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Un acte libre est-il un acte imprévisible?

 

 Introduction détaillée

   Imprévisible, ce qui n’est pas l’effet nécessaire de certaines conditions, c’est-à-dire ce qui n’est pas régi par le principe du déterminisme. Autrement dit, est imprévisible un acte qui, dans une situation donnée, ne peut pas être annoncé à l’avance avec certitude parce qu’il met en jeu une autre causalité que la causalité mécanique. Or n’est-ce pas ce le propre d’un acte libre? Un acte est libre s’il procède de l’initiative d’un sujet, de sa spontanéité, de sa capacité à se déterminer à agir sans autre cause que l’existence de ce pouvoir de se déterminer par lui-même. On appelle libre arbitre cette capacité. En ce sens l’imprévisibilité semble bien essentielle à la liberté.

  Elle l’est aussi si l’on remarque que le sujet qui décide est un sujet temporel. Il se construit dans le temps, il est, comme le montre Bergson, durée, changement, nouveauté. Comment prévoir à un moment donné le choix d’un homme qui ne sera plus tout à fait le même à un autre moment ? Cet argument vaut aussi bien pour l’autre que pour soi-même. (L’analyse approfondie de cette thèse : l’acte libre est un acte imprévisible, sera l’objet de la première partie) 

 

 

 

  

 

  Pour autant (renversement dialectique qui annonce la deuxième partie à savoir l’antithèse : un acte libre n’est pas absolument imprévisible) l’acte qui révèle le libre-arbitre d’un sujet ou procède d’une création imprévisible est-il totalement arbitraire ? L’imprévisibilité, en effet, n’est pas seulement le propre de ce qui est indéterminé. C’est aussi ce qui caractérise les conduites capricieuses, aberrantes, sans motifs ni raisons. Est-ce le cas des actes témoignant de la liberté d’un arbitre ? Descartes soulignait que la vraie liberté n’est pas l’acte d’une volonté hésitante, qui ne sait pas quel parti prendre et qui se détermine dans la pure indifférence. Un tel état de la volonté est, dit-il : « le plus bas degré de la liberté ». Seuls le caprice, des faits de hasard ou des motivations ignorées de l’agent lui-même déterminent alors la volonté comme cela apparaît clairement dans la conduite de Lafcadio dans l’œuvre de Gide : les caves du Vatican. L’acte libre est au contraire, l’expression d’une volonté qui se détermine en connaissance de cause. Dans telle situation, l’entendement me montre quel est le choix le plus intelligent. « D’une grande lumière de l’entendement suit une grande inclination de la volonté ». (Descartes) aussi suis-je d’autant plus libre que je suis moins indifférent. Dès lors, s’il n’y a d’authentique liberté qu’une liberté éclairée par le travail de la raison, la raison de l’autre et la mienne ne peuvent-elles pas anticiper le choix que, dans telles conditions, je ferai raisonnablement ou qu’autrui, sujet raisonnable fera ? 

 

  De même dans les situations qui ne sont pas moralement neutres, être libre c’est se déterminer par la loi de la raison. Or cette loi qui est la loi morale a, selon l’analyse kantienne, la forme de l’universalité. N’est-il pas alors possible de prévoir le choix d’un agent moral ? Ne pouvons-nous pas déterminer à l’avance le principe qui, dans telle situation ne comporte aucune contradiction logique et peut ainsi être universalisé? 

 

  Enfin si l’acte libre est l’acte par lequel un être s’affirme dans l’originalité et la singularité de sa personnalité, si comme l’écrit Bergson « nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre l’œuvre et l’artiste » ne peut-on pas avec une certaine probabilité anticiper l’acte libre ? Sans doute est-il imprévisible en tant qu’il est une création mais cette création ne peut pas être totalement étrangère à l’identité personnelle qui inscrit son chiffre en elle. Je peux m’en faire une vague idée si j’ai une certaine familiarité avec l’être concerné, a fortiori si cet être c’est moi-même. 

 

  

 

  L’enjeu de cet énoncé est ainsi de comprendre (dépassement)  qu’un acte libre est bien un acte imprévisible au sens où il procède d’une volonté qui n’est pas mécaniquement déterminée, mais l’indétermination de la volonté ne se conjugue pas avec l’arbitraire de l’irréflexion, de l’immoralité, du caprice ou du choix anonyme et impersonnel.