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Vive la rentrée!

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Buste d'Alcibiade.

 

   J'ai fait ma rentrée avec Péguy mais le temps des récréations est terminé. Le programme doit être traité et comme chaque année, je ne vois pas comment on peut commencer à faire de la philosophie sans en avoir une idée. Je vais donc expliquer une nouvelle fois l'allégorie de la caverne et toujours avec le même sentiment du caractère inépuisable de ce texte.

   On ne se lasse jamais de relire les grands textes de philosophie ou de littérature. A chaque fois, la découverte de niveaux de sens, d'aspects du texte auxquels on avait été moins sensible lui donne une fraîcheur inédite. Cette vie du sens qui, pour notre bonheur, nous sauve de la fastidieuse expérience de la routine est tributaire d'un contexte et d'une expérience. On ne se sent pas tenu d'insister sur les mêmes significations à des époques différentes, avec un auditoire différent. Il s'agit d'éduquer et tout l'art pédagogique consiste peut-être à prendre la mesure de ces contingences. Je ne dis pas que je maîtrise cet art mais ma pratique est suffisamment longue pour savoir que je ne décline pas les significations de manière décontextualisée.
 
   En cela, on n'est jamais que de pâles imitateurs du grand Socrate. Il n'interrogeait jamais de manière abstraite. Au militaire, il demandait: « Qu'est-ce que le courage ? », au prêtre : « Qu'est-ce que la piété ? » et à l'homme qui se targue de savoir ce qu'est la justice, ce qu'il faut entendre par là. Il n'apportait pas les réponses à ses questions, se contentant d'inquiéter ses interlocuteurs afin qu'ils prennent conscience de leur ignorance et s'engagent dans la recherche en commun de la vérité ou du juste. Il s'avançait masqué en pratiquant l'ironie.    Il faudrait plus de temps que nous n'en disposons pour l'imiter en cela aussi et surtout ne pas avoir de programme. Ce qui ne serait guère sérieux. N'est pas Socrate qui veut. Il y faut la séduction d'un être habité par le souffle des dieux et le génie d'un disciple qui dramatise en lui le mystère de l'expérience philosophique. Si je l'évoque en ce jour de rentrée, c'est qu'il fut essentiellement un éducateur, avec la méthode que Nietzsche définit comme celle du grand éducateur : « Un éducateur ne dit jamais ce qu'il pense, mais toujours et exclusivement ce qu'il pense d'une chose quant à son utilité pour celui qu'il éduque. Cette dissimulation, il ne faut pas qu'on la devine » Fragments posthumes, 1885. Cité par Pierre Hadot dans Eloge de Socrate. 
 Et Pierre Hadot commente : « Méthode justifiée par la mission transcendante de l'éducateur ».
 
 On n'entend plus guère parler d'une telle mission. Les temps sont à la psychologie empirique, non à la psychologie rationnelle. Tout un programme ! Je ne suis pas sûre que ce soit celui de Socrate éducateur. Celui-ci ne se préoccupait guère du moi égotiste et ne craignait pas de faire honte. Il faisait même honte simplement par ce qu'il était. C'est l'orgueilleux, le détestable Alcibiade qui le dit.
 
 Ecoutons le en guise d'introduction, simplement pour se souvenir de ce qu'éduquer veut dire.
 
 « Pour moi, mes amis, si je ne devais vous sembler tout à fait ivre, je prendrais les dieux à témoin de l'impression que ses discours ont produite et produisent toujours sur moi. Quand je l'entends, mon coeur palpite plus fort que celui des Corybantes, ses discours font jaillir des larmes de mes yeux, et je vois force gens qui éprouvent les mêmes émotions, En écoutant Périclès et d'autres grands orateurs, j'ai souvent pensé qu'ils parlaient bien; mais je ne ressentais pas d'émotion pareille, mon cœur n'était pas troublé et je ne m'indignais pas d'avoir une âme d'esclave. Mais ce nouveau Marsyas m'a souvent mis dans des dispositions telles que je trouvais insupportable la vie que je menais.
 Tu ne diras pas, Socrate, que cela n'est pas vrai; et encore maintenant je sens bien que, si je voulais prêter l'oreille à ses discours, je n'y résisterais pas, j'éprouverais les mêmes émotions; car il me force d'avouer qu'étant moi-même imparfait en bien des choses je me néglige moi-même pour m'occuper des affaires des Athéniens. Aussi je suis forcé de me boucher les oreilles, comme devant les sirènes, pour le quitter et le fuir, si je ne veux pas rester là, assis près de lui, jusqu'à ma vieillesse. J'éprouve devant lui seul un sentiment qu'on ne croirait pas trouver en moi, celui d'avoir honte devant quelqu'un: il est le seul devant qui je rougisse. Je sens bien l'impossibilité de contester qu'il ne faille faire ce qu'il ordonne; mais, quand je l'ai quitté, je sens aussi que l'ambition des honneurs populaires reprend le dessus; aussi je le fuis, comme un esclave marron, et, quand je le vois, je rougis de mes aveux passés, et souvent je voudrais qu'il ne fût pas au monde; mais, s'il en était ainsi, je sais bien que j'en aurais encore plus de chagrin : c'est au point que je ne sais comment faire avec cet homme-là ».
                                                    Platon. Le Banquet, 216a.
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5 Réponses à “Vive la rentrée!”

  1. Joanna dit :

    Je vous souhaite (un peu tard) une bonne rentrée et une bonne reprise. J’ai déjà du le faire avant les vacances, mais ce genre de recomandations vieillit très vite. Je vous souhaite de retrouver votre bonheur d’enseigner encore et encore, malgré les défaites et les obstacles. J’entre moi même à l’université le 15, et je vais devoir affronter l’autre côté du miroir,, le bonheur d’apprendre et de travailler.
    Bonne soirée
    Joanna

  2. Simone MANON dit :

    Merci Joanna pour vos voeux et à mon tour de vous souhaiter une année riche en expériences et en conquête de savoirs.
    Avec mon bon souvenir

  3. Bravo pour votre site, le plus complet sur le programme de terminale, véritables modèle.

    Amitié spinoziste

    Augustin

  4. gaelle albinoni dit :

    c’est la premiere fois que je vous ecris mais c’est pour vous souhaiter une tres bonne année scolaire et pour vous souhaiter un bon courage avec vos eleves en espérant qu ils ne soient pas aussi tétu que moi. j ai appris beaucoup choses avec vous pas forcement sur la philosophie meme mais plutot sur moi sans vous je n aurai jamais decouvert que quand on veut quelque chose on peut l avoir. pour la petite anecdote j ai beaucoup apprécié le jour où vous m avez dit que j étais pire que Machiavel … merci pour cette belle année et bonne continuation a vous…

  5. Simone MANON dit :

    C’est une grande surprise et un plaisir d’avoir de vos nouvelles. A mon tour de vous présenter tous mes voeux pour ce nouveau parcours de votre vie.
    Avec mon bon souvenir.

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