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Epicure dans l'école d'Athènes par Raphaël.

 

 

Pour Epicure, la fin de l'existence humaine est le bonheur. « Avec le bonheur nous avons tout ce qu'il nous faut et si nous ne sommes pas heureux, nous faisons tout pour l'être ». Lettre à Ménécée. 14. 15. (Cf. Texte et Commentaire détaillé)

 

 PB : Qu'est-ce que le bonheur ? Epicure répond : C'est le plaisir. L'épicurisme est un hédonisme. « Nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse »108.109.

 

  Mais il faut lever les malentendus que l'idée de plaisir suscite. « Quand nous disons que le plaisir est le but de la vie, nous ne parlons pas des plaisirs des voluptueux inquiets, ni de ceux qui consistent dans les jouissances déréglées... » 152.153.154.155. Cette précision ne signifie pas que certains plaisirs soient mauvais. « Aucun plaisir n'est en soi un mal » dit la maxime fondamentale VIII. Si la débauche ne peut pas être conseillée, ce n'est pas, parce que certains plaisirs doivent être condamnés, c'est parce que le plaisir qui est visé n'est pas obtenu. Cf. maxime fondamentale : X.

   Epicure nous demande donc de distinguer deux formes de plaisir : le plaisir stable ou en repos (ou catastématique) et le plaisir en mouvement ou plaisir mobile.

   Les plaisirs en mouvement sont des plaisirs qui sont toujours liés à de la douleur puisque leur intensité dépend de la tension se dénouant en eux. En tant que tels ce ne sont pas des plaisirs purs.

  Le plaisir pur est un plaisir non mêlé à de la douleur. Il se caractérise par l'absence de toute souffrance et l'état de complète satisfaction. « La santé du corps, la tranquillité de l'âme sont la perfection de la vie heureuse » 97.98.

  Tel est le plaisir en repos. Il incarne le souverain bien de la vie, le bonheur, le but de la nature et se définit par l'absence de souffrance corporelle ( aponie) et de troubles de l'âme (ataraxie).

 

 PB : L'épicurisme est-il vraiment un hédonisme ?

  

 Ne faut-il pas le définir comme un hédonisme négatif dans la mesure où il ne définit pas le plaisir positivement, mais négativement comme absence de douleur ? De fait vouloir expurger le plaisir de tout rapport à la douleur n'est-ce pas faire l'économie du plaisir ? Nous avons tellement de la peine à imaginer le plaisir autrement que sous la forme des plaisirs mobiles, qu'il nous est difficile de voir dans l'épicurisme un hédonisme authentique. Pourtant Epicure s'efforce vraiment de décrire et de tendre à ce qui serait un plaisir pur, sans mélange. Pierre Hadot suggère une analogie entre ce plaisir pur et ce que Rousseau définit comme « le bonheur suffisant et plein ». « De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d'extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence ; tant que cet état dure on se suffit à soi-même comme Dieu » Rêveries du promeneur solitaire.

  Au fond, ce qu'Epicure célèbre dans le plaisir pur c'est, à la faveur de l'absence de douleur corporelle et de trouble de l'âme, le plaisir pur d'exister. Cf. https://www.philolog.fr/le-plaisir-selon-epicure-victor-brochard/#more-3446

 

  Or nul n'est plus indisponible pour une telle jouissance que l'homme, pour des raisons qu'il faut comprendre afin de ne pas exposer sa vie au malheur et de conquérir le souverain bien. D'où la nécessité de la réflexion philosophique. L'homme dont la vie n'est pas éclairée par la philosophie a en effet, l'art d'empoisonner son existence de toutes sortes de préjugés, de superstitions, de fausses opinions ayant pour effet de susciter la crainte, l'angoisse, l'inquiétude. Seule la connaissance rationnelle peut nous délivrer de ces opinions et promouvoir la paix de l'âme.

  La philosophie est donc conçue par Epicure comme utile (elle n'est pas une activité libérale. Cf. Maxime XI.), comme une thérapeutique. C'est une médecine de l'âme, ce que nous appelons aujourd'hui une psychiatrie. Voilà pourquoi l'éthique épicurienne se présente comme un quadruple remède.

 

  Les deux premiers consistent à comprendre qu'il ne faut craindre ni la mort ni les dieux.

  Il ne faut pas craindre la mort car elle ne nous concerne ni vivant ni mort. Tout bien ou tout mal réside en effet, pour l'empirisme ou le sensualisme épicurien dans la sensation. Or la mort est la suppression de la sensation. Quelle folie donc, de troubler le temps de la vie par la représentation de quelque chose dont nous n'avons pas à souffrir en vivant puisque tant que nous vivons la mort n'est pas, et dont nous ne souffrirons pas mort puisque quand la mort sera, c'est nous qui ne serons plus. Il faut donc substituer l'idée adéquate de la mort à la fausse opinion car si celle-ci a le pouvoir de nous angoisser, l'autre doit nous libérer de la crainte et nous rendre disponible pour la jouissance sans mélange de la vie.  Ce qui est la vocation de la réflexion.

 

 Il ne faut pas craindre non plus les dieux comme s'ils intervenaient dans le cours du monde, s'indignaient ou se réjouissaient des conduites humaines. Cette opinion fausse n'est qu'une superstition dont on connaît les effets désastreux sur l'âme des croyants. Ils passent leur vie dans la crainte du jugement dernier, ils s'astreignent à des sacrifices, des rites de purification, des mortifications, des pénitences qui empoisonnent littéralement leur existence. Epicure nous demande, non pas, de ne pas croire aux dieux (l'épicurisme n'est pas un athéisme) mais, comme pour la mort, de nous en faire une idée adéquate.

  La notion commune des dieux (prénotion ou prolepse)  n'associe que deux caractères à la divinité : la béatitude et l'immortalité. Tout ce que les religions ont superposé à cette signification relève de la superstition et est destiné à « ligoter » la vie. Il faut s'en libérer et ne voir dans les dieux que des modèles de béatitude à imiter. Ce qui est précisément l'objectif de l'épicurisme : nous apprendre à vivre comme un dieu sur la terre. En témoigne la fin de la Lettre à Ménécée. « Médite donc tous ces enseignements et tous ceux qui s'y rattachent, médite-les jour et nuit, à part toi et aussi en commun avec ton semblable. Si tu le fais, jamais tu n'éprouveras le moindre trouble en songe ou éveillé, et tu vivras comme un dieu parmi les hommes. Car un homme qui vit au milieu de biens impérissables ne ressemble en rien à un mortel ».

 

 Il faut aussi comprendre que le bonheur est à notre portée. Cette compréhension qu'en demandant le bonheur nous ne demandons pas quelque chose d'impossible mais cela même dont la réalisation est assurée par la nature exige une discipline des désirs.   Il faut, dit Epicure, distinguer plusieurs sortes de désirs.

 Les désirs naturels et nécessaires. Par exemple, la faim, la soif.

Les désirs naturels mais non nécessaires. Par exemple le désir sexuel, les désirs esthétiques.

Les désirs ni naturels, ni nécessaires. Ceux-ci peuvent s'étayer sur des désirs naturels comme l'amour, mais en général ils sont fondés sur de fausses opinions. Ils sont vains, illusoires et se caractérisent par leur illimitation. Par exemple : le goût du luxe, des richesses, le désir de gloire, des honneurs, d'immortalité. Mus par de tels désirs, les hommes souffrent, vivent dans une vaine agitation et ne peuvent jamais être comblés car de tels désirs sont infinis.

  Epicure nous invite, par la compréhension rationnelle de la vanité de ces désirs, à nous libérer de leur aliénation et en chaque occurrence de la vie à procéder à un calcul des plaisirs et des peines afin d'éviter le plus possible la souffrance et de maximiser la somme des plaisirs. Il enseigne les vertus d'une metriopathie nous faisant parfois choisir la douleur s'il doit en résulter un plus grand plaisir, ou renoncer à un plaisir s'il doit en résulter de la douleur.

  Ainsi pourrons-nous sortir de la vie comblé car « celui qui connaît bien les limites de la vie, sait qu'il est facile de se procurer ce qui supprime la souffrance due au besoin et ce qui amène la vie toute entière à sa perfection ; de sorte qu'il n'a nul besoin des situations de lutte ».

 

 Le dernier remède consiste à comprendre qu'  « on peut supporter la douleur » d'une part en se disant qu'une douleur extrême ne dure pas ou en équilibrant une douleur actuelle par la représentation d'un plaisir passé ou futur. Au fond Epicure propose une stratégie d'évitement du mal, auquel tout vivant est exposé, par les seules ressources de l'esprit. Il y a là une façon de dire que, dans l'adversité il n'y a de remède qu'en soi-même.

  NB : L'héroïsme de la sagesse est aujourd'hui supplanté par la morphine et les psychotropes.

 

  Conclusion ; L'enjeu de cette philosophie est l'autosuffisance du sage. Il s'affranchit de tout ce qui peut faire souffrir en réunissant les conditions d'un bonheur qu'il ne doit en grande partie qu'à lui-même.

 

 

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58 Réponses à “La sagesse épicurienne.”

  1. Kam dit :

    Merci beaucoup !
    Votre commentaire confirme ma piste de recherche.

    Merci de m’avoir répondu

    Cordialement

    K.A

  2. Un étudiant reconnaissant dit :

    Cet article m’a grandement aidé à réaliser un travail sur la question: « Épicure était-il épicurien ou hédoniste? »
    Merci beaucoup! Très bien fait!

  3. Sophie dit :

    Bonjour,

    Merci beaucoup pour cet article sur Epicure ! Je me penche actuellement sur un petit travail de comparaison de trois auteurs anciens (Platon, Aristote et Epicure aussi justement…) quant au lien existant entre la mort (et la pensée consciente de la mort) et le rapport à l’éthique et au bien-vivre et j’ai établi ainsi cette petite comparaison rapide mais j’avoue que votre avis et votre éclairage, toujours d’une limpidité hyper appréciable m’aurait énormément intéressé en fait… suis-je dans une juste compréhension des grandes différences entre ces auteurs quant à ce lien qu’on pourrait établir entre leur conception de la mort et leur éthique ou notion du bien-vivre? Merci infiniment:

    Pour Platon (il me semble mais qu’en pensez-vous donc!?): j’ai le sentiment que de ces trois auteurs, c’est celui qui accorde le plus de place à cette pensée de la mort en tant que pensée consciente car il constitue véritablement sa notion d’âme (dans le Phédon) autour de cet horizon de la mort. Platon développe 3 mythes en lien avec cette immortalité de l’âme (dans le Gorgias, le Phédon et enfin le mythe d’Er dans la République) et il me semble aussi que cette notion d’immortalité de l’âme, même si on la relie aussi à l’orphisme dans lequel a baigné Platon qu’elle vient aussi comme un peu « rééqulibrer » l’aspect sécuritaire de l’éthique platonicienne (bcp plus rigide que celle d’Aristote qui ne table pas sur des décisions idéales mais au contraire sur une prudence pratique à ajuster au cas par cas selon les situations sans scénario ou meilleure solution déjà pré-établie) puisque le mythe d’Er montre justement que l’âme va finalement CHOISIR ELLE-MEME et devoir donc assumer cette responsabilité qu’Aristote situe plutôt au sein même de l’incarnation et non dans un « entre deux vies ». Platon n’est évidemment pas matérialiste mais dira-t-on idéaliste ou pas? J’ai par exemple lu qu’Au moyen-âge, on considérait les platoniciens comme des réalistes au contraire puisque l’Idée préexiste aux choses sensibles??

    – Aristote considère pour sa part que l’âme/anima est rendue de façon irréversible à la mort physique au contraire de Platon et que les choix justes et éthiques doivent se prendre au cas par cas au cœur même des situations concrètes en s’exerçant et par habitude à bien choisir, en observant des hommes vertueux etc…. Martha Nussbaum parle donc d’Aristote en lien avec cette fragilité du bien (fragilité qui apparaît plus nettement donc que dans la société ou l’éthique terrestre plus balisée ou plus sécuritaire à la Platon…). Aristote est à situer dans les empiristes mais comment le situer aussi par rapport à l’aspect matérialiste d’Epicure puisque chez Aristote, la quiddité s’apparente à l’essence et que celle-ci, la forme ou âme est d’ordre IMMATERIEL??

    – Epicure quant à lui même si on le lie fortement au thème de la mort, considère néanmoins que celle-ci ne devrait pas avoir de place consciemment puisque morts, nous ne sommes plus en état de penser et que vivants, nous ne sommes par définition pas non plus concernés par la mort. Pour lui, le bien-vivre implique donc l’évacuation d’angoisses sur la mort aussi illogiques que mentalement polluantes et contre-productives. On peut dire qu’Epicure est matérialiste.

    Qu’en pensez-vous? Des idées de références, liens, articles complémentaires pour affiner, compléter ce genre de petite comparaison? D’avance un énorme merci!

  4. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Veuillez m’excuser de ne pouvoir vous être utile. J’ai beaucoup de réserve à l’égard de l’exercice auquel vous vous livrez. Il ne permet guère de rendre justice à la profondeur de la pensée d’auteurs qu’il faut souvent simplifier et forcer pour étayer des différences significatives.
    Bien à vous.

  5. Sophie dit :

    Entendu, pas de souci, je comprends tout à fait, merci quand même de m’avoir lue ; -)

  6. David Levy dit :

    Bonjour, vos recherches m’ont beaucoup aidé pour mon travail de Latin. J’ai pu réaliser mon diaporama sur l’épicurisme, j’espère avoir une bonne note, en vous remerciant continuez comme cela.

  7. Lucas FROIDEFOND dit :

    Bonjour Madame,

    Je suis un élève de terminal littéraire et je vous remercie pour la clarté de votre exposé. Il complète très bien mon cours. J’ai cependant une question à vous poser. Elle ne concerne pas tant la doctrine épicurienne en elle même, mais plutôt les conditions historiques de l’apparition de cette école. Notre professeur nous a fourni une explication mais que je trouve (à tord peut être ?) un peu simpliste.
    Nous avons appris auparavant que l’objectif de la philosophie se situe a deux niveaux. Dans celui du savoir (connaissance du monde, mathématiques, physiques…), et dans celui d’une vie bonne (éthique).
    Notre professeur, nous a donc expliqué que les écoles du Jardin et du Portique étaient apparues en réactions aux anciennes écoles philosophiques, l’Académie et le Lycée.
    Ces dernières nous ont été présenté comme des « centres d’éruditions », tournés exclusivement vers le savoir, en dépit de la recherche sur la vie bonne engagée par Socrate. En somme l’Académie et le Lycée ont oublié cette part essentielle de la recherche philosophique.
    J’ignore presque tout d’Aristote et je n’ai aucune connaissance sur l’enseignement du Lycée.
    Je ne connais pas non plus très bien l’Académie mais j’ai d’avantage côtoyé Platon (par mes lectures et les articles de votre site) et il me paraît vraiment étrange (presque invraisemblable) que l’Académie ne soit qu’un centre d’érudition étant donné que les dialogues du fondateur de cette école se préoccupe bien plus d’éthique et de politique que de physique.
    Je ne sais pas trop comment prendre cette explication, je ne sais pas dans quelle mesure elle est vrai. En espérant que vous puissiez m’éclairer.

  8. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vos remarques sont tout à fait pertinentes. Le souci de la vertu est aussi important pour un Platon ou un Aristote que l’intérêt pour le savoir.
    https://www.philolog.fr/aristote-le-bonheur-est-une-activite-de-lame-selon-la-vertu-dans-une-vie-achevee/
    Mais l’éthique que l’un et l’autre définissent est indistinctement une éthique et une politique car le contexte historique de l’un et l’autre est celui de la cité. Or l’âge qu’on appelle hellénistique se caractérise par la dissolution de l’ordre démocratique. D’où la nécessité de penser une éthique dont l’horizon est individuel plus que collectif.
    Voyez le début de cet article: https://www.philolog.fr/la-lettre-a-menecee-commentaire/
    Bien à vous.

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