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Discours de la méthode. Descartes. 1637.

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Ce texte est un écrit de circonstance. En 1633, Descartes projetait de publier son Traité du monde, mais il apprend les démêlés de Galilée avec le St Office. Or comme dans son Traité du monde, il soutient les thèses de la science nouvelle (la rotation de la terre) il décide par prudence de ne pas publier son œuvre.

   La devise de Descartes était « larvatus prodeo » : « Je m’avance masqué ».

   En 1637, il décide comme il l’écrit dans sa correspondance, « de sonder le gué » en publiant trois essais scientifiques : La Dioptrique; Les Météores; La Géométrie, précédés d’un Discours de la méthode.

    Il s’agit donc, pour le philosophe de commencer par le commencement. La science naissante n’a aucune chance d’être reçue par la plus grande partie des esprits, tant que ceux-ci n’ont pas été réformés. A quoi bon publier les résultats d’une recherche, si les esprits ne sont pas disponibles pour la manière radicalement nouvelle d’aller au vrai qu’ils impliquent? En effet la physique en voie de constitution exige de se demander ce qui est au principe d’une connaissance véritablement scientifique :

Faut-il considérer comme la philosophie de l’Ecole le prétend, que la vérité a été révélée ou trouvée et qu’il convient seulement de la recevoir par voie d’autorité, ou bien faut-il comprendre que la vérité est à chercher par un effort actuel devant mobiliser les générations présentes et à venir ? La réponse de Descartes est très claire : Excepté les vérités religieuses qui ont été révélées, les vérités scientifiques sont à chercher. La science n’est pas construite, elle est à élaborer et pour cela il faut une méthode.

Quelle est cette méthode ? C’est celle qui permet de bien conduire sa raison car d’une part la raison est la seule autorité en matière de vérité, d’autre part elle est inefficace si elle ne s’exerce pas selon certaines règles.

   La rédaction du Discours de la méthode repose sur ces présupposés, son enjeu étant de préparer les esprits à comprendre la science nouvelle. D’où le titre : Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences.

   Au fond, le Discours est un manifeste. On appelle ainsi une déclaration solennelle par laquelle un homme ou un groupe expose son programme, justifie sa position. Un discours n’est pas un traité c’est-à-dire une exposition méthodique et systématique d’un ensemble de connaissances.

   Le projet se veut modeste. Descartes ne cesse de préciser qu’il donne à voir le chemin qu’il a suivi et qu’il ne prétend pas donner de leçons aux autres. Cf. La première partie. « Toutefois il se peut faire que je me trompe, et ce n’est peut-être qu’un peu de cuivre et de verre que je prends pour de l’or et des diamants… Ainsi mon dessein n’est pas d’enseigner ici la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison mais seulement de faire voir en quelle sorte j’ai tâché de conduire la mienne…Mais ne proposant cet écrit que comme une histoire…franchise ».

   Il ne faut pas se laisser abuser par la modestie du propos. Certes, elle est sincère en ce que le philosophe connaît la propension de tout esprit à l’erreur, et en ce que, fondamentalement, Descartes est un homme modeste plus prompt à se remettre en cause qu’à remettre en cause les autres. Il y a là un trait de générosité, au sens où cette vertu engage à s’estimer à sa juste mesure. Mais derrière la modestie il faut aussi déceler la prudence. La prudence ou sagesse pratique consiste à ne rien faire qui puisse inutilement vous nuire. Or Descartes ne manquerait pas d’avoir des ennuis avec les pouvoirs établis s’il publiait comme Galilée les résultats de ses travaux intellectuels.

   Le Discours et les trois essais lui permettent de « prendre le pouls » de l’opinion. Comme le peintre Apelle, caché derrière ses tableaux, écoutait les critiques du public afin d’en tirer profit, Descartes attend des critiques que suscitera cette publication des renseignements sur l’état des esprits dans leurs rapports à la science nouvelle.  « Je serai bien aise de faire voir en ce discours, quels sont les chemins que j’ai suivis, et d’y représenter ma vie comme en un tableau, afin que chacun en puisse juger, et qu’apprenant du bruit commun les opinions qu’on en aura, ce soit un nouveau moyen de m’instruire, que j’ajouterai à ceux dont j’ai coutume de me servir ».

   Ce discours lui permet ainsi, derrière la modestie affichée de son objet, de présenter une histoire de sa vie intellectuelle et d’introduire chaque partie de sa philosophie telle que l’œuvre cartésienne la déploie par ailleurs de façon méthodique et systématique. Le contenu des Méditations métaphysiques(1641) est présenté sommairement dans la 4° partie, les grandes thèses scientifiques développées dans le traité du monde ; le traité de l’homme ; le traité des passions sont annoncées dans la 5° et 6° partie. La morale dans la 3°.

 S’il est vrai que la philosophie est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique, les sciences en général et les branches qui en constituent la dimension pratique : la technique, la médecine et la morale ; on peut dire que le discours en esquisse l’architecture.

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I)                                   Analyse de la première partie.

 

A)      Que faut-il entendre par « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée » ?

 

 Bon sens est synonyme de raison. C’est la faculté de juger c’est-à-dire de distinguer le vrai d’avec le faux sur le plan théorique ou le bien d’avec le mal sur le plan pratique.

   La justification que Descartes donne de son propos (Cf. car…) mêle subtilement ironie et générosité. « Chacun pense en être si bien pourvu que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils n’en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et de distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ».

  Descartes note ironiquement un fait : les hommes ne manquent pas de  motifs de plainte mais ils ne se plaignent jamais de leur jugement. Si difficile à se satisfaire en toutes choses, ils sont d’ordinaire contents de leur jugement.

  Est-ce à dire que tous jugent correctement ? Ce n’est certes pas ce que veut laisser entendre le philosophe du doute. Mais avant de pointer les faiblesses de ce contentement, il explicite ce qu’il signifie de positif. A savoir que les hommes n’ont pas tort de savoir qu’il y a en eux une dignité, une faculté les distinguant des animaux et les constituant comme des hommes à part entière. Descartes s’inscrit explicitement dans la tradition grecque. Aristote définissait l’homme comme un animal raisonnable. « Pour la raison ou le sens, d’autant qu’elle est la seule chose qui nous rend hommes, et nous distingue des bêtes, je veux croire qu’elle est tout entière en un chacun, et suivre en ceci l’opinion commune des philosophes, qui disent qu’il n’y a du plus ou du moins qu’entre les accidents, et non point entre les formes ou natures des individus d’une même espèce ».

  Descartes rappelle ici, conformément au langage scolastique, qu’il faut distinguer ce qui appartient essentiellement à un être et ce qui le caractérise accidentellement. Ce qui appartient à son essence ou à sa forme est ce qui le définit dans son être, ce qui appartient à sa définition. Ainsi la raison définit l’humanité dans son essence. Retirez à l’homme sa forme raisonnable, il a cessé d’être un homme. Peu importe qu’il raisonne bien ou mal, ce n’est là qu’un trait accidentel, en revanche un être privé de raison n’est pas un homme.

  Dans la Cinquième partie, il soulignera que l’hébétude des sourds et muets ou le discours délirant des fous ne les exclut pas de l’humanité. Eux aussi participent de l’humaine condition même si accidentellement ils sont privés des moyens d’exercer correctement leur raison. ( « Car c’est une chose bien remarquable qu’il n’y a point d’hommes si hébétés et si stupides, sans en exceptés même les insensés, qu’ils ne soient capables d’arranger ensemble diverses paroles, et d’en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées et qu’au contraire il n’y a point d’autre animal tant parfait et tant heureusement né qu’il puisse être qui fasse le semblable […] Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu’elles n’en ont point du tout […] »).

  Les hommes ont donc bien raison de se sentir égaux par cette faculté qui les définit dans leur humanité et dignité. On sait que pour Descartes, cette faculté est la marque du créateur sur la créature, le principe de la supériorité ontologique de l’homme et ce par quoi il n’est pas, comme le simple corps ou matière dont il relève aussi, régi par le principe du déterminisme car en tant que substance pensante il dispose du libre-arbitre.

  Mais la justification s’arrête là car il ne suffit pas de disposer de la raison, encore faut-il en faire un bon usage. Ainsi si tous les hommes sont égaux par le fait de disposer d’une raison, ils ne le sont pas par la manière dont ils l’exercent.

  L’égalité des raisons n’empêche pas l’inégalité des esprits :

D’abord parce qu’il n’y a pas que la seule raison qui concourt à la perfection de l’esprit. Toujours avec le même souci de modestie, Descartes souligne qu’il lui est souvent arrivé d’envier la vivacité de tel esprit ou la capacité inventive, la puissance de l’imagination ou encore la prodigieuse mémoire de tel autre. Toutes ces dimensions de l’esprit contribuent à distinguer les uns des autres et à faire que certains sont plus puissants que d’autres.

Ensuite parce que « ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien ». Le philosophe introduit ici l’idée de la nécessité de la méthode. La raison est nécessaire, elle n’est pas suffisante. A défaut de la conduire méthodiquement elle est inefficace. Or, ce qu’il y a sans doute de plus difficile est de procéder avec méthode.

  C’est si difficile que Descartes ne considère pas que cela soit à la portée de tous les esprits. Il le signifie lorsqu’il dit que la remise en cause de toutes les croyances à laquelle invite la première règle, c’est-à-dire la pratique du doute n’est pas un instrument à mettre dans toutes les mains. Il s’explique sur ce point dans la deuxième partie.

  Il commence par remarquer que les édifices les plus réussis sont ceux qui révèlent l’unité d’un projet méthodique comme en témoignent les monuments construits par un seul architecte, les villes conçues par un seul urbaniste, les constitutions élaborées par un seul législateur, un domaine de savoir construit par l’effort méthodique d’un seul esprit, ou la reconstruction du champ des sciences telle que Descartes l’envisage par le doute méthodique.

  Mais pas plus dans le domaine des sciences que dans celui de la religion ou dans celui de la politique, il n’est prudent d’inviter tous les esprits à la remise en cause radicale.

  « Jamais mon dessein ne s’est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées, et de bâtir dans un fonds qui est tout à moi. Que si mon ouvrage m’ayant assez plu, je vous en fais voir le modèle, ce n’est pas, pour cela, que je veuille conseiller à personne de l’imiter. Ceux que Dieu a mieux partagés de ses grâces auront peut-être des desseins plus relevés ; mais je crains bien que celui-ci ne soit déjà trop hardi pour plusieurs. La seule résolution de se défaire de toutes les opinions qu’on a reçues en sa créance, n’est pas un exemple que chacun doive suivre. Et le monde n’est quasi composé que de deux sortes d’esprit auxquels il ne convient aucunement : à savoir de ceux qui, se croyant plus habiles qu’ils ne sont, ne se peuvent empêcher de précipiter leurs jugements, ni avoir assez de patience pour conduire par ordre toutes leurs pensées ; d’où vient que, s’ils avaient une fois pris la liberté de douter des principes qu’ils ont reçus, et de s’écarter du chemin commun, jamais ils ne pourraient tenir le sentier qu’il faut prendre pour aller plus droit et demeureraient égarés toute leur vie ; puis de ceux qui, ayant assez de raison ou de modestie pour juger qu’ils sont moins capables de distinguer le vrai d’avec le faux que quelques autres par lesquels ils peuvent être instruits doivent bien plutôt se contenter de suivre les opinions de ces autres qu’en chercher eux-mêmes de meilleures ».

  Au fond la plus grande partie des esprits se répartit en deux catégories. D’une part les esprits présomptueux qui prétendent plus qu’ils ne peuvent et se condamnent à l’égarement chronique tant en matière politique, religieuse que scientifique. A bien observer le monde cette catégorie est certainement la plus répandue. D’autre part les esprits modestes qui, ayant connaissance de leur limite s’en remettent pour être éclairés à plus compétents qu’eux. Car Descartes l’avoue « sans avoir plus d’esprit que le commun, on ne doit pas espérer de rien faire d’extraordinaire touchant les sciences humaines ».

  Descartes ne réserve donc l’exercice du doute, la méthode du libre-examen qu’à un petit nombre d’esprits supérieurs. Est-ce à dire qu’il se compte au nombre de ceux-ci ? La réponse est embarrassante. Nul doute que comme tous les grands génies, Descartes devait avoir conscience de sa supériorité. Mais ce qui frappe dans le propos cartésien, c’est toujours la modestie. Ainsi lit-on, qu’il se serait plutôt senti participer de la seconde catégorie d’esprit si les circonstances de sa vie ne l’avaient pas mis en situation d’être insatisfait du savoir reçu, insatisfaction l’ayant conduit à définir une méthode dont il a expérimenté par lui-même la fécondité.

  Sa contribution à l’édifice du savoir ne vient donc pas d’une espèce de supériorité native, il insiste beaucoup sur le sentiment qu’il a de la médiocrité de son esprit (médiocre= moyen) ; elle découle de la méthode qu’il a eu la chance de mettre au point. Mais afin d’éviter l’écueil qui est celui des esprits présomptueux, et qui font qu’ils demeurent toute leur vie égarés, il s’efforce de retarder le plus possible le moment de la remise en cause radicale de toutes ses croyances pour se rapprocher du moment où grâce à sa méthode il sera capable de les remplacer par des connaissances véritables. « Je ne voulus point commencer à rejeter tout à fait aucune des opinions, qui s’étaient pu glisser autrefois en ma créance sans y avoir été introduites par la raison, que je n’eusse auparavant employé assez de temps à faire le projet de l’ouvrage que j’entreprenais, et à chercher la vraie méthode pour parvenir à la connaissance de toutes les choses dont mon esprit serait capable ».

  Idée-force : Le principe de la réforme cartésienne est dans une suspicion à l’égard d’une confiance exclusive dans les dons de l’esprit. Cette confiance n’est pas fondée. La référence aux grandes âmes a pour fonction de l’établir. L’expression renvoie surtout au domaine moral. Mais les choses sont analogues dans l’ordre théorique. Ceux qui peuvent aller le plus haut (qu’il s’agisse des grandes vertus en matière morale ou des grandes lumières en matière intellectuelle) sont sans doute les mêmes que ceux qui peuvent aller le plus bas. Les vices ou les vertus des âmes moyennes sont également moyens. Par analogie, la différence entre ceux qui font progresser la connaissance et ceux qui ne le font pas tient à ce que les uns procèdent méthodiquement alors que les autres non. Par précipitation, ceux-ci s’éloignent davantage de la vraie science qu’ils croient la posséder. Ainsi en est-il de ces faux savants de l’âge scolastique. Ils ont beaucoup étudié Aristote, les Pères de l’Eglise, mais en ce qui concerne la science de la nature, ils en sont d’autant plus éloignés qu’ils ont reçu sans examen tout ce qu’on leur a appris.

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B)      Le bilan de son éducation.

 

 1) D’abord Descartes souligne combien il y avait en lui une soif de connaître, une curiosité naturelle qu’il avait hâte de satisfaire car « j’avais toujours un extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux pour voir clair en mes actions et marcher avec assurance en cette vie ».

 Il pointe l’enjeu pratique de la connaissance, son utilité pour les besoins de l’action. Il s’agit de conduire sa vie avec sagesse afin d’avoir une vie bonne et heureuse. La clarté (opposable à obscurité) et la distinction (opposable à confusion) des idées ne sont pas visées dans une perspective simplement libérale de la connaissance, même si cette conception grecque est aussi partagée par Descartes. La recherche de la vérité est bien, pour lui aussi une fin en soi. Mais il y a une autre tendance chez Descartes qui est particulièrement affirmée ici. S’il faut voir clair, c’est d’abord qu’il faut déployer sa vie dans toute l’excellence dont on est capable et cela passe par l’intelligence du vrai. Le bon usage du libre-arbitre suppose un jugement éclairé en toutes choses, (Cf. Cours sur le jugement [1] dans le chapitre la raison et le réel) les vertus pratiques supposent la vertu intellectuelle.

2) Ensuite il dit sa profonde déception à l’endroit de l’enseignement qu’il a reçu alors qu’il reconnaît avoir eu la chance d’étudier dans le plus grand collège d’Europe, c’est-à-dire au collège de La Flèche. Il précise qu’il ne se contentait pas d’étudier les matières enseignées, il était curieux de toutes les productions intellectuelles de son époque, même de ce qu’on appelle aujourd’hui les sciences occultes(astrologie, chiromancie, magie, graphologie etc.) et qu’il appelle « curieuses ». « Mais, sitôt que j’eus achevé tout ce cours d’études, au bout duquel on a coutume d’être reçu au rang des doctes, je changeai entièrement d’opinion. Car je me trouvais embarrassé de tant de doutes et d’erreurs, qu’il me semblait n’avoir fait autre profit, en tâchant de m’instruire, sinon que j’avais découvert de plus en plus mon ignorance ».

   Il va donc passer en revue les disciplines qu’il a étudiées, expliquant pourquoi elles n’ont pas eu l’heur de le satisfaire :

-Le latin et le grec sont une bonne chose mais enfin leur seul intérêt est de pouvoir lire les auteurs anciens dans le texte.

-Les fables éveillent l’imagination enfantine mais la fantaisie est une chose, le réel en est une autre et il peut être pernicieux de cultiver l’imaginaire si cela doit brouiller la frontière entre le rêve et la réalité. Les récits historiques sont édifiants en ce qu’ils élèvent l’esprit par l’exemple des exploits des grands hommes mais à trop s’intéresser à l’étude du passé on risque d’être ignorant de ce qui se passe dans le présent. Or c’est au présent qu’il faut vivre. La lecture des grands auteurs permet de converser avec des grands esprits et de se sentir membre de ce que Bayle appellera plus tard « la République des Lettres ». L’étude de l’art oratoire (essentiellement les discours de Cicéron), de la poésie rend capable d’une certaine éloquence mais l’excellence dans ce domaine relève plus d’une certaine aisance naturelle que de l’étude de règles (Cf. Pascal : « la vraie éloquence se moque de l’éloquence). Et pour ce qui est de la vérité, il s’agit moins de persuader des esprits ignorants comme on le peut en maîtrisant l’art oratoire que de la concevoir clairement et distinctement. Or sur ce point la rhétorique n’est d’aucun secours.

-Les mathématiques font l’objet de deux jugements très différents. Telles qu’on les lui a enseignées, elles ne semblent guère avoir d’autre intérêt que d’être utiles à la résolution de problèmes pratiques (aux arts mécaniques). Et cela ne cesse de l’étonner car s’il y a une discipline qui incarne une perfection théorique, c’est bien cette science. Descartes en fait l’éloge en tant que discipline théoriquement rigoureuse : «  Je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons ; mais je ne remarquais point encore leur vrai usage, et, pensant qu’elles ne servaient qu’aux arts mécaniques, je m’étonnais de ce que, leurs fondements étant si fermes et si solides, on n’avait rien bâti dessus de plus relevé ». Il signifie donc que manifestement la scolastique n’a pas su voir la puissance et la fécondité des mathématiques. Tout le projet cartésien consistera à expliciter la méthode des mathématiciens et à en faire le modèle de toute science. Car la réussite de la raison dans une discipline est le garant de sa réussite dans toutes les autres. Or quelle est la réussite des mathématiques ? C’est de procéder selon un ordre précis : intuition des évidences premières et déduction à partir de ces évidences. D’où la rigueur de leurs raisonnements et la certitude de leurs conclusions. La révolution cartésienne consiste à envisager sous le nom de science une mathématique universelle.

-Les ouvrages de morale peuvent exhorter à la vertu mais les grands systèmes philosophiques tels que celui du stoïcisme sont jugés sévèrement.  Ils élèvent fort haut les vertus…mais ils n’enseignent pas à les connaître, et souvent ce qu’ils appellent d’un si beau nom, n’est qu’une insensibilité (condamnation de l’apathie stoïcienne), ou un orgueil (condamnation de la thèse stoïcienne élevant le sage à la hauteur d’un dieu), ou un désespoir (condamnation de la justification stoïcienne du suicide), ou un parricide (allusion à l’anecdote de Brutus condamnant ses propres enfants à mort et présidant à leur exécution).

-La théologie a certes un intérêt religieux mais comme les vérités dont elle traite dépassent la lumière naturelle puisqu’elles sont révélées, la raison est impuissante à en juger.

-La philosophie scolastique (son contenu consistait essentiellement dans la doctrine d’Aristote interprétée par Suarez) fait l’objet d’un jugement d’une extrême sévérité : « Elle donne le moyen de parler vraisemblablement de toutes choses, et se faire admirer des moins savants ». Descartes l’accuse donc d’être un bavardage stérile à l’usage des ignorants. Il est à la recherche d’une science absolument certaine or ce qui est certain ne se discute pas. Là où il y a débat, dialectique on n’est pas sur le terrain de la science. En termes aristotéliciens (Cf. Cours sur la démonstration), [2] il ne reconnaît une valeur qu’au syllogisme scientifique c’est-à-dire à la démonstration. Le syllogisme dialectique n’aboutit qu’à du vraisemblable ou du probable. Le probable n’étant pas le certain « je réputais presque pour faux tout ce qui n’était que vraisemblable ».

-La jurisprudence (= le droit) la médecine et les autres sciences font aussi l’objet d’un jugement accablant. Elles n’ont pas de valeur théorique, elles ne sont que des moyens d’obtenir des postes lucratifs et honorifiques. Or la fortune de Descartes est suffisante pour qu’il n’ait pas besoin de vivre d’un métier lucratif et bien qu’il ne la méprise pas en cynique, la gloire ne l’attire guère.

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Conclusion : « C’est pourquoi, sitôt que l’âge me permis de sortir de la sujétion de mes précepteurs, je quittai entièrement l’étude des lettres. Et me résolvant de ne chercher plus d’autre science que celle qui se pourrait trouver en moi-même, ou bien dans le grand livre du monde ; j’employai le reste de ma jeunesse à voyager, à voir des cours et des armées…et partout à faire de telles réflexions sur les choses qui se présentaient, que j’en puisse tirer quelque profit ».

   Descartes affirme ici le principe d’une rupture radicale avec la tradition scolastique. Il n’y a que deux sources légitimes de la connaissance. D’abord la raison or l’exercice de cette faculté ne dépend que de son effort personnel. Ensuite l’expérience. C’est ce à quoi renvoie l’expression : « le grand livre du monde ». Il s’agit du réel tel qu’il est possible de l’observer. Dans la sixième partie, Descartes précise que dès qu’on avance dans la construction d’une science, c’est-à-dire dès qu’on n’en est plus à l’établissement des premiers principes et des conséquences nécessaires de ceux-ci (intuition et déduction) le recours à l’expérience est incontournable. « Même je remarquais, touchant les expériences, qu’elles sont d’autant plus nécessaires qu’on est plus avancé en connaissance. Car, pour le commencement, il vaut mieux ne se servir que de celles qui se présentent d’elles-mêmes à nos sens, et que nous ne saurions ignorer, pourvu que nous y fassions tant soit peu de réflexion, que d’en chercher de plus rares et étudiées ». Au fond la méthode est toujours la même. Aller du plus simple au complexe, du clair à l’obscur, du facile au difficile afin d’éviter de se tromper. Commencer donc par les faits les plus aisés à découvrir avant d’en chercher de plus complexes et de plus difficiles à rendre intelligibles.

   Cette première partie dont le titre est « Considérations touchant les sciences » s’achève sur un jugement contrasté à l’endroit de l’expérience.

   Descartes entend par là la connaissance acquise par la pratique de la vie et par l’observation des choses.

   Il remarque d’abord qu’il y a sans doute beaucoup plus à apprendre des savoirs pratiques que des savoirs purement spéculatifs. Car les hommes sont infiniment plus enclins à rectifier leurs erreurs lorsqu’ils en subissent les dommages que lorsqu’ils construisent abstraitement des systèmes infalsifiables par l’expérience. Manière pour lui de dénoncer les subtilités théoriques de la scolastique qui ; dit-il ironiquement ; semblent n’avoir d’autres sanctions que de flatter la vanité de ceux qui s’éloignent le plus du bon sens.

   Il note pour terminer que l’observation de la multiplicité, de la diversité et des contradictions des opinions et des mœurs humaines lui a permis de se libérer de certains préjugés, par exemple comme il le dit plus haut de la tendance ethnocentrique. « Il est bon de savoir quelque chose des mœurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison, ainsi qu’ont coutume de faire ceux qui n’ont rien vu ». Mais cette expérience a surtout pour bénéfice de le libérer du prestige de cette même expérience. La contingence, la particularité, la diversité de celle-ci le détournent de ne jamais pouvoir fonder sur elle, quelque chose de certain. Descartes conclut donc cette partie sur une profession de foi rationaliste. Le fondement de la connaissance ne peut pas être comme l’affirment les empiristes l’expérience car celle-ci ne peut rien fonder de certain. Il faut donc se tourner du côté de la raison pour trouver quelque chose de ferme et de constant dans les sciences.

   « Après que j’eus employé quelques années à étudier ainsi dans le livre du monde et à tâcher d’acquérir quelque expérience, je pris un jour la résolution d’étudier aussi en moi-même, et d’employer toutes les forces de mon esprit à choisir les chemins que je devais suivre. Ce qui me réussit beaucoup mieux, ce me semble, que si je ne me fusse jamais éloigné, ni de mon pays, ni de mes livres ».

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II)                   Analyse de la deuxième partie.

 

A)    Idées générales.

 

1)      Eloge des ouvrages témoignant de l’unité d’un plan de conception.

2)      Analogie entre les plans architectural, religieux, politique et théorique. Cette analogie vise surtout à établir, d’une part que le projet de tout reconstruire sur de nouveaux fondements n’a pas de pertinence sur le plan de l’urbanisme, du religieux et du politique. (Voyez qu’en matière politique,  l’horreur totalitaire procédera d’un tel projet) et d’autre part que le doute universel n’est pas à mettre entre toutes les mains.

3)      Différences entre les sortes d’esprit : les esprits présomptueux et les esprits modestes. (Voir analyse page 3 de ce cours)

4)      Introduction de la méthode pour bien conduire sa raison à partir de diverses considérations sur les sciences abstraites ou formelles : la logique et les mathématiques (géométrie et algèbre). L’essentiel du propos consiste à dire que ces sciences ont de nombreuses qualités théoriques mais celles-ci sont tellement mêlées à des développements confus et inutiles que « ce fut cause que je pensai qu’il fallait chercher quelque autre méthode, qui, comprenant les avantages de ces trois fût exempte de leurs défauts ».

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 B)    Les règles de la méthode.

 

    Du grec methodos, le mot méthode indique l’idée d’un chemin (odos) vers (meta).

   Pourquoi la nécessité de suivre un chemin balisé ? Parce que Descartes, l’a souligné : « Ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien ».

  Or s’il y a une science qui satisfait à cette exigence, c’est la mathématique. « Je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons ; confesse Descartes, mais je ne remarquais point encore leur vrai usage, et pensant qu’elles ne servaient qu’aux arts mécaniques, je m’étonnais de ce que, leurs fondements étant si fermes et si solides, on n’avait rien bâti dessus de plus relevé ».

  Il signifie par ce propos que la scolastique n’a pas su voir la puissance et la fécondité des mathématiques. Son projet va donc consister à expliciter la méthode des mathématiciens et à en faire le modèle de toute science. Car la réussite de la raison dans une discipline est la garantie de sa réussite dans toutes les autres et la supériorité des mathématiques tient au fait qu’elles procèdent selon un ordre précis : intuitions des évidences premières et déduction à partir de ces évidences. D’où la rigueur de leurs raisonnements et la certitude de leurs conclusions. La révolution cartésienne consiste à envisager sous le nom de sciences une mathématique universelle.

  Réfléchissant sur cette rigueur, Descartes estime qu’on peut la formaliser en quatre règles seulement.. Il précise l’intérêt d’un petit nombre de principes. Ils sont faciles à connaître et conséquemment à observer, ce dont seraient bien inspirés de se souvenir les législateurs sur le plan politique, car les Etats bien gouvernés ne sont pas ceux qui comme le nôtre, croulent sous une inflation législative. Il est difficile de connaître des lois trop nombreuses et cette pléthore fait toujours le jeu des délinquances diverses et variées.

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1)      La règle de l’évidence.

 

  La première est de ne rien recevoir sans examen et de n’admettre comme vrai que ce qui résiste au doute. Rien n’est moins naturel à l’esprit que ce souci car « nous avons tous été enfants avant que d’être hommes, et il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs ». Aussi avons-nous reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et sans prendre la peine d’interroger la valeur de vérité de ces opinions, nous fondons sur elles quantité de raisonnements ou de jugements qui ne peuvent qu’être erronés.

  Voilà pourquoi il convient de se défaire de toutes ces opinions et d’éviter les deux périls qui menacent l’esprit dans sa recherche de la vérité.

  D’une part la prévention, d’autre part la précipitation.

  Etre prévenu consiste à avoir des préjugés, à opiner au lieu de se donner la peine de discriminer le vrai du faux. Platon a pointé, dans l’allégorie de la caverne la souveraineté des opinions et la difficulté du chemin permettant de s’affranchir de leur prestige. Descartes décline ici la même leçon. Tant qu’on admet sans examen des énoncés et qu’on fonde sur eux des affirmations, celles-ci n’ont aucune valeur théorique. Il faut se tenir en garde contre l’apparence de vérité du préjugé et n’accepter comme principe du raisonnement que ce dont il est impossible de douter.

  Ce qui suppose de prendre le temps d’examiner et donc d’éviter la précipitation.  Celle-ci consiste à aller trop vite, à être trop peu scrupuleux sur les conditions de la validité rationnelle.

  Car seul peut être reconnu comme vrai « ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute ».

Le philosophe donne ici les critères de l’idée vraie dont le modèle lui a été fourni par le cogito. C’est l’idée claire et distincte, l’idée dont l’esprit ne peut pas plus douter qu’il ne peut douter de lui-même.

  Sa vérité saute aux yeux, autrement dit elle est évidente.

  L’évidence qui, seule peut fonder la certitude, est la propriété intrinsèque d’une idée s’imposant à l’esprit comme vraie de telle sorte qu’il ne peut lui refuser son adhésion. Ce qui lui confère cette force est sa clarté et sa distinction.

  La clarté est le contraire de l’obscurité. L’idée claire est l’idée directement présente à une pensée attentive. Elle est, commente Gilson, « l’impression que produit la perception directe de l’idée elle-même lorsqu’elle est immédiatement présente à l’entendement […]. Une idée est obscure lorsqu’elle se réduit au souvenir que nous avons d’en avoir jadis perçu le contenu ; plus obscur encore, si ce souvenir n’est en réalité qu’un faux souvenir ».

  La distinction est le contraire de la confusion. C’est l’idée suffisamment précise pour n’être confondue avec aucune autre.

  « Une idée est confuse dans la mesure où la perception de son contenu se mélange à d’autres idées obscurément perçues. Une idée ne peut donc être distincte sans être claire ; une idée qui ne contient rien que de clair est par là même distincte ; mais une idée claire peut se mélanger d’éléments qui ne le sont pas, comme lorsque nous composons l’idée d’union de l’âme et du corps avec les idées claires d’âme et de corps ». Gilson.

   L’idée claire et distincte ou idée évidente est saisie dans un acte d’intuition rationnelle. Elle seule permet de sortir du doute et de déployer à partir de son évidence les longues chaînes de raison du discours.

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 2)      La règle de l’analyse.

 

  Lorsqu’on a un problème à résoudre, il convient de réduire la difficulté en décomposant mentalement un tout en ses éléments constituants s’il s’agit d’une chose matérielle ou  une idée complexe en idées plus simples. Il y a là une démarche fondamentale de la pensée qui ne peut faire la lumière sur quoi que ce soir qu’en divisant, en décomposant pour parvenir aux idées ou aux éléments simples.

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   3)     La règle de la synthèse.

 

  Pour construire un savoir selon un ordre rigoureux, il faut donc partir des éléments simples qu’on a découverts par analyse et qui, en dernier ressort sont saisis intuitivement pour déduire de ce simple le complexe. Comme l’écrit Gilson : « Une idée est dite plus connue, ou plus aisée à connaître qu’une autre, lorsqu’elle lui est antérieure dans l’ordre de la déduction. A ce titre, elle est aussi plus évidente, puisqu’on peut la connaître sans la suivante, mais non pas la suivante sans elle, et elle est par là même plus certaine, puisque étant antérieure selon l’ordre de la déduction, elle se rattache au premier principe et participe à son évidence de manière plus immédiate ».

  Pour les problèmes scientifiques, l’ordre entre les idées est imposé par la nature même, puisque l’esprit peut le découvrir mais ce n’est pas lui qui le met dans les choses. Il y a là clairement l’expression d’une option réaliste en matière de théorie de la connaissance. Mais il y a des problèmes qui portent sur des objets qui ne sont pas naturels mais artificiels. Par exemple le décryptage d’une écriture. Dans ce cas les éléments ne se précèdent point naturellement, dit le texte. Il convient donc que l’esprit invente l’ordre à suivre pour trouver les solutions plutôt que de procéder au hasard.

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4)      La règle du dénombrement.

 

  Il s’agit de s’assurer que dans le raisonnement on n’a rien oublié. Cf. Gilson : « L’évidence nous garantit la vérité de chacun des jugements que nous portons. (Premier précepte) ; mais elle ne peut nous garantir la vérité de ces longues chaînes déductives, telles que sont d’ordinaire les démonstrations. Le dénombrement ou énumération consiste à parcourir la suite de ces jugements par un mouvement continu de la pensée qui, s’il devient assez rapide, équivaut pratiquement à une intuition. Les dénombrements ne sont valables que s’ils respectent l’ordre requis par le troisième précepte, et s’ils sont suffisants c’est-à-dire conçus de manière à ne laisser échapper aucun élément de la déduction ».

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III)                Analyse de la troisième partie.

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   Comme tout grand philosophe, Descartes a toujours joint le souci pratique au souci théorique. Très tôt, il a la profonde conviction qu’ils se rejoignent dans la recherche des principes et qu’à l’égal d’une science rationnellement construite, on doit pouvoir élaborer une morale rationnelle. Un rêve fait dans la nuit du 10 au 11 novembre 1619 est à cet égard, éloquent. Le jeune homme voit, symbolisés par un dictionnaire et un recueil de poèmes latins « toutes les sciences ramassées ensemble » et « la philosophie et la sagesse jointes ensemble ». Le dictionnaire représente le savoir, le recueil de poèmes la morale.

   Bien plus tard, en 1647, dans la lettre préface de l’édition française des Principes de la philosophie il réaffirmera l’idée que la philosophie est une  et qu’elle inclut la science et la sagesse. « Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ; j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse ».

En 1637, cependant, à l’époque du Discours de la méthode, la science n’est pas élaborée. Descartes est théoriquement, en situation de doute. Il a déconstruit les savoirs antérieurs en pointant leur caractère douteux, il n’a pas encore reconstruit l’édifice des connaissances sur les principes qu’il s’est donnés et plus fondamentalement, la science œuvre collective, ne peut s’élaborer que très lentement, à une échelle de temps sans commune mesure avec le temps individuel.  Or il remarque que, s’il est possible de suspendre son jugement sur le plan spéculatif, il n’en est pas de même sur le plan pratique. Vivre c’est agir et l’action s’accommode mal des hésitations, de l’irrésolution. Le prix à payer pour des erreurs de jugement en matière de conduite est, par ailleurs très élevé : contrariétés, soucis, troubles de l’âme, ennuis de tous ordres. Tout cela n’est pas compatible avec la tâche que le philosophe s’est assigné. Il veut vaquer commodément à la recherche de la vérité.  Aussi  «  afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions pendant que la raison m’obligerait de l’être en mes jugements et que je ne laissasse pas de vivre dès lors le plus heureusement que je pourrais, je me formai une morale par provision qui ne consistait qu’en trois ou quatre maximes dont je veux bien vous faire part » Discours III Partie.

La morale « par provision » ou morale provisoire est donc un ensemble de principes que Descartes définit pour conduire sa vie avec assurance et tranquillité. Dans la préface des Principes de la philosophie, il dit : « une morale imparfaite qu’on peut suivre par provision (=en attendant) pendant qu’on n’en sait point encore de meilleure ».

L’enjeu de la morale provisoire est donc de vivre le plus heureusement possible et de vaquer en paix à la recherche de la vérité.

1°) Première maxime : «  La première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant, en toute autre chose, suivant les opinions les plus modérées, et les plus éloignées de l’excès, qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de  ceux avec lesquels j’aurais à vivre ».

 

   On a l’impression que Descartes préconise ici un conformisme étonnant pour un homme faisant de la raison, la seule autorité en matière de jugement. Sans doute, dans l’état actuel des choses, la raison n’a-t-elle pas la lumière pour être en mesure d’être la seule instance législatrice, mais plus fondamentalement il faut comprendre que dans le domaine politique et religieux, la raison ne peut pas et ne pourra jamais être la seule mesure des choses. Pourquoi ? Pour la religion, c’est facile à saisir. Celle-ci repose, dans le cas du christianisme, la religion de Descartes sur la Révélation. C’est dire que la vérité religieuse ne relève pas de la lumière naturelle (la raison) mais d’une lumière surnaturelle (la foi). Pour les lois civiles et les coutumes  il convient de se souvenir que ce sont les hasards de notre naissance qui nous ont fait membre d’un groupe et qu’une collectivité n’est pas un monde de purs esprits. Elle a été façonnée par les contingences historiques et ce que l’histoire a irrationnellement produit a une inertie relativement rétive aux exigences de la raison. L’oubli de cette vérité par les réformateurs ou les révolutionnaires est souvent la cause de leurs échecs. « Ces grands corps sont trop malaisés à relever, étant abattus, ou même à retenir, étant ébranlés, et leurs chutes ne peuvent être que très rudes. Puis, leurs imperfections, s’ils en ont, comme la seule diversité qui est entre eux suffit pour assurer que plusieurs en ont, l’usage les a sans doute fort adoucies ; et même qu’il en a évité ou corrigé insensiblement quantité, auxquelles on ne saurait si bien pourvoir par prudence. Et enfin, elles sont quasi toujours plus supportables que ne serait leur changement : en même façon que les grands chemins qui tournoient entre des montagnes, deviennent peu à peu si unis et si commodes, à force d’être fréquentés, qu’il est beaucoup meilleur de les suivre, que d’entreprendre d’aller plus droit, en grimpant au-dessus de rochers, et descendant jusques au bas des précipices ».Discours de la méthodeII partie.

   Il y a dans ces remarques, une assez bonne indication de la prudence de Descartes à l’égard de la politique. Les conventions sociales, les mentalités, ne se réforment pas aussi facilement que ses propres opinions, aussi, puisqu’il faut vivre en paix avec les autres pour ne pas compromettre sa tranquillité, convient-il dans sa conduite extérieure, de se conformer aux lois et aux usages. Cela n’engage pas le jugement (c’est-à-dire le for intérieur) et pour toutes les actions qui ne sont pas prescrites par la loi et la coutume, il est sage de les régler sur celles des hommes « les plus sensés avec lesquels j’aurais à vivre ». Descartes énonce ici un principe de modération ayant deux justifications : à défaut de connaître la vérité, on a moins de chance de se tromper en suivant les opinions éloignées des extrêmes car « tout excès a coutume d’être mauvais » et si on se trompe, on se détourne moins « du vrai chemin » en étant modéré qu’en étant extrémiste.

2°) Deuxième maxime: « Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque je m’y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées ».

   Après la modération, Descartes prescrit la résolution. Certes les nécessités de l’action fondent l’obligation de prendre parti, alors que l’entendement ne sait pas avec certitude quel est le choix le meilleur, mais même si l’option choisie reste douteuse, l’important est de se tenir fermement à sa décision. Il ne s’agit pas pour le philosophe de cautionner une attitude obstinée et opiniâtre qui persévérerait dans l’erreur stupidement, mais  de comprendre que la résolution nous empêche de tourner en rond et est en elle-même une solution aux incertitudes de l’action. Comme souvent Descartes recourt à une image pour faire entendre sa pensée. L’image de la forêt est la métaphore de l’obscurité  et de la complexité du monde dans lequel s’insère notre action. Quel chemin devons-nous choisir dans toutes les occurrences de la vie ? Nous ressemblons tous au voyageur égaré dans une forêt. La raison ne sait pas quelle est toujours la meilleure voie à suivre (l’homme n’a pas « une science infinie, pour connaître parfaitement tous les biens dont il arrive qu’on doit faire choix dans les diverses rencontres de la vie » Lettre à Elisabeth. 6 octobre 1645) mais elle peut dire avec certitude qu’un voyageur égaré dans une forêt, changeant sans cesse de direction pour se tirer d’affaire ne trouvera jamais une issue (sauf hasard heureux). Tandis que celui, qui comme le précédent ignore où est le bon chemin mais se tient à celui qu’il a décidé d’emprunter a bien des chances de finir par sortir de la forêt, quand bien même le chemin choisi serait le plus long. Descartes précise que cette règle a l’avantage de le délivrer « de tous les repentirs et remords qui ont coutume d’agiter les consciences de ces esprits faibles et chancelants, qui se laissent aller inconstamment à pratiquer, comme bonnes, les choses qu’ils jugent après être très mauvaises ».

3°) Troisième maxime : « Ma troisième maxime était de tâcher toujours à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde ; et généralement de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir, que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux, touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est, au regard de nous, absolument impossible ».

 Maxime d’inspiration stoïcienne. Cf. dissertation : vaut-il mieux changer ses désirs que l’ordre du monde ?    Son enjeu est « de se rendre content ». Le cartésianisme est comme les morales antiques un eudémonisme. Le souverain bien de l’existence humaine est le bonheur, mais il ne faut pas attendre qu’il nous échoit comme un don du ciel (Cf. étymologie du mot), il faut travailler à en promouvoir les conditions. C’est d’autant plus nécessaire qu’il n’y a pas accord entre le désir et le réel, entre les aspirations humaines et l’ordre des choses. Les hommes désirent vivre en paix mais ils ont parfois à subir les horreurs de la guerre, ils désirent être aimés mais ils sont confrontés à l’épreuve du désamour, ou de la solitude, ils souhaitent jouir d’une bonne santé mais il leur arrive de tomber malade. D’où l’expérience la plus communément partagée du malheur et du désespoir. Or la souffrance, le désespoir sont des maux qu’il faut absolument se donner les moyens de surmonter. Tels sont les présupposés de cette maxime.    La question est de savoir comment. Descartes préconise la solution stoïcienne. Il s’agit d’accorder le désir et le réel soit, si cela est possible, par la transformation du réel, soit, si cela n’est pas possible, par la transformation du désir.    Il convient de ne pas tracer a priori la frontière entre ce qui dépend de soi et ce qui n’en dépend pas. L’impuissance humaine ne s’apprécie, dans de nombreuses situations, qu’après avoir essayé d’intervenir sur l’extériorité. Nous avons un pouvoir partiel sur elle si bien qu’on ne saura ce qui nous est « absolument impossible » qu’ « après avoir fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures ». Il ne s’agit ni de renoncer avant d’avoir essayé ni de persévérer en présence de la résistance des choses c’est-à-dire de l’adversité. Une autre voie de salut est alors possible car sur la scène intérieure je dispose d’un pouvoir absolu. Je suis maître de mes représentations (« il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées » écrit Descartes), et donc de mes désirs en tant qu’ils impliquent la représentation. Si, faisant usage de mon entendement (faculté de comprendre) je prends conscience que l’objet de mon désir est absolument inaccessible pour moi (par exemple, je n’ai pas les moyens intellectuels de réussir polytechnique, je n’ai pas la capacité physique de devenir champion du monde dans tel sport, je n’ai pas le pouvoir de ressusciter les morts), je me mets en situation de transformer mon désir en le détournant de ce qui est impossible. Cet effort suppose le passage du plan du désir à celui de la volonté. On peut désirer l’impossible car dans sa spontanéité le désir ignore la loi du réel, mais on ne peut pas le vouloir. « Car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles […]» dit le texte. Par un effort de lucidité je m’affranchis donc des désirs me condamnant à l’échec et au malheur et je me dispose favorablement à l’égard de ce sur quoi je n’ai aucun pouvoir. Je conquiers ainsi la paix de l’âme par un travail de moi sur moi me rendant invulnérable aux coups du sort. La mauvaise fortune ne peut rien sur celui qui se dispose ainsi à son égard mais il va de soi que cette attitude requiert des efforts :

   Le sage veut se gouverner et soustraire sa vie aux caprices de la fortune. Il veut être au principe de son bonheur et de sa liberté.

* Descartes substitue l’idée de la Providence divine à celle de la fortune (ou hasard) dans les Passions de l’âme.II, 146 (1649). « Tout est conduit par la Providence divine, dont le décret éternel est tellement infaillible et immuable, qu’excepté les choses que ce même décret a voulu dépendre de notre libre arbitre, nous devons penser qu’à notre égard il n’arrive rien qui ne soit nécessaire et comme fatal, en sorte que nous ne pouvons sans erreur désirer qu’il arrive d’autre façon ».

   Conclusion : Descartes avoue que «  les trois maximes précédentes n’étaient fondées que sur le dessein que j’avais de continuer à m’instruire ». Manière de dire que le doute et la morale provisoire ne sont qu’une étape. Là est la grande différence du doute cartésien et du doute sceptique. Les sceptiques ne sortent pas du doute et ne sont jamais résolus dans l’action (« ils doutent pour douter dit Descartes) alors que l’enjeu du doute cartésien est d’être dépassé et il n’exclut pas la ferme  résolution. Il n’est qu’un moyen de parvenir à la connaissance vraie, fondement d’une action éclairée. Car Descartes ne cesse de rappeler que le bon exercice de la volonté ou du libre arbitre est tributaire des lumières de l’entendement. « Notre volonté ne se portant à suivre ni à fuir aucune chose, que selon que notre entendement la lui représente bonne ou mauvaise, il suffit de bien juger pour bien faire, et de juger le mieux qu’on puisse, pour faire aussi tout son mieux, c’est-à-dire pour acquérir toutes les vertus ».

   Il y a là l’énoncé d’un intellectualisme moral. Rien n’est plus important que la lucidité  et la rectitude du jugement.  Souvenons-nous de la définition de la vertu de générosité. « Ne jamais manquer de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses  qu’il jugera être les meilleures ».

Descartes fait sienne la conception de l’Ecole d’après laquelle « tout pécheur est un ignorant »  (omnis peccans est ignorans). Le choix du mal procède d’une erreur sur le bien.

On pense bien sûr à l’affirmation socratique « la vertu est science, la méchanceté est ignorance ». On pense aussi à Pascal : « Travaillons à bien penser pour être juste ».

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IV)             Analyse de la quatrième partie

 

   Cette partie contient un résumé très sommaire des Méditations métaphysiques. Descartes prévient d’emblée que l’objet (la métaphysique c’est-à-dire la connaissance des premières causes et des premiers principes) et la nature de la démarche (une méditation) peuvent rebuter un certain nombre d’esprits. Tout ce qu’il va dire est fort éloigné de ce que les hommes pensent communément mais on n’est plus ici sur le plan pratique où l’on peut se contenter de suivre les opinions communément admises. Le souci est purement théorique et Descartes est à la recherche d’une vérité absolument certaine. Il lui faut donc rejeter comme faux tout ce en quoi il remarquera le moindre caractère douteux.

-Etapes du raisonnement conduisant à l’évidence du cogito :

  1) Remise en cause des certitudes sensibles. Justification ? Nous faisons l’expérience que les sens nous trompent parfois.

  2) Remise en cause des certitudes rationnelles. Justification ? L’expérience montre que les hommes se trompent parfois lorsqu’ils raisonnent. On sait que les Méditations métaphysiques ajoutent l’argument du « malin génie ». Descartes ne donne pas dans le Discours une forme hyperbolique à son doute car cet ouvrage, écrit en langue vulgaire s’adresse à tous les esprits et il est imprudent de mettre dans n’importe quelles mains un instrument aussi dangereux que le doute universel.

  3) Argument du rêve. Comment distinguer le rêve de la réalité puisqu’il nous arrive de voir en rêve ce que nous découvrons n’être pas la réalité lorsque nous nous réveillons ? Argument d’une grande profondeur, signifiant qu’il n’y a pas de critères décisifs de distinction tant que nous nous en tenons aux impressions sensibles. Certes la clarté et la cohérence des images diurnes sont d’ordinaire suffisantes pour distinguer le rêve de la réalité mais il arrive que la frontière se brouille lorsque les images du rêve sont très vives (cauchemar par exemple) et si nous rêvions chaque nuit en continuité avec le rêve de la nuit précédente nous ne saurions plus où est le rêve, où est la réalité. Ce qui nous sauve, c’est l’incohérence, la discontinuité des images oniriques. Mais ce n’est pas là un fondement suffisant d’une certitude absolue.

  4) Pour toutes ces raisons, Descartes décide de révoquer en doute aussi bien les certitudes sensibles que les certitudes rationnelles. Notez l’expression : « Je me résolus de feindre que… ». Le doute cartésien est un doute de méthode, non un doute éprouvé comme c’est le cas des sceptiques, qui confrontés à la contradiction des opinions, à l’impuissance de la raison à démontrer de manière absolue les énoncés renoncent à admettre quoi que ce soit comme vrai. (Cf. Cours sur la vérité. Le développement sur le scepticisme).

  5) C’est d’ailleurs au moment où il a fait le vide que Descartes découvre qu’il peut douter de tout sauf de lui-même en tant qu’il doute. Pour penser, il faut être, « je pense, donc je suis ». « La force de cet argument, dirigé déjà par St Augustin contre les sceptiques, remarque Gilson, tient précisément à ce que, même en leur accordant toutes leurs hypothèses, la vérité de sa conclusion reste inébranlable. C’est au moment où l’esprit accumule les raisons de douter les plus excessives qu’il constate que pour douter, il faut être ».

  6) Le sens du cogito : découverte d’une existence et d’une essence. Cf. Cours. [3]

  7) Le cogito est la première vérité pour celui qui, comme le requiert la méthode, pense avec ordre. C’est donc nécessairement cette vérité qu’il faut examiner pour définir les critères de l’idée vraie. Quels sont ses caractères ? Elle est absolument claire et distincte. La clarté et la distinction sont donc les caractères intrinsèques de l’idée vraie ou idée évidente. Tel est le fondement de la connaissance car il va de soi que l’évidence des vérités mathématiques qui est donnée dans une intuition rationnelle suppose à titre de principe métaphysique, cette première évidence par laquelle l’esprit a l’intuition de sa propre existence.

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V)              Analyse d’un passage de la cinquième partie.

 

«  Et je m’étais ici particulièrement arrêté à faire voir que, s’il y avait de telles machines qui eussent les organes et la figure extérieure d’un singe ou de quelque autre animal sans raison, nous n’aurions aucun moyen pour reconnaître qu’elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux; au lieu que, s’il y en avait qui eussent la ressemblance de nos corps, et imitassent autant nos actions que moralement il serait possible, nous aurions toujours deux moyens très certains pour reconnaître qu’elles ne seraient point pour cela de vrais hommes : dont le premier est que jamais elles ne pourraient user de paroles ni d’autres signes en les composant, comme nous faisons pour déclarer aux autres nos pensées : car on peut bien concevoir qu’une machine soit tellement faite qu’elle profère des paroles, et même qu’elle en profère quelques-unes à propos des actions corporelles qui causeront quelque changement en ses organes, comme si on la touche en quelque endroit, qu’elle demande ce qu’on lui veut dire; si en un autre, qu’elle crie qu’on lui fait mal, et choses semblables; mais non pas qu’elle les arrange diversement pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que 1es hommes les plus hébétés peuvent faire : et le second est que, bien qu’elles fissent plusieurs choses aussi bien ou peut-être mieux qu’aucun de nous, elles manqueraient infailliblement en quelques autres, par lesquelles on découvrirait qu’elles n’agiraient pas par connaissance, mais seulement par la disposition de leurs organes : car, au lieu que la raison’ est un instrument universel qui peut servir en toutes sortes de rencontres, ces organes ont besoin de quelque particulière disposition pour chaque action particulière; d’où vient qu’il est moralement impossible qu’il y en ait assez de divers en une machine pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie de même façon que notre raison nous fait agir. Or, par ces deux mêmes moyens on peut aussi connaître la différence qui est entre les hommes et les bêtes. Car c’est une chose bien remarquable qu’il n’y a point d’hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés, qu’ils ne soient capables d’arranger ensemble diverses paroles, et d’en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées; et qu’au contraire il n’y a point d’autre animal tant parfait et tant heureusement né qu’il puisse être, qui fasse le semblable. Ce qui n’arrive pas de ce qu’ils ont faute d’organes car on voit que les pies et les perroquets peuvent proférer des paroles ainsi que nous, et toutefois ne peuvent parler ainsi que nous, c’est-à-dire en témoignant qu’ils pensent ce qu’ils disent; au lieu que les hommes qui étant nés sourds et muets sont privés des organes qui servent aux autres pour parler, autant ou plus que les bêtes, ont coutume d’inventer d’eux-mêmes quelques signes, par lesquels ils se font entendre à ceux qui étant ordinairement avec eux ont loisir d’apprendre leur langue. Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu’elles n’en ont point du tout : car on voit qu’il n’en faut que fort peu pour savoir parler; et d’autant qu’on remarque de l’inégalité entre les animaux d’une même espèce, aussi bien qu’entre les hommes, et que les uns sont plus aisés à dresser que les autres, il n’est pas croyable qu’un singe ou un perroquet qui serait des plus parfaits de son espèce n’égalât en cela un enfant des plus stupides, ou du moins un enfant qui aurait le cerveau troublé, si leur âme n’était d’une nature toute différente de la nôtre. Et on ne doit pas confondre les paroles avec les mouvements naturels qui témoignent les passions, et peuvent être imités par des machines aussi bien que par les animaux; ni penser, comme quelques Anciens, que les bêtes parlent, bien que nous n’entendions pas leur langage. Car, s’il était vrai, puisqu’elles ont plusieurs organes qui se rapportent aux nôtres, elles pourraient aussi bien se faire entendre à nous qu’à leurs semblables. C’est aussi une chose fort remarquable que, bien qu’il y ait plusieurs animaux qui témoignent plus d’industrie que nous en quelques-unes de leurs actions, on voit toutefois que les mêmes n’en témoignent point du tout en beaucoup d’autres: de façon que ce qu’ils font mieux que nous ne prouve pas qu’ils ont de l’esprit, car à ce compte ils en auraient plus qu’aucun de nous et feraient mieux en toute autre chose; mais plutôt qu’ils n’en ont point, et que c’est la nature qui agit en eux selon la disposition de leurs organes : ainsi qu’on voit qu’une horloge, qui n’est composée que de roues et de ressorts, peut compter les heures et mesurer le temps plus justement que nous avec toute notre prudence ».

Problématique de ce texte : Est-il vrai, comme l’affirme Montaigne « qu’il se trouve plus de différence de tel homme à tel homme que de tel animal à tel homme » ? (Essais Livre II ; 12).  Descartes affronte cette question dans ce texte dont l’enjeu est de dénoncer « le plus grand préjugé de notre enfance qui est de croire que les bêtes pensent ». (Lettre à Morus.2 /1649).

Descartes va établir qu’il existe plus de différence d’homme à bête que d’homme à homme car la première est une différence de nature tandis que la seconde est une différence de degré. Pour l’établir, Descartes propose un moyen terme : celui de la machine. Ce qui le conduit à dire qu’on ne pourrait distinguer une machine ayant la ressemblance d’un singe, du vrai singe tandis que s’il s’agissait d’une machine ayant la ressemblance d’un homme, on aurait deux moyens pour reconnaître qu’on n’a pas affaire à un vrai homme.

Analyse :

-Il convient d’abord d’expliciter le sens du recours cartésien à l’idée de machine et cela s’éclaire  si l’on précise que cette partie est consacrée aux problèmes de physique. Or la distinction opérée dans la partie précédente de la substance pensante et de la substance étendue implique que tout s’explique dans la nature sans faire appel à d’autres principes que l’étendue géométrique et les lois du mouvement des corps. (Un corps étant une partie de l’étendue c’est-à-dire, en termes géométriques, une figure). On peut donc se représenter l’univers matériel  comme « une machine où il n’y a rien du tout à considérer que les figures et les mouvements de ses parties ». La fonction du moyen terme : la machine, est donc une fonction théorique. En nous demandant de comparer successivement l’animal puis l’homme à une machine, Descartes propose un procédé méthodologique destiné à distinguer ce qu’il faut rapporter à la substance pensante et à la substance étendue. Les corps (donc l’homme dans sa dimension physico-chimique ou biologique) sont comme les machines, des réalités matérielles composées de divers mécanismes. Un mécanisme est un dispositif formé de pièces ayant entre elles des relations précises et dont l’ensemble est capable de fonctionnement. Les mouvements des pièces d’un mécanisme sont régis par les lois de la mécanique c’est-à-dire par des rapports de forces, de déplacements, de vitesses, de masses etc. Descartes donne ici l’exemple de l’horloge ou de l’automate.

 Cf. cours sur « matière, vie, esprit ».Les corps vivants comme les autres s’expliquent par le modèle mécanique. Il faut donc bien comprendre que la théorie de l’animal-machine n’est qu’une fiction à usage méthodique et pédagogique. En témoignent l’usage du conditionnel et de la conjonction « si ». Descartes répète souvent qu’il construit pour penser clairement et distinctement « la fable » d’un monde imaginaire ne fonctionnant que selon des lois simples. L’emploi cartésien du modèle de la machine est toujours prudent et modéré. Il interdit tout dogmatisme. Il s’expose d’ailleurs à des réserves de taille. Ainsi si l’organisme est une machine, si l’animal est une machine, ces machines sont infiniment plus complexes et subtiles que toutes celles que l’homme ne sera jamais capable de construire car elles sont faites de la main de Dieu. Cf. Lignes 398 à 449 de la page 61.

PB : En quoi le modèle mécanique est-il pertinent pour rendre intelligibles les comportements animaux ? Ex : Le castor construit sa digue. Les abeilles communiquent, l’araignée tisse sa toile etc. Les animaux effectuent des opérations dont la perfection nous émerveille et est souvent bien supérieure à ce que nous sommes capables de faire. Faut-il pour autant admettre qu’ils sont autre chose que substance étendue et qu’il y a en eux ce que nous pensons sous l’idée de substance pensante ? On sait qu’il faut entendre par là un pouvoir spirituel de penser, de symboliser, d’agir et de se déterminer, sans autre cause que l’existence de ce pouvoir. Capacité inventive, symbolique, liberté voilà ce qui est le propre de la substance pensante. Alors, peut-on repérer quelque chose comme une spontanéité spirituelle « qui ne peut aucunement être tirée de la puissance de la matière » dans les conduites animales ?

Descartes répond négativement à cette question. Il s’ensuit qu’on ne pourrait pas distinguer un automate fait à la ressemblance d’un singe d’un vrai singe. Celui-ci serait capable des mêmes gestes car les opérations animales sont des opérations instinctives. Même si c’est sous une forme très complexe, tous leurs mouvements s’effectuent comme les mouvements de l’horloge. Ce sont des mécanismes. Tout se passe comme si certains stimuli déclenchaient un mécanisme, un montage nerveux préétabli, stéréotypé, rigide caractéristique de ce qu’on appelle un instinct. « Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m’en étonne pas car cela sert à prouver qu’elles agissent naturellement et par ressorts ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est que notre jugement ne nous l’enseigne. Et sans doute que, lorsque les hirondelles viennent au printemps elles agissent en cela comme des horloges. Tout ce que font les mouches à miel est de même nature, et l’ordre que tiennent les grues en volant, et celui qu’observent les singes en se battant, s’il est vrai qu’ils en observent quelqu’un, et enfin l’instinct d’ensevelir leurs morts, n’est pas plus étrange que celui des chiens et des chats qui grattent la terre pour ensevelir leurs excréments, bien qu’ils ne les ensevelissent presque jamais : ce qui montre qu’ils ne le font que par instinct et sans y penser » Lettre au marquis de Newcastle. 20/11/1646.

En revanche il est impossible de réduire la totalité des conduites humaines à des opérations de ce type.

    PB : Qu’est-ce qui le prouve ?

Il y a deux moyens infaillibles permettant de dire que les hommes ne sont pas de simples machines fût-ce des machines très perfectionnées : la parole sensée d’une part, l’action raisonnée ou action par connaissance d’autre part.

-Il n’y a pas d’homme qui ne soit capable de parler, c’est-à-dire de composer un discours, quel qu’il soit pour faire comprendre ses pensées. Même les plus stupides et les insensés sont capables d’articuler des sons afin de faire entendre du sens. Alors que les animaux les plus remarquables en sont incapables. Ils peuvent disposer de codes de signaux mais le langage animal exclut ce qui fait du langage un langage, à savoir la fonction de symbolisation et la fonction dialogique, la capacité de parler à quelqu’un de quelque chose de façon appropriée. (Cf. Cours sur le langage). Et cela ne tient pas au fait que les animaux sont privés des organes de la phonation. Les pies et les perroquets imitent notre voix mais ils sont bien incapables de parler car ils n’ont pas d’âme raisonnable. Les animaux ne parlent pas, non point parce qu’ils ont moins de raison que nous ou n’ont pas les outils pour communiquer leurs pensées. Ils ne parlent pas parce qu’ils n’ont pas de pensée du tout.

   Certes, il n’est pas possible de démontrer avec certitude que les bêtes ne pensent pas , car la seule preuve de la pensée est l’expérience qu’en fait l’esprit à l’intérieur de lui-même et on ne peut pas faire l’expérience de ce qui se passe à l’intérieur d’une bête. « Mais en examinant ce qu’il y a de plus probable là-dessus, je ne vois aucune raison qui prouve que les bêtes pensent » Lettre à Morus. 5/2/1649. Ainsi les sons que les animaux profèrent lorsqu’ils expriment leur plaisir ou leur peine sont comparables à ce qu’il est possible d’obtenir d’une machine. Ils sont déclenchés par des stimuli sensibles, ils ne procèdent pas d’un acte de symbolisation. Et puisqu’ils sont capables d’une certaine forme d’expression sensible, s’ils pensaient ils trouveraient bien le moyen de nous communiquer leurs pensées.

-Il y a de même un autre moyen de distinguer un automate fait à la ressemblance d’un homme d’un vrai homme c’est l’action intelligente. En quelque circonstance que ce soit l’homme dispose de la capacité de réagir de manière appropriée et adaptée. Dans des conditions très précises l’animal dispose de la capacité d’agir, parfois même, bien mieux que nous. Mais ces  conditions sont limitées. Si elles changent, l’animal n’a pas la souplesse d’inventer le geste approprié, de trouver la solution adaptée. Il lui faudrait un organe spécialisé pour chacune de ces situations, ce qui est impossible à réaliser. L’homme en revanche dispose d’un outil qui n’est spécialisé dans aucune fonction précise mais qui peut inventer des solutions pour n’importe laquelle. Cet instrument universel est la raison.

NB : Eléments critiques ?

 

L’un porte sur les difficultés du modèle mécanique pour rendre compte de manière totalement satisfaisante de l’animal. Une machine peut-elle sentir ? Comment rendre intelligible la sensibilité animale ? Suffit-il de dire qu’elle « dépend de la disposition des organes » ?

L’autre porte sur la manière cartésienne de faire de la substance pensante une  réalité qui existe en soi et par soi. Le discours des neuro-sciences ; les machines qui imitent les opérations de l’intelligence (intelligence artificielle) n’invitent-ils pas à interpréter les opérations de l’âme comme les opérations de la matière (cérébrale) et donc à appliquer le modèle mécanique au domaine de l’esprit ?

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VI)                 Analyse d’un passage de la sixième partie.

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 «    Mais, sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles différent des principes dont on s’est servi jusques à présent, j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées, sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; car même l’esprit dépend si fort du tempérament, et de la disposition des organes du corps que, s’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusques ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher. Il est vrai que celle qui est maintenant en usage contient peu de choses dont l’utilité soit si remarquable ; mais, sans que j’aie aucun dessein  de la mépriser, je m’assure qu’il n’y a personne, même de ceux qui en font profession, qui n’avoue que tout ce qu’on y sait n’est presque rien, à comparaison de ce qui reste à y savoir, et qu’on se  pourrait exempter d’une infinité de maladies, tant du corps que de l’esprit, et même aussi peut-être de l’affaiblissement de la vieillesse, si on avait assez de connaissance de leurs causes, et de tous les remèdes dont la Nature nous a pourvus.

Thème : L’utilité de la science.

Question : Pourquoi les hommes s’efforcent-ils de connaître ?

Thèse : La science n’a pas qu’un intérêt spéculatif, elle a aussi un intérêt pratique. Elle va permettre de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature ».

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Eclaircissements :

I°) Nul doute que comme tout grand savant, Descartes commencerait par répondre à la question à la manière des Anciens. La connaissance est à elle-même sa propre fin. Connaître a pour vocation de satisfaire une exigence fondamentale de l’esprit humain qui est de savoir, de découvrir la vérité. C’est là, le thème de la science comme activité libérale c’est-à-dire désintéressée. Il y a bien chez Descartes une volonté de savoir pour savoir. Dans une lettre à la princesse Elisabeth, il dit par exemple que même si la connaissance doit nous rendre tristes en dissipant nos illusions, la connaissance de la vérité est un bien supérieur et nous donne du plaisir.

Mais ce texte établit que la science, dans sa forme moderne, n’a pas qu’un intérêt théorique, elle a aussi un intérêt pratique. « Pratique » signifie : « qui concerne l’action ». Le terme s’oppose dans le texte à « spéculatif » et on sent que ce dernier a une signification péjorative. Il est moins synonyme de théorie que de spéculations oiseuses, sans véritable contenu concret, ce qui est le propre de la philosophie qui s’enseigne dans l’Ecole.  On sait que Descartes est insatisfait de l’enseignement qu’il a reçu ; il rompt avec l’esprit de la scolastique et fonde le savoir sur de nouvelles bases, en particulier sur la seule autorité de la raison.

Au début du texte il fait allusion aux progrès qu’il a faits dans l’élaboration de la physique Celle-ci a pour objectif de dégager les lois de la nature, et Descartes découvre, dans sa propre pratique que ce genre de connaissances peut donner lieu à des applications pratiques forts intéressantes pour les hommes. C’est d’ailleurs, semble-t-il cette prise de conscience qui le détermine à publier ses recherches. « J’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées, sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous, le bien général de tous les hommes ». Gilson remarque « qu’il faut donc distinguer dans l’histoire de la pensée de Descartes, les raisons qui l’ont conduit à réformer ses propres opinions philosophiques ou morales de celles qui l’ont conduit à les publier. C’est le désir de voir clair dans ses pensées et ses actions qui a fait de lui un philosophe ; c’est le désir d’améliorer les conditions matérielles de l’existence humaine qui a fait de lui un auteur ».

 

2°) Il y a une utilité de la science moderne car la connaissance des lois régissant les phénomènes naturels permet d’intervenir sur eux  pour réaliser des fins proprement humaines.

Descartes énumère ces fins :

-Soulager le travail des hommes dans l’exploitation des ressources naturelles par l’invention d’outils, de machines, de savoir-faire permettant  de produire l’abondance des biens nécessaires au bonheur, avec moins d’efforts humains.

-Guérir les maladies tant physiques que mentales et promouvoir par là les conditions d’un progrès moral des hommes car, remarque l’auteur, le bon exercice de l’esprit est en partie conditionné par le bon fonctionnement du corps. Dans l’image de l’arbre de la connaissance on sait que la morale vient en dernier. Elle est le couronnement de la sagesse et elle doit sans doute beaucoup à la technique (la mécanique) et  à la médecine. De fait, la profonde misère et aliénation matérielle ne sont guère propices à la perfection morale. De même le dérèglement du corps et celui de l’esprit, pour autant que l’exercice de ce dernier dépend de conditions physiques, ne le sont pas davantage. La pire des choses qui puisse arriver à un homme disait Descartes, est que Dieu ait mis son âme dans un corps la privant de s’exercer librement. Il faut ici penser à l’aliénation mentale.

-Allonger l’espérance de vie en luttant contre les maladies mais aussi contre les effets du vieillissement.

La science est conçue ici comme le moyen de l’efficacité technique. La connaissance n’est plus une fin en soi. Elle n’est plus un savoir pour savoir mais un savoir pour pouvoir. On va pouvoir l’utiliser à des fins pratiques et elle va « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature ».

3°) Il convient  de prendre acte de l’importance du « comme » et de la majuscule du mot Nature.  Celle-ci signifie clairement que la Nature est une instance supérieure à l’homme et que l’homme n’est pas Dieu. Il ne saurait donc se substituer au créateur et disposer de la Nature comme un souverain. Descartes ne justifie pas, par avance une conquête agressive, dévastatrice de équilibres naturels et ordonnée à d’autres fins que les fins légitimes de l’existence humaine. Il ne cautionne pas une volonté de puissance pour la puissance c’est-à-dire un pouvoir technique désolidarisé du souci de la sagesse. On sait que c’est là le grand reproche adressé aujourd’hui à la technique par tous ceux qui dénoncent en elle une volonté prométhéenne (titanesque)  ayant cessé d’être éclairée par la sagesse de Zeus.

Descartes propose une comparaison qu’il faut interpréter en un sens humaniste.

Est maître celui qui a cessé d’être esclave. Or on est esclave tant qu’on est impuissant et qu’on est condamné par cette impuissance à subir la dure loi de la nature non domestiquée par l’homme : faim, maladies, peurs, mort prématurée, rareté des biens etc.

Le pouvoir conféré par la connaissance permet à l’homme de se libérer des puissances d’asservissement et de maîtriser ce qui a commencé par disposer de lui. Mais il va de soi que la vraie maîtrise et la responsabilité de celui qui a la disposition de quelque chose est d’exercer ce pouvoir avec sagesse. Ce qui suppose que l’usage des moyens techniques doit être réglé par de véritables choix éthiques.

 

PB : Le drame de la modernité technicienne ne procède-t-il pas du déséquilibre entre une force matérielle démesurément décuplée (grâce à la techno science) et l’anémie spirituelle et morale des hommes de notre temps ? Jean Rostand disait que « la science a fait de nous de dieux avant d’être des hommes ». Plus la puissance est grande, plus la sagesse est requise. Quels sont les peuples aujourd’hui qui se préoccupent de promouvoir une solide formation spirituelle et morale de leurs ressortissants ?