Michel Poulet.
Bien sûr que la recherche de la sagesse a eu de tout temps, et garde encore de nos jours, une dimension aristocratique.
Mais cette aristocratie est ouverte à tous ceux qui souhaitent s’en donner la peine, et les initiatives comme ce blog ont précisément pour effet de les aider à faire partie des ἄριστοι, les meilleurs, au sens le plus humainement élevé du terme, donc spirituel comme vous dites.
Que cette possibilité ne soit pas plébiscitée relève probablement de la nuance entre liber arbitrium et libertas…
« Quant au rêve d’être un solitaire, je l’ai refait toutes les fois que j’ai cru sentir que la vie était foncièrement mauvaise : c’est dire que je l’ai fait chaque jour » (Anatole France, le livre de Pierre)
Puisse l’an neuf vous apporter l’enthousiasme de poursuivre envers et contre tout découragement légitime cette oeuvre magnifique.
Réponse à Michel et Hippias.
Je sais bien que « rien ne sert d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » et que l’optimisme de la volonté est une vertu. Utile contrepoint à l’esprit du temps que les médias exhibent inlassablement devant nos yeux ahuris. Ici, c’est le révisionnisme en matière d’œuvre d’art (Carmen) ou de récit historique, la violence idéologique des débats intellectuels, la célébration de héros nationaux d’opérette, la servitude volontaire de toutes celles et de tous ceux qui renouent avec les superstitions d’un autre âge, l’empire de la post-vérité, ailleurs c’est la remise au goût du jour de l’esclavage, l’aspiration des peuples à des gouvernements musclés, etc. On pourrait continuer la liste. Il y a vraiment de quoi se dire que l’espérance des Lumières subit aujourd’hui un désaveu douloureux.
Ce qui n’est pas une raison pour y renoncer mais avouez qu’il y a de quoi être « douché ».
Merci pour vos encouragements.
Bien à vous.
Je ne comprends pas votre attitude, peut-être parce-que je suis moins idéaliste que vous;
mais aussi, parce-que le passage des « grands-frères » aux religieux dans les quartiers date du début des années 2000. je sortais du lycée,
c’est quelque chose qui m’avait beaucoup interrogé à l’époque; justement parce-que les « grands-frères », j’en connaissais les « codes » (collégien en ZEP)
je m’en suis détourné pour reprendre le questionnement bien plus tard.
et je ne me souviens pas avoir entendu durant cette période, de la part des gens éduqués, autre chose que des niaiseries.
A contrario, d’autres intellectuels ont pû écrire des choses pertinentes, dès les années 70 sur la société qui se dessinait;
alors qu’il semblait encore possible de croire en un progrès continu; ou tout du moins de colporter une certaine interprétation de la « fin de l’histoire ».
Il ne faut pas prendre les choses trop à coeur:
Les universitaires férus de « studies » en tous genres, n’ont pas le rapport qu’avait pû avoir le parti communiste avec la réalité de la « plèbe »;
il est plus ou moins logique qu’ils soient, vraiment; à côté de la plaque.
Leur « pouvoir suggestif » est réel par contre.
Une très bonne année à vous;
Il y a des gens qui vous lisent sans forcément commenter.
Je m’associe à tous les autres pour protester contre votre découragement bien compréhensible. Je me permets de vous rappeler ce passage de l’analytique du sublime (Critique du jugement, Kant) que je n’aurais jamais lu sans l’exemple d’érudition que vous et d’autres représentez :
« Des rochers audacieux suspendus dans l’air et comme menaçants, des nuages orageux se rassemblant au ciel au milieu des éclairs et du tonnerre, des volcans déchaînant toute leur puissance de destruction, des ouragans semant après eux la dévastation, l’immense océan soulevé par la tempête, la cataracte d’un grand fleuve, etc. ; ce sont là des choses qui réduisent à une insignifiante petitesse notre pouvoir de résistance, comparé avec de telles puissances. Mais l’aspect en est d’autant plus attrayant qu’il est plus terrible, pourvu que nous soyons en sûreté ; et nous nommons volontiers ces choses sublimes, parce qu’elles élèvent les forces de l’âme au-dessus de leur médiocrité ordinaire, et qu’elles nous font découvrir en nous-mêmes un pouvoir de résistance d’une tout autre espèce, qui nous donne le courage de nous mesurer avec la toute-puissance apparente de la nature. »
Il me semble que tous les événements que vous citez réduisent aussi à « une insignifiante petitesse [notre] pouvoir de résistance ». Puissiez-vous vous découvrir « un pouvoir de résistance d’une tout autre espèce »,
qui vous « donne le courage de vous mesurer avec la toute-puissance apparente » (j’insiste sur ce dernier mot) des ennemis de la raison.
Chère madame Manon,
C’est toujours un plaisir de pouvoir (re-)lire vos cours qui sont des chefs d’œuvre de maitrise et de lucidité. J’espère que vous continuerez à nourrir votre blog.
Un ancien élève devenu enseignant de philosophie.
Madame Manon,
ne vous découragez pas surtout, votre site est une merveille !
Pour vous changer les idées, accepteriez-vous cet été de donner une conférence sur l’art, dans une galerie privée ? Tout serait pris en charge, et ce serait un honneur pour mon épouse et moi-même de vous accueillir dans une petite ville de la Drôme.
Bien cordialement,
Marc
Bonjour Monsieur
Merci pour cet aimable message. Je serai heureuse de recevoir une invitation pour découvrir cette galerie mais en tant qu’auditrice. Il me semble que seul l’enthousiasme mérite d’être transmis, or le mien est en ce moment refroidi…
Avec toute ma sympathie.
Bonjour,
j’aimerais vous transmettre une vision optimiste des « extrêmes ». Connaissant un grand nombre de personnes votant pour le Front National à toutes les élections, je me permets de témoigner que leurs motivations sont très variées et jamais caricaturales. Il s’agit souvent, mais pas toujours, de personnes issues de milieux ouvriers ou agricoles, très attachées à l’héritage d’un mode de vie (la famille, le village, la campagne préservée, la chasse, la pêche, etc.), et qui pensent que leur vote est le meilleur moyen d’échapper à l’acculturation que les médias leur propose. Ils savent la plupart de temps être farouchement contre l’immigration de masse sans cultiver d’animosité envers les immigrés, et comptent souvent plusieurs amis parmi ces derniers contrairement à ce qu’on pourrait croire. Leur vote n’est le résultat ni d’une peur ni d’une colère, mais plutôt d’une certaine idée tranquille de résistance. C’est en les connaissant mieux qu’on comprend que, derrière leurs manières farouches et parfois verbalement brutales, ils n’ont finalement rien « d’extrême », constatation qui est plutôt rassurante. Cordialement.
Bonjour Madame ,
Je tenais a vous remercier et a vous faire part de tout l’interet que je porte pour vos cours , je n’ai hélas pas l’ambition d’un académicien mais la philosophie a toujours été pour moi une grande source d’inspiration. Je note vos cours sur papier, je les apprends , et j’effectue des dissertations que j’essaye de corriger avec auto-critique et objectivité. Cependant étant encore néophyte en la matière j’ai essayé de lire certaines oeuvres qui etaient referencées dans les bibliographies a chaque débuts de chapitres, mais je me suis retrouvé dans l’embarras lorsque j’ai constaté la difficulté que j’ai a étudier certains textes. Je souhaiterais savoir si vous pouviez peut-etre m’orienter sur les lectures avec lesquelles commencer afin de pas etre découragé.
Merci encore.
Bonjour
Je ne peux pas vous répondre de manière générale. Je ne pourrai le faire que sur des thèmes précis. Lorsque vous en abordez un interrogez moi. Il faut toujours commencer par des ouvrages élémentaires mais même ceux-ci ne sont pas d’accès aisé. Voilà pourquoi les collections pédagogiques sont précieuses. Elles vous donnent les clés pour comprendre correctement, elles anticipent les erreurs de compréhension et vous prémunissent contre elles.
Vos difficultés sont éprouvées par tous les débutants et même par ceux qui ne le sont plus. Cela tient à la nature de la discipline. Il ne faut donc pas vous décourager. Seule la familiarité avec le langage philosophique et les problématiques permet de les surmonter.
Bien à vous.
Madame,
Ne doutez pas de l’utilité de votre site.
Il est le meilleur antidote au lavage de cerveaux auquel nous sommes exposés.
Je partage votre crainte quand aux extrêmes y compris celui du centre.
Bien à vous.
A propos de découragement. Peut-on dire que le monde est bien plus morcelé aujourd’hui ? A tel point que de communautés en archipel et en « tribus », chaque groupe vit son identité et ses valeurs propres dans une sorte de juxtaposition déconcertante pour un observateur « extérieur ». Certains groupes (de plus en plus en proportion) ne se soucient pas des jugements des autres groupes ; et il n’y a pas de reconnaissance ou de volonté de constitution d’une autorité commune transcendant les singularités. S’il peut y avoir des autorités intra-groupes, il n’y a plus ni reconnaissance, ni désir, ni respect pour une autorité qui trouverait son fondement dans un principe supérieur et plus abstrait que les particularités du groupe (par exemple « les présupposés de l’humanisme rationaliste »). Je pense notamment aux conséquences de cet état de fait (supposé) sur les notables, les élus, les professeurs, les médecins, les scientifiques, les directeurs de conscience, les philosophes, etc.
S’il existe un tel phénomène existe, d’où peut-il venir? Du le système économico-politique néolibéral qui permet et encourage que la société civile se réduise à un agrégat de communautés et d’isolés? Du fait que le creusement des inégalités sociales/culturelles/économiques (quel qu’en soient les raisons et mécanismes) ait permis une baisse de niveau à l’école et une contre-culture de quartier para-intellectuelle, voire anti-intellectuelle? Du fait que les élites n’aient pas tenu leur rôle, ni valorisé, ni défendu les efforts et le mérite qu’elles avançaient pourtant comme une justification de la hiérarchie sociale et comme vecteur de progrès. Elles ont préféré une maximisation des prétendus indicateurs financiers et autres théories du ruissellement. En un mot ces élites auraient trahi et fait montre d’hypocrisie (je pense en particulier à ces intellectuels qui ont participé à des gouvernements et validés des mesures qui n’auraient pas résisté à une analyse de type systémique/cybernétique quant à leurs effets néfastes probables)?
Quoiqu’il en soit, et sans préjuger de l’accueil réservé à ces hypothèses (certaines étant par nature douteuses et suspectes de démagogie ou de fascisme : trahison des élites, inégalités culturelles, voire immigration anarchique, méfaits du capitalisme…) il semble qu’il n’y ait plus de sens à promouvoir l’humanisme rationaliste. L’échec est patent : effondrement des écosystèmes, valorisation des violences, non plus crise mais explosion de l’autorité. Ne sommes nous pas fini, et peut-être depuis quelques temps déjà? Ne reste, à mon avis plus que l’Islam radical et le transhumanisme comme forces encore actives et désirées. Permettront-elles de surmonter la crise ?
Bonjour
Il me semble qu’il convient de rester prudent dans l’analyse que l’on fait de notre monde. Par exemple la revendication des singularités, la crise de l’autorité sont des phénomènes circonscrits à certaines sociétés, les sociétés libérales (occidentales) pouvant s’honorer d’une tolérance dont d’autres sont totalement dépourvues. Or la tolérance n’est-elle pas à bien des égards une vertu? Les principes libéraux de l’organisation politique ne doivent-ils pas être défendus contre tous ceux qui les mettent en péril. Autrement dit, s’il faut lutter contre leurs effets pervers, ne faut-il pas veiller à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain? Vous comprendrez que les solutions que vous proposez pour résoudre nos problèmes sont proprement aberrantes.
Il est parfaitement gratuit de prétendre qu’il n’y a plus aucun sens à promouvoir les valeurs de l’humanisme rationaliste. On assiste plus à leur dévoiement qu’à leur enterrement. L’Internet, avec la capacité de donner une diffusion massive aux idées les plus folles, n’est pas pour rien dans la confusion qui est la nôtre. La trahison des élites non plus. Il suffit de lire le livre de Jean-François Braunstein (la philosophie devenue folle) pour s’en convaincre.
Depuis de nombreuses année déjà, Marcel Gauchet, Pierre Manent, Dominique Schnapper, etc. montrent que nous subissons les effets de la révolution des droits de l’homme. Alors que ce qui structurait l’existence de l’individu hier était son inscription dans un ordre social où l’obéissance à la loi commune allait de soi, il prétend désormais conquérir son autonomie par rapport au social ou au monde commun et revendiquer l’extension de ce qu’il définit comme ses droits. Alors que dans la pensée des fondateurs des Etats libéraux, l’individu libéré théoriquement était la personne morale égale à toute autre ou l’être raisonnable capable de se donner à lui-même la loi de la raison (=capable de se libérer de l’aliénation pulsionnelle, désirante ou religieuse, etc.), l’individu contemporain s’est dégradé en individu narcissique, anomique prétendant à la reconnaissance de tous ses désirs particuliers au mépris du sens du commun.
Marcel Gauchet a dit cela de manière magistrale: » L’individu contemporain aurait en propre d’être le premier individu à vivre en ignorant qu’il vit en société, le premier individu à pouvoir se permettre, de par l’évolution même de la société, d’ignorer qu’il est en société. Il ne l’ignore pas, bien évidemment, au sens superficiel où il s’en rendrait compte. Il l’ignore en ceci qu’il n’est pas organisé au plus profond de son être par la précédence du social et par l’englobement au sein d’une collectivité, avec ce que cela a voulu dire, millénairement durant, de sentiment de l’obligation et du sens de la dette »(la démocratie contre elle-même, tel Gallimard, page 254) https://www.philolog.fr/lesprit-democratique-des-lois-dominique-schnapper/ https://www.philolog.fr/pierre-manent-la-religion-de-lhumanite/
Ne sont finis, comme vous dites, que ceux qui consentent à l’être. L’humanité peut connaitre historiquement des moments d’éclipses de la raison, mais les éclipses ne durent pas. L’obscurantisme, la servitude ne sont pas notre destin mais il faut parfois aller jusqu’au bout de la nuit pour retrouver la lumière du jour.
Bien à vous.
Merci pour votre réponse. Et en relisant ma question la honte me saisit concernant l’orthographe. Le défaut de relecture est une faute et quiconque aurait eu les « yeux qui piquent » voudra bien, je l’espère, m’excuser.
Concernant l’Islam et le transhumanisme, je ne les proposaient pas ici comme solutions mais comme forces. J’ai qualifié ces forces de désirées et actives, j’aurais aussi pu dire structurées et puissantes. Quant à l’aberration de les présenter comme solutions, oui, je comprends. D’autant plus que ces deux solutions semblent opposées et n’avoir pour points communs que le « désir d’éviter à tout prix toute douleur psychologique et d’évacuer de la vie-même toute notion de tragédie » (citation de la page de présentation France Culture du livre de Braunstein), et bien sûr la promesse d’un monde futur qui est notre anti-monde (sans corps périssable, sans temps destructeur).
L’Islam radical est aberrant pour un humain soucieux de défendre le libéralisme et les fruits précieux de l’héritage grec. Aberrant pour un rationaliste, même très tolérant, de fantasmer un prétendu retour en arrière pour préserver la planète et la société (même Bateson ne souhaitait pas que l’occident imite les balinais ou les Iatmul).
Le transhumanisme est aberrant, surtout dans sa version radicale (Kurzweil), car il est au prix de l’espèce, dans une forme de suicide/sacrifice/transfiguration.
Je n’ai pas voulu présenter cela comme solution mais peut-être avez-vous subodoré quelque valorisation implicite ? Or en voyant quels sont les fols philosophes pointés par Braunstein, je dois dire que ces auteurs sont, à mon sens, majeurs et à tout le moins fascinants. Je vous avoue également être plein de doutes et me sentir assez dépourvu de sens commun. Plus je lis, plus j’approfondis les problématiques, plus j’étudie les thèses en présence et moins je parviens à décider avec assez de certitude pour obtenir le confort minimal dont je croyais avoir droit !
Quoiqu’il en soit j’ai l’impression que mon message aura eu le mérite de vous faire exprimer sur ce fil optimisme, espoir et combativité.
Merci encore pour le profond respect des personnes et le sérieux de vos réponses sur ce site.
Bonjour
Il me semble qu’il y a un rapport entre la perte que vous avouez du sens commun (la « common decency » de Orwell mais aussi la révélation de la raison à elle-même dont Socrate est l’emblème) et le fait de trouver des John Money, Peter Singer, Judith Butler, etc. fascinants. Les livres de ces auteurs me sont toujours tombés des mains. Sans doute parce que j’ai eu la chance de fréquenter quotidiennement nos grands penseurs classiques et d’avoir été formée à une époque où les Universités étaient plus exigeantes sur les nominations qu’elles acceptaient. Socrate demandait à ses disciples de poursuivre sa mission consistant à faire vivre la petite musique de l’âme toujours exposée à être rendue inaudible par les prestiges de la sophistique. Impossible de la sauver sans des incantations inlassablement renouvelées. Avec le magistère des media, la musique dont nous sommes étourdis est aujourd’hui aux antipodes de ce que les esprits ont besoin d’entendre pour se souvenir d’eux-mêmes. Je ne suis donc pas étonnée de votre aveu. Il n’est pas difficile de comprendre que les jeunes esprits formés à l’école de ces universitaires dérangés ne peuvent pas sortir indemnes de ce laminage du sens commun. C’est cela qui est proprement terrifiant et lourd de conséquences dramatiques pour nos Institutions.
Pourquoi les idées folles, le pire fascinent-ils toujours plus que les réquisits de notre commune raison? Les contenus idéologiques aberrants changent selon les époques, ce qui ne change pas c’est la porosité des esprits à leur séduction malfaisante. On condamne Socrate à boire la ciguë mais les Peter Singer et consorts sont titulaires de chaires universitaires prestigieuses…
« L’individu qui pense contre la société qui dort, le printemps a toujours le même hiver à vaincre » disait Alain. https://www.philolog.fr/socrate-ou-lexperience-philosophique-patocka/ https://www.philolog.fr/nicolas-grimaldi-leffervescence-du-vide/#more-3418
Bien à vous.
Puisque nous articulons éléments d’histoire personnelle, analyse et anxiété, voici un témoignage de première main à propos de ce phénomène « qui est proprement terrifiant et lourd de conséquences dramatiques pour nos Institutions ».
Le phénomène s’analyse à plusieurs niveaux, mais vous avez raison de rappeler la dimension de chance dans le fait d’avoir eu accès à une formation classique dispensée par des professeurs moins sensibles à la « sophistique ». Au niveau individuel, il y a bien une part de hasard.
A un niveau plus collectif, outre les éléments dont nous avons parlé dans les messages précédents, il y a peut-être aussi un problème d’élitisme facile. J’émets une hypothèse hasardeuse (elle trouve sa source dans un mélange de souvenirs et de bribes de discussions avec des amis enseignants) : nombre d’enseignants sont touchés par le découragement et la manque de sérieux, nombre d’enseignants valorisent plutôt les élèves les mieux visiblement doués et dotés de capital culturel. L’image des penseurs hétérodoxes et fols est en général celle de militants politiques de campus qui, tout en étant exigeant (enfin vous direz peut-être qu’ils écrivent de manière absconse sans forcément avoir les idées claires : je pense à Butler notamment) sont bien plus accueillants. Ceci pourrait en partie expliquer leur puissance d’attraction.
…En ce qui me concerne j’ai effectivement fréquenté cette école de dérangés, au moins autant sinon plus que celle des classiques. Par exemple, je n’ai pas eu le temps de lire intégralement (ou quasi intégralement et avec des sources secondaires) plus de classiques que Platon, Nietzsche et Schopenhauer. Je ne sais pas si ils relèvent de la même catégorie mais j’ai également lu Gregory Bateson et je boucle Foucault (avec Dits et écrits TII). C’est sans doute significatif de mon tempérament, je place Schopenhauer au faîte de tout ce que j’ai médité.
Je suis encore trentenaire, la chair est triste, hélas ! mais j’aime encore lire : je ne m’estime donc pas encore perdu !
A un niveau plus profond il s’agit sans doute d’autre chose. Je viens de lire plusieurs entretiens avec Braunstein et cela me conforte dans cette pensée : il y a essentiellement une incompatibilité entre la conscience individuelle exacerbée et la vie biologique, une incompatibilité qui est pathogène. Quelle proportion d’hommes sur Terre sans religion, drogue ou autre forme d’assommoir ? Quelle proportion d’hommes sans tout cela et qui ne soient pas misérables? Les sociétés dites primitives, holistes développent une forme de conscience diluée sur fond d’ontologie animiste. Mais dès que la conscience individuelle se précise, naissent aussi les dieux personnels, les enfers et les paradis, et l’âme potentiellement immortelle. Le bouddhisme et le christianisme affirment ce qu’on pourrait appeler un nihilisme ou une forme de détestation de la vie : la première noble vérité, le récit de la chute, et dans les deux cas la promesse d’un anti-monde (résurrection et nirvana). Saviez-vous qu’il existe une association mormone transhumaniste, et que le Dalai-Lama valide le projet 2045 de téléchargement du cerveau humain sur un support artificiel ? Pour moi il n’y a rien là de particulièrement étonnant, aberrant ou dévoyé. Cela me semble au contraire parfaitement adéquat à l’essence de leurs traditions.
L’humanisme rationaliste manifeste deux moments : le premier, celui de l’euphorie de la vue acérée, de la libération des illusions, du progrès technique apportant confort et confiance, de la liberté ; le second, celui du prix à payer, celui de ne plus parvenir à croire aux assommoirs religieux. Maintenant dégrisés, il convient de nous rendre compte que cet humanisme n’a ni sauvé les écosystèmes, ni apaisé l’homme souffrant.
Comme le temps dévore tout ce que l’on aime et l’individualisme s’affine sans cesse, la tension entre la vie biologique et la conscience individuelle devient vraiment insoutenable. De très puissantes pages pour « illuminer » cette horreur du temps se trouvent chez Albert Cohen (les Carnets notamment).
Si n’est fini que celui qui y consent, combien refuseront le transhumanisme lorsqu’on leur promettra de faire vivre leur grand-mère deux ans de plus, de sauver leur fille de la leucémie, de faire repousser leur bras ou leur œil, d’effacer ou de transformer un souvenir qui détraque l’esprit au point d’être cloué dans un HP par une forte dose de barbiturique ? Si la réponse se situe sous les 60% il y a peu de chances que le mouvement transhumaniste ne produise cette grande mutation (effacement?) anthropologique. La sagesse tragique et l’humanisme rationaliste, en tant qu’ils se seront opposés à l’avènement du cyborg, seront vus comme supports de l’impuissance de l’humanité à contrôler plus avant sa matérialité.
« L’homme aspire ainsi à sa fin parce qu’il n’accepte pas d’être indissolublement matériel et spirituel : il souhaite être remplacé par une espèce plus parfaite, constituée de purs esprits » (Braunstein).
Que l’homme aspire à sa fin, Braunstein fini de m’en convaincre. J’ajouterai volontiers : il en a toutes les raisons, et en cela il se montre grand et généreux. Mais je pense au contraire que les transhumanistes veulent un corps non biologique ou hybride. S’ils veulent la fin de l’homme, il veulent surtout le dépassement de la condition humaine.
Il y a une idée de conscience collective centrale et « incorporelle » chez les transhumanistes mais il sera certainement toujours nécessaire d’avoir des corps/consciences individualisés comme émergences locales et temporaires, ne serait-ce que pour préserver des formes d’altérité, de créativité et de sélection. Peut-être que la véritable sagesse systémique viendra des hybrides.
Bon, tout ceci est spéculatif. Sur la question de la faisabilité technique, je n’en sais rien. Il s’agit peut-être de délires impossibles, mais qui nous auront tendu un miroir dans lequel nous contemplons notre aspiration profonde.
Enfin, je ne sais pas trop comment prendre cette qualification de folie philosophique. Si Braunstein se scandalise, son chapelet de penseurs dérangés m’évoque un très bon souvenir. Là où la douceur du soleil et le miroitement de l’eau font que la vie semble jeune et belle, je veux parler de Diogène Laërce. Son texte pourrait s’intituler Vies doctrines et sentences aberrantes des philosophes illustres. Songeons à Héraclite qui, ermite, redescend parmi les grecs recouvert d’excréments pour soigner sa maladie, et finit par en mourir ; à Chrysippe qui meurt de rire en voyant un âne manger une figue ; à Pythagore qui refuse de traverser un champ de fèves au péril de sa vie ; aux sublimes sentences d’Anaximandre ; à Protagoras le grand prométhéen; à celui qui prétendait que le plus grand bien pour l’homme était de ne pas être né, et le second de mourir au plus vite… Malgré, ou grâce à ces aberrations, ne ressentons-nous pas profondément le thaumazein (étonnement/admiration/effroi) ? Le thaumazein ne se paie-t-il pas d’aberrations sans fin ?
Bonjour
Il y a quelque chose dans votre discours qui m’émeut. Peut-être le témoignage d’une belle intelligence n’ayant pas eu rendez-vous avec des vraies nourritures spirituelles. Pas plus qu’on ne confie la santé de son corps à n’importe qui, on ne devrait remettre son esprit à ceux qui le désespèrent au lieu de le conforter dans l’assurance de sa dignité et de ses potentialités.
« Prendre soin de son âme » disait Socrate. Ce qui signifie d’abord être mis en situation de comprendre ce que penser veut dire. Découvrir qu’on ne peut pas dire n’importe quoi et libérer en soi cette dimension qui transcende nos pathos et permet d’expérimenter notre appartenance à une communauté de significations et de valeurs. Là est le principe du respect que nous devons à notre propre humanité et c’est précisément ce respect que tant de discours s’appliquent à saborder. Je me permets ainsi d’avancer une autre hypothèse que la vôtre pour expliquer la fascination qu’exercent les esprits dérangés. Ils alimentent la haine de soi là où la tradition de l’humanisme rationaliste entretient le sens de la noblesse humaine. Or alors que noblesse oblige, la haine de soi autorise toutes les facilités et les compromissions. Alibi commode pour se dispenser de dessiner le visage de l’homme dans sa conduite et dans sa pensée.
Même un Pascal qui s’applique pourtant à humilier la raison, commence par lui rendre justice: « Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il nous faut relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale ». (Pascal)
Il me semble qu’on pourrait dire de la séduction exercée par les auteurs épinglés par Braunstein ce que Ricœur disait de la psychanalyse: « Le freudisme a pour les consciences faibles quelque chose de fascinant qui traduit bien son succès mondain : ce succès n’est point étranger à son essence, mais en exprime l’incidence inévitable sur la conscience moderne. Celle-ci y pressent sa ruine et peut-être que toute passion, qui est un certain vertige de la liberté, y suppute, avec une perspicacité diabolique, son meilleur alibi. La conscience cherche une irresponsabilité de principe dans sa propre régression au vital, à l’infantile et à l’ancestral ; le goût pour les explications freudiennes, en tant qu’elles sont une doctrine totale de l’homme en chacun, c’est le goût pour les descentes aux enfers, afin d’y invoquer les fatalités d’en-bas ». Philosophie de la volonté.
Vous ne pouvez pas accuser l’humanisme rationaliste d’être responsable de la dégradation des écosystèmes. Seule la sagesse peut nous prémunir contre l’hubris, la démesure prométhéenne, l’oubli de notre finitude et seul un esprit bien formé peut aspirer à la sagesse. Le drame de l’Occident est d’avoir oublié qu’une grande puissance technique doit s’accompagner d’une formation spirituelle aussi puissante. Spiritualiser la matière sans matérialiser l’esprit, la mécanique appelle une mystique disait Bergson.
Vous ne pouvez pas non plus attendre du développement de la pensée qu’elle soit le sésame du bonheur. La sagesse que les Anciens définissaient comme « la méthode du bonheur » ne consiste pas à vouloir être immortel, à nier notre matérialité, à être maître du désir de ceux que nous aimons etc. Elle consiste à assumer notre finitude et à faire de nécessité vertu. Ce qui est déjà beaucoup pour ne pas entretenir la malheur existentiel. Même ce grand pessimiste qu’est Schopenhauer écrit un art d’être heureux.
Avec ma sympathie.
Bonjour madame,
Merci pour ce court et hautement symbolique message de nouvel an.
la présentation des vœux, au-delà, d’un rite annuel, engage le plaisir de transmettre
dans la joie des souhaits de sérénité et de prospérité dont l’intensité participe du variable selon à qui ils s’adressent.
Je formule mes vœux de plein succès pour 2018 pour votre blog d’excellente qualité et vous transmets mes souhaits de réussite pour tous vos projets en cette même année.
En vous remerciant, en ma qualité de lecteur, pour ce plaisir constant de lecture et d’analyse.
Bien à vous.
Michel poulet.
Merci, cher Monsieur, pour vos encouragements. Vous avez certainement remarqué que je ne fournis plus mon blog. Je vous avoue que les attentats, le fait que plus de 40 pour cent de Français votent aux extrêmes, que de nombreux intellectuels réhabilitent les passions, la violence et s’acharnent à disqualifier les présupposés de l’humanisme rationaliste m’ont amenée à douter du sens de mon enseignement.
J’ai l’impression que nous vivons une régression historique d’une telle ampleur que je suis totalement découragée sur le plan pédagogique.
Bien à vous.
Bonjour Madame,
pour les âmes tristes votre blog est un enchantement et une promesse.
Le message porté derrière votre travail est une invitation au courage d’exister.
Je ne peux comprendre à sa hauteur votre doute, mais sachez que c’est un bonheur de vous lire.
Permettez moi de vous dédier ses mots en guise d’hommage pour cette nouvelle année;
« Tel est l’effet que sa vie produit qu’on a meilleure opinion de soi-même, parce qu’on a meilleur opinion des hommes ».
Jerôme
Bonjour Monsieur
Merci pour ce sympathique message.
Il me faut simplement corriger un malentendu. Je ne crois pas qu’il faille parler de tristesse. Seulement de lucidité pédagogique. La culture de masse aujourd’hui (et je peux m’en faire une idée précise par les nombreux messages que je reçois sans les approuver) montre combien le progrès des Lumières est chose difficile et sans doute utopique pour ce qui est du plus grand nombre. Il y faudrait une ascèse des passions, une libération de notre dimension raisonnable or vous savez bien que le procès de la Raison est un lieu commun des discours contemporains.
Cela n’empêche pas de rester à titre privé ce que l’on est mais cela engage une réserve de la parole publique et le soupçon que la culture de l’âme, la recherche de la sagesse gardent une dimension aristocratique (au sens spirituel) difficilement démocratisable.
Bien à vous.
Bonjour Madame,
Vous évoquez, dans votre commentaire, l’ampleur d’une régression historique, qui de par cette réalité vous décourage sur le plan pédagogique. Nous vivons, en effet, dans une société et un monde où, comme vous le citez » de nombreux intellectuels réhabilitent les passions, la violence et s’acharnent à disqualifier les présupposés de l’humanisme rationaliste ».
Cette dimension de faux intellectualisme et de fausse morale qui semblent mener le monde ne doit pas nous (vous) décourager. C’est ce principe de liberté, si bien décrit dans votre « 10 leçons sur la liberté » qui nous encourage à faire face à cela. C’est grâce au travail constant de penseur et passeur d’idées comme vous le faites qu’il est possible, au quotidien, d’exister intellectuellement dans cette réalité ; de la faire comprendre à nos enfants et petits enfants pour une meilleure appréhension de celle-ci.
Votre blog d’une grande richesse est l’illustration de cette volonté de faire face.
Bien à vous.
Michel Poulet.
Bonjour, Madame Manon,
Bien sûr que la recherche de la sagesse a eu de tout temps, et garde encore de nos jours, une dimension aristocratique.
Mais cette aristocratie est ouverte à tous ceux qui souhaitent s’en donner la peine, et les initiatives comme ce blog ont précisément pour effet de les aider à faire partie des ἄριστοι, les meilleurs, au sens le plus humainement élevé du terme, donc spirituel comme vous dites.
Que cette possibilité ne soit pas plébiscitée relève probablement de la nuance entre liber arbitrium et libertas…
« Quant au rêve d’être un solitaire, je l’ai refait toutes les fois que j’ai cru sentir que la vie était foncièrement mauvaise : c’est dire que je l’ai fait chaque jour » (Anatole France, le livre de Pierre)
Puisse l’an neuf vous apporter l’enthousiasme de poursuivre envers et contre tout découragement légitime cette oeuvre magnifique.
Respectueusement
Réponse à Michel et Hippias.
Je sais bien que « rien ne sert d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » et que l’optimisme de la volonté est une vertu. Utile contrepoint à l’esprit du temps que les médias exhibent inlassablement devant nos yeux ahuris. Ici, c’est le révisionnisme en matière d’œuvre d’art (Carmen) ou de récit historique, la violence idéologique des débats intellectuels, la célébration de héros nationaux d’opérette, la servitude volontaire de toutes celles et de tous ceux qui renouent avec les superstitions d’un autre âge, l’empire de la post-vérité, ailleurs c’est la remise au goût du jour de l’esclavage, l’aspiration des peuples à des gouvernements musclés, etc. On pourrait continuer la liste. Il y a vraiment de quoi se dire que l’espérance des Lumières subit aujourd’hui un désaveu douloureux.
Ce qui n’est pas une raison pour y renoncer mais avouez qu’il y a de quoi être « douché ».
Merci pour vos encouragements.
Bien à vous.
Je me suis servi de gens tels que vous pour essayer d’y « voir plus clair » et de « comprendre ».
http://alaincambier.fr/wp-content/uploads/2013/05/lna58p20.pdf
http://alaincambier.fr/wp-content/uploads/2015/01/lna68p16.pdf
http://jeanzin.fr/
http://jeanzin.fr/wp-content/uploads/pdf/hegel.pdf
https://philosciences.com/Pss/
https://philosciences.com/Pss/25-philosophie-et-societe/ideologie-croyance-et-societe/9-vide-philosophique-dans-la-societe-contemporaine
https://philosciences.com/Pss/philosophie-et-societe/24-economie-politique-societe/7-regression-de-l-humain-dans-la-societe-occidentale
Je ne comprends pas votre attitude, peut-être parce-que je suis moins idéaliste que vous;
mais aussi, parce-que le passage des « grands-frères » aux religieux dans les quartiers date du début des années 2000. je sortais du lycée,
c’est quelque chose qui m’avait beaucoup interrogé à l’époque; justement parce-que les « grands-frères », j’en connaissais les « codes » (collégien en ZEP)
je m’en suis détourné pour reprendre le questionnement bien plus tard.
et je ne me souviens pas avoir entendu durant cette période, de la part des gens éduqués, autre chose que des niaiseries.
A contrario, d’autres intellectuels ont pû écrire des choses pertinentes, dès les années 70 sur la société qui se dessinait;
alors qu’il semblait encore possible de croire en un progrès continu; ou tout du moins de colporter une certaine interprétation de la « fin de l’histoire ».
https://collectiflieuxcommuns.fr/IMG/pdf_ReflexionsRacisme_Castoriadis_.pdf
https://collectiflieuxcommuns.fr/111-la-fin-de-l-histoire
il y a notamment quelques lignes sur l’education qui vous plairont, plus justes à mon avis que ce que l’on raconte couramment sur les histoires de rémunération.
Il ne faut pas prendre les choses trop à coeur:
Les universitaires férus de « studies » en tous genres, n’ont pas le rapport qu’avait pû avoir le parti communiste avec la réalité de la « plèbe »;
il est plus ou moins logique qu’ils soient, vraiment; à côté de la plaque.
Leur « pouvoir suggestif » est réel par contre.
Une très bonne année à vous;
Il y a des gens qui vous lisent sans forcément commenter.
Merci pour toutes ces références et bonne année à vous aussi.
Bonjour Madame,
Je m’associe à tous les autres pour protester contre votre découragement bien compréhensible. Je me permets de vous rappeler ce passage de l’analytique du sublime (Critique du jugement, Kant) que je n’aurais jamais lu sans l’exemple d’érudition que vous et d’autres représentez :
« Des rochers audacieux suspendus dans l’air et comme menaçants, des nuages orageux se rassemblant au ciel au milieu des éclairs et du tonnerre, des volcans déchaînant toute leur puissance de destruction, des ouragans semant après eux la dévastation, l’immense océan soulevé par la tempête, la cataracte d’un grand fleuve, etc. ; ce sont là des choses qui réduisent à une insignifiante petitesse notre pouvoir de résistance, comparé avec de telles puissances. Mais l’aspect en est d’autant plus attrayant qu’il est plus terrible, pourvu que nous soyons en sûreté ; et nous nommons volontiers ces choses sublimes, parce qu’elles élèvent les forces de l’âme au-dessus de leur médiocrité ordinaire, et qu’elles nous font découvrir en nous-mêmes un pouvoir de résistance d’une tout autre espèce, qui nous donne le courage de nous mesurer avec la toute-puissance apparente de la nature. »
Il me semble que tous les événements que vous citez réduisent aussi à « une insignifiante petitesse [notre] pouvoir de résistance ». Puissiez-vous vous découvrir « un pouvoir de résistance d’une tout autre espèce »,
qui vous « donne le courage de vous mesurer avec la toute-puissance apparente » (j’insiste sur ce dernier mot) des ennemis de la raison.
Bonne année à vous.
Bonjour
Quel bonheur de relire ce propos kantien!
Un grand merci pour ce message sympathique.
Bien à vous.
Un plaisir de toujours lire vos cours en ligne.
Bonne année à vous.
Chère madame Manon,
C’est toujours un plaisir de pouvoir (re-)lire vos cours qui sont des chefs d’œuvre de maitrise et de lucidité. J’espère que vous continuerez à nourrir votre blog.
Un ancien élève devenu enseignant de philosophie.
Merci, Renaud, pour ce témoignage de sympathie et d’encouragement.
Bien à vous.
Madame Manon,
ne vous découragez pas surtout, votre site est une merveille !
Pour vous changer les idées, accepteriez-vous cet été de donner une conférence sur l’art, dans une galerie privée ? Tout serait pris en charge, et ce serait un honneur pour mon épouse et moi-même de vous accueillir dans une petite ville de la Drôme.
Bien cordialement,
Marc
Bonjour Monsieur
Merci pour cet aimable message. Je serai heureuse de recevoir une invitation pour découvrir cette galerie mais en tant qu’auditrice. Il me semble que seul l’enthousiasme mérite d’être transmis, or le mien est en ce moment refroidi…
Avec toute ma sympathie.
Bonjour,
j’aimerais vous transmettre une vision optimiste des « extrêmes ». Connaissant un grand nombre de personnes votant pour le Front National à toutes les élections, je me permets de témoigner que leurs motivations sont très variées et jamais caricaturales. Il s’agit souvent, mais pas toujours, de personnes issues de milieux ouvriers ou agricoles, très attachées à l’héritage d’un mode de vie (la famille, le village, la campagne préservée, la chasse, la pêche, etc.), et qui pensent que leur vote est le meilleur moyen d’échapper à l’acculturation que les médias leur propose. Ils savent la plupart de temps être farouchement contre l’immigration de masse sans cultiver d’animosité envers les immigrés, et comptent souvent plusieurs amis parmi ces derniers contrairement à ce qu’on pourrait croire. Leur vote n’est le résultat ni d’une peur ni d’une colère, mais plutôt d’une certaine idée tranquille de résistance. C’est en les connaissant mieux qu’on comprend que, derrière leurs manières farouches et parfois verbalement brutales, ils n’ont finalement rien « d’extrême », constatation qui est plutôt rassurante. Cordialement.
Un plaisir de vous lire et un espoir que vous continuerez à nous éclairer.
Merci
Merci pour ce sympathique message.
Je ne sais pas si ce « quelque chose » qui me paralyse va finir par lâcher prise.
Bien à vous.
Bonjour Madame ,
Je tenais a vous remercier et a vous faire part de tout l’interet que je porte pour vos cours , je n’ai hélas pas l’ambition d’un académicien mais la philosophie a toujours été pour moi une grande source d’inspiration. Je note vos cours sur papier, je les apprends , et j’effectue des dissertations que j’essaye de corriger avec auto-critique et objectivité. Cependant étant encore néophyte en la matière j’ai essayé de lire certaines oeuvres qui etaient referencées dans les bibliographies a chaque débuts de chapitres, mais je me suis retrouvé dans l’embarras lorsque j’ai constaté la difficulté que j’ai a étudier certains textes. Je souhaiterais savoir si vous pouviez peut-etre m’orienter sur les lectures avec lesquelles commencer afin de pas etre découragé.
Merci encore.
N.Toupet
Bonjour
Je ne peux pas vous répondre de manière générale. Je ne pourrai le faire que sur des thèmes précis. Lorsque vous en abordez un interrogez moi. Il faut toujours commencer par des ouvrages élémentaires mais même ceux-ci ne sont pas d’accès aisé. Voilà pourquoi les collections pédagogiques sont précieuses. Elles vous donnent les clés pour comprendre correctement, elles anticipent les erreurs de compréhension et vous prémunissent contre elles.
Vos difficultés sont éprouvées par tous les débutants et même par ceux qui ne le sont plus. Cela tient à la nature de la discipline. Il ne faut donc pas vous décourager. Seule la familiarité avec le langage philosophique et les problématiques permet de les surmonter.
Bien à vous.
Madame,
Ne doutez pas de l’utilité de votre site.
Il est le meilleur antidote au lavage de cerveaux auquel nous sommes exposés.
Je partage votre crainte quand aux extrêmes y compris celui du centre.
Bien à vous.
Bonjour,
A propos de découragement. Peut-on dire que le monde est bien plus morcelé aujourd’hui ? A tel point que de communautés en archipel et en « tribus », chaque groupe vit son identité et ses valeurs propres dans une sorte de juxtaposition déconcertante pour un observateur « extérieur ». Certains groupes (de plus en plus en proportion) ne se soucient pas des jugements des autres groupes ; et il n’y a pas de reconnaissance ou de volonté de constitution d’une autorité commune transcendant les singularités. S’il peut y avoir des autorités intra-groupes, il n’y a plus ni reconnaissance, ni désir, ni respect pour une autorité qui trouverait son fondement dans un principe supérieur et plus abstrait que les particularités du groupe (par exemple « les présupposés de l’humanisme rationaliste »). Je pense notamment aux conséquences de cet état de fait (supposé) sur les notables, les élus, les professeurs, les médecins, les scientifiques, les directeurs de conscience, les philosophes, etc.
S’il existe un tel phénomène existe, d’où peut-il venir? Du le système économico-politique néolibéral qui permet et encourage que la société civile se réduise à un agrégat de communautés et d’isolés? Du fait que le creusement des inégalités sociales/culturelles/économiques (quel qu’en soient les raisons et mécanismes) ait permis une baisse de niveau à l’école et une contre-culture de quartier para-intellectuelle, voire anti-intellectuelle? Du fait que les élites n’aient pas tenu leur rôle, ni valorisé, ni défendu les efforts et le mérite qu’elles avançaient pourtant comme une justification de la hiérarchie sociale et comme vecteur de progrès. Elles ont préféré une maximisation des prétendus indicateurs financiers et autres théories du ruissellement. En un mot ces élites auraient trahi et fait montre d’hypocrisie (je pense en particulier à ces intellectuels qui ont participé à des gouvernements et validés des mesures qui n’auraient pas résisté à une analyse de type systémique/cybernétique quant à leurs effets néfastes probables)?
Quoiqu’il en soit, et sans préjuger de l’accueil réservé à ces hypothèses (certaines étant par nature douteuses et suspectes de démagogie ou de fascisme : trahison des élites, inégalités culturelles, voire immigration anarchique, méfaits du capitalisme…) il semble qu’il n’y ait plus de sens à promouvoir l’humanisme rationaliste. L’échec est patent : effondrement des écosystèmes, valorisation des violences, non plus crise mais explosion de l’autorité. Ne sommes nous pas fini, et peut-être depuis quelques temps déjà? Ne reste, à mon avis plus que l’Islam radical et le transhumanisme comme forces encore actives et désirées. Permettront-elles de surmonter la crise ?
Bonjour
Il me semble qu’il convient de rester prudent dans l’analyse que l’on fait de notre monde. Par exemple la revendication des singularités, la crise de l’autorité sont des phénomènes circonscrits à certaines sociétés, les sociétés libérales (occidentales) pouvant s’honorer d’une tolérance dont d’autres sont totalement dépourvues. Or la tolérance n’est-elle pas à bien des égards une vertu? Les principes libéraux de l’organisation politique ne doivent-ils pas être défendus contre tous ceux qui les mettent en péril. Autrement dit, s’il faut lutter contre leurs effets pervers, ne faut-il pas veiller à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain? Vous comprendrez que les solutions que vous proposez pour résoudre nos problèmes sont proprement aberrantes.
Il est parfaitement gratuit de prétendre qu’il n’y a plus aucun sens à promouvoir les valeurs de l’humanisme rationaliste. On assiste plus à leur dévoiement qu’à leur enterrement. L’Internet, avec la capacité de donner une diffusion massive aux idées les plus folles, n’est pas pour rien dans la confusion qui est la nôtre. La trahison des élites non plus. Il suffit de lire le livre de Jean-François Braunstein (la philosophie devenue folle) pour s’en convaincre.
Depuis de nombreuses année déjà, Marcel Gauchet, Pierre Manent, Dominique Schnapper, etc. montrent que nous subissons les effets de la révolution des droits de l’homme. Alors que ce qui structurait l’existence de l’individu hier était son inscription dans un ordre social où l’obéissance à la loi commune allait de soi, il prétend désormais conquérir son autonomie par rapport au social ou au monde commun et revendiquer l’extension de ce qu’il définit comme ses droits. Alors que dans la pensée des fondateurs des Etats libéraux, l’individu libéré théoriquement était la personne morale égale à toute autre ou l’être raisonnable capable de se donner à lui-même la loi de la raison (=capable de se libérer de l’aliénation pulsionnelle, désirante ou religieuse, etc.), l’individu contemporain s’est dégradé en individu narcissique, anomique prétendant à la reconnaissance de tous ses désirs particuliers au mépris du sens du commun.
Marcel Gauchet a dit cela de manière magistrale: » L’individu contemporain aurait en propre d’être le premier individu à vivre en ignorant qu’il vit en société, le premier individu à pouvoir se permettre, de par l’évolution même de la société, d’ignorer qu’il est en société. Il ne l’ignore pas, bien évidemment, au sens superficiel où il s’en rendrait compte. Il l’ignore en ceci qu’il n’est pas organisé au plus profond de son être par la précédence du social et par l’englobement au sein d’une collectivité, avec ce que cela a voulu dire, millénairement durant, de sentiment de l’obligation et du sens de la dette »(la démocratie contre elle-même, tel Gallimard, page 254)
https://www.philolog.fr/lesprit-democratique-des-lois-dominique-schnapper/
https://www.philolog.fr/pierre-manent-la-religion-de-lhumanite/
Ne sont finis, comme vous dites, que ceux qui consentent à l’être. L’humanité peut connaitre historiquement des moments d’éclipses de la raison, mais les éclipses ne durent pas. L’obscurantisme, la servitude ne sont pas notre destin mais il faut parfois aller jusqu’au bout de la nuit pour retrouver la lumière du jour.
Bien à vous.
Merci pour votre réponse. Et en relisant ma question la honte me saisit concernant l’orthographe. Le défaut de relecture est une faute et quiconque aurait eu les « yeux qui piquent » voudra bien, je l’espère, m’excuser.
Concernant l’Islam et le transhumanisme, je ne les proposaient pas ici comme solutions mais comme forces. J’ai qualifié ces forces de désirées et actives, j’aurais aussi pu dire structurées et puissantes. Quant à l’aberration de les présenter comme solutions, oui, je comprends. D’autant plus que ces deux solutions semblent opposées et n’avoir pour points communs que le « désir d’éviter à tout prix toute douleur psychologique et d’évacuer de la vie-même toute notion de tragédie » (citation de la page de présentation France Culture du livre de Braunstein), et bien sûr la promesse d’un monde futur qui est notre anti-monde (sans corps périssable, sans temps destructeur).
L’Islam radical est aberrant pour un humain soucieux de défendre le libéralisme et les fruits précieux de l’héritage grec. Aberrant pour un rationaliste, même très tolérant, de fantasmer un prétendu retour en arrière pour préserver la planète et la société (même Bateson ne souhaitait pas que l’occident imite les balinais ou les Iatmul).
Le transhumanisme est aberrant, surtout dans sa version radicale (Kurzweil), car il est au prix de l’espèce, dans une forme de suicide/sacrifice/transfiguration.
Je n’ai pas voulu présenter cela comme solution mais peut-être avez-vous subodoré quelque valorisation implicite ? Or en voyant quels sont les fols philosophes pointés par Braunstein, je dois dire que ces auteurs sont, à mon sens, majeurs et à tout le moins fascinants. Je vous avoue également être plein de doutes et me sentir assez dépourvu de sens commun. Plus je lis, plus j’approfondis les problématiques, plus j’étudie les thèses en présence et moins je parviens à décider avec assez de certitude pour obtenir le confort minimal dont je croyais avoir droit !
Quoiqu’il en soit j’ai l’impression que mon message aura eu le mérite de vous faire exprimer sur ce fil optimisme, espoir et combativité.
Merci encore pour le profond respect des personnes et le sérieux de vos réponses sur ce site.
Bonjour
Il me semble qu’il y a un rapport entre la perte que vous avouez du sens commun (la « common decency » de Orwell mais aussi la révélation de la raison à elle-même dont Socrate est l’emblème) et le fait de trouver des John Money, Peter Singer, Judith Butler, etc. fascinants. Les livres de ces auteurs me sont toujours tombés des mains. Sans doute parce que j’ai eu la chance de fréquenter quotidiennement nos grands penseurs classiques et d’avoir été formée à une époque où les Universités étaient plus exigeantes sur les nominations qu’elles acceptaient. Socrate demandait à ses disciples de poursuivre sa mission consistant à faire vivre la petite musique de l’âme toujours exposée à être rendue inaudible par les prestiges de la sophistique. Impossible de la sauver sans des incantations inlassablement renouvelées. Avec le magistère des media, la musique dont nous sommes étourdis est aujourd’hui aux antipodes de ce que les esprits ont besoin d’entendre pour se souvenir d’eux-mêmes. Je ne suis donc pas étonnée de votre aveu. Il n’est pas difficile de comprendre que les jeunes esprits formés à l’école de ces universitaires dérangés ne peuvent pas sortir indemnes de ce laminage du sens commun. C’est cela qui est proprement terrifiant et lourd de conséquences dramatiques pour nos Institutions.
Pourquoi les idées folles, le pire fascinent-ils toujours plus que les réquisits de notre commune raison? Les contenus idéologiques aberrants changent selon les époques, ce qui ne change pas c’est la porosité des esprits à leur séduction malfaisante. On condamne Socrate à boire la ciguë mais les Peter Singer et consorts sont titulaires de chaires universitaires prestigieuses…
« L’individu qui pense contre la société qui dort, le printemps a toujours le même hiver à vaincre » disait Alain.
https://www.philolog.fr/socrate-ou-lexperience-philosophique-patocka/
https://www.philolog.fr/nicolas-grimaldi-leffervescence-du-vide/#more-3418
Bien à vous.
Bonjour,
Puisque nous articulons éléments d’histoire personnelle, analyse et anxiété, voici un témoignage de première main à propos de ce phénomène « qui est proprement terrifiant et lourd de conséquences dramatiques pour nos Institutions ».
Le phénomène s’analyse à plusieurs niveaux, mais vous avez raison de rappeler la dimension de chance dans le fait d’avoir eu accès à une formation classique dispensée par des professeurs moins sensibles à la « sophistique ». Au niveau individuel, il y a bien une part de hasard.
A un niveau plus collectif, outre les éléments dont nous avons parlé dans les messages précédents, il y a peut-être aussi un problème d’élitisme facile. J’émets une hypothèse hasardeuse (elle trouve sa source dans un mélange de souvenirs et de bribes de discussions avec des amis enseignants) : nombre d’enseignants sont touchés par le découragement et la manque de sérieux, nombre d’enseignants valorisent plutôt les élèves les mieux visiblement doués et dotés de capital culturel. L’image des penseurs hétérodoxes et fols est en général celle de militants politiques de campus qui, tout en étant exigeant (enfin vous direz peut-être qu’ils écrivent de manière absconse sans forcément avoir les idées claires : je pense à Butler notamment) sont bien plus accueillants. Ceci pourrait en partie expliquer leur puissance d’attraction.
…En ce qui me concerne j’ai effectivement fréquenté cette école de dérangés, au moins autant sinon plus que celle des classiques. Par exemple, je n’ai pas eu le temps de lire intégralement (ou quasi intégralement et avec des sources secondaires) plus de classiques que Platon, Nietzsche et Schopenhauer. Je ne sais pas si ils relèvent de la même catégorie mais j’ai également lu Gregory Bateson et je boucle Foucault (avec Dits et écrits TII). C’est sans doute significatif de mon tempérament, je place Schopenhauer au faîte de tout ce que j’ai médité.
Je suis encore trentenaire, la chair est triste, hélas ! mais j’aime encore lire : je ne m’estime donc pas encore perdu !
A un niveau plus profond il s’agit sans doute d’autre chose. Je viens de lire plusieurs entretiens avec Braunstein et cela me conforte dans cette pensée : il y a essentiellement une incompatibilité entre la conscience individuelle exacerbée et la vie biologique, une incompatibilité qui est pathogène. Quelle proportion d’hommes sur Terre sans religion, drogue ou autre forme d’assommoir ? Quelle proportion d’hommes sans tout cela et qui ne soient pas misérables? Les sociétés dites primitives, holistes développent une forme de conscience diluée sur fond d’ontologie animiste. Mais dès que la conscience individuelle se précise, naissent aussi les dieux personnels, les enfers et les paradis, et l’âme potentiellement immortelle. Le bouddhisme et le christianisme affirment ce qu’on pourrait appeler un nihilisme ou une forme de détestation de la vie : la première noble vérité, le récit de la chute, et dans les deux cas la promesse d’un anti-monde (résurrection et nirvana). Saviez-vous qu’il existe une association mormone transhumaniste, et que le Dalai-Lama valide le projet 2045 de téléchargement du cerveau humain sur un support artificiel ? Pour moi il n’y a rien là de particulièrement étonnant, aberrant ou dévoyé. Cela me semble au contraire parfaitement adéquat à l’essence de leurs traditions.
L’humanisme rationaliste manifeste deux moments : le premier, celui de l’euphorie de la vue acérée, de la libération des illusions, du progrès technique apportant confort et confiance, de la liberté ; le second, celui du prix à payer, celui de ne plus parvenir à croire aux assommoirs religieux. Maintenant dégrisés, il convient de nous rendre compte que cet humanisme n’a ni sauvé les écosystèmes, ni apaisé l’homme souffrant.
Comme le temps dévore tout ce que l’on aime et l’individualisme s’affine sans cesse, la tension entre la vie biologique et la conscience individuelle devient vraiment insoutenable. De très puissantes pages pour « illuminer » cette horreur du temps se trouvent chez Albert Cohen (les Carnets notamment).
Si n’est fini que celui qui y consent, combien refuseront le transhumanisme lorsqu’on leur promettra de faire vivre leur grand-mère deux ans de plus, de sauver leur fille de la leucémie, de faire repousser leur bras ou leur œil, d’effacer ou de transformer un souvenir qui détraque l’esprit au point d’être cloué dans un HP par une forte dose de barbiturique ? Si la réponse se situe sous les 60% il y a peu de chances que le mouvement transhumaniste ne produise cette grande mutation (effacement?) anthropologique. La sagesse tragique et l’humanisme rationaliste, en tant qu’ils se seront opposés à l’avènement du cyborg, seront vus comme supports de l’impuissance de l’humanité à contrôler plus avant sa matérialité.
« L’homme aspire ainsi à sa fin parce qu’il n’accepte pas d’être indissolublement matériel et spirituel : il souhaite être remplacé par une espèce plus parfaite, constituée de purs esprits » (Braunstein).
Que l’homme aspire à sa fin, Braunstein fini de m’en convaincre. J’ajouterai volontiers : il en a toutes les raisons, et en cela il se montre grand et généreux. Mais je pense au contraire que les transhumanistes veulent un corps non biologique ou hybride. S’ils veulent la fin de l’homme, il veulent surtout le dépassement de la condition humaine.
Il y a une idée de conscience collective centrale et « incorporelle » chez les transhumanistes mais il sera certainement toujours nécessaire d’avoir des corps/consciences individualisés comme émergences locales et temporaires, ne serait-ce que pour préserver des formes d’altérité, de créativité et de sélection. Peut-être que la véritable sagesse systémique viendra des hybrides.
Bon, tout ceci est spéculatif. Sur la question de la faisabilité technique, je n’en sais rien. Il s’agit peut-être de délires impossibles, mais qui nous auront tendu un miroir dans lequel nous contemplons notre aspiration profonde.
Enfin, je ne sais pas trop comment prendre cette qualification de folie philosophique. Si Braunstein se scandalise, son chapelet de penseurs dérangés m’évoque un très bon souvenir. Là où la douceur du soleil et le miroitement de l’eau font que la vie semble jeune et belle, je veux parler de Diogène Laërce. Son texte pourrait s’intituler Vies doctrines et sentences aberrantes des philosophes illustres. Songeons à Héraclite qui, ermite, redescend parmi les grecs recouvert d’excréments pour soigner sa maladie, et finit par en mourir ; à Chrysippe qui meurt de rire en voyant un âne manger une figue ; à Pythagore qui refuse de traverser un champ de fèves au péril de sa vie ; aux sublimes sentences d’Anaximandre ; à Protagoras le grand prométhéen; à celui qui prétendait que le plus grand bien pour l’homme était de ne pas être né, et le second de mourir au plus vite… Malgré, ou grâce à ces aberrations, ne ressentons-nous pas profondément le thaumazein (étonnement/admiration/effroi) ? Le thaumazein ne se paie-t-il pas d’aberrations sans fin ?
Nous sommes en automne.
Bonjour
Il y a quelque chose dans votre discours qui m’émeut. Peut-être le témoignage d’une belle intelligence n’ayant pas eu rendez-vous avec des vraies nourritures spirituelles. Pas plus qu’on ne confie la santé de son corps à n’importe qui, on ne devrait remettre son esprit à ceux qui le désespèrent au lieu de le conforter dans l’assurance de sa dignité et de ses potentialités.
« Prendre soin de son âme » disait Socrate. Ce qui signifie d’abord être mis en situation de comprendre ce que penser veut dire. Découvrir qu’on ne peut pas dire n’importe quoi et libérer en soi cette dimension qui transcende nos pathos et permet d’expérimenter notre appartenance à une communauté de significations et de valeurs. Là est le principe du respect que nous devons à notre propre humanité et c’est précisément ce respect que tant de discours s’appliquent à saborder. Je me permets ainsi d’avancer une autre hypothèse que la vôtre pour expliquer la fascination qu’exercent les esprits dérangés. Ils alimentent la haine de soi là où la tradition de l’humanisme rationaliste entretient le sens de la noblesse humaine. Or alors que noblesse oblige, la haine de soi autorise toutes les facilités et les compromissions. Alibi commode pour se dispenser de dessiner le visage de l’homme dans sa conduite et dans sa pensée.
Même un Pascal qui s’applique pourtant à humilier la raison, commence par lui rendre justice: « Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il nous faut relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale ». (Pascal)
Il me semble qu’on pourrait dire de la séduction exercée par les auteurs épinglés par Braunstein ce que Ricœur disait de la psychanalyse: « Le freudisme a pour les consciences faibles quelque chose de fascinant qui traduit bien son succès mondain : ce succès n’est point étranger à son essence, mais en exprime l’incidence inévitable sur la conscience moderne. Celle-ci y pressent sa ruine et peut-être que toute passion, qui est un certain vertige de la liberté, y suppute, avec une perspicacité diabolique, son meilleur alibi. La conscience cherche une irresponsabilité de principe dans sa propre régression au vital, à l’infantile et à l’ancestral ; le goût pour les explications freudiennes, en tant qu’elles sont une doctrine totale de l’homme en chacun, c’est le goût pour les descentes aux enfers, afin d’y invoquer les fatalités d’en-bas ». Philosophie de la volonté.
Vous ne pouvez pas accuser l’humanisme rationaliste d’être responsable de la dégradation des écosystèmes. Seule la sagesse peut nous prémunir contre l’hubris, la démesure prométhéenne, l’oubli de notre finitude et seul un esprit bien formé peut aspirer à la sagesse. Le drame de l’Occident est d’avoir oublié qu’une grande puissance technique doit s’accompagner d’une formation spirituelle aussi puissante. Spiritualiser la matière sans matérialiser l’esprit, la mécanique appelle une mystique disait Bergson.
Vous ne pouvez pas non plus attendre du développement de la pensée qu’elle soit le sésame du bonheur. La sagesse que les Anciens définissaient comme « la méthode du bonheur » ne consiste pas à vouloir être immortel, à nier notre matérialité, à être maître du désir de ceux que nous aimons etc. Elle consiste à assumer notre finitude et à faire de nécessité vertu. Ce qui est déjà beaucoup pour ne pas entretenir la malheur existentiel. Même ce grand pessimiste qu’est Schopenhauer écrit un art d’être heureux.
Avec ma sympathie.