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Qu’est-ce que la laïcité?

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     « Nous ne sommes pas les ennemis de la religion, d’aucune religion. Nous sommes, au contraire, les serviteurs de la liberté de conscience, respectueux de toutes les options religieuses et philosophiques » Gambetta, Discours à Romans, 18 septembre 1878.

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    Le mot laïcité apparaît en 1871 dans le Journal La Patrie à propos d’une polémique sur l’instruction religieuse dans l’enseignement. On mobilise ce mot car le laïc depuis le Moyen-Âge est celui qui se distingue du clerc, autrement dit celui qui ne fait pas partie du clergé. Le mot vient de  laos, désignant en grec le peuple, l’unité d’une population considérée comme un tout indivisible.

    La laïcité est une réalité constitutionnelle conquise de haute lutte contre l’intransigeance cléricale de l’Eglise catholique, le poids des traditions et l’intégrisme antireligieux d’une frange de ses militants.

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   C’est dire que la laïcité est un combat toujours d’actualité tant il ne va pas de soi de comprendre les présupposés philosophiques  lui donnant son sens et lui conférant son insigne valeur. Il n’est pas exagéré de dire qu’elle est un défi de l’esprit aux pesanteurs de la nature,  de la culture et de l’histoire. Or comme l’école est en première ligne dans toute mission pédagogique, les professeurs doivent s’efforcer d’expliquer ce qu’est ce bel idéal de la laïcité. Ils doivent en expliciter avec rigueur les fondements  philosophiques, les enjeux politiques, les principes et en retracer aussi l’histoire longue, ( lois sur l’école des années 1880,  la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905,  les différents âges de laïcité et les débats actuels autour de la question de l’islam dans la République).

   Mon intention dans ce premier article est d’ approfondir l’esprit de la laïcité.

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La laïcité est un projet d’émancipation conjointe des esprits et de la sphère politique en les libérant  des tutelles, religieuses ou autres.

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   Son rêve est celui d’une société où les droits fondamentaux des individus peuvent s’exercer sans que les uns aient à subir la prétention des autres à leur imposer ce qu’ils doivent penser ou faire. Car un espace public a ceci de singulier qu’il doit faire tenir ensemble des personnes se réclamant d’options spirituelles et religieuses différentes, toutes étant intimement convaincues que la légitimité est de leur côté. Or on ne peut pas revendiquer le monopole du bien moral, de la justice politique, de la piété, sans être enclin à vouloir les imposer aux autres et à leur donner une traduction politique. « Il y a potentiellement quelque chose d’intolérant dans la conviction, écrit Paul Ricœur. Nous n’admettons pas facilement que ceux qui ne pensent pas comme nous aient le même droit que nous à professer leurs convictions, parce que, pensons-nous ce serait donner un droit égal à la vérité et à l’erreur ». Lectures, I, Seuil, 1991, p. 303.

   L’expérience historique en administre abondamment la preuve.

   Ainsi, il ne fait pas bon être athée dans un ordre politique fondé sur des présupposés théologiques, quelle que soit la nature de la religion ayant investi le pouvoir d’Etat.

    Dans une France soumise à l’alliance du trône et de l’autel, le chevalier de La Barre est décapité le 1er juillet 1766, à l’âge de 19 ans pour cause de blasphème et de sacrilège. N’avait-il pas eu le tort de chanter des chansons paillardes et de s’être vanté d’être passé devant la procession du Saint Sacrement sans se découvrir ?

   Les athées n’ont pas droit de cité dans les théocraties musulmanes et gare à ceux qui osent critiquer l’islam ! Salman Rushdie en sait quelque chose, Charlie-Hebdo aussi.

   Même intolérance et exercice de la terreur dans les ordres politiques fondés sur une idéologie que l’Etat entend imposer aux esprits. Dans un système totalitaire de type  marxiste-léniniste ou maoïste, la liberté de penser autrement que les titulaires du pouvoir n’est pas reconnue. Les croyants, les opposants politiques sont donc persécutés et chaque membre du corps politique est tenu d’adhérer à une doxa prétendument scientifique s’il ne veut pas être inquiété ou s’il veut accéder à des fonctions officielles.

   La question est donc de savoir si l’Etat laïque peut être accusé de porter lui aussi atteinte aux droits de ceux qui en critiquent le principe. Voilà ce que certains voudraient nous faire accroire. L’interdiction de la burqa dans l’espace public, la protection de la liberté d’expression, par exemple celle des caricaturistes, seraient attentatoires à la liberté des croyants. Musulmans et catholiques font sur ce point bon ménage. Les uns n’ont pas plus supporté la caricature de Plantu figurant Benoît XVI sodomisant des enfants que les autres n’ont supporté celle de Kurt Westergaard représentant la tête du prophète Mahomet coiffée d’une ceinture d’explosifs. On peut aussi rappeler la polémique dont a été l’objet le film de Scorcese (La Dernière Tentation du Christ). Au train où vont les choses, on peut affirmer, sans prendre trop de risques, que Voltaire ne pourrait pas publier son Mahomet et qu’il faudra être très courageux à l’avenir  pour exercer publiquement son esprit critique.

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Ce que la liberté de conscience veut dire.

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   De nombreux reportages auprès des jeunes après les attentats terroristes du 7 janvier donnent la mesure des malentendus qu’il faut de toute urgence s’employer à dissiper. Je ne fais pas allusion à la porosité  des consciences de certains de nos jeunes aux théories du complot mais à la plainte de tous ceux qui, en toute bonne foi, se sentent offensés par des images, des discours impliquant une critique des contenus dogmatiques auxquels ils adhèrent.

   Certains sont en classe terminale et j’avoue avoir des difficultés à comprendre comment il est possible que leur formation intellectuelle ne les ait pas familiarisés avec ce que la liberté de conscience veut dire. Tout se passe comme s’ils n’avaient jamais été mis en situation de suivre les leçons de Socrate, de Descartes, de Spinoza ou de Kant. Car que nous apprennent ces grands auteurs ? Que la liberté commence et s’accomplit avec l’effort de se mettre à distance de ses croyances, de s’arracher à leur prestige en substituant l’autorité de la raison en chacun de nous à toute autre forme d’autorité qu’il s’agisse de celle d’un Livre, d’un maître, d’un père ou  d’un prophète.

   Regardons les caricatures avec le recul de la réflexion. Elles ne portent atteinte à la dignité de personne mais elles invitent chacun à s’indigner de ce qui est scandaleux pour tout être de raison : la tolérance coupable de l’Eglise catholique à l’endroit de ses prêtres pédophiles pour l’une, l’instrumentalisation meurtrière du message coranique par les islamistes pour l’autre.

   Le sentiment d’une offense personnelle dans ce cas de figure témoigne que l’esprit des Lumières n’a pas encore pénétré les consciences ; qu’il n’a pas encore triomphé des superstitions, des susceptibilités mal placées, des adhésions irréfléchies. Car chaque fois qu’un penseur ou un caricaturiste exerce son esprit critique, il est inévitable que ceux qui en sont privés se sentent offensés. Comment ne pas éprouver une blessure au plus intime de son être lorsqu’on n’a aucun rapport distancié à une croyance? Ce qui fait problème ici, ce n’est pas qu’un artiste ou un philosophe épingle un point de doctrine ou un fait relevant du religieux, c’est que certaines personnes abolissent, dans leur manière de croire, toute autonomie du jugement. On ne peut donc s’autoriser de cette réaction pour assigner des limites à la liberté d’expression. Car s’il fallait « respecter » les susceptibilités, comme les contempteurs des caricatures ou de tout ce qui heurte le credo des uns et des autres le suggèrent, il faudrait tout de suite supprimer la liberté d’expression et consacrer la servitude des esprits !

   Reste que la défense ou l’exercice d’un droit constitutionnel ne dispense pas de faire preuve d’une certaine sagesse au sens de la prudence politique. Il faut bien voir qu’avec les convictions religieuses on touche au registre du sacré, or invoquer un sacré consiste, par principe, à mettre hors jeu la raison et la liberté humaine. A l’inverse de l’ordre profane sur lequel l’homme se reconnaît une compétence, l’ordre du sacré, définit la sphère du tout-autre, du surnaturel, du transcendant, de l’interdit. Autrement dit, une sphère où l’homme se sent dépossédé de toute souveraineté et tenu de s’incliner avec effroi et fascination. Il s’ensuit que l’idée chère aux Lumières, selon laquelle il n’y a pas d’autre autorité que la raison pour définir ce qui est sacré et ce qui ne l’est pas, ne peut être ressentie que comme transgressive, sacrilège par celui qui vit sous l’empire de l’expérience religieuse du sacré. Ne serait-on pas bien inspiré d’en tenir compte ? Nul ne peut ignorer que l’esprit des Lumières n’a pas pénétré de nombreuses sociétés musulmanes. Si l’obscurantisme n’était pas entretenu dans ces espaces politiques, il serait impossible, pour ceux qui instrumentalisent la haine de l’Occident, de mobiliser ces foules immenses totalement fanatisées. Alors est-il bien responsable de prendre le risque de déclencher ces mouvements d’hystérie collective dont tant d’innocents sont condamnés à faire les frais ? Sur notre territoire aussi, il y a toute une population n’ayant pas été formée à l’école de l’humanisme rationaliste. A quoi bon les heurter de front ? N’est-ce pas contre-productif ? Il ne s’agit pas pour moi de dire qu’il faut respecter les raideurs des esprits. Il n’y a rien à respecter dans la servitude intellectuelle. Il faut seulement en prendre la mesure et s’engager à en ébranler les assises par des voies plus fécondes. Pour un professeur cela consiste patiemment à faire vivre autour de lui  l’esprit des Lumières, en en rappelant inlassablement la devise.

   Kant l’a formulée en ces termes :

  « Qu’est-ce que les Lumières ? – La sortie de l’homme de sa minorité, dont il porte lui-même la responsabilité. La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable s’il est vrai que la cause en réside non dans une insuffisance de l’entendement mais dans un manque de courage et de résolution pour en user sans la direction d’autrui. Sapere aude, « Aie le courage de te servir de ton propre entendement », telle est la devise des Lumières » Qu’est-ce que les Lumières, 1784.

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Croyance et savoir.

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   Est-ce à dire que l’examen rationnel soit le tombeau des croyances ? Bien sûr que non, car le propre de la raison est d’être consciente de ses limites. Elle ne peut pas répondre aux grandes questions que les hommes se posent sur le sens de leur existence, sur ce qu’il en est de la mort, sur la nature de l’âme, etc., aussi laisse-t-elle une place à la croyance mais elle ne laisse pas inchangé le rapport que l’esprit du fidèle entretient avec elle. Elle le délie et cela change tout car tant que celui-ci se dispense d’exercer son entendement, son adhésion est massive et aveugle. Lui manque ce recul de l’esprit par lequel il pourrait tracer la frontière entre l’ordre du savoir et celui de la croyance et transformer par là même sa façon d’assentir à des contenus de pensée.

   De fait le savoir a ceci de supérieur sur la croyance qu’il peut faire l’accord des esprits parce qu’il est fondé en raison. Les énoncés scientifiques ont une validité théorique pour tous les membres de la communauté scientifique. Au contraire les énoncés théologiques ou idéologiques n’ont pas de validité universelle. Les dogmes d’une religion ne sont pas ceux d’une autre, les options idéologiques des uns ne sont pas celles des autres. Au fond, Hume avait raison de dire que seules les vérités de raison et les vérités de fait peuvent prétendre au titre de vérités reconnaissables par tous. Ce qui l’amenait à terminer son Enquête sur l’entendement humain (1748) par cette déclaration un peu brutale: « Si nous prenons en main un volume quelconque, de théologie ou de métaphysique scolastique, par exemple, demandons-nous : Contient-il des raisonnements abstraits sur la quantité ou le nombre ? Non. Contient-il des raisonnements expérimentaux sur des questions de fait et d’existence ? Non. Alors, mettez-le au feu, car il ne contient que sophismes et illusions ». C’est abrupt mais cela a le mérite de pointer la faiblesse théorique des croyances.

   Aucune ne repose sur des raisons contraignantes. Dans leur cas le principe de l’assentiment est « subjectivement suffisant, mais objectivement insuffisant » (Kant).  Conséquemment elles ne peuvent pas entrainer la conviction de tous. Cette constatation n’est absolument pas un argument pour nier le droit de ceux qui les embrassent à renouveler leur acte de foi en elles, mais c’en est un pour leur faire obligation, en toute rigueur, d’admettre le droit des autres à ne pas les partager et à les soumettre à la critique. Il n’y a pas d’autre remède au fanatisme, à l’intolérance, à ce que Weber appelait  la guerre des dieux que cet apprentissage de la liberté intérieure et de la lucidité.

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Penser par soi-même ou l’autonomie rationnelle.

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    Car nul ne peut se prétendre libre dans ses convictions les plus intimes tant qu’il n’a pas entrepris ce travail de soi sur soi, tant qu’il n’a pas fait  l’effort d’interroger par lui-même le sens et la valeur des représentations qu’il a assimilées avec le lait maternel, qui sont les siennes parce qu’il est né dans telle famille, à telle époque, ou qu’il est un familier des réseaux sociaux. Combien il serait salutaire de faire méditer à tous ce propos de Descartes :

   « Ayant considéré combien un même homme, avec son même esprit, étant nourri dès son enfance entre des Français ou des Allemands, devient différent de ce qu’il serait s’il avait toujours vécu entre des Chinois ou des cannibales […] je me trouvai comme contraint d’entreprendre moi-même de me conduire ». Discours de la méthode, II, 1637.

  Prendre conscience que ce que je suis, ce que je crois dépend en grande partie des hasards de ma naissance, des accidents de mon histoire, de  ma détermination ethnique, n’est-ce pas découvrir que ma liberté n’est pas une donnée, qu’elle est à conquérir par l’effort de penser par moi-même ? Kant dit de la maxime : « Penser par soi-même »   qu’elle est la maxime de la pensée sans préjugés, c’est-à-dire d’un esprit s’affranchissant de la loi qu’il commence par subir : celle de la nature sensible, en ce qu’une pensée est esclave aussi longtemps qu’elle s’exerce sous l’empire des pulsions, des passions, des désirs ou des intérêts ou celle du milieu social et des habitudes de pensée que nous avons intériorisées à notre insu. Une raison tenue en tutelle par la spontanéité sensible ou par ce que Platon appelait les « montreurs de marionnettes » (prêtres, idéologues, médias etc.) est une raison hétéronome, mineure. Ce n’est pas une raison majeure, autonome, c’est-à-dire libre.

    Ainsi il est  impressionnant  de constater la crédulité des jeunes esprits à l’égard de tout ce qui circule sur les réseaux sociaux. Tout se passe comme s’ils n’avaient aucune distance critique à leur endroit, comme si ces nouveaux médias étaient une machine à embrigadement d’autant plus efficace qu’elle flatte les ressentiments, les fantasmes et opère en dehors et contre la parole enseignante et parentale. Ces jeunes exhibent la fatalité du passif, la pesanteur des conditionnements dont ils sont les jouets consentants. Leurs seuls exemples exhibent, si d’aventure ils devaient être représentatifs de leur classe d’âge, la faillite de l’école. Elle semble avoir perdu ses vertus émancipatrices or libérer les esprits des carcans mentaux les empêchant d’accéder à l’autonomie rationnelle, telle était la noble tâche que l’école républicaine avaient confiée aux professeurs. Non point diffuser une idéologie, une vision du monde personnelle, mais, en honorant un devoir de réserve, instruire, transmettre les savoirs scientifiques, former les esprits en développant en chacun les ressources de la rationalité et l’ouverture d’esprit par l’apprentissage des mathématiques, des lettres,  des langues et en fin de parcours lycéen par celui de la dissertation philosophique.

   On disait autrefois qu’on faisait ses humanités, autrement dit qu’on apprenait à devenir un homme avec ce que cela implique de vocation à l’universalité.

   Cette tâche est consubstantielle au projet laïque. Son fondement est l’humanisme rationaliste des Lumières. Sa finalité consiste  à promouvoir la liberté individuelle et la liberté politique, ces deux dimensions étant dialectiquement liées.

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Rapport dialectique de la liberté individuelle et de la liberté politique.

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   Il s’agit  de faire sortir les hommes de l’état de minorité, de les affranchir des tutelles pour qu’ils conquièrent leur autonomie rationnelle et instituent le lien social sur d’autres réquisits que ce qui consacre leur servitude. Car ce n’est pas en qualité d’être sexué, de juif, de musulman, de chrétien, d’athée ou d’individu appartenant à telle ou telle ethnie que les hommes peuvent être proclamés libres et égaux. C’est en qualité d’être de raison, c’est-à-dire de sujet appelé à transcender les particularités sexuelles, religieuses, ethniques, à en faire abstraction, pour fonder la communauté des citoyens sur l’exercice de la raison ; seule faculté autorisée à décider du commun parce qu’elle est notre faculté commune.

   Réciproquement, il faut que l’espace public soit un espace où des êtres éclairés puissent faire un usage public de leur raison  pour que les membres d’un corps politique  ne soient pas prisonniers d’une pensée unique, d’un endoctrinement et puissent s’arracher à l’étroitesse d’esprit typique de l’ignorance et des esprits sous tutelle doctrinale. « Penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ? » écrit Kant, en précisant qu’on supprime la liberté de pensée dans une société où il n’y a ni pluralisme, ni liberté d’expressionQu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?

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Complémentarité de l’Etat laïque et de l’école laïque.

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   On aura donc compris que pour rendre effective la liberté des individus et instituer le citoyen comme être de raison apte à entrer avec les autres dans une communauté de statut juridique, deux conditions s’imposent :

-D’une part instituer une école publique, gratuite, laïque et obligatoire sans laquelle le choix d’un Etat laïque ne peut pas avoir d’assise morale dans les consciences et donc de viabilité dans le temps.

-D’autre part aménager l’espace public en l’affranchissant de l’emprise des options spirituelles et religieuses frappées au sceau de la particularité subjective. La laïcité est donc un dispositif juridique procédant de l’idée que la res publica, la chose commune à tous ne doit pas être organisée sur des convictions partagées par quelques-uns seulement. Elle ne peut l’être légitimement que sur des principes ayant valeur universelle.

  En ce sens, la laïcité est fille de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) dont le premier principe, reformulé en 1948, est : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

   Elle suppose la rupture révolutionnaire par laquelle l’emprise de l’Eglise catholique sur la société d’Ancien Régime et sur les consciences a commencé à être déstabilisée. Celles-ci sont reconnues dans leur droit inaliénable à croire ou à ne pas croire, à choisir leur religion, à en changer si bon leur semble. La foi cesse d’être une affaire d’Etat pour devenir une affaire exclusivement individuelle. On distingue un espace privé où chacun est maître de ses croyances et de sa conduite et un espace public régi par la seule loi commune.

   La laïcité, c’est donc en un sens fondamental  le choix d’une organisation politique affranchie de tout fondement religieux.  Elle actualise la sortie de l’âge théologico-politique dont les formules étaient : Une foi, une loi, un roi ; ou cujus regio, ejus religio (Tel Prince, telle religion). Pour garantir que la chose publique soit bien l’affaire de tous, l’Etat revendique sa neutralité en matière spirituelle et religieuse. Il s’assume comme un Etat non confessionnel n’ayant aucune légitimité à intervenir sur les questions de vérité.

   Cette exigence s’est traduite par la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 9.12.1905.

   L’Etat laïque repose sur deux principes :

  1)  la liberté de conscience est garantie comme un droit fondamental. L’Etat ne se reconnaît pas le droit d’intervenir dans les convictions de chacun. Chacun est libre d’adhérer aux croyances de son choix mais ses choix religieux sont une affaire privée.

   2)  des hommes ayant des options spirituelles ou religieuses différentes sont reconnus comme égaux en droit.

  Désormais le statut politique de l’individu ne coïncide plus avec son statut religieux. Peu importe que sa religion soit minoritaire ou majoritaire, voire qu’il n’en ait aucune. Il est un citoyen protégé dans sa liberté de conscience et égal à tout autre en droits.

   Au fond, l’Etat laïque institue chacun comme citoyen, c’est-à-dire comme un sujet rationnel capable de s’arracher à ses déterminations naturelles (homme ou femme, jeune ou vieux, blanc ou noir), ethniques (membre de telle ou telle communauté culturelle), religieuses (chrétiens, musulmans, bouddhistes etc.) pour se lier avec d’autres dans une communauté de citoyens. Tous étant libres et égaux en droits, c’est à eux, par la délibération rationnelle de définir la loi commune, selon des procédures constitutionnellement établies. Coupé du fondement ethnique ou religieux, le lien social doit être rationnellement institué.

                                                              

   Cette décision de définir en termes abstraits le citoyen, de disjoindre la citoyenneté de la confessionnalité, d’affranchir l’espace public de l’emprise des religions, d’en appeler à la raison de chacun, à l’école et dans la cité n’est évidemment pas neutre. C’est un choix de valeur, un parti pris philosophique et politique. Jules Ferry le précise dans son Discours devant de Sénat du 31 mai 1883 : « Nous avons promis la neutralité religieuse ; nous n’avons pas promis la neutralité philosophique, pas plus que la neutralité politique ».

   Cf.  https://www.philolog.fr/la-tolerance/ [1]      

   Cf.    https://www.philolog.fr/peut-on-rire-de-tout/ [2]