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Tout est-il interprétable?

  Caravage0 La diseuse de bonne aventure. 1595.1598. Louvre.

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  Interpréter consiste à donner une signification claire à quelque chose qui commence par être obscur, ambigu. L’exigence herméneutique s’est ainsi imposée pour la compréhension des mythes, des textes sacrés et de manière générale pour tout ce qui est susceptible de faire sens pour les hommes. L’astrologue interprète le mouvement des astres, le devin les viscères des animaux sacrifiés, Freud les rêves, le superstitieux ce qu’il constitue comme des signes confirmant ses craintes ou ses espérances.

  A première vue il semble que tout soit interprétable, que rien a priori ne soit susceptible d’échapper à l’appropriation symbolique. Parce qu’il est une intentionnalité signifiante, l’homme peut faire fonctionner la totalité du réel comme un ensemble de signes renvoyant à du sens.

   Or là est le problème, car est-il légitime de trouver du sens partout ? A interpréter le réel comme une parole, ne s’interdit-on pas de l’observer comme un ensemble de faits qu’il s’agit moins d’interpréter que d’identifier et d’expliquer ? Il semble que la science ait conquis sa scientificité en substituant au souci du sens celui du repérage minutieux des faits et de leurs rapports. Ainsi est-elle parvenue à produire des énoncés qui, à l’inverse des interprétations toujours susceptibles d’être concurrencées par d’autres ont l’avantage de faire l’accord des esprits. A l’interprétable il faudrait ainsi opposer l’explicable, la délimitation des champs exigeant de distinguer des ordres d’objets et de procédures d’intelligibilité.

   Pourtant cette distinction n’est-elle pas encore une mise en sens du réel et donc une interprétation ? Et en transposant dans le langage des lois et des théories les données factuelles, la science n’est-elle pas aussi  une manière de traduire un texte désordonné et aveugle en un autre moins opaque aux exigences de l’esprit.

   Reste que si rien n’échappe à l’interprétation et si la science en est déjà une, il ne faut sans doute pas méconnaître ce qui la distingue de toutes les autres.

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I)                   Le champ de l’interprétation : des systèmes de signes.

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   La procédure interprétative s’impose dans tous les domaines où l’esprit est confronté à une réalité ayant le statut de signes. Tout signe se caractérise par la fonction de renvoyer hors de lui à un sens qu’il médiatise. Un signe unit un signifiant à un signifié selon un code, or ce code ne va pas toujours de soi. Voilà pourquoi on parle communément d’interprétation dans les registres philologique, artistique, linguistique et juridique. Cf.Cours précédent. [1]

   Dans tous les domaines précédemment évoqués, l’interprétation se donne comme une activité de médiation. Il y a une donnée signifiante et le sens a ceci de singulier qu’il n’existe qu’autant qu’il est compris. Il n’est pas une donnée objective car s’il est rendu présent par une réalité sensible, il est, ce qui au-delà d’elle, doit être approprié par une opération mentale. C’est dire qu’il est toujours à distance et qu’à défaut de sa transparence immédiate, il implique un effort d’interprétation. Si la compréhension était offerte comme une grâce, il n’y aurait pas besoin d’interpréter. Celle-ci procède des difficulté de la compréhension, d’une obscurité première à dissiper. Son enjeu est la compréhension optimale et sa réussite consisterait dans son propre effacement  afin de produire la transparence du sens.

Ex : Le grand comédien serait celui qui disparaîtrait au profit du personnage à incarner, le bon juge celui qui ferait parler la loi sans légiférer à la place du législateur, le bon exégète celui qui ne ferait pas écran à l’intentionnalité divine mais en serait le porte parole scrupuleux.

  Mais il va de soi que cette prétention est vaine. L’interprétation  n’existe que dans l’écart toujours possible avec sa fin idéale. Car elle met irréductiblement en jeu un pôle objectif et un pôle subjectif. Il y a quelque chose à comprendre et le sens n’est pas à introduire, il est à recueillir. D’où l’exigence d’un certain effacement de la subjectivité de l’interprète.

  Mais nul ne peut comprendre sans être engagé en tant que subjectivité. Il faut donc à la fois intervenir activement pour accéder à l’intelligence du sens et se rendre réceptif, passif car le sens est supposé venir d’ailleurs ; du texte à interpréter, de l’oeuvre à mettre en scène, de la langue à traduire, de la loi à respecter. L’interprétation admet qu’elle s’exerce à partir d’une visée signifiante préalable. Le sens lui préexiste et sa mission est de le restituer fidèlement.

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II)                Tout n’est pas interprétable car tout n’est pas système de signes et tous les signes ne sont pas ambigus.

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   En toute rigueur le champ de l’interprétation est donc bien circonscrit : c’est celui des systèmes signifiants. Et comme il faut une intention signifiante pour viser du sens à travers des signes, l’interprétation s’exerce dans l’ordre des choses humaines. Les conduites, les paroles, les œuvres humaines sont lestées de sens, un sens qui n’est pas toujours immédiatement intelligible.

  Cependant lorsque la compréhension va de soi, il n’y a pas à interpréter. Il faut donc exclure du champ de l’interprétable les signes univoques et les messages immédiatement compris. Un signe mathématique ne s’interprète pas. On en maîtrise ou non la signification et le caractère opératoire. Nul besoin de recourir à l’interprétation là où l’ambiguïté est exclue. Ce qui arrache à l’empire de l’interprétation quantité de signes et d’énoncés. Mais il s’en faut de beaucoup qu’il en soit toujours ainsi. Le sens commence souvent par être obscur et il faut toute l’ingéniosité herméneutique pour le  clarifier ou le traduire.

   Il s’ensuit qu’il y a beaucoup de signes à interpréter mais cela ne signifie pas que rien n’échappe au statut des systèmes signifiants et aux procédures de compréhension. Car ne serait-ce pas faire preuve d’anthropomorphisme coupable que de saisir dans tout ce qui est de l’intentionnalité signifiante ? C’est d’ordinaire le propre du superstitieux ou du paranoïaque mais l’un et l’autre sont accusés de faire preuve de délire interprétatif.

   La question se pose donc de savoir s’il est légitime de voir du sens là où il n’y a aucune conscience pour signifier.

   Ce qui invite à interroger le postulat des philosophies du soupçon. Elles refusent le principe du non sens, de l’absurde, de l’insensé et prétendent dévoiler sous le non sens apparent un sens caché ou sous le sens consciemment revendiqué un sens latent, vérité du premier. Freud, par exemple, invoque une intentionnalité psychique inconsciente pour restituer le sens d’un rêve, d’un acte manqué, d’un symptôme névrotique. Ces phénomènes ne sont pas à ses yeux des effets mécaniques à expliquer, ce sont des visées de sens à interpréter.

  Or la psychanalyse ne peut fournir la preuve de son parti-pris théorique. Sa valeur de vérité n’est pas établie. Dès lors, même si l’on est sensible à la fécondité de l’herméneutique qu’il fonde, comment tracer, sur la base d’un tel postulat la frontière entre le délire interprétatif et la lucidité ? Il y a certes des visées de sens confuses, de la mauvaise foi, mais ce sont toujours des opérations mettant en jeu une conscience, fût-elle somnolente ou peu scrupuleuse. A défaut, il n’y a peut-être pas de sens à interpréter, seulement des effets mécaniques à mettre à jour ainsi que Descartes s’y emploie dans Les Passions de l’âme.

  Ex : L’enfant faisant pipi tard au lit veut-il dire quelque chose ? Qu’il ne supporte pas la naissance d’un petit frère, qu’il veut davantage d’amour maternel comme nous l’a enseigné l’interprétation analytique ou bien son organisme a-t-il, comme on vient de le montrer, la caractéristique de fabriquer moins d’hormones antidiurétiques la nuit, ce qui entraîne un trop grand remplissage de la vessie et donc des accidents ?

   En tout cas, si la question est pertinente pour une conduite humaine, elle ne l’est pas  pour le réel matériel. En toute rigueur celui-ci ne dit rien. Il est donné dans l’idiotie de sa présence selon la formule de Clément Rosset. Il est là, silencieux, étalé dans l’espace, sans profondeur psychique et la tâche de l’esprit confronté à son énigme n’est pas de projeter sur lui ses propres caractéristiques.

   Certes, ce fut le propre de l’âge préscientifique de ne pas mettre de bornes à l’interprétation. L’astrologie a précédé l’astronomie et le devin, le savant. Devant le monde, l’homme commence par rêver. Il est enclin à peupler la nature d’esprits, d’âmes qui, comme lui, pensent, parlent et veulent. Ainsi a-t-il interprété le phénomène physique de la foudre, de l’orage comme la colère des dieux. Il a enchanté le monde en le faisant vivre d’une vie comparable à la sienne. Il faut bien juguler l’angoisse et rien n’est plus efficace que de se sentir en pays de connaissance. Mais ce qui est  utile psychiquement n’est pas nécessairement sérieux théoriquement.

   Voilà pourquoi il convient de délimiter des ordres de réalité et des modes différents d’intelligibilité. La rupture épistémologique que l’esprit scientifique requiert peut se décrire comme substitution des exigences de l’explication à celles de l’interprétation, l’une s’appliquant à des faits, l’autre à des signes.

   Dire qu’il y a d’une part les faits, d’autre part les signes consiste à admettre l’existence d’une dimension du réel étrangère au statut ontologique des choses signifiantes. Un signe renvoie hors de lui à un sens qu’il s’agit de comprendre. Un fait n’a pas cette étrange réalité de présence-absence. Il se réduit à sa facticité qu’il s’agit de constater et d’interroger dans ses mécanismes de production. Ce qui s’appelle proprement expliquer.

   Constater d’abord, prendre acte d’une existence donnée dans la réceptivité d’une intuition sensible. Cela ne s’interprète pas. Celui qui discuterait de l’existence ou non du fait, dès lors qu’il est repéré selon des procédures répétables par tous ceux qui veulent s’assurer de sa réalité s’exclurait de la cité scientifique. Il y a un réel donné dans l’expérience et la science exige de partir de là avec l’humilité d’un esprit qui s’efface pour constater : c’est ainsi.

   Expliquer ensuite. Etymologiquement le mot indique le principe d’un déploiement des plis. Expliquer consiste à décrire l’enchaînement des causes et des effets, à rapporter un fait à d’autres faits en montrant qu’ils sont liés par des rapports de causalité tels que, les uns étant donnés les autres s’ensuivront nécessairement. L’explication formule des lois qu’elle s’efforce à un second niveau d’abstraction, d’unifier dans des théories. Elle veut décrire le déterminisme des phénomènes, simuler leur mécanisme de production, dégager la légalité, l’ordre caché sous les apparences sensibles et que l’intelligence permet de mettre à jour.

  Là encore, le fait que deux faits soient liés dans un rapport constant ne se discute pas. Il s’agit d’en prendre acte. Voilà pourquoi dans la méthode scientifique, l’expérience est déterminante, à la fois comme point de départ et comme point d’arrivée des initiatives de l’esprit.

   Au terme de cette seconde analyse, il semble donc que tout ne soit pas interprétable. Il existe un ordre de faits que l’esprit se donne pour mission de constater et d’expliquer parce qu’il ne voit pas en eux de l’intentionnalité signifiante. Il n’y a pas de sens à comprendre, seulement une causalité aveugle à exhiber par une méthode rigoureuse permettant de construire des savoirs positifs dont l’objectivité s’atteste dans le caractère universel des énoncés.

  Pourtant cette distinction : fait – signe n’est-elle pas déjà une manière de mettre en sens le réel ? Le désenchantement de la nature opéré par la conquête de l’objectivité scientifique ne consiste-t-il pas à faire signifier les phénomènes naturels comme, ce qui se produisant mécaniquement est étranger à une intention signifiante ?

   « Il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations » écrit Nietzsche.  (Fragments posthumes, fin 1886.1887.  T. XII de la traduction française de l’édition Colli-Montinari).  Que faut-il entendre par là ?

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III)             La science comme n’importe quel discours est une mise en sens du réel. Tout est interprété et donc interprétable.

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  Sans doute qu’on n’échappe pas au langage. Les sciences de la nature, toutes explicatives qu’elles soient, sont des constructions intellectuelles. Le fait tel qu’il est donné, dans l’idiotie de sa présence, antérieurement à toute appropriation symbolique, est inaccessible. L’immédiat nous est refusé et le réel n’existe pour nous que médiatisé, ne serait-ce que par des récepteurs sensoriels. Les récepteurs de la chauve-souris ne décodent pas le donné comme les sens de l’organisme humain. Et comme les informations données par ceux-ci sont traitées au niveau du système nerveux central, on peut dire que la plus élémentaire des perceptions est une traduction des données sensorielles en images, en concepts, donc une interprétation.

  En témoigne le fait que le fait scientifique n’est pas le fait brut. Il est le corrélat d’un concept. La science est, comme n’importe quelle langue, un processus de symbolisation. Elle s’empare du réel avec les schèmes d’une subjectivité, qui pour être la subjectivité transcendantale, n’en est pas moins subjectivité. Il n’y a pas de rapport neutre, purement passif, au monde.

  Notre seule présence, avec les récepteurs sensoriels d’un organisme, les requêtes d’une affectivité et d’un intellect, les déterminations d’un sujet historiquement et socialement situé, opère un coup de force sur le réel. Elle induit un dévoilement qui est toujours déjà une interprétation.

  Kant établit par exemple, que  le réel tel qu’il est construit par la raison scientifique n’est pas le réel en soi. L’objectivité scientifique ne doit pas s’entendre au sens de l’objectivité forte c’est-à-dire de l’adéquation des énoncés à l’objet de la connaissance. Elle signifie seulement accord intersubjectif sur une réalité phénoménale, c’est-à-dire sur le réel tel qu’il est pour nous qui le construisons à travers les cadres a priori de l’esprit.

   Au fond il n’y a pas peut-être pas plus de sens (d’un texte, d’une parole, d’une conduite etc.) préexistant que l’interprétation viserait dans l’approximation d’une compréhension parfaite, que de faits donnés dans une sorte d’innocence objective. Il y a présence au monde d’un sujet et celui-ci est l’être par qui il peut y avoir des textes signifiants, des objets ou une expérience.

   Exit le principe d’un sens ou de faits originaires dont l’interprétation ou l’explication chercheraient à se rapprocher avec la nostalgie de leur propre effacement. Ni l’interprétation, ni l’explication ne doivent se vivre dans le malheur d’un exil d’un donné originaire car il n’y a pas de donné originaire. Ce qui est originaire c’est l’activité de la vie dans son jeu interprétatif. Il y a une ubiquité de l’interprétation et pas plus dans les sciences dures que dans les sciences molles, on ne peut échapper à sa nécessité.

   Les conséquences de cette analyse sont immenses pour les sciences dures dont la vérité devient aussi relative que celle de l’herméneutique. S’il n’y a pas de faits mais seulement des interprétations, impossible de départager des interprétations concurrentes. Le relativisme des sophistes reprend du service et le nihilisme rabat nos constructions intellectuelles les plus rigoureuses au rang des opinions. De même il incline à ne plus faire la différence entre une interprétation autorisée par un savoir et un souci de fidélité au texte ou à la parole originaires et une interprétation fantaisiste aux ordres d’intérêts plus suspects.

   Et là est le problème inhérent à la formule de Nietzsche car que le sens exige d’être médiatisé et transmis, que les faits imposent un travail de mise en ordre théorique pour déjouer le piège des apparences sensibles ne signifie pas qu’il n’y a pas un moment de passivité, de réceptivité d’un sens préexistant ou de faits donnés antérieurement à la théorisation.

  L’enjeu de cette réflexion consiste peut-être à pointer un double écueil:

  Reste que si les sciences dures comme les herméneutiques ne font pas l’économie d’une activité de transposition, il faudra toujours tracer la frontière entre l’interprétation proprement dite et l’explication car l’enjeu de la première étant la compréhension, elle ne peut mettre hors jeu l’intériorité spirituelle, l’engagement des subjectivités dans l’effort compréhensif, alors que la seconde a mis au point une méthode permettant de contourner cet obstacle. Il s’ensuit que l’une peut réconcilier les esprits dans un sens univoque, l’autre n’y parvient pas.

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Conclusion :

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  On peut donc conclure que tout est interprétable si en bon nietzschéen, on souligne que par sa seule présence au monde et par sa fonction symbolique l’homme dévoile activement et subjectivement le réel, même si la subjectivité en jeu est une subjectivité transcendantale. La science est bien une transposition symbolique des données factuelles dans une langue ayant son lexique, sa syntaxe, c’est-à-dire son code.

   Mais tout n’est pas interprétable si l’on prend acte du fait que les procédures explicatives à l’inverse des procédures compréhensives donnent un statut central au constatable et échappent par là  au conflit des interprétations.

   On peut même limiter les prétentions du « tout est interprétation » dans le champ de l’interprétation lui-même, lorsqu’on accuse certaines interprétations d’être vraiment trop partiales comme si, là aussi, il fallait dire « il y a du sens préexistant, il n’y a pas que des interprétations ».

   Tout se passe comme si, ce qui sauvait du délire interprétatif, cautionné imprudemment par la formule nietzschéenne, dans les disciplines herméneutiques comme dans celles qui ne le sont pas, était le principe d’une extériorité du sens ou du fait à l’esprit qui s’en empare et qui n’est crédible qu’autant qu’il a l’humilité de se reconnaître médiateur et non souverain.

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Supplément: La distinction explication/compréhension.

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  Là où il n’y a pas de sens à comprendre, la subjectivité des uns et des autres n’est pas engagée dans le processus d’intelligibilité. L’esprit peut saisir les faits dans une relation d’extériorité et d’objectivité. La science a d’ailleurs mis au point une règle du jeu draconienne pour identifier les faits. Ceux-ci ne sont pas livrés à l’arbitraire de la perception, d’ordinaire frappée au sceau de la subjectivité empirique. De même pour la mise en évidence des rapports que les faits entretiennent. Les lois sont d’abord formulées sous la forme d’hypothèses. Certes l’invention de l’hypothèse met en jeu la subjectivité du savant, son imagination créatrice et la discussion peut être rude, au sein de la communauté scientifique, tant qu’on en est au stade de la formulation des hypothèses. Mais la dispute cesse dès qu’elles deviennent des vérités scientifiques, c’est-à-dire dès qu’elles sont validées par de scrupuleux tests de vérification ou de falsification expérimentale. Là encore, lorsque l’expérience exhibe les faits prévus par l’hypothèse, il n’y a plus à interpréter, il y a à constater.

  L’intériorité spirituelle du sujet de la connaissance est en quelque sorte mise hors jeu par les procédures expérimentales, ce qui évidemment est exclu lorsqu’il s’agit de comprendre du sens. Aussi tous les discours élaborés selon cette méthode lui doivent-ils leur capacité de produire des énoncés susceptibles de faire l’accord de tous les membres de la cité scientifique.

   D’où la supériorité des sciences de la nature sur les sciences de l’homme. Car il est difficile de traiter les faits humains « comme des choses ». Tel est le pari de tous ceux qui veulent faire entrer ces savoirs dans le champ de la scientificité mais comment rendre intelligible un fait historique, par exemple, si l’on décide de ne pas prendre en considération les significations et les valeurs au nom desquelles ses acteurs agissaient ? Or dès lors qu’on donne son importance à cette dimension du fait humain, il faut comprendre et non plus seulement expliquer et dès lors qu’il y a procédure de compréhension, il y plusieurs interprétations pour les raisons indiquées précédemment. Les sciences de l’homme semblent condamnées à être compréhensives plus qu’explicatives. « Nous expliquons la nature de l’extérieur, nous comprenons la vie psychique de l’intérieur » affirme Dilthey. La psychologie, la sociologie, l’ethnologie, l’histoire etc. sont des herméneutiques.

   Il s’ensuit qu’elles ne peuvent pas revendiquer une scientificité comparable à celle des sciences de la nature. On dit qu’elles sont des sciences molles alors qu’on qualifie les autres de sciences dures, signifiant par là que les premières sont exposées au conflit des interprétations. Il suffit pour s’en convaincre de réunir un aréopage de sociologues sur une question donnée. L’expérience montre que la lecture d’un même fait donne lieu à plusieurs interprétations, parfois même contradictoires. Et il n’y a pas de moyens objectifs de faire le tri entre les interprétations concurrentes. Les tests de vérification, de falsification se heurtent à des interdits moraux ou à des impossibilités de fait comme c’est le cas en histoire où l’on ne peut manipuler les faits passés pour savoir si telle hypothèse avancée est confirmée par la vérification expérimentale.