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Ambiguïté du travail.

Gustave Caillebotte. Les raboteurs de parquets. 1875.

 

 Cette ambiguïté s’atteste par le fait que le travail a rapport à la servitude et à la liberté.

 

 A)    Rapport du travail à la servitude.

 

 1)      La tradition grecque.

 

  En toute rigueur le travail est une contrainte vitale. Par définition une contrainte est ce qui nie la liberté. Voilà pourquoi les Grecs ont lié l’activité laborieuse à la condition servile et ont opposé aux activités utilitaires les activités libérales. Cf. Répertoire [1] : libéral.

  Réactualisant les analyses grecques, Hannah Arendt note combien l’expression « animal travailleur » est bien trouvée alors que celle « d’animal raisonnable » est antinomique.

  C’est parce qu’il n’est pas un simple animal que l’homme est raisonnable, en revanche c’est sa nature animale qui le condamne au travail.

  Car il faut, dit-elle, distinguer le travail et l’œuvre de nos mains ; l’animal laborans et l’homo faber.

  Le travail est l’activité au service de la vie, engloutie dans son caractère dévorant, futile, toujours à recommencer puisque la consommation en détruit immédiatement les produits.

  Activité non libre, répétitive, sans commencement ni fin, vouée à la destruction de tous les biens qu’elle génère.

  L’œuvre au contraire arrache l’homme au cycle répétitif de la nature et donne naissance au monde proprement humain. Celui-ci a un caractère durable et c’est en lui que s’insère l’action humaine.

 

  Hannah Arendt introduit ainsi la distinction conceptuelle : travail ; œuvre ; action.

   « La vita activa, la vie humaine en tant qu’activement engagée à faire quelque chose, s’enracine toujours dans un monde d’objets fabriqués qu’elle ne quitte et ne transcende jamais complètement. Hommes et objets forment le milieu de chacune des activités de l’homme qui, à défaut d’être situées ainsi, n’auraient aucun sens. Mais ce milieu, le monde où nous naissons, n’existerait pas sans l’activité humaine qui l’a produit comme dans le cas des objets fabriqués, qui l’entretient, comme dans le cas des terres cultivées, ou qui l’a établi en l’organisant, comme dans le cas de la cité. Aucune vie humaine, fût-ce la vie de l’ermite dans le désert, n’est possible sans un monde qui, directement ou indirectement, témoigne de la présence d’autres êtres humains »   Condition de l’homme moderne. 1983. traduction Calmann-Lévy.

   Le travail est ici déchiffré dans son sens organique et animal. Il s’ensuit que le travailleur n’est véritablement humain qu’autant qu’il fait œuvre c’est-à-dire qu’il produit des choses durables selon des modalités l’inscrivant dans une culture avec ce que cela implique de maîtrise d’un métier et de maniements d’outils, incarnant objectivement l’activité séculaire des hommes.

   Mais conformément à la tradition grecque, Arendt réactualise le principe d’une supériorité de l’action sur l’œuvre et le travail. La vie active est ce que les Grecs situaient entre la vie contemplative ou idéal théorétique qu’ils plaçaient au sommet de la hiérarchie des genres de vie et la chrématistique c’est-à-dire la vie économique qu’ils méprisaient.

  Elle correspond à l’engagement politique par lequel, les uns avec les autres, les hommes instituent leur être-ensemble, définissent les fins de leur existence par le moyen du logos et nouent des rapports d’amitié et de justice.

  La hiérarchie fondamentale s’étaie sur la différence entre une action ayant sa fin en elle-même (la praxis) et une action ayant sa fin hors d’elle dans un objet (la poièsis). La contemplation de la vérité (théorie) et l’action morale dans la pratique de l’amitié et de la justice (praxis) sont des fins en soi non de simples moyens. Dans le savoir et dans la praxis, l’homme accomplit son excellence comme une fin immanente; dans la poièsis (la production) sa fin est hors de lui et il n’est qu’un agent à son service comme l’esclave l’est à l’égard du maître ou le cordonnier à l’égard du besoin qu’il doit satisfaire.

 

2)      Le judéo-christianisme.

 

  Jérusalem aussi pointe le caractère négatif du travail.

  La Bible en fait le châtiment de la faute originelle et l’objet d’une malédiction.

   «  Maudit soit le sol à cause de toi. C’est au prix d’un travail pénible que tu tireras ta nourriture tous les jours de ta vie. Il te produira des épines et des chardons et tu mangeras l’herbe des champs. C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras le pain jusqu’à ce que tu retournes à la terre dont tu as été tiré car tu es poussière et tu retourneras à la poussière » Genèse 3 ; 16.19.

  Le travail de la femme étant l’enfantement il est dit aussi « tu enfanteras dans la douleur ».

   Dieu avait confié le jardin d’Eden à Adam et Eve sous condition de respecter sa loi et ne pas goûter à l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Mais l’homme désobéit (thème du péché originel) et advient à lui-même dans le mouvement l’expulsant du paradis terrestre (thème de la chute).

  Désormais il n’est plus créature de Dieu, il est rejeton de la terre, sa condition n’est plus celle des immortels, étrangère à la mort, au souci, à la peine ; il est jeté dans le temps, confronté aux affres de sa finitude et à l’hostilité d’une terre à laquelle il lui faudra arracher à la sueur de son front les conditions de sa subsistance.

   Mais à la différence des Grecs, la Bible pointe l’essence dialectique du travail et prépare la modernité.

  Car la malédiction est aussi chemin de rédemption. En assumant la pénibilité du travail l’humanité expie sa faute et promeut les conditions de son salut.

  Dans son encyclique sur le travail humain, Jean-Paul II souligne le lien du travail à la Croix et à la mort du Rédempteur. Il demande de concevoir la peine de chaque homme dans la tâche quotidienne comme une petite part de la croix du Christ.

   « En supportant la peine du travail en union avec le Christ crucifié pour nous, l’homme collabore en quelque sorte avec le fils de Dieu à la rédemption de l’humanité. Il se montre le véritable disciple de Jésus en portant à son tour la croix de chaque jour dans l’activité qui est la sienne ». Encyclique sur le travail humain (1981)

             

3)      L’étymologie.

 

  L’étymologie latine enfin corrobore le sens négatif du travail.

  Le mot vient de tripalium qui désigne un instrument à trois pieux servant à maintenir les chevaux récalcitrants afin de les ferrer.

  C’est dire que la notion de travail connote celle de torture, de souffrance endurée à son corps défendant.

  De même, le mot labeur indique celui de peine.

  Ex : Un homme de peine désigne un travailleur. On dit aussi : il ne « mesure pas sa peine » pour signifier qu’il ne rechigne pas à l’effort.

Dans cette perspective la tâche des hommes est de se libérer de la servitude du travail.

 Elle consiste à dégager du temps libre, non point pour être oisif. Le mépris grec du travail ne débouche pas sur une apologie de la paresse ou de l’oisiveté. « L’oisiveté est la mère de tous les vices » dit la sagesse des nations. Elle livre l’homme à l’intempérance, à la démesure, à l’excès. Le temps libre ou loisir (Skholè) est un temps actif, celui qui est disponible pour les activités libérales, l’activité intellectuelle et l’activité politique. Les artisans, les esclaves, les producteurs, les commerçants sont bien trop affairés (negotium en latin), bien trop occupés à pourvoir aux nécessités de la vie pour être disponibles (otium : loisir studieux) pour les préoccupations spirituelles. Le terme grec désignant l’artisan (banausos) renvoie au registre péjoratif de la rusticité, de l’inculture ou de la grossièreté. Dans La République 495d-e Platon parle de la « foule des gens de nature inférieure, et chez qui l’exercice d’un métier mécanique a usé et mutilé l’âme en même temps que déformé le corps ». Et dans La Politique I, 11  Aristote analyse crûment les choses : « Parmi les travaux, ceux qui exigent le plus d’habileté sont ceux où il y a le moins de hasard ; les plus mécaniques sont ceux qui déforment le plus les corps ; les plus serviles, ceux qui exigent le plus de forces corporelles ; les plus vils, ceux où il y a le moins besoin de qualités morales. » C’est en ce sens qu’il faut comprendre que le travail peut être vécu comme une aliénation, une mutilation de la nature spirituelle et morale de l’homme, ce qui occupe son temps au détriment d’activités plus essentielles. Au fond l’homme fait souvent l’expérience qu’il perd sa vie en étant contraint à la gagner.

 

  Marx écrit en ce sens :

« A la vérité, le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures; il se situe donc par sa nature même, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. Tout comme l’homme primitif, l’homme civilisé est forcé de se mesurer avec la nature pour satisfaire ses besoins, conserver et reproduire sa vie: cette contrainte existe pour l’homme dans toutes les formes de la société et sous tous les types de production. Avec son développement, cet empire de la nécessité naturelle s’élargit parce que les besoins se multiplient; mais, en même temps, se développe le processus productif pour les satisfaire. Dans ce domaine, la liberté ne peut consister qu’en ceci que les producteurs associés- l’homme socialisé règlent de manière rationnelle leurs échanges organiques avec la nature et les soumettent à leur contrôle commun au lieu d’être dominés par la puissance aveugle de ces échanges ; et qu’ils les accomplissent en dépensant le moins d’énergie possible dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine. Mais l’empire de la nécessité n’en subsiste pas moins. C’est au-delà que commence l’épanouissement de la puissance humaine qui est sa propre fin, le véritable règne de la liberté qui, cependant ne peut fleurir qu’en se fondant sur ce règne de la nécessité. La réduction de la journée de travail est la condition fondamentale de cette libération.

                              Fragment destiné à figurer dans la III° partie inachevée du Capital.1867   

 

  Dans ce passage, Marx ne défend plus un humanisme du travail. Conformément à la tradition, il oppose radicalement l’ordre de la nécessité et celui de la liberté. On peut penser les conditions d’une humanisation du processus de production, on ne peut pas supprimer sa malédiction. L’épanouissement de l’homme n’est plus conçu dans le travail mais hors de lui dans le temps de loisir, temps que seul un système de production efficace peut rendre possible. Or comme cette efficacité est tributaire de la division du travail, de sa rationalisation et comme celles-ci sont des mortifications de l’homme total, autant dire que Marx ne conçoit pas d’une autre manière que les Grecs, le règne de la liberté. La seule différence, et elle n’est pas mince bien sûr, est que le rôle dévolu aux esclaves dans le monde antique est imparti aux machines, ce qu’Aristote avait annoncé : « si les navettes des tisserands tissaient d’elles-mêmes, le chef d’atelier n’aurait plus besoin d’aides, ni le maître d’esclaves ». Dans Le Capital Marx médite cette observation et s’exclame : « Ah ces païens ! Ils excusaient l’esclavage des uns parce qu’il était la condition du développement intégral des autres ». C’est donc le machinisme qui doit libérer l’homme dans la modernité, ce n’est pas le mythe d’un travail libre par nature.

   De même Kant dit dans IHUC que les besoins, les appétits, les passions contraignent l’homme « à se jeter dans le travail et la peine pour trouver en retour le moyen de s’en délivrer par sa prudence ».

  

B)    Rapport du travail à la liberté.

 

  Ce lien apparaît dès qu’on souligne le caractère spécifiquement humain du travail.

   Il est, dit Marx, « l’essence de l’homme » signifiant par là que le travail est le propre de l’homme. S’il en est ainsi, on commet une erreur lorsqu’on parle du travail des animaux. Sous une même dénomination, on désigne des réalités qui, en toute rigueur, doivent être différenciées.

 

  Pourquoi donc le travail est-il spécifiquement humain ?

   La réponse à cette question exige de distinguer l’activité humaine de l’activité instinctive. Contrairement à cette dernière, la première n’est pas régie par le déterminisme naturel. Ni dans ses fins, ni dans ses moyens, l’activité humaine n’est soumise à la loi naturelle.

  « L’homme est libre de l’instinct » (Kant). Le travail est une activité consciente et volontaire.

   Le travail est d’abord projet. L’objet ou la fin visée n’est pas fixé par un besoin naturel car l’homme a le pouvoir de se représenter, d’imaginer l’objet propre à le satisfaire. Avec l’homme le besoin devient désir et ouvre un horizon dépassant les limites que la nécessité biologique assigne aux opérations animales. Dans son projet l’homme manifeste son intériorité spirituelle, il anticipe un monde aux couleurs de ses rêves et il ne se contente pas de le fantasmer. En se mettant à la tâche, il  va s’efforcer de lui donner existence. Aussi va-t-il inscrire dans l’extériorité la marque de son intériorité. Ce qui implique la fabrication d’outils, la mise au point de machines permettant d’augmenter les pouvoirs de son corps et d’insérer entre lui et la nature le monde des objets techniques. 

  Par son procès même, tant au niveau des fins qu’à celui des moyens, le travail rompt avec la nécessité naturelle. Il ne se contente pas d’accomplir passivement les opérations de la nature comme c’est le cas de l’animal. Il la modifie en fonction de ses exigences et en la modifiant, il se modifie lui-même. « En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent » remarque Marx.

  Par là l’homme n’a pas du tout le même rapport à la nature que l’animal. Celui-ci est adapté à la nature par des mécanismes naturels, l’homme adapte la nature à ses désirs par des opérations qu’il ne doit qu’à son ingéniosité. Il l’humanise et par là même il manifeste dans l’extériorité ce qu’il est intérieurement, il se naturalise. En ce sens, le travail n’appartient qu’à l’homme.

 

  Cf. «  Une araignée fait des opérations qui ressemble à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté. Et cette subordination n’est pas momentanée. L’œuvre exige pendant toute sa durée, outre l’effort des organes qui agissent, une attention soutenue, laquelle ne peut elle-même résulter que d’une tension constante de la volonté. Elle l’exige d’autant plus que par son objet et son mode d’exécution, le travail entraîne moins le travailleur, qu’il se fait moins sentir à lui, comme le libre jeu de ses forces corporelles ; en un mot, qu’il est moins attrayant »

                                                         Le Capital. I, 3° section, §VII, I.

 

  Marx met en évidence la spécificité du travail humain en trois points :

Sa fin « préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur ». L’oeuvre est en projet avant d’être concrétisée et le projet détermine les modalités de l’action propre à le réaliser. C’est dire que si la cellule de cire est un effet inconscient et involontaire de l’activité de l’abeille, la maison est ce que l’architecte conçoit de manière consciente et construit en déterminant sa volonté par la représentation de cette fin. 

La réalisation du projet n’est pas simple « changement de forme dans les matières naturelles ». Car la modification opérée par le travail n’est pas une modification immanente à la matière, elle est inscription en elle d’une volonté. Elle donne existence objective à ce qui était préalablement visé comme possible ou souhaitable. Le travail est actualisation d’une volonté. Il s’ensuit qu’il ne produit pas seulement un objet pour satisfaire un besoin préalable, il produit aussi des objets du désir qui inventent l’homme comme sujet de nouveaux besoins

Par là la transformation de la nature est en même temps transformation du travailleur. D’une part parce que pour atteindre ses fins, l’homme doit déployer ses ressources en dextérité manuelle, en génie inventif, en aptitudes intellectuelles, en discipline de sa volonté. Marx insiste particulièrement sur cet aspect. Le travail exige un effort autrement dit l’exercice d’une force propre à vaincre d’autres forces, en particulier celles qui pourraient distraire et détourner la volonté de son objectif. Le travail requiert attention et tension constante de la volonté. Il est en soi une discipline par laquelle l’homme nie sa propre naturalité. D’autre part parce que, comme il a été dit précédemment « la production ne produit pas seulement un objet pour un sujet mais un sujet pour l’objet » (Marx)   De fait, le travail donne naissance à un monde artificiel témoignant que l’homme s’invente lui-même en même temps qu’il invente son monde. Régis Debray, spécialiste de médiologie (étude des moyens médiatisant le rapport de l’homme au temps et à l’espace), établit que les objets techniques sont les embrayeurs de nouveaux mondes culturels. La découverte de l’imprimerie ouvre la période qu’il appelle graphosphère (dont la Réforme, la Révolution de 1789 et de 1917 sont les produits). La graphosphère est aujourd’hui, en train d’être supplantée par la vidéosphère. Mouvement irréversible témoignant que le milieu technique (la médiasphère) est aux hommes, ce que la biosphère est aux animaux et aux végétaux.  Il s’ensuit que, la technique, production humaine, est en retour ce qui produit l’homme et son monde. « La technogenèse est la face externe de l’anthropogenèse » affirme Régis Debray.

 

  Au terme de cette analyse, on peut  voir dans le travail l’activité d’une liberté devenant effective en niant concrètement le donné afin d’en faire l’espace d’un exercice réel de la liberté. Marx est ici l’héritier de Hegel et de la thématique de la conscience comme négation de l’extériorité en tant qu’elle est une altérité étrangère aux exigences de l’intériorité. Le travail peut donc bien être conçu comme l’odyssée d’une liberté qui est d’abord abstraite et doit affronter l’épreuve de la négativité pour se réaliser et parvenir à la conscience de soi.

 

PB :

 

Si en droit le travail peut être pensé comme l’instrument de la liberté, qu’en est-il dans les faits ? N’est-il pas souvent un travail aliéné ? Cf. Cours [2].

 Peut-on sans contradiction dire que « le travail est l’essence de l’homme » et que le règne de la liberté commence là où cesse le travail dicté par la nécessité ?

 Une activité qui n’est pas dictée par la nécessité est-elle à strictement parler un travail ? Certes l’homme s’est inventé des besoins artificiels et, à ce titre, l’activité nécessaire pour les satisfaire n’est pas rigoureusement dictée par la nécessité au sens biologique. Mais il y a bien une nécessité sociale qui, pour être sociale, n’en demeure pas moins nécessité. Il me semble qu’il est plus cohérent de maintenir l’opposition grecque entre les activités libérales et les activités utilitaires. Par nature le travail est une activité forcée même si les besoins sont plus ceux de la civilisation que ceux de la nature. Ce n’est pas une activité libre. Celle-ci suppose temps libre, loisir et le loisir est toujours conquis sur le temps du travail. Une activité libre est aussi le contraire d’une activité mercenaire. Elle n’est pas ce que l’on fait en échange d’un salaire mais comme une fin en soi. Dès lors qu’on reçoit une rémunération, l’activité ne peut plus être « libre manifestation des forces physiques et intellectuelles ». On est soumis aux exigences de l’institution rétribuant un service. 

 Y a-t-il sens à dire qu’on travaille lorsqu’on bricole, on s’adonne à une activité artistique, intellectuelle qui n’est pas effectuée en échange d’un salaire ? Cet usage abusif du mot travail n’est-il pas l’aveu d’une perte de signification typique du monde dans lequel nous vivons ?