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La société et les échanges.

Quentin Metsys. Le prêteur et sa femme. 1514. Musée du Louvre.

Définition :

 
   Nous parlons d’échange à propos de choses très différentes : échange de paroles, de politesses, de femmes, de regards, d’offenses et de contre-offenses, de biens etc.

   L’étymologie latine du mot cambiare indique le principe d’un rapport de réciprocité entre des parties. Cambiare c’est « donner ou céder à quelqu’un quelque chose contre quelque chose ». Il y a échange là où il y a un mouvement d’intention réciproque entre des personnes.

 
   D’où plusieurs implications :
 
 
 
 
 
Problématisation :
 
 
 
 
 
 
I)                   L’échange économique est-il un phénomène universel ?
 
      « La division du travail […] est la conséquence nécessaire […] d’un certain penchant naturel à tous les hommes […] : c’est le penchant qui les porte à trafiquer, à faire des trocs et des échanges d’une chose contre une autre. » Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Livre I, § II.
   Par ce propos, Adam Smith donne une dimension naturelle et universelle à l’échange économique. Celui-ci n’est pas un phénomène ayant un caractère historique et comme tel lié à des conditions sociales changeantes, il est inscrit dans la nature humaine. Le penchant à « trafiquer », à troquer, à échanger est commun à tous les hommes. Il détermine le sens anthropologique de l’économie dont les lois ne sont pas tributaires des seules conventions humaines mais ont une assise naturelle.
   On sait que Marx dénonce avec vigueur cette propension des économistes classiques à fonder la réalité économique et sociale dans la nature : « Ils expriment les rapports de la production bourgeoise, la division du travail, le crédit, la monnaie, comme des catégories fixes, immuables, éternelles. […] les économistes nous expliquent comment on produit dans ces rapports donnés, mais ce qu’ils ne nous expliquent pas, c’est comment ces rapports se produisent, c’est-à-dire le mouvement historique qui les a fait naître » Misère de la philosophie, dans Œuvres économiques, I, La Pléiade, p. 74. Marx reproche aux économistes de penser comme éternel et universel un fait qui est essentiellement historique c’est-à-dire transitoire et changeant. Et tel est, à ses yeux, le fait de l’échange économique. Il n’a pas toujours existé. « Il commence là où les communautés finissent, à leurs points de contact avec les communautés étrangères ou avec des membres de ces dernières communautés » écrit-il dans Le Capital, Livre I, §II.
   Que veut-il dire et cette affirmation est-elle confirmée par l’étude des sociétés archaïques. Si l’on en croit certains chercheurs oui. Par exemple Claude Meillasoux établit que l’échange économique n’intervient pas entre les membres de collectivités produisant pour elles-mêmes et au sein desquelles les rapports de production se confondent avec les rapports de dépendance personnelle. Dans les sociétés où la production est orientée vers la satisfaction des membres du groupe producteur, les biens circulent selon des modalités reflétant le statut des parties concernées. Dans les hordes égalitaires des « chasseurs collecteurs » les produits obtenus par le travail collectif sont l’objet d’un partage. Dans les sociétés agricoles fondées sur la cellule de production familiale, les biens circulent le long des réseaux de parenté  ou d’alliance selon diverses modalités. Si la circulation s’effectue de bas en haut, elle prend la forme de la corvée ou du tribut. Si elle s’effectue de haut en bas, elle prend la forme de la redistribution et si elle s’effectue entre égaux, du don.
   Les biens échangés n’ont qu’une valeur d’usage. On appelle ainsi l’importance attribuée à une chose en tant qu’on s’en sert. Les biens ne sont pas confrontés comme c’est le cas lorsqu’ils revêtent une valeur d’échange. Celle-ci est l’importance accordée à une chose en tant qu’elle permet d’en acquérir d’autres.
   Dans la société archaïque, les biens n’ont pas de valeur d’échange parce qu’ils sont associés à des statuts sociaux. L’inférieur paye son tribut, le supérieur redistribue à l’inférieur tel bien ou donne à l’égal. Le membre de la société traditionnelle n’existe pas comme une personne autonome, propriétaire des produits de son travail et libre d’échanger avec d’autres producteurs en dehors des rapports de dépendance statutaire. Pour que le fait de l’échange économique apparaisse, il faut donc certaines conditions de possibilité que ne réunit pas la société archaïque. Il faut le contrat, la propriété, le marché, l’émergence de l’individu comme personne privée. Ce que Marx reconnaît : « Pour que l’aliénation soit réciproque, il faut tout simplement que des hommes se rapportent les uns aux autres, par une reconnaissance tacite, comme propriétaires privés de ces choses aliénables et, par là même, comme personnes indépendantes » Ibid.
   Il faut donc la dissolution des rapports traditionnels entre les personnes pour qu’un marché émerge. Car dans l’échange, les individus n’apparaissent plus que comme vendeurs ou acheteurs, propriétaires de marchandises, ils sont devenus comme étrangers les uns aux autres, dépourvus de lien de parenté ou d’alliance ou de subordination.
   Est-ce parce que l’échange incarne une menace pour les liens de dépendance propres à la société traditionnelle, toujours est-il qu’originairement le commerce se faisait par l’intermédiaire de colporteurs ou de négociants extérieurs à la communauté et négociant avec les représentants de celle-ci. La non appartenance à la communauté était une condition nécessaire à l’établissement de rapports marchands et ces étrangers étaient l’objet de réaction d’hostilité ou de xénophobie.
   Ex : le juif d’Europe centrale au Moyen-Age, l’Indien en Afrique orientale, le Libanais ou le Syrien en Afrique occidentale, le chinois en Asie du Sud-Est.
 
PB : Que les sociétés archaïques n’aient pas rendu possible l’échange économique en leur sein, ne signifie pas que celui-ci n’ait pas une assise dans la nature humaine. Même un Marcel Mauss, pourtant si soucieux de réinscrire l’échange dans une dimension anthropologique irréductible au calcul des utilités, pointe la dimension naturelle et universelle du marché : « Nous décrirons les phénomènes d’échange et de contrat dans ces sociétés qui sont non pas privés de marchés économiques comme on l’a prétendu – car le marché est un phénomène humain qui, selon nous, n’est étranger à aucune société connue – mais dont le régime d’échange est différent du nôtre » Sociologie et anthropologie, PUF, p.148. Le marché correspond donc bien à une tendance naturelle mais encore faut-il que celle-ci puisse s’exprimer, ce qui suppose que les hommes aient la liberté de se projeter vers les autres et vers les choses en qualité d’individus déliés des dépendances tutélaires. Ce n’est pas le cas de la communauté originaire. Dans celle-ci les hommes sont liés par des liens du sang (la parenté), de voisinage, d’amitié et par des structurations religieuses. L’institution du social leur échappe et la tradition tient lieu de loi. 
   Pour que l’individu advienne comme sujet économique, les individus doivent se poser comme étrangers les uns aux autres. C’est en ce sens que Tönnies (1887) distingue une société d’une communauté. Dans l’une ce qui fait lien social, c’est le statut, dans l’autre le contrat. Tönnies définit donc l’échange comme « un acte sociétaire type ». Le principe du contrat synallagmatique (qui comporte des obligations réciproques entre les parties) exige de penser l’homme comme une personne ayant, théoriquement, une existence antérieure au social, celui-ci n’étant pas ce qui doit subordonner l’individu dans un ordre holiste, mais ce qui résulte de l’association d’individus (prémisses individualistes) entrant en rapport les uns avec les autres, non pas pour sacrifier leurs droits naturels mais pour les sauvegarder.
   Il s’ensuit que le développement du commerce et l’idée moderne de liberté sont intimement liés.
   Benjamin Constant dans sa conférence sur La liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, [2] souligne ce rapport. Comme Montesquieu, il montre que le commerce des idées, des richesses fait grandir la liberté, reculer la guerre, contribue au développement de la civilisation. Dans cette perspective, je m’étonne toujours de la nostalgie que de nombreux auteurs semblent éprouver pour la communauté. Car que l’homme de l’idéologie individualiste soit, comme Marx le déplorait « l’homme séparé de l’homme » c’est vrai, mais cela signifie d’abord l’homme libéré des carcans statutaires, l’homme accédant enfin au statut de personne ayant des droits subjectifs.
 Y a-t-il nécessité à ce que cet homme n’ait en vue que son intérêt privé dans ses relations avec les autres et soit dénué de tout sens de l’intérêt commun ?
   Certes Montesquieu a raison de dire que « si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons (en note il précise qu’il pense à la Hollande) que dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font et s’y défont pour de l’argent.
   L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu’on peut les négliger pour ceux des autres » De l’Esprit des Lois, 1748, Livre XX, § 1.2.
 Au fond on est tenté de croire que l’homme de la société marchande ignore le désintéressement, la possibilité du sacrifice, du don de soi, l’amour de l’humanité, la générosité. Or cela se discute.
   Benjamin Constant, par exemple, précise que cet homme jaloux de sa liberté a moins pour objectif ultime son bonheur c’est-à-dire la satisfaction de ses intérêts que son perfectionnement. Hume n’hésite pas à dire que l’intérêt qui pousse les hommes à échanger, à coopérer est «  le sentiment de l’intérêt commun ; et ce sentiment, chaque homme l’éprouve dans son cœur ». Enquête sur les principes de la morale, 1751.
 
II)                Comment assurer la justice de l’échange ?
 
      Dès lors que la cité revêt la forme de producteurs échangeant les produits de leur travail, il est nécessaire, remarque Platon « d’avoir une agora et de la monnaie, symbole de la valeurs des objets échangés » Ibid.
   Une agora est un espace public régi par des lois communes, une monnaie est un signe destiné à servir « d’équivalent universel » (Marx) de choses qualitativement différentes. C’est dire que l’échange ne peut s’effectuer que sur la base d’un certain nombre de conventions ouvrant sur la dimension politique de l’espace social et d’abord sur certaines conventions garantissant la justice des échanges. Par où l’on voit que les intérêts humains ne sont pas qu’économiques, ils sont aussi moraux. Chacun attend que les échanges s’effectuent de manière juste. C’est à cette condition que les échanges peuvent assurer la cohésion sociale.
    La question est donc de savoir quelle est la règle de justice [3] devant présider aux échanges et sur laquelle les hommes peuvent s’entendre antérieurement à l’acte même d’échanger afin que celui-ci puisse être volontaire. Aristote répond : la règle de l’égalité mais non point de l’égalité arithmétique car ni les personnes engagées dans l’échange, ni les biens échangés ne sont égaux. L’égalité qu’il faut définir est une égalité proportionnelle ou géométrique. «  Dans les relations d’échange, le juste sous forme de réciprocité est ce qui assure la cohésion des hommes entre eux, réciprocité toutefois basée sur une proportion et non sur une stricte égalité. C’est cette réciprocité-là qui fait subsister la cité » Ethique à Nicomaque, V, 8, 1132 b, 30.
   Il faut donc déterminer la valeur respective des biens échangeables, détermination épineuse car il s’agit de rendre commensurables des choses qui ne le sont pas par nature. Dans la forme première d’échange qu’est le troc, on définira combien de mesures de lait il faut pour tant de mesures de vin ; puis la société se développant l’argent servira de signe de la valeur d’échange.
   Mais la question demeure : qu’est-ce qui assure la commensurabilité des biens ? «  Toutes les choses faisant l’objet de transaction doivent être d’une façon quelconque commensurables entre elles. C’est à cette fin que la monnaie a été introduite, devenant une sorte de moyen terme, car elle mesure toutes choses et par suite l’excès et le défaut, par exemple combien de chaussures équivalent à une maison ou à telle quantité de nourriture. Il doit donc y avoir entre un architecte et un cordonnier le même rapport qu’entre un nombre déterminé de chaussures et une maison (ou telle quantité de nourriture), faute de quoi il n’y aura ni échange ni communauté d’intérêts; et ce rapport ne pourra être établi que si entre les biens à échanger il existe une certaine égalité. Il est donc indispensable que tous les biens soient mesurés au moyen d’un unique étalon, comme nous l’avons dit plus haut. Et cet étalon n’est autre, en réalité, que le besoin qui est le lien universel (car si les hommes n’avaient besoin de rien, ou si leurs besoins n’étaient pas pareils, il n’y aurait plus d’échange du tout, ou les échanges seraient différents) ; mais la monnaie est devenue une sorte de substitut du besoin et cela par convention, et c’est d’ailleurs pour cette raison que la monnaie reçoit le nom de nomisma, parce qu’elle existe non pas par nature, mais en vertu de la loi (nomos) et qu’il est en notre pouvoir de la changer ou de la rendre inutilisable » Ethique à Nicomaque, V, 8, 1133 a, 20.30.
   Aristote affirme ici que l’unique étalon, le lien universel entre les hommes et entre les choses, le véritable fondement de la valeur et de la communauté d’intérêts est le besoin, dont la monnaie est le substitut. C’est lui qui égalise des choses inégales, ce qui laisse entière la question de droit. Car l’homogénéisation de fait des biens et des personnes par les conventions humaines justifiées par les besoins réciproques ne fait pas disparaître le caractère hétérogène des termes de l’échange et leur incommensurabilité. Ce que reconnaît Aristote lorsqu’il écrit : « Si donc, en toute rigueur, il n’est pas possible de rendre les choses par trop différentes commensurables entre elles, du moins, pour nos besoins courants, peut-on y parvenir d’une façon suffisante » Ibid., 1133 b, 20.
 
   La question se complique si l’on remarque qu’il y a deux usages possibles de la monnaie. Elle peut servir à acquérir des biens destinés à satisfaire des besoins mais elle peut aussi être le moyen de réaliser des profits. Les deux types d’échange monétaire que Marx formalisera dans les formules : M-A-M et A-M-A distinguent pour Aristote l’économie naturelle et saine, fondée sur le besoin et le souci de la vie bonne, d’une économie pervertie fondée sur la passion de la richesse. « Une fois la monnaie inventée à cause de la nécessité de l’échange, une autre forme de chrématistique vit le jour, le petit négoce, qui tout d’abord se fit probablement d’une manière toute simple, mais prit ensuite, sous l’action de l’expérience, une allure plus savante, en cherchant les sources et les méthodes destinés à procurer le maximum de profit » Politique, I, 9, 1257 b.
 
   Si la valeur des choses n’est pas mesurable seulement par leur valeur d’usage mais par leur valeur d’échange, la question de ce qui fonde cette valeur doit donc être reprise. Ce n’est pas comme le disait Aristote le seul besoin. Si c’était seulement le besoin, les hommes en seraient toujours à une économie de subsistance or ce qui œuvre dans la production des biens autant que dans leur échange c’est le désir humain. L’économie marchande s’étaye sur la recherche du superflu, le goût du luxe, le désir de promouvoir des conditions d’existence qui pour être artificielles n’en sont pas moins celles dans lesquelles l’homme se sent exister comme un homme.
   Alors quel peut bien être l’unique étalon de mesure des biens si ce n’est pas le seul besoin ? L’économie classique et Marx répondent : le travail. Ce qui rend commensurables toutes les marchandises, ce qui mesure leur valeur d’échange, c’est la quantité de force de travail qu’elles matérialisent. « Le prix réel de chaque chose, ce que chaque chose coûte réellement à celui qui veut se la procurer, c’est le travail et la peine qu’il doit s’imposer pour l’obtenir » Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations.
   Marx écrit de même dans Le capital, I, 1° section, §1 : «  La valeur d’usage des marchandises une fois mise de côté, il ne leur reste plus qu’une qualité, celle d’être des produits du travail ».
 
   Mais ce nouveau fondement de la commensurabilité de biens incommensurables n’est pas plus satisfaisant que le précédent. Car pour faire du travail l’étalon de mesure de la valeur des biens, il faut faire abstraction de l’inégalité des produits du travail humain et de l’inégalité des hommes quant à leur capacité de production. En faisant du travail conçu abstraitement la mesure de la valeur, on égalise moins les hommes et les choses qu’on reconnaît ses droits à l’inégalité de fait des hommes et des travaux. Et cette inégalité n’est pas qu’une inégalité naturelle, elle est aussi une inégalité sociale car les hommes produisent dans une certaine organisation sociale du travail. Le travail matérialisé dans la marchandise n’est donc pas désolidarisable d’un contexte social, il est déjà la matérialisation de certains rapports sociaux. Ce qui s’oublie facilement dans la société marchande dans laquelle « les rapports entre les choses » finissent par dominer « les rapports entre les hommes ». De fait la sphère économique semblant avoir une logique autonome, coupée de tout lien avec les autres dimensions de la vie humaine (religieuse, sociale, politique), le propre des marchandises est d’apparaître comme des choses ayant de la valeur en elles-mêmes, comme si leur prix était une réalité objective au même titre que leur composition chimique. C’est ce que Marx appelle le fétichisme de la marchandise*.
 
   Au terme de cette analyse, il apparaît que l’étalon de mesure nécessaire pour rendre commensurables des choses différentes ne va pas de soi. Le système des échanges est fondé sur des conventions, « une institution imaginaire » selon la formule de Castoriadis, renvoyant à une manière de faire signifier les hommes et les choses selon une symbolique implicite. Il s’ensuit qu’il a toujours quelque chose d’arbitraire. D’autres systèmes de répartition des richesses produites par le travail des hommes peuvent toujours être envisageables.
    Cela tient au fait que, quelle que soit la réponse donnée à la question de savoir ce qui fonde la valeur d’échange, on est confronté à des difficultés car il est aussi injuste d’égaliser des choses et des personnes inégales qu’il l’est de traiter inégalement des choses égales. Or c’est le défi que les hommes doivent relever dans leurs rapports sociaux. On peut donc conclure que la question de la justice absolue des échanges ne peut pas être résolue. C’est une question aporétique pour le penseur et pour les sociétés une question conflictuelle.
 

 NB: Attention: Ce qui est aporétique, c’est le principe d’une  justice absolue non les principes de justice qu’il est possible de définir et sur lesquels les hommes peuvent réaliser des consensus. Il en est de la justice ce qu’il en est de la vérité. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de critères infaillibles de l’une ou de l’autre qu’il faut renoncer à s’en réclamer pour discriminer la valeur des énoncés dans le cas de la vérité, la valeur des  répartitions auxquelles les hommes consentent  dans le cas de la justice.

 

*   « Le caractère d’égalité des travaux humains acquiert la forme de valeur des produits du travail. […] Voilà pourquoi ces produits se convertissent en marchandises, c’est-à-dire en choses qui tombent et ne tombent pas sous les sens, ou choses sociales. C’est ainsi que l’impression lumineuse d’un objet sur le nerf optique ne se présente pas comme une excitation subjective du nerf lui-même, mais comme la forme sensible de quelque chose qui existe en dehors de l’oeil. Il faut ajouter que dans l’acte de la vision la lumière est réellement projetée d’un objet extérieur sur un autre objet, l’œil ; c’est un rapport physique entre des choses physiques. Mais la forme valeur et le rapport de valeur des produits du travail n’ont absolument rien à faire avec leur nature physique. C’est seulement un rapport social déterminé des hommes entre eux qui revêt ici pour eux la forme fantastique d’un rapport des choses entre elles. Pour trouver une analogie à ce phénomène, il faut la chercher dans la région nuageuse du monde religieux. Là les produits du cerveau humain ont l’aspect d’êtres indépendants, doués de corps particuliers, en communication avec les hommes et entre eux. Il en est de même des produits de la main de l’homme dans le monde marchand. C’est ce qu’on peut nommer le fétichisme attaché aux produits du travail, dès qu’ils se présentent comme des marchandises, fétichisme inséparable de ce mode de production. » Marx, Le Capital, Livre I, 1° section, §1.
 
 
 
     III)       Echange et don. [4]