Je me suis toujours demandé si l’inaptitude à l’ennui était une force ou une faiblesse. Je ne parle pas de l’ennui occasionnel que l’on ressent dans une situation de désintérêt momentané, je parle de l’ennui existentiel, celui que, de Sénèque à Houellebecq, les grands auteurs ont décrit avec la profondeur que l’on sait. « Mécontentement de soi, va-et-vient d’une âme qui ne se fixe nulle part, résignation triste et maussade à l’inaction, […] tristesse, langueur, mille fluctuations d’une âme incertaine, hésitante à entreprendre, mécontente d’abandonner » Dans De la tranquillité de l’âme, Sénèque résume en quelques mots la symptomatologie de l’ennui et on a l’impression que toute la littérature de l’ennui ne sera que variations sur le thème.
J’ai lu tous ces auteurs, je leur dois une compréhension théorique de l’expérience de l’ennui mais je n’en ai pas une véritable expérience vécue. Aussi loin que je remonte dans le temps, « l’extase de la vie », pour parler comme Baudelaire, l’a toujours emporté pour moi sur « l’horreur de la vie ». Même dans la plus plate quotidienneté comme si, en elle, se densifiait la sensibilité à l’essentiel : le plaisir d’exister dans la simple offrande du jour, la conversion de la hantise de la fuite du temps dans l’attention au présent comme ouverture à l’éternel et à la plénitude de l’être. Tout ce qui détourne de cette disposition m’a toujours semblé vain divertissement, pathétique agitation. Non point que les diverses occupations remplissant le temps le soient par principe. On peut s’adonner à la plupart des activités avec cette manière de se projeter dans l’existence. Et les plus mécaniques ne sont pas les moins favorables car elles demandent moins d’attention et donc détournent moins que d’autres la conscience de sa présence à elle-même et au monde. Mais évidemment, rien mieux que le loisir lettré ne permet de la cultiver et lorsqu’on a la chance d’avoir pu en faire un métier et donc de recevoir salaire pour faire ce que l’on ferait sans être payé pour cela, on se dit que l’on a fait le bon choix.
S’adonner à une activité, non point pour fuir son vide intérieur, pour conjurer « la mortelle fatigue de vivre » (Paul Bourget) mais pour sauver une plénitude existentielle que cette même activité ne fait que magnifier. Tel a été et continue à être pour moi l’investissement philosophique et pédagogique.
Non pas que cette disposition soit aveugle à la tragédie existentielle ou à la cruauté du réel. Je me demande même si elle ne se développe pas principalement chez ceux qui y ont été confrontés très tôt. Je dis disposition et non vertu car on ne choisit pas davantage de s’ennuyer que de jouir du bonheur d’exister. Dans les deux cas, on a affaire à une humeur et une humeur n’est pas volontaire. Sort malheureux pour l’une, grâce pour l’autre.
On a compris qu’il m’est impossible de reconnaître une quelconque positivité à l’ennui. Il ne m’apparaît pas plus favorable à la réflexion philosophique qu’au déploiement des talents ou de la sagesse. Reste que trop d’auteurs lui confèrent une dimension proprement métaphysique pour ne pas me demander si mon inaptitude à en souffrir n’est pas le symptôme d’un manque de sens métaphysique.
En tout cas, si je vois bien tout ce que l’ennui peut enfanter de négatif, j’ai peine à en faire un vecteur de quelque chose de positif. Pourtant je n’ignore pas qu’il était pour Pascal un aiguillon du salut autant que le principe du divertissement, que Valéry considérait l’art comme « un remède pour ce cas désespéré de clairvoyance et d’ennui » ou que Heidegger fondait dans « l’ennui profond » la créativité humaine.
Mon problème découle de ma tendance à soupçonner tout ce qui a une source impure d’être vicié. « Quand le vase est sale tout ce qu’on y verse s’aigrit » disait le poète Horace et le virtuose de l’ennui que fut Flaubert confirme : « Vous connaissez ces verres de couleur qui ornent les kiosques des bonnetiers retirés. On voit la campagne en rouge, en bleu, en jaune. L’ennui est de même. Les plus belles choses vues à travers lui, prennent sa teinte et reflètent sa tristesse » (Lettre du 7 juin 1844 à Louis de Cormenin)
Comment donc pourrais-je croire que l’interrogation philosophique procède de l’ennui ? De l’étonnement d’accord mais au sens platonicien ou aristotélicien, pas d’un étonnement lié au pathos de l’ennui, comme l’affirme Schopenhauer.
Autant dire que les textes que je vais mettre en ligne décrivent une expérience qui ne m’est pas familière. C’est sans doute la raison pour laquelle, je n’ai jamais donné de dissertation sur l’ennui. Mais on n’incarne pas à soi seul la totalité de l’expérience humaine. Et mes lectures récentes me conduisent à faire lire quelques textes remarquables de la littérature de l’ennui.
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Pourquoi l'expérience de l'ennui est-elle typique de notre époque? https://www.philolog.fr/y-a-t-il-une-alternative-au-nihilisme-du-sens-patocka-et-tolstoi/#more-3303
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Comment des virtuoses de l'ennui comme Moravia ou Pessoa le définissent-ils?
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Que signifie Schopenhauer en disant que la vie oscille comme un pendule, de droite à gauche de la souffrance à l'ennui?
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Faut-il penser que l'ennui est le grand ressort de la sociabilité?
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Est-il vrai que le poison de l'ennui est à la fois l'effet et la cause de la connaissance?
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L'homme n'a-t-il pas besoin d'excitants pour échapper aux affres de l'ennui, en particulier celui de l'ivresse de la cruauté?
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Y a-t-il des remèdes à l'ennui?
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Bonjour Simone,
Depuis que je parcours votre site c’est certainement la première fois que j’ai tant envie d’échanger avec vous sur un thème…
Vous semblez particulièrement sévère avec l’ennui.
Vous évoquez le « plaisir d’exister » qui est le votre.
Ce « plaisir d’exister » induit (ou est induit par ?) un « désir d’exister ».
Ce « désir d’exister » est lui-même la somme de vos multiples de désirs.
Cette multitude de désir est souffrance de frustration.
A mon sens,
Si le « plaisir d’exister » = « désir d’exister » = quête du désir = souffrance de frustration,
J’ai la conviction que l’ennui est davantage le fruit d’un « devoir d’exister ».
Ce « devoir d’exister » moins reluisant que le « désir d’exister » n’en a pas moins ses propres avantages :
–> Volonté d’extraction (ou confrontation) vis à vis de la réalité favorisant la créativité.
–> L’ennui est également la source d’une curiosité accrue, véhicule de l’intelligence.
Il me semble que voltaire nous expliquait : « Il n’est pas de mal dont il ne naisse un bien. », le mal de l’ennui a donc certainement des avantages qu’il me paraît injuste de condamner.
Enfin, chacun de nous a son propre moteur pour vivre, mais j’ai le sentiment que nous avons tous des moteurs hybrides : une part de devoir et une part de désir.
[–> A chacun sa proportion, vous même, je suis convaincu que vous vivez également par devoir]
La part de désir nous offre une direction.
La part de devoir offre un parcours.
Qu’en pensez-vous ?
[Schopenhauer oppose l’ennui à la souffrance.
Nous pourrions probablement débattre sur le thème (infini) :
Lequel des ces maux est-il le pire pour un individu ?]
Bonjour Alban
Vous avez raison de pointer les vertus de l’ennui. Par contraste avec l’agitation du divertissement quotidien, il est bien le vecteur de l’éveil à la vie de l’esprit, de l’attention à la présence des choses, de l’interrogation métaphysique, de la disponibilité de la sensibilité et de l’intelligence.
Reste que je vois surtout en lui un pathos subi, un état relevant de ce que Schopenhauer appelle l’humeur, le tempérament et je me trouve bien chanceuse de ne pas en être affectée.
Pour ce qui est du « plaisir d’exister », je crois que vous interprétez mal ce qu’il faut entendre par là.
C’est du côté d’Epicure et de Rousseau qu’il faut se tourner pour saisir la nature de cette réalité existentielle. https://www.philolog.fr/les-paradoxes-du-bonheur/
Rousseau le décrit dans ce qu’il appelle « le sentiment de l’existence » https://www.philolog.fr/la-plenitude-du-sentiment-de-lexistence-rousseau/ et Epicure dans la distinction qu’il fait entre les plaisirs mobiles et le plaisir catastématique ou en repos.https://www.philolog.fr/la-lettre-a-menecee-commentaire/
Le lien que vous établissez entre plaisir d’exister et désir d’exister n’a donc pas de fondement pour comprendre le sens de cette expérience.
PS: Schopenhauer n’oppose pas l’ennui à la souffrance. Il est souffrance et il est lié au désir satisfait ou en panne. Le salut est dans la libération du désir, ce que permet la contemplation de sa vanité.
Bien à vous.
Bonjour Simone et, encore une fois, merci pour la rapidité de votre réponse.
J’abonde dans votre sens, pour Schopenhauer :
L’ennui est une forme de souffrance, une souffrance « mélancolique » liée à un désir satisfait ou en panne. En réalité, il s’agit là d’une souffrance « passive ».
L’ennui est néanmoins dissocié de « la » souffrance* qui semble être une souffrance « active ». Une souffrance qui est notamment liée à un sentiment de frustration.
(*La vie oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui.)
Néanmoins, je demeure en contradiction :
Le lien entre plaisir/désir (ou autre passion, volonté ou besoin que vous évoqué dans votre chapitre sur le désir) me paraît incontournable.
Dès lors, vous l’évoquez dans « la positivité du désir », sans désir : « la vie n’est plus que lassitude, fardeau ne vibrant plus que du désir d’en finir », ou pour le dire avec un autre mot : ennui.
Je suis d’accord avec vous, l’Ennui se caractérise par un « pathos subi », ou encore par un moteur du « désir/plaisir/volonté » éteint (ou, du moins, ralenti ou en arrêt temporaire) et le moteur du « devoir/contrainte/raison » en marche, c’est à dire :
Une absence de volonté, désir, besoin, passion. Ou, pour reprendre les Schopenhauer, un désir « en panne » [En d’autres mots, une distance prise avec la réalité, les sensations, les sentiments, les instincts…]
Une conscience métaphysique exacerbée, la soumission à la perception d’un déterminisme écrasant, la soumission aux édits esthétiques, moraux ou religieux.
D’après moi, nous avons à faire à la célèbre dialectique sens + sentiments opposée à la raison.
Ainsi, le moteur du « devoir/contrainte/raison », la raison ne nous dit pas pourquoi (= la direction), elle nous dit comment (= le parcours). Ce moteur est connaissance, divin, passif et soumis.
Tandis que le moteur du « désir/plaisir/volonté », les sens et les sentiments ne nous disent pas comment (= le parcours), ils nous disent pourquoi (= la direction). Ce moteur est instinctif/intuitif, animal, actif et dominateur.
Comme chacun, nous faisons ce que nous voulons et, le reste du temps, nous faisons ce que nous devons.
Qu’en pensez-vous ?
Merci beaucoup de m’avoir indiqué les lectures à même de faire évoluer ma réflexion.
NB : L’hédonisme négatif selon lequel le « plaisir en repos » est le« plus haut degré du plaisir » et « se caractérise la suppression de douleur ». En réalité, ce « plaisir en repos » est effectivement un état neutre qui abuse du mot « plaisir ».
La conscience de la suppression de douleur peut certainement apporter du contentement, un sentiment de bien-être, (appréciation dépendant la connaissance préalable de la douleur potentielle).
Cependant il me semble excessif de qualifier ce contentement relatif de « plus haut degré du plaisir ». Le plus haut degré (= plus haute intensité) de plaisir vécu étant, à mon sens, l’orgasme.
NB : Au sujet de Rousseau, j’ai le sentiment que sa description de son sentiment d’existence est celui d’une plénitude, d’une sérénité, d’une communion avec la nature, d’un bien-être qui est passif, contemplatif et déconnecté de la relation désir/plaisir.
Bien à vous.
Bonjour Alban
Je ne peux pas vous suivre dans vos affirmations.
Par exemple, par définition une souffrance est subie. La distinction que vous établissez entre une souffrance active et une souffrance passive n’a guère de sens à mes yeux. On ne trouve aucune distinction de ce genre dans le texte de Schopenhauer. Cf. https://www.philolog.fr/la-vie-oscille-comme-un-pendule-de-droite-a-gauche-de-la-souffrance-a-lennui-schopenhauer/#more-3344
Quant au plaisir d’exister, vous ne semblez pas comprendre qu’il est l’enjeu d’une sagesse, il n’est pas un donné immédiat. Mais cette sagesse est rendue possible par un « je ne sais quoi » que Clément Rosset appelle la joie et qu’il décline comme « grâce », rejoignant par là ce que Schopenhauer entend par humeur, tempérament.https://www.philolog.fr/clement-rosset-lethique-de-la-cruaute/#more-3249
https://www.philolog.fr/visages-de-lalienation-humaine-jan-patocka/#more-3307
Votre interprétation de l’hédonisme épicurien comme hédonisme négatif témoigne de votre incompréhension. Il s’agit, dans mon expérience, d’ un hédonisme positif mais ce vécu ne peut sans doute pas être expérimenté par ceux qui n’ont pas une maîtrise de leurs désirs. C’est à cette sagese qu’est parvenu le Rousseau des Rêveries. C’est pourquoi, à la suite de Pierre Hadot, je donne toujours à lire ce texte pour faire entendre ce qu’ Epicure pense avec le thème du plaisir catastématique.
Voyez bien que les propos tirés de mon cours sur le désir sont une description de l’expérience commune. Ce n’est pas celle du philosophe pour autant qu’il incarne un amoureux de la sagesse c’est-à-dire un être qui ne livre pas sa vie à ce qu’il y a de passif dans l’existence.
Pour ce qui est de votre distinction entre devoir d’exister et désir d’exister, je ne sais pas si elle est vraiment pertinente. On existe un point c’est tout. Et je ne peux que plaindre ceux qui consentent à ce don de l’existence par obligation (devoir).
Sur quoi fonder une telle obligation? Cela m’a fait penser à la tirade de Sonia à la fin d’Oncle Vania. Il faut bien vivre dit-elle et dans sa bouche cela signifie: c’est là une nécessité, c’est Dieu qui décide, nous, il nous faut subir en attendant la mort en laquelle elle met l’espérance du bonheur absent sur cette terre. Autant dire que c’est la formule du désespoir.
Bien à vous.
Bonjour Simone,
Entendons-nous bien, je ne justifie pas le fait de vivre « uniquement » par obligation. Effectivement, ceux qui consentent à ce don par obligation sont à plaindre, et pour cause, ils s’ennuient. Néanmoins, l’absence de désir ne se décide pas.
Sur quoi fonder une telle obligation au don de l’existence ? *
–> Individuellement, nous sommes obligés envers d’autres êtres pour lesquels notre absence serait source d’une somme de souffrances plus importante qu’elle n’en soulagerait chez nous. [Le plus souvent en tous cas–> hors problématique de l’euthanasie ]
–> Globalement, un esprit raisonnable sait que si la Nature a décidé notre vie, c’est également elle qui devra décider notre mort. A mon sens, avec la chance de « comprendre » le déterminisme, c’est au moins accepter de ne pas le laisser nous submerger par lui et de lui appartenir.
Vivre uniquement par obligation est effectivement la formule du désespoir… et de l’ennui aussi. Soit dit en passant, il me semble que la notion d’ennui est indissociable du désespoir.
* Lorsqu’il s’agit de trouver des arguments tendant à conforter le don de l’existence, notre instinct de survie est toujours prompt à guider notre raison et à infléchir notre jugement.
Rebonjour,
Votre dernière remarque invite à la lucidité et donc à comprendre qu’il y a sans doute dans les deux manières dont vous cherchez à fonder « l’obligation de vivre » un énorme mensonge.
Pourrait-on se sentir des obligations à l’égard des autres si l’on n’avait aucun désir de vivre? Dans l’ordre des priorités, l’attachement à une vie morale ne suppose-t-il pas d’abord un attachement à la vie tout court?
Idem pour l’interdit de disposer d’un bien qui est un don.
Voyez l’article conclusif du chapitre sur l’ennui: https://www.philolog.fr/y-a-t-il-un-remede-a-lennui-remy-de-gourmont/#more-3377
Bien à vous.
Rebonjour,
Dans votre argumentaire, la supposition « d’énorme mensonge » implique que la réponse à la question rhétorique que vous posez « l’attachement à une vie morale ne suppose-t-il pas d’abord un attachement à la vie tout court ? » soit : oui.
Selon ma conception de l’être humain, la réponse est non. Chez l’être humain, la vie morale est indissociable de la vie « tout court ». Cette conception est issue de plusieurs postulat :
– L’être humain est animal social et ce caractère social est inné.
– Ce caractère social induit inévitablement une conception du bien du mal, donc de la vie morale.
[- Cette conception de bien et de mal, également inné, implique des préceptes de base tel que « ne fait pas autrui ce que tu n’aimerais pas qu’il te fasse »]
NB : Je trouve injuste que vous utilisiez la propre défiance observée à l’encontre de mon jugement comme un élément valable pour discréditer mes arguments. J’ajouterai que l’instinct a certainement beaucoup plus d’influence sur nos désirs que sur notre raison.
Bien à vous.
Bonjour Alban
La supposition que je fais n’est qu’une manière de décliner en termes schopenhaueriens, l’idée des ruses du vouloir-vivre à l’oeuvre dans les rationalisations secondaires.
Elle n’est aussi qu’une mobilisation de l’analyse de Clément Rosset dont je supposais que vous l’aviez lue et comprise. Parlant de ce qui est l’alternative à l’ennui et qu’il appelle la joie, il écrit qu’elle est : « la condition nécessaire sinon de la vie en général, du moins de la vie menée en conscience et connaissance de cause. Car elle consiste en une folie qui permet paradoxalement — et est seule à le permettre — d’éviter toutes les autres folies, de préserver de l’existence névrotique et du mensonge permanent »
Pour répondre à votre NB: l’échange philosophique implique que les arguments soient reçus à un autre niveau que celui des susceptibilités égotistes.
Bien à vous.
Bonjour Madame Manon,
Avant toute chose je souhaitais vous faire part de l’admiration que j’ai pour votre travail. Je ne saurais vous dire combien j’estime les êtres qui essaient de transmettre le gout de la liberté et de la dignité, savoir que vous existez m’émeut et me remplit d’un espoir précieux.
J’essaie, à mon niveau, d’orienter mon existence vers l’éveil, la lucidité et la beauté, ce sont mes plus hautes prétentions, j’y tiens et j’en mesure la valeur lorsque j’observe nombre de mes contemporains, perdus dans les signaux et messages innombrables du quotidien.
Je suis jeune (25 ans) et je peux en témoigner, ma génération est particulièrement exposée au mal de l’époque, difficile de faire marche arrière après avoir dit oui à tout, tout le temps.
C’est une banalité de le dire, nos sociétés ont élevés en valeurs suprêmes l’argent, l’immédiateté, le vide, l’oubli de soi, des autres, de la vie…
En prendre conscience ne nous garantit de rien, certains gagnent leurs vies en dénonçant cela, d’autres s’en servent pour manipuler les appétits, les désirs, abrutir encore un peu plus des publics soucieux d’oublier, de se divertir.
Vous devez savoir que même la pensée est caricaturée, vendue à bon marché, grâce à des « philosophes » passe partout, qui rassurent et donnent un gout plus amer encore à cette atmosphère de moquerie permanente, « oui, même la philosophie est ici, entrez! ».
Malgré les promesses que je me suis faites, je suis complètement pris par mon environnement, je me méfie de l’action, par peur qu’elle ne n’emmène sur un continent ou je finirais par m’oublier, par me trahir, je regarde toujours ce qui peux m’affaiblir avant d’agir, qui veut profiter de moi, de quelle manière.
Voilà le souci, même si je ne voue pas de culte à l’ennui et à l’inaction, je dois avouer que cela me rassure de faire peu de choses, j’ai l’impression que c’est nécessaire à mon bien être, plus encore dans les conditions actuelles, ou l’on est sommé de fuir l’ennui s’il pointe son nez.
Pensez vous que cela soit « pathologique » ? J’ai le sentiment de me défendre légitimement face à des agressions insidieuses, mais comment savoir si je ne me ferme pas moi même au réel ? comment savoir si mon interprétation est pertinente ou si au contraire je navigue dans l’illusion ?
Une fois cela dit, je sais que cet état d’inaction ne peut être une fin en soi, j’ai d’ailleurs le désir de débuter des études de philosophie en septembre. Mais là encore je me méfie, l’université est-elle resté un lieu authentique voué à la culture, au savoir? Aussi je suis près à m’installer n’importe ou mais je ne souhaite pas être dans une grande ville, j’aimerais habiter un endroit qui laisse toute sa place au grand air, à la légèreté. Si cela vous évoque quelque chose, auriez vous la gentillesse de m’indiquer un lieu qui me serait approprier?
J’espère que vous pardonnerez mon manque de pudeur et le caractère sans doute trop égoïste de ce message, il se trouve que je n’ai que trop peu l’occasion d’évoquer ces choses, j’ai pensé que ce blog était un lieu adéquat et j’espère ne pas vous importuner. Je vous souhaite d’être toujours plus libre.
Tony G.
Bonjour Tony
J’entends bien ce que vous dîtes mais je dois vous mettre en garde contre une lecture si pessimiste du monde dans lequel vous vivez.
Ce monde est pluriel et ce n’est pas parce que ce qui a de la valeur fait moins de bruit que le reste que cela n’existe pas. Ce qui est noble est difficile, donc rare. Que le médiocre tienne le haut du pavé est une nécessité dans un monde démocratique régi par la loi des masses. Cela n’empêche pas de déserter les marais où paît le troupeau pour respirer un air plus sain. Les possibilités de se cultiver sont immenses et presque gratuites puisque l’inscription dans des bibliothèques n’est pas ruineux. L’internet offre la chance de suivre des conférences de haut niveau.
Vous disposez d’une liberté qui fait rêver tous ceux qui, dans d’autres sociétés, en sont privés.
Voyez le positif et tirez en parti. L’oisiveté est féconde lorsqu’elle est un loisir contemplatif, studieux, liberté propice à la culture de l’amitié ou à une activité épanouissante. Dans tous les cas, elle suppose une richesse et une vigueur de l’âme excluant les affects négatifs tels que le ressentiment, la peur, la crainte, le soupçon, la haine, etc. Sinon elle est stérile.
Vous parlez d’éveil. Le hasard veut que je vienne de mettre en ligne une étude sur Thoreau. Voilà un homme qui ne faisait pas bon ménage avec le conformisme de son époque, mais il ne s’est pas enfermé dans sa différence, il en a fait le tremplin d’un accomplissement personnel et d’un hymne à la vie. https://www.philolog.fr/eloge-de-leveil-henry-david-thoreau/#more-3545
C’est ce que je vous souhaite.
Bien à vous.
Bonjour Simone
et bonjour Tony aussi
Je lis à l’instant les questionnements émouvants et les doutes de Tony
ainsi que votre réponse, Simone, empreinte de sagesse et de justesse.
Je me permets un petit grain de sel car hier soir,
précisément je lisais des lettres de Thoreau à son ami Blake, lettres
regroupées dans un ouvrage ayant pour titre » Je suis simplement
ce que je suis « .
Je cite » Faisons en sorte de nous tenir debout
en ce monde, et non de nous étendre de tout notre long dans la boue.
Que notre médiocrité soit notre piédestal e non notre coussin.
Au coeur de ce labyrinthe, vivons le fil de notre vie « .
» (…) nous sommes tous quasiment étouffés sous des manteaux
encore plus calamiteux qui, notre vie durant, ne nous iront jamais. Songez à cette
houppelande qu’est, pour nous, notre emploi, notre situation – voyez comme
les hommes se considèrent rarement tels qu’ils sont vraiment, dans leur nature nue et authentique. Voyez comme nous utilisons et tolérons la prétention, comme le juge
est investi d’une dignité qui ne lui sied pas, comme le témoin tremble d’une humilité
qui ne lui est pas propre, et parfois même le criminel d’une honte ou d’une impudence
qui ne lui appartiennent pas davantage. »
Je ne saurais que trop vous conseiller, Tony de lire l’article sur L’éloge de l’éveil.
Il est magnifique.
Mais, je tiens toutefois à souligner que parfois, on ne peut s’éveiller
ni sortir des cavernes obscures car on croule sous des manteaux qui ne nous appartiennent pas, on est entravé par des loyautés obscures, on » laisse,
derrière soi s’embroussailler les chemins du désir » comme l’écrit Breton
dans ce passage magnifique de L’amour fou.
Pour parvenir à dégager et à suivre le fil de sa propre vie, à débroussailler
les chemins de son désir, on a parfois besoin de s’appuyer sur un vivant
capable d’entendre la parole et le désir d’un autre et de le soutenir de son désir.
Lire ne suffit pas toujours. Je ne peux que vous conseiller
d’aller en parler à un psychanalyste lacanien, pas n’importe quel psychanalyste.
Il y a autant de différences entre les psychanalystes qu’entre un boucher et un fleuriste.
Et pas tous ceux qui se disent psychanalystes le sont.
Quelques rencontres peuvent suffire et la vita nova s’ouvre à vous
(avec l’éveil, les grands auteurs, la philosophie et tutti..)
Je vous prie Simone de me pardonner cette incursion encore lacanienne
dans votre belle sagesse.
Bien à vous,
P.
Bonjour Pascale
Loin d’avoir à vous pardonner, je vous remercie de ces quelques lignes puisant leur sagesse dans une expérience humaine. Tout ce qui peut ouvrir des possibilités de vie heureuse mérite notre attention. Vous avez compris mes réserves à l’endroit des présupposés psychanalytiques mais ce n’est pas une raison pour faire preuve de sectarisme. J’ai trop vu autour de moi des êtres prisonniers d’un pathos les privant de l’usage libre de leurs facultés psychiques pour ignorer que les moyens de se libérer passent pour certains par d’autres moyens que ceux de la maîtrise rationnelle.
Merci donc du conseil que vous donnez à Tony et de votre participation féconde sur ce blog.
Bien à vous.
Bonjour Madame Manon,
Votre réponse m’a apaisé et me rappelle le pouvoir des mots.
Vous évoquez ma chance et je me sens soudain capricieux, oublieux des possibles qui me sont offerts. Vous citez l’un de mes auteurs préférés, bien que je me souvienne de ce passage, son impact sur moi avait totalement disparu. J’ai peu lu ces derniers mois, je me rend compte que cela à contribuer à m’enfermer un peu. Vous avez raison, les affects négatifs rongent et ne sont d’aucune utilité. Lorsque nous sommes mal à l’aise, il semble que le premier réflexe consiste à regarder ce qui ne va pas hors de soi. Je suis tombé dans le piège, c’est précisément cette leçon d’humilité qui m’apaise.
Cela rejoint un peu ce que dit Pascale, que je salue et remercie pour sa bienveillance, n’étais je pas étouffé par un manteau qui n’étais pas le mien ? J’ai compris, enfin je crois, partir de soi donc, n’avoir d’autres prétentions que celle de s’élever et de célébrer la vie. Je vais tenter de garder cette pensée en moi et surtout, reprendre activement la lecture, qui me manque cruellement après lu l’extrait de Thoreau.
Il reste un point que j’ai du mal à éclaircir, est-ce à dire qu’il faut ignorer les tribulations de la foule, le mal des autres, vivre loin des pesanteurs coûte que coûte ? N’avons nous pas un devenir commun en parallèle de notre devenir individuel ? Le poids de la responsabilité que nous avons envers les autres est parfois pesante, surtout envers la famille et les proches, je me demande parfois si je ne serais pas plus libre en me détachant complètement du milieu auquel j’appartiens, pour pouvoir me réinventer sans la pression d’un regard, la préoccupation d’un problème qui n’est pas le mien. Qu’en pensez vous ?
Enfin, il est permis de se demander, pourquoi tant de silence de la part des belles âmes ? Si tous ces êtres d’exceptions vivent loin du bruit et de la masse, comment espérez un jour vivre dans une communauté ou tout le monde sera tiré vers le haut ?
Bien à vous.
Bonjour
Je m’excuse d’avance pour le caractère peut-être naïf de ma contribution:je vous avoue que je n’ai pas prit le temps de lire toute la discussion précédente, me contentant de lire en diagonale, j’ai donc peut-être raté un élément qui me contredira.
Je m’ennuie très souvent. Par ennui je veux dire désintérêt total de toute forme d’action, remise en question de l’utilité de chaque chose, voire de la vie elle-même, manque de motivation presque maladif…. Et il est vrai que sur le coup, c’est vraiment carrément pénible comme état. Mais je n’irai pas jusqu’à le qualifier de totalement contre-productif.
Dans la vie courante, je suis les trois quarts de mon temps, comme tout un chacun je pense, prise dans le tourbillon de la vie. C’est-à-dire que je note mes cours, j’écoute de la musique, je fais mes devoirs, je discute avec d’autres personnes, je m’inquiète pour le passé ou l’avenir… Dans ces moments, je ne m’ennuie pas: j’ai un objectif, une tâche à accomplir, une raison de me détourner de moi-même, de vivre.
Or, quand ces raisons disparaissent, que je m’en détourne moi-même où qu’elles m’abandonnent momentanément, je m’ennuie. Je ressens très profondément l’angoisse existentielle, l’angoisse de la mort, le vertige de la liberté, la peur du vide et du néant. L’absence de cadres me paralyse et j’ai peur. Je prend conscience de la futilité de toutes ces occupations quotidiennes et je n’ai plus de motivation pour les accomplir.
Seulement, cet état n’est que transitoire. Il y a toujours un moment où l’on se révolte, où l’on se dit: « non, je suis plus que ça! ». Où l’on éprouve le désir de se mettre à l’épreuve, de se dépasser, de se transcender. Je ne peux parler en terme généraux car n’ai du haut de mes 17 ans pas beaucoup d’expériences, donc je continuerai à prendre mon propre exemple: c’est lorsque que je sens mon âme se révolter contre ce qui lui apparaît comme une fatalité que je me met à faire des projets. J’ai envie de dessiner, de chanter, de me donner à fond dans ce qui me plaît, voire même dans ce qui ne me plaît pas. L’angoisse du néant me pousse à me prouver que je suis vivante et crée en moi une formidable énergie.
Cette énergie, si elle ne trouve pas d’exutoire, peut être néfaste et se retourner contre l’individu, ou au contraire le pousser à se défouler sur d’autres. Cadeau empoisonné, arme à ne pas mettre entre toutes les mains. Mais je reste persuadée que l’ennui métaphysique est l’engrais de la petite graine de créativité qu’il y a en nous.
De plus, ces angoisses (je continue à lier ennui et angoisses existentielles) nous poussent à nous remettre en question, et à agir avec plus d’humilité. Celui qui n’a jamais douté de l’utilité de toute chose et donc de sa propre utilité ne peut vraiment reconnaître d’emblée l’autre avant tout comme son égal et considérer sa vision du monde comme aussi légitime que la sienne.
Bonjour Tony
Je constate que vous avez bien compris ce que j’ai essayé de dire et cela me réjouit. Car je suis mal à l’aise dans le rôle de donneur de conseils. Je crois que chacun doit trouver sa propre voie, les singularités humaines étant irréductibles et que nul ne peut se prévaloir d’être une « belle âme ». Il y a seulement des personnes qui ont plus que d’autres le sentiment que l’humanité de l’homme fonde des obligations, en particulier celle de vivre en conscience (exigence de lucidité) et d’emprunter un chemin qui monte plutôt que de s’abandonner à la facilité de ceux qui descendent.
Dîtes-vous bien que chacun comporte sa part d’ombre. Cette conviction fonde la nécessité de la modestie. Mais nul n’est tenu de s’y complaire. Le courage est de la faiblesse surmontée comme la dignité est un dépassement des petitesses.
Comment les Français n’ont-ils pas une indigestion de toutes les lamentations qu’ils doivent subir dans le discours public? Comment peuvent-ils supporter la démagogie de tous ces politiques dont le fonds de commerce est l’invitation à croire qu’on peut être déchargé de la peine de vivre et de penser en homme libre, courageux et responsable?
Ce qui me plaît par-dessus tout chez Thoreau, c’est l’exemple qu’il donne de l’idéal d’autosuffisance et de gratitude à l’égard de la vie. Voyez ce qu’il écrit dans une lettre: « Les intellectuels sont enclins à considérer qu’ils ont le privilège de se plaindre comme si leur lot était particulièrement dur. Que n’avons-nous entendu sur la façon d’atteindre à la connaissance des poètes faméliques, dans leurs mansardes, dépendant du mécénat des riches, traversant mille affres avant de finir par mourir fous. Il est grand temps que les hommes entonnent un autre refrain. Il n’y a aucune raison qui justifie que l’intellectuel, qui affirme être un peu plus sage que le commun des mortels, ne mette pas de temps à autre la main à la pâte, et grâce à sa sagesse supérieure ne trouve son content. Un homme sage ne sera jamais malheureux » (lettre à Horace Greeley du 19 mai 1848)
Toute la philosophie antique et classique enseigne l’art de se rendre content. Il est urgent de mettre en pratique les leçons de la sagesse et de boucher ses oreilles, comme Ulysse, aux sirènes de la désespérance exploitée par ceux qui en tirent profit.
Ce qui n’est pas une invitation à se réfugier dans une tour d’ivoire mais à accomplir modestement et dignement la tâche sociale qui nous est impartie. Nous vivons au milieu des autres et la responsabilité individuelle implique le souci du bien commun. Simplement il ne faut pas attendre de la cité des hommes qu’elle soit la cité de Dieu. Comme répondait Thoreau à un esprit avide de discours fumeux: « Conduisez-vous comme vous le devez envers les membres de votre famille, et vous serez capable d’instruire et de diriger une nation d’hommes ».
Que chacun, à son poste, fasse de son mieux. Le salut de la communauté passe par l’éveil de chaque conscience. Commençons par la réforme morale en soi avant de se croire autorisé à mettre le monde à feu et à sang. Si l’école remplissait ce rôle d’éveilleur des consciences et non de foyer de diffusion des idéologies et d’agitation sociale, les professeurs seraient plus dans leur rôle.
C’est celui que j’ai modestement essayé d’assumer.
Bien à vous.
Bonjour Raku
Tous les articles de ce chapitre sur l’ennui tournent autour des remarques fort intelligentes que vous formulez en étant attentive à votre expérience. Une telle lucidité vous honore si l’on prend acte de votre jeune âge. Je vous félicite pour tant de pertinence et je ne doute pas que vous saurez tirer parti de votre expérience pour transformer le négatif en positif.
Vous voyez des vertus à l’ennui métaphysique comme c’est le cas d’un grand nombre de penseurs. En ce qui me concerne, j’ai des réserves sur ce point. Je le précise dans de nombreux billets, en particulier dans: https://www.philolog.fr/y-a-t-il-un-remede-a-lennui-remy-de-gourmont/
Bien à vous.
Bonjour Madame Manon,
Vous éclaircissez un peu plus des enjeux que je croyais poursuivre, quant ce n’était que leurs ombres. L’exigence et la beauté du salut que vous dessinez ici me laisse admiratif car j’en mesure la difficulté, le travail semble immense et les impasses nombreuses.
J’aime beaucoup la lettre sur les intellectuels, je comprend encore mieux les erreurs que j’ai faites, notamment croire que j’étais plus sage que d’autres, croire, ensuite, que cette soi disant sagesse m’empêcherait d’être heureux. Je me demande, puisqu' »un homme sage ne sera jamais malheureux », est-ce à dire qu’il n’est jamais en proie au doute et à l’angoisse ? Ou que son doute est joyeux par nature ? Le doute semble agir comme un frein au contentement et à l’action, surtout lorsqu’il remet en cause nos convictions les plus profondes, voilà pourquoi j’en déduis que le sage se forge un minimum de convictions pour constituer le moteur de son existence, et ne les remet pas sans cesse en causes, afin de pouvoir avancer. Mais il y a là un souci, à partir de quoi fonder une conviction ? Qu’est ce qui nous autorise à considérer, à priori, plutôt ceci ou cela ? Si l’usage de la raison permettait à lui seul d’établir des postulats solides, tous les êtres raisonnables seraient arriver aux mêmes conclusions, si c’est dans l’intimité d’une âme que se fondent ses croyances les plus fortes, nous ne pouvons éviter l’idée poison qui consiste à dire que tout le monde à raison à sa manière.
Je pense aux repères, c’est un peu lié, quels sont les signes qui nous indiquent que nous persévérons dans notre bonne voie ? Nous pouvons être satisfait de nous mêmes, plaire à autrui et être auréolé par la communauté toute entière dans laquelle nous vivons, cela ne nous dit rien. Si nous nous considérons nous mêmes, nous serons toujours enclin à nous juger fort aimablement. Si nous demandons à un proche, nous ne prenons pas de risque non plus, et rien ne nous garantit qu’il nous regarde avec les yeux de l’objectivité, enfin ceux qui prétendent déceler la vérité de chacun semblent souvent manquer de sagesse et font l’éloge d’une seule pensée, d’un seul livre, ect.
A t-on des témoignages de philosophes qui sont « parvenus » à un état de contentement et de lucidité continus ? Cette idée me plait beaucoup mais j’ai du mal à en dessiner les contours, je ne crois pas m’y tromper, ce dont vous parlez demande avant tout beaucoup de travail et de rigueur, c’est un véritable défi.
Bien à vous.
Bonjour Tony
Vous semblez penser que le bonheur passe par la possession de certitudes théoriques comme s’il fallait jouir du confort de certains dogmes pour éprouver le bonheur d’exister. J’avoue ne pas voir le rapport. La philosophie implique la lucidité et la seule conscience de notre finitude interdit de nous reposer dans des croyances inébranlables. Etre éveillé consiste à exercer son esprit critique, à choisir ce que l’on juge être le meilleur (et non le bien ou le vrai absolu) dans telle ou telle circonstance. Loin d’être une source de tristesse, cette vigilance est au principe de la capacité de se rendre content.
Or là est la grande affaire de l’existence. C’est pourquoi les Anciens définissaient la sagesse comme la méthode de la vie bonne et heureuse.
Il y a sur ce blog de nombreux articles consacrés à ce thème. Voyez : la sagesse socratique, la sagesse stoïcienne, la sagesse épicurienne, la route de la sagesse selon Rousseau ou Descartes par exemple.
Vous trouverez la plupart de ces articles dans le chapitre IV: Désir.
Il va de soi que nous sommes seuls juges de notre vécu. L’amoureux de la sagesse trouve son centre de gravité en lui-même, non dans le regard ou le jugement des autres. En termes rousseauistes, c’est l’amour de soi bien compris, (tendance portant tout être vivant à persévérer dans son être et à rechercher ce qui lui permet d’affirmer positivement sa vie), qui le guide, non l’amour propre qui est l’amour de soi dans le regard des autres.
Il y a là le principe d’une liberté précieuse que je vous souhaite d’expérimenter.
Bien à vous.
Bonjour Madame Manon,
J’ai toujours pensé, il est vrai, que pour jouir il fallait comprendre et maîtriser. Manque de maturité intellectuel sans doute. Je crois comprendre ce que vous dites et je crois surtout qu’il me faut lire les pages que vous me conseillez, lire aussi, les sages de l’antiquité dont vous semblez faire l’éloge. J’avoue ne pas avoir encore expérimenter ce bonheur immanent dont vous me parlez ici, pour moi l’absence de certitudes interdisait à l’homme de trouver son contentement. J’espère approcher un jour cette sagesse.
Je vous suis gré d’avoir accepter cet échange, cela m’a permis de me ressaisir, sans illusions, sans mépris, mais avec justesse. Je garde en tête la nécessité de la modestie et celle du contentement comme repères. Je vous souhaite bonne continuation sur ce blog que je consulterais avec plaisir.
Bien à vous.
Bonjour à tous,
Je voudrais apporter une petite contribution au débat, j’espère que cela n’a pas été déjà fait. Je suis actuellement en train de lire un livre dont le thème, je pense, peut être relaté à celui de l’ennui. Ce livre est « Le mythe de Sysyphe » d’Albert Camus. Il traite plus précisèment de l’absurde, de la façon dont il a été théorisé par les philosophes. J’ai relié ici l’ennui , l’ennui métaphysique à l’absurde, peut être un peu rapidement, mais le sens de l’absurde et celui de l’ennui sont, je pense, intimement liés. Je le conseille donc, c’est un ouvrage très éclairant, et pour l’instant, assez positif.
Merci à tous et bonne journée
Bonjour Madame,
Je m’excuse d’avance de poster ce message de contact ici, je ne peux cependant faire autrement dans cette situation
Message à Alban Dousset, Tony G
Bonjour, je m’appelle Joanna. Je fais actuellement une recherche personelle sur le « sens de la vie » et vos remarques m’ont interessée. J’aimerais vous rencontrer pour faire un échange à ce sujet, car il m’est difficile d’évoquer ce thème avec d’autres personnes. Si cela vous intéresse, je peux vous donner à l’occasion mon mail. Merci d’avance à vous.
Je comprendrais si ce message ne peut rentrer dans le format du site. J’espère que vous allez bien, et vous souhaite une très bonne semaine.
Bonjour Joanna
C’est un plaisir d’avoir un petit signe de vous. J’espère que vos études vous comblent.
Si Alban Dousset ou Tony G. répondent positivement à votre requête, je vous transmettrai avec leur permission leur mail.
Bien à vous.
Bonjour Madame Manon,
je me permet de poster pour répondre à Joanna et je vous remercie de lui communiquer mon mail.
Bonjour Joanna,
Tout d’abord vous faites bien de conseiller le mythe de Sisyphe, cette une lecture qui interpelle bien que, pour ma part, je ne suis pas sur d’en avoir saisi exactement le sens et les conséquences.
Je suis tout à fait disposé à dialoguer avec vous. Pour se rencontrer cela sera sans doute compliqué (par rapport aux emplois du temps et adresses de chacun) mais nous pouvons échanger par mail sans problèmes.
Bien à vous.
Bonjour,
Je me décide, après bien des visites et lectures, à laisser un message, autant d’encouragement à continuer que de remerciements pour le plaisir passé à vous lire. Nous n’avons que très peu en commun « personnellement » mais malgré ma superficialité, j’admire les gens qui pensent avec rigueur et intelligence : j’aime venir flaner vers chez vous. Je me cale au fond de la salle, près du radiateur (et d’un « bogoss » distrait) et je me tais pour vous écouter.
A.
Merci pour ce sympathique message.
PS: Il ne faut pas tout à fait être « superficiel » pour trouver du plaisir à flâner sur mon blog!
Bien à vous.
Bonjour Madame,
Je découvre votre blog depuis une heure et je suis charmé par la qualité de vos interventions. Je souhaite vous demander si vos cours sont dispensés chaque année et si le programme que vous proposez d’une année à l’autre suit une logique particulière ou bien si vous proposez des thèmes de philosophiques variés ? Je vais recommander votre blog à une amie qui reprends ces études universitaires en Philosophie et pour ma part je reprends 52 ans aussi des études en sciences politiques Master 2 en formation continue et vos cours me sauront utiles et par de là, une vraie joie d’enrichissement personnel.
Très heureux de ce hasard , le web peut enfin servir …
merci à vous et à bientôt,
Madani
Bonjour
Les articles que je mets en ligne sont en rapport avec les thèmes des chapitres. Ils correspondent au programme de philosophie des classes terminales (sauf les chapitres consacrés au thème de l’Europe, de l’ennui, du plaisir et de la guerre). Chaque chapitre comprend les cours de base (Ce sont les premiers articles qui apparaissent lorsqu’on ouvre dans la colonne de droite un chapitre) et les approfondissements de la problématique. Il faut toujours commencer par les cours de base si l’on s’initie à un thème de réflexion. Dans le chapitre intitulé « présentation du chapitre » la problématique d’ensemble est précisée avec les questions qui vont être approfondies progressivement.
Merci pour ce sympathique message et tous mes vœux d’épanouissement, à vous et à votre amie, dans vos études.
Bien à vous.
Bonjour Simone Manon,
bonjour Alvan, Tony, Raku et les autres,
Votre conversation ne date pas d’hier, mais sa qualité reste valable, six ans plus tard, lorsque je la découvre. Je vous en félicite et vous en remercie.
Comme Simone, j’avoue être surpris par l’ennui (je sais néanmoins ce dont il s’agit) et surtout par les qualités, philosophiques ou morales, qu’on veut lui attribuer. Plusieurs auteurs et plusieurs intervenants veulent voir l’ennui métaphysique à la base de la sagesse ou du devoir.
L’ennui est un manque d’intérêt, un manque d’attrait, voire le dégoût de tout, le sentiment pénible de n’avoir d’attrait pour rien.
Pour Blaise Pascal, l’ennui est une « misère sans cause » :
« tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre. (Pascal, « Pensées », fragment 139) ».
Demeurer en repos dans une chambre implique d’être soi face à soi-même, quand on ne joue pas un rôle imposé ou quand on ne se donne pas en spectacle.
Il me semble que l’ennui des gens qui s’ennuient, vient de ce qu’ils refusent de vivre dans le réel. Ils préfèrent se réfugier dans un imaginaire qui leur convient.
L’imaginaire peut servir à comprendre le réel, c’est le but de la recherche scientifique.
L’imaginaire peut chercher à fuir le réel, à remplacer le réel par un double imaginaire. Or, comme le rappelle Clément Rosset, le réel est idiot, le réel est ce qui n’a pas de double.
L’ennui est donc le contraire de ce que Rosset nomme la joie ou l’allégresse. J’ai donc été ravi de trouver cette citation sous la plume de Simone Manon :
La joie est « la condition nécessaire sinon de la vie en général, du moins de la vie menée en conscience et connaissance de cause. Car elle consiste en une folie qui permet paradoxalement – et est seule à le permettre – d’éviter toutes les autres folies, de préserver de l’existence névrotique et du mensonge permanent (Clément Rosset) ».
Comme le disait Simone à Alban, la joie n’est pas immédiatement donnée par la vie.
Pour Homo Sapiens Demens, selon Clément Rosset, la joie est le choix d’une folie qui protège de toutes les autres.
Si on peut penser dans l’imaginaire, on ne peut vivre durablement que dans le réel.
D’où l’alternance d’un ennui utilitariste et d’une fuite dans l’imaginaire (ou divertissement).
Le divertissement est un besoin récurrent chez les gens qui s’ennuient, tant qu’ils refusent de vivre dans le réel.
Cette fuite dans l’imaginaire est le cœur de la vanité humaine (futilité et illusion).
Le divertissement pascalien est un besoin, encore plus profond, de se cacher la vanité de l’espèce humaine.
Il existe aussi un ennui gionesque ou gionien. Dans ce contexte, l’adjectif « gionesque » signifie «digne d’un personnage littéraire de Giono».
Un ennui gionesque est un ennui qu’aucun divertissement de loisir et aucun divertissement pascalien ne parviendront à dissiper.
Il peut conduire à un divertissement criminel, comme M. V. de Chichiliane dans « Un roi sans divertissement ».
Et c’est quand le commandant de louveterie Langlois découvre cet appel de la cruauté (« beauté renversée ») en lui qu’il se suicide en fumant un bâton de dynamite.
Ce que je voudrais suggérer dans cette discussion, c’est qu’avant l’ennui métaphysique, il y a une découverte qui provoque une bifurcation.
Cette découverte, c’est l’infinitésimalité de la personne humaine :
tant dans le cosmos (Giono écrit : « C’était la tête de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l’univers ») ;
que dans la société (les économistes disent qu’un offreur est une goutte d’eau dans l’océan de l’offre et un demandeur une goutte d’eau dans l’océan de la demande).
Cette découverte de l’infinitésimalité peut conduire :
à une sagesse réaliste et à une joie ;
à un ennui qui est une forme de désespoir.
Il me semble que ni la joie ni l’ennui ne sont donnés, immédiatement, par la vie, par le biologique.
La joie ou l’ennui relèvent du niveau psychique.
La bifurcation qui fait que l’on cultive l’ennui ou la joie, dans son psychisme, semble suivre la prise de conscience de notre infinitésimalité.
Cette prise de conscience provoquait un effroi, soit chez Blaise Pascal, soit chez le libertin que Pascal incitait à faire un autre pari.
Merci à tous pour la qualité de vos échanges.
J’ai trouvé ce site par hasard, j’y reviendrai par plaisir.
Bonjour, l’ennui existe t il par lui même? Je m’ennuie depuis 53 ans avec intermittence au gré des projets auxquelles je parviens tant bien que mal à m’adonner et à choisir. Je pense que la dimension du désir est ici la clé à toute expérience de l’ennui. On vit l’ennui car on a le désir de l’ennui. C’est donc dans le désir de s’épanouir que se trouve le ressenti de l’ennui qui ne serait qu’une expression du désir en souffrance.
Bonjour
Peut-on sans contradiction affirmer qu’il y a « un désir d’ennui » et que l’ennui est une « expression du désir en souffrance »?
Il me semble donc que votre message est très confus.
Bien à vous