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Désir et volonté.

 

  On dit communément qu’il est possible de désirer ce que l’on ne veut pas ou de vouloir ce que l’on ne désire pas. Malgré les abus de langage (les hommes disent souvent « je veux » là où en réalité il faudrait dire « je désire ») le désir est donc une chose, la volonté une autre

 

 Pas absolument cependant. Car même si elle ne s’y limite pas, la volonté s’étaie sur le désir. Si la princesse de Clèves n’avait pas le désir d’être fidèle à une certaine idée d’elle-même, voudrait-elle résister à son amour pour le duc de Nemours ?

  Si l’on n’avait pas le désir de guérir, voudrait-on subir un traitement éprouvant qu’à l’évidence on ne désire pas ?

  Mais il y a une grande différence car « le désir est un attrait que l’on subit, la volonté un pouvoir que l’on exerce ». (Edmond Goblot).

  Définition : La volonté est un pouvoir de se déterminer à agir en fonction de motifs ou de raisons.

  C’est dire qu’elle est une faculté de se projeter vers des fins ou des objets, très complexe, puisque si elle implique l’affectivité, elle met aussi en jeu les fonctions supérieures de la personnalité : l’entendement ou la raison.

 

        1) Distinction du désir et de la volonté du point de vue de la détermination des fins.

 

  La volonté n’est pas réductible à la spontanéité du désir : elle suppose une capacité de recul, de distanciation par laquelle le désir peut être, dans la conscience, confronté à d’autres désirs, évalué en fonction de nos choix moraux et de notre appréciation de la situation. La volonté peut ratifier le désir, y consentir ou au contraire s’y opposer. « La volonté est nolonté » disait Renouvier.

  Voilà pourquoi, s’il y a sens à reconnaître une liberté sur le plan psychologique, c’est au niveau de la volonté.

  Or comme il y a débat sur le plan métaphysique, il y a aussi débat sur le plan psychologique.

  Pour les théoriciens du libre arbitre la volonté humaine est libre. Elle est fondamentalement indéterminée. « Il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son consentement ou ne pas le donner quand bon lui semble que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions » affirme Descartes. Les principes de la philosophie. 1644.

  Parce qu’il est une pensée, l’homme n’est pas comme les choses ou les animaux, mécaniquement déterminé, ses actes ne sont pas le simple effet nécessaire de causes antécédentes. Il peut se donner le spectacle de ce qui agit en lui sans lui, envisager des possibles, les confronter et se projeter vers des fins choisies. Il peut anticiper les conséquences de sa conduite et juger les objets et buts vers lesquels ses désirs le font tendre. Il a donc le pouvoir de se déterminer par la représentation de motifs ou de raisons.

  Il n’est pas déterminé par des causes, il semble disposer de la capacité de s’autodéterminer par la représentation de fins.

  Ce qui indique que les mobiles affectifs ou les motivations inconscientes sont métamorphosés par la réflexion, en motifs raisonnables. Au lieu de subir les impulsions, les déterminations, le volontaire se projette avec toutes les ressources de sa personne vers des fins. Il s’attribue ainsi la responsabilité d’un acte qui est d’abord un projet en puissance avant d’être en acte. Il s’institue par là cause première de son acte.

  Pour Descartes notre volonté est indéterminée, elle est le pouvoir, même dans la pure indifférence, de choisir tel parti plutôt que tel autre. Certes cette liberté d’indifférence « est le plus bas degré de la liberté, et fait plutôt paraître un défaut dans la connaissance qu’une perfection dans la volonté ; car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire, et ainsi je serais entièrement libre sans jamais être indifférent » Méditions métaphysiques IV.

  Cette analyse de la volonté repose donc sur le postulat du libre arbitre et sur l’idée que la volonté et l’entendement sont deux facultés différentes, chacune ayant une autonomie. Je peux juger sans être déterminé dans mes jugements par mes affects (cf. la distinction que Descartes établit entre les pensées d’imagination et les pensées d’entendement). Je peux vouloir, même ce que mon entendement me révèle être le pire. Ma volonté n’est déterminée ni par les affects, ni par la raison.

 

  Pour Spinoza, cette analyse procède d’un rapport imaginaire à soi-même. Le libre arbitre est une illusion. Il s’ensuit que la volonté est déterminée soit par les affects, soit par la raison.

  Or comme nous sommes essentiellement une tendance à persévérer dans l’être (un conatus), nous sommes déterminés par notre nature à vouloir et à juger bon ce vers quoi elle nous fait tendre. «  Nous ne nous efforçons à rien, ne voulons, n’appétons ni ne désirons aucune chose parce que nous la jugeons bonne ; mais, au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons » Ethique III. Prop.9, scolie. 1677.   L’entendement et la volonté sont donc une seule et même chose. L’hésitation, le doute ne signifient pas que l’entendement s’exerce de manière autonome mais que dans telle situation, des idées ou des désirs différents ont des forces égales.

  Néanmoins, chacun peut comprendre, en analysant son expérience, que ce qu’il juge un bien peut être un mal si ce vers quoi il tend est source de tristesse, de mutilation de la vie plutôt que de joie et d’épanouissement. « Chacun a le pouvoir de se comprendre lui-même et de comprendre ses affects de façon claire et distincte sinon totalement du moins en partie, et il a par conséquent le pouvoir de faire en sorte qu’il ait moins à les subir » Ethique V Prop.4, scolie.

  Il s’ensuit qu’il est possible de s’affranchir de l’aliénation passionnelle par la connaissance adéquate de la nécessité de sa propre nature. Libre, pour Spinoza, celui qui agit selon sa nécessité propre. La liberté ne s’oppose pas à la nécessité, elle s’oppose à la contrainte et la contrainte d’une nécessité extérieure à la sienne est le propre d’une vie soumise à l’empire des affects. Celui qui vit sous la conduite de la raison comprend l’ordre des choses et agit là où l’autre subit.

  La volonté est la même chose que  l’effort pour persévérer dans son être (conatus )elle est cet effort « en tant qu’il a rapport à l’âme seule ». Ethique III, Prop. VI, VII.

 

        2) Distinction du désir et de la volonté du point de vue des moyens.

 

  L’analyse classique et intellectualiste de l’acte volontaire ne distingue pas seulement la volonté et le désir sur le plan de la position des fins. Elle les distingue aussi dans le rapport aux moyens.

  Le désir, dit-elle, se contente de poser les fins. Il se préoccupe peu des moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces fins. « Il attend la manne » écrit Alain.

  Il dit « je voudrais bien » là où la volonté dit « je veux » c’est-à-dire se dispose à se réaliser.

  Vouloir n’est pas souhaiter, c’est accomplir. Le velléitaire veut quantité de choses, il déborde de projets parce qu’il n’en met en œuvre aucun. Le volontaire, au contraire, est modeste mais engagé dans l’accomplissement de ce qu’il a projeté.  Voilà pourquoi, on ne peut pas vouloir l’impossible. En ayant le souci des moyens, le sujet est conduit à tracer la frontière entre le possible et l’impossible, le rêve et la réalité, le permis et l’interdit.

 

  Conclusion : La volonté est un acte intentionnel, portant le chiffre d’une personne. C’est dire que la conception intellectualiste distinguant en lui, les moments de la conception de l’acte et de la fin à atteindre, de la délibération, de la décision et de l’exécution a sans doute le tort de dissocier des opérations subtilement intriquées dans le mouvement de la vie.

  Reste que ceux qui ne veulent voir dans l’acte volontaire qu’un désir dominant confondent sans doute volonté et passion et ceux qui ne voient dans le jugement qu’un exercice de justification, après coup, de ce qui a été posé par le désir (Cf. Sartre : « Quand je délibère, les jeux sont faits ») méconnaissent le pouvoir que l’esprit expérimente de réorienter, en permanence, son désir selon son projet réfléchi d’existence.