Si le propre des partis dits « populistes » est d’instrumentaliser la notion de peuple, il faut bien admettre que c’est là un trait dominant de la campagne présidentielle française. Marine le Pen prétend parler au nom du peuple, mais Jean-Luc Mélenchon et les autres ne sont pas en reste. Avec ce dernier on a même cette curieuse identification du peuple à un peuple dit de gauche. Le peuple ne serait ni une donnée ni la totalité des membres du corps politique, mais selon les théorisations de Chantal Mouffe, un peuple à construire, un peuple à inventer et à qualifier par des discours et des pratiques ! Tout cela ne peut qu’inquiéter un républicain et inviter à clarifier un peu cette notion de « populisme » dont médias et ténors politiques font un usage pléthorique. Car rien n’est plus équivoque que la notion de peuple. Comme le remarquait Paul Valéry, « le mot peuple avait un sens précis quand on pouvait rassembler tous les citoyens d’une cité autour d’un tertre, dans un Champ de Mars. Mais l’accroissement du nombre, le passage de l’ordre des mille à celui des millions, a fait de ce mot un terme monstrueux dont le sens dépend de la phrase où il entre ; il désigne tantôt la totalité indistincte et jamais présente nulle part ; tantôt le plus grand nombre, opposé au nombre restreint des individus plus fortunés et plus cultivés… » Regards sur le monde actuel, Œuvres, La Pléiade, II, p. 919.
Cette ambiguïté de la notion de peuple rejaillit sur celle de populisme et appelle quelques précisions.
D’abord, on peut dire que, dans l’arène politique, est souvent qualifiée de populiste toute affirmation avec laquelle le locuteur n’est pas d’accord. On a l’impression que le terme fonctionne aujourd’hui comme fonctionnait hier la notion d’idéologie. Lorsqu’on veut disqualifier un propos on le traite de populiste avec toutes les connotations péjoratives que le terme charrie. J’ai, par exemple, entendu un responsable d’un institut de sondage réputé traiter de populiste la décision des journalistes du Parisien de se passer de tout sondage du fait de leur manque de fiabilité à propos du Brexit ou de l’élection américaine !
Quand il n’est pas la pensée de l’autre, dont un prétendu maître de vérité dénonce les égarements, le populisme est un mot-valise souvent vomi comme une injure. Chantal Delsol note qu’ « il caractérise aujourd’hui les partis ou mouvements politiques dont on juge qu’ils sont composés par des idiots, des imbéciles et même des tarés » (Populisme. Les demeurés de l’histoire, Editions du Rocher, 2015, p. 7)
L’immense partie de la population américaine ayant porté Donald Trump au pouvoir, le quart du corps électoral français favorable à Marine le Pen, les soutiens de Nigel Farage, de Victor Orban, etc., seraient donc des décérébrés au regard de ceux dont le mépris, témoigne qu’ils s’attribuent implicitement le monopole de l’intelligence et de la noblesse d’âme.
Avouons qu’il y a là un premier problème. Car comment tracer la frontière entre la bêtise et l’intelligence en matière de représentation du bien commun ? Celui-ci n’est-il pas, par nature, en débat et le propre de l’exigence démocratique n’est-il pas de considérer qu’aucun membre du corps politique n’est de droit exclu de l’expression et de la délibération collectives ? Comment ne pas avoir conscience du déni de démocratie en jeu dans un jugement stigmatisant depuis des années une partie de la population, l’humiliant à satiété, alimentant par là une haine, ne pouvant à terme que se retourner contre ceux dont l’outrecuidance est de se penser comme une élite intellectuelle et morale ?
Je ne veux pas suggérer par là que la rhétorique et la substance des programmes de ces mouvements ne doivent pas être discutées, critiquées au nom d’autres choix de valeurs. Je veux simplement signifier que la critique portant sur les idées et les postures ne doit pas s’exempter dans le rapport aux adeptes de ces choix du respect dû à leur personne. Nul ne doit, a priori, être tenu pour indigne d’être écouté, comme si par principe sa manière de penser le bien commun ne méritait pas d’être prise en considération. On peut être un défenseur de la souveraineté nationale, de la nécessité du rétablissement des frontières, ou d’une identité culturelle sans être un misérable moralement ou un pauvre d’esprit. L’arrogance de certains partisans de l’ouverture, de la construction européenne, du multiculturalisme dans le discours public m’a toujours paru dangereuse et contre-productive, même si je ne suis pas certaine de ne pas en avoir fait preuve à l’égard de mes amis ayant voté non, en 2005, au référendum sur le traité constitutionnel européen. Chacun a l’impression d’incarner une forme de bon sens, de légitimité morale dans sa conception du bien commun, ce qui l’incline à nier l’altérité, à universaliser indûment sa conviction et au nom de la vérité ou du bien dont il se croit le détenteur, à vouloir imposer à autrui ses propres convictions.
« Il y a potentiellement quelque chose d’intolérant dans la conviction, écrit Paul Ricœur. Nous n’admettons pas facilement que ceux qui ne pensent pas comme nous aient le même droit que nous à professer leurs convictions, parce que, pensons-nous, ce serait donner un droit égal à la vérité et à l’erreur ». Tolérance, intolérance, intolérable, dans Lectures, I, Seuil, 1991, p.303.
Le propre de l’intelligence consiste à avoir conscience de cette tendance et à ne pas y céder. Si la pensée dominante avait été plus respectueuse des partisans de pensées minoritaires, si l’on avait argumenté plutôt que stigmatiser, celles-ci auraient-elles pu prendre l’ampleur qui est aujourd’hui les leurs ? Le meilleur moyen d’asphyxier les extrémismes, n’est-ce pas que leurs apories ou leurs failles morales, puissent apparaître publiquement, ce qui implique leur droit d’exister dans l’espace public ou au Parlement afin d’en débattre équitablement ? La relégation, l’interdit ayant pesé sur eux ne sont pas innocents dans la sédimentation des fractures sociales, par exemple dans cette fracture censée opposer « ceux d’en haut » à « ceux d’en bas », ou le peuple à l’élite. Rejet réciproque, dont l’un a peut-être plus de responsabilité que l’autre dans la situation actuelle.
Cependant le déni de démocratie n’est pas que d’un côté. Il suffit de prêter attention aux slogans des partis dits « populistes » (« Au nom du peuple » affiche Marine le Pen ; et Mélenchon « la force du peuple »), pour s’apercevoir que leur prétention à incarner le peuple n’est pas plus légitime que la prétention de ceux qui les regardent de haut à incarner l’intelligence et la morale. Car qu’est-ce que le peuple ?
Le terme admet au moins trois acceptions fort différentes.
On peut entendre par là :
- Au sens sociologique, la partie d’une communauté nationale exclue des honneurs et de la richesse. La notion renvoie ici à celle de classes populaires, expression dont les connotations péjoratives sont nombreuses : la populace, la multitude, la foule, la canaille avec ce que celle-ci revêt de vulgarité, de potentiel de violence, d’aveuglements partisans. On sait, par exemple, que Rousseau voit dans le pouvoir de la multitude, de la populace, ou ochlocratie, une dégénérescence de la démocratie, une corruption de la volonté générale se dégradant en volonté particulière, fût-ce celle du plus grand nombre. Du Contrat social, L III, §10.
- Au sens ethnique, le peuple se définit comme une communauté de culture, avec son passé, sa langue, ses traditions, ses mœurs, ses valeurs communes. Un peuple, dans cette acception, ne correspond pas nécessairement à une entité politique comme on le constate, par exemple, avec le peuple kurde dispersé sur quatre Etats (la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran). La plupart du temps un peuple se gouverne lui-même sur un territoire national, par exemple, le peuple français, le peuple italien, mais cela ne signifie pas qu’il soit homogène ethniquement. Le brassage des populations lors des vagues migratoires fait qu’un peuple est souvent constitué de personnes d’origines et de cultures différentes s’étant progressivement intégrées à la communauté nationale, laquelle en retour s’est transformée, enrichie par les apports successifs. Il s’ensuit qu’un peuple identifié comme tel ou tel n’est jamais ethniquement pur. Son identité n’est ni figée, ni déterminable objectivement. Elle se construit dans le temps par des remaniements successifs de telle sorte qu’il est bien problématique de prétendre la définir d’une manière précise. Les choses se compliquent encore avec les Etats multi-ethniques dans lesquels les membres de diverses communautés culturelles, récemment ou non arrivés sur le territoire national, refusent l’intégration culturelle à la communauté d’accueil. Prospèrent alors les pratiques communautaristes, ce qui fait problème dès lors qu’elles sont incompatibles avec la règle commune. Il est clair que le succès du Front National tient en grande partie aux difficultés que rencontre une société dont la relative homogénéité est déstabilisée par des façons d’être trop éloignées de ses usages. Dans certains quartiers les gens disent ne plus se sentir « chez eux ». Laurent Bouvet parle à leur sujet d’un sentiment « d’insécurité culturelle ». Personnellement, je constate le malaise que ressentent de nombreuses femmes avec lesquelles je discute de voir se multiplier dans les rues de nos villes, des femmes affichant ostensiblement une appartenance culturelle et religieuse qui n’est pas neutre d’un point de vue politique. Un corps et un visage cachés sous des voiles noirs n’arborent pas l’étendard de la liberté et de l’égalité des hommes et des femmes. Il est sophistique de défendre cette condition de la femme au nom des droits de l’homme car cela revient à cautionner politiquement des pratiques d’aliénation et de discrimination de la femme. De surcroît cela remet en cause une manière d’être-ensemble, une pratique de la sociabilité solidement ancrée dans les sociétés occidentales. La mixité, la présence et la rencontre dans l’espace public d’hommes et de femmes libres de leurs mouvements font partie de leurs us et coutumes et on ne voit pas en quoi il serait illégitime de vouloir les conserver. Il se peut que Vincent Coussedière ( Eloge du populisme, Elya éditions, 2012) ait raison de penser que la poussée des partis dits populistes traduise l’entrée en résistance d’un peuple désespérant de gouvernants ayant renoncé à gouverner, c’est-à-dire à conserver ce qui mérite de l’être, autrement dit à défendre le bien commun d’un peuple attaché à sa tradition de liberté et de sociabilité. En tout cas il est clair que Marine le Pen capitalise sur cette réalité. Reste qu’elle n’est pas pour autant autorisée à parler au nom d’un peuple ethniquement défini, pour les raisons que je viens d’indiquer mais aussi parce que le peuple français est un peuple européen, or le propre de la culture européenne est d’avoir rompu avec la clôture ethnocentrique, d’être ouverte aux autres cultures et d’avoir le souci de l’universalité.
- Au sens politique, le peuple est l’ensemble des membres du corps politique, plus précisément l’ensemble des citoyens constituant la communauté nationale. C’est à lui qu’appartient la souveraineté, de lui qu’émane la volonté générale.
C’est ce sens qui est en jeu sur la scène politique et, conformément à nos principes institutionnels, on peut dire que toute personne prétendant accéder au pouvoir ne peut, par principe, qu’être populiste, si l’on entend par là le souci de représenter la volonté du peuple. C’est lui, qui est proclamé souverain, et la loi républicaine doit être l’expression de sa volonté. Mais la familiarité de ces expressions « peuple-souverain », « volonté générale » dissimule mal de grandes difficultés. Car elles confèrent au peuple une généralité et une unité qu’on serait bien en peine de constater empiriquement. Comme donnée sociologique un peuple est nécessairement pluriel. Il est composé d’individus de sexes, d’âges, de profils économiques, intellectuels, moraux, culturels, etc., très différents. Comment est-il possible de penser cette pluralité sous la figure de l’unité de telle sorte qu’aucun citoyen ne lui soit extérieur comme le présuppose le singulier (LE peuple) ou l’article 7 de la Constitution de 1793 stipulant que « le peuple français est l’universalité des citoyens français » ? Toute la difficulté de la notion politique de peuple se recueille dans cette perplexité, dramatisée aujourd’hui par la crise ouverte de la représentation. En réalité cette crise n’est pas nouvelle. Elle est consubstantielle à l’idée même de peuple au sens politique, car ce peuple, fondement de l’ordre politique, est proprement, (selon la formule de Pierre Rosanvallon), introuvable et infigurable. Une célèbre gravure le signifie en proclamant qu’ « il est le Jéhovah des Français ». De fait en tant que sujet collectif, détenteur de la souveraineté, le peuple n’a ni consistance sociologique, ni visibilité. C’est une abstraction, un pur être de raison, dont la réalité dépend de la volonté des membres de la communauté nationale de la faire exister. C’est dire que l’unité politique du sujet collectif détenteur de la souveraineté est une réalité morale. Et qui dit « morale » dit que cette réalité met en jeu une décision morale, se passant dans l’intériorité des consciences individuelles. Rousseau a appelé cette décision : le contrat social. Il l’a décrite comme l’acte par lequel chacun s’associe avec les autres de telle sorte que « s’unissant à tous, il n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant » (L. I, § VI). Le vrai contrat social se passe donc entre chaque « moi » et le « Nous » qui ne préexiste pas au contrat, mais naît de cet engagement. L’acte par lequel le corps politique est institué et l’acte par lequel les particuliers s’engagent à son endroit sont contemporains. C’est dire que l’Etat c’est nous, et ce nous n’advient que par la volonté de chaque moi de se projeter vers ses concitoyens comme un membre du tout qu’il compose avec eux, de le faire vivre et de veiller à sa sauvegarde. Ce qui suppose de la part de chacun une relativisation de ses prétentions pour reconnaître le droit légitime des autres membres de ce corps collectif. La chose est si peu naturelle que Rousseau n’hésitait pas à dire que le grand art politique implique une « dénaturation » de l’homme. Dans l’Emile, il écrit : « Les bonnes institutions sociales sont celles qui savent le mieux dénaturer l’homme, lui ôter son existence absolue pour lui en donner une relative, et transporter le moi dans l’unité commune ; en sorte que chaque particulier ne se croie plus un, mais partie de l’unité, et ne soit plus sensible que dans le tout. » Livre I, § IV. De même dans le Contrat social, il affirme : « Celui qui se croit capable de former un Peuple, doit se sentir en état, de changer pour ainsi dire la nature humaine, de transformer chaque individu, qui par lui-même est un tout parfait et solitaire, en partie d’un plus grand tout dont cet individu reçoive en quelque sorte sa vie et son être » Livre II, § II.
Qu’il y ait là une difficulté majeure, n’en doutons pas. La République (dans sa forme active : la citoyenneté) ou passive (la sujétion aux lois promulguées par le parlement) tire sa condition de possibilité de la responsabilité morale de ceux qui la constituent. Et il n’est peut-être pas besoin pour cela d’invoquer la nécessité d’une dénaturation, mais à coup sûr celle d’une maturation intellectuelle et morale que Rousseau indique lorsqu’il décrit le passage de l’état de nature à l’état civil. « Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que, la voix du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. » (L.I, §8). Le philosophe montre bien ici que le citoyen, « l’homme » des droits de l’homme est moins une donnée qu’une institution, ce qui suppose des conditions pour le faire advenir. Une école bien sûr mais aussi des paroles l’exhortant à déployer ses ressources morales en lieu et place de toutes les paroles délétères omniprésentes dans l’espace public s’employant à exciter en lui la haine, la colère, et le trompant par des idées fausses et des promesses mirobolantes. Le citoyen responsable ne peut pas être l’être sensible prisonnier de ses particularités empiriques, aveuglé par ses passions car pour se lier avec d’autres dans une communauté de statut juridique, il faut promouvoir des lois ordonnées au souci de l’intérêt général, du bien commun et non des seuls intérêts particuliers.
Nous avons considéré que la faculté permettant de sauver cette exigence est, en chaque individu, la raison. Voilà pourquoi nous avons dépouillé le citoyen de sa dimension charnelle, (il n’a pas de sexe, pas de déterminations culturelles, sociales, économiques, religieuses, etc.,), pour le définir comme un être de raison auquel nous avons attaché des droits et des devoirs. Le peuple, au sens politique, est l’ensemble de ces êtres de raison, de ces êtres abstraits de tout ce qui pourrait aveugler leur jugement dans la décision collective, faire obstacle à la loi commune, afin de donner ses chances à une chose publique, en droit, garante de la reconnaissance et de la défense des intérêts légitimes de TOUS ses membres. La « désincorporation » des individus et de la société s’est ainsi imposée aux Constituants comme la condition de possibilité de l’expression d’une volonté qui serait une volonté générale. Et c’est là que commencent vraiment les problèmes. Car la volonté générale n’est ni la volonté unanime (une société n’est pas un ensemble homogène, ceux qui la composent ont des intérêts différents) ni la volonté majoritaire, laquelle n’est qu’une somme de volontés particulières. Du particulier plus du particulier ne donne jamais que du particulier. Théoriquement, est donc générale, la volonté qui veut le bien du TOUT, le bien commun, l’intérêt général autrement dit la volonté intégrant toutes les petites différences que chacun représente par rapport aux autres. La volonté générale rousseauiste est ce que Kant appelle la volonté raisonnable ou volonté morale. Diderot la définit comme : « un acte pur de l’entendement qui raisonne dans le silence des passions sur ce que l’homme peut exiger de son semblable et sur ce que son semblable peut exiger de lui » Encyclopédie. Article : droit naturel.
Les désordres de notre époque font clairement apparaître la dimension utopique de cette idée du peuple comme, populus, sujet raisonnable de la souveraineté. De tous côtés, (et pas seulement des tribuns, les intellectuels aussi jouent bruyamment leur partition dans cette entreprise dangereuse), on cherche à revitaliser le dynamisme et les passions de la plebs, comme si la définition abstraite du citoyen n’était pas une utopie positive, la seule rendant possible une chose publique transcendant les ferments de guerre civile et cessant d’opposer les uns aux autres. Aristote nous a pourtant depuis longtemps enseigné que dès lors qu’un élément social (les riches et les pauvres, ceux d’en haut et ceux d’en bas, le peuple et les élites) entre dans la considération du bien commun la république se corrompt. C’était même à ses yeux le propre de la démocratie, gouvernement des pauvres contre les riches, régime aussi peu républicain que l’oligarchie ou gouvernement des riches contre les pauvres. C’est pour éviter ces dérives que les Constituants de 1789 se sont donné sous le nom de citoyen un sujet raisonnable. Sieyès affirmait en ce sens : « la démocratie est le sacrifice complet de l’individu à la chose publique, celui de l’être sensible à l’être abstrait ».
Ce formalisme est aujourd’hui l’objet de toutes les critiques. Je le déplore et m’indigne que sous le nom de « philosophes », de nombreux théoriciens de la démocratie radicale n’ont de cesse d’en appeler à la conflictualité, au renversement de la légalité républicaine, comme l’expression démocratique par excellence.
Il faut donc dénoncer l’usage illégitime que certains hommes politiques font de la notion de peuple. Les ténors de l’extrême droite, et ceux de l’extrême gauche ont l’outrecuidance de prétendre l'incarner. Nous sommes le peuple, le vrai peuple disent-ils, comme si l’on avait hâte de renouer avec les heures sombres de l’histoire, celles qui ont vu un parti asseoir sa domination sur une telle prétention. On a l'impression que toutes les réflexions de Claude Lefort sur l'essence du totalitarisme sont oubliées. Les talentueux orateurs de notre époque auraient leur légitimité s’ils disaient « nous aussi nous appartenons au peuple », nous aussi nous avons des revendications qu’il est juste de prendre en considération. Mais il faudrait pour cela qu’ils fussent raisonnables, et c’est précisément parce que, du point de vue de la raison, il leur faudrait relativiser leurs exigences, pour faire droit à d’autres revendications ayant elles aussi leur légitimité, qu’ils ne peuvent espérer accéder au pouvoir que par le déchaînement des passions. Or on ne peut rien espérer de bon de la violence passionnelle. Puisse le peuple français résister à cette tentation.
A lire :
« On ne reconnaît pas les populistes à leur électorat prétendument affligé de passions tristes comme le ressentiment; on les reconnaît aux mots qu’ils utilisent. Mais il n’est pas seulement question ici d'une rhétorique bien précise pensée comme un style politique, ou d'un type bien spécifique de « performance » politique, au moyen duquel des politiciens en appellent directement au peuple, provoquent des crises et étalent leurs « mauvaises manières » pour mieux se démarquer des élites existantes. Certes, nombre de populistes peuvent faire preuve de mauvaises manières et revendiquer leur proximité avec le peuple de façon grossière: l'Américain George Wallace, par exemple, prenait soin de porter en permanence des costumes bas de gamme et soulignait à la moindre occasion qu'il rajoutait toujours du ketchup dans son assiette (il est également connu pour avoir déclaré que les seuls mots à quatre lettres que les hippies ne connaîtraient jamais étaient « w-o-r-k » [travail] et « s-o-a-p » [savon]). Mais de telles questions de style constitueraient des critères bien trop subjectifs. Le fait d’en appeler au peuple et le désir d’être populaire ne sont pas l’apanage des populistes: ces deux traits se constatent chez pratiquement tous les hommes politiques. Comme l’a déjà montré Hans-Jürgen Puhle, à raisonner ainsi, le populisme deviendrait plus ou moins synonyme de politique démocratique moderne, ou se verrait du moins ramené à une simple « stratégie de mobilisation », stratégie qui peut se constater, sous une forme ou une autre, chez pratiquement tous les acteurs politiques.
Deux critères décisifs permettent plutôt de reconnaître les populistes: d'une part, un anti-pluralisme farouche et, d'autre part, une référence constante au peuple en tant qu'entité morale indiscutable. De surcroît, je l’ai dit, les populistes ne se montrent pas hostiles au principe de représentation politique: ils se montrent seulement plus que sceptiques, plus que réservés, à l'endroit de toutes les institutions censées faire œuvre de médiation (non pas seulement dans la sphère politique, mais aussi pour tout ce qui touche à la sphère médiatique - qui, par définition, fait œuvre de médiation).» Jan-Werner Müller, Qu’est-ce que le populisme ? Premier Parallèle, 2016, traduction française Frédéric Joly, p. 84.85
« Ce n’est pas seulement en tant qu’idéologie que le populisme montre une logique identifiable; il existe aussi une praxis populiste type. L’idéologie et la praxis s'engrènent, se recoupent, et permettent aux populistes de justifier leurs actions dans un langage qui peut sembler démocratique et qui, surtout, revêt à leurs propres yeux une dimension morale indiscutable. Celui ou celle qui entend défier efficacement les populistes doit comprendre et prendre au sérieux cette dimension morale de la vision du monde populiste. Les démocrates libéraux s'illusionnent lorsqu'ils croient que l’argumentation rationnelle est ici efficace et qu'il suffirait également de montrer à quel point les populistes ont recours au clientélisme et à la corruption pour révéler automatiquement l'imposture morale et politique qu’ils représentent ». Ibid., p. 121.
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Bonjour,
Lorsqu’un article m’intéresse comme celui-ci, je le copie sous word pour pouvoir le lire ou relire hors connexion.
Cela est devenu impossible dommage.
Cordialement
Ce blogue pretentieux n’a jamais vole bien haut intellectuellement parlant, mais avec les references qui s’accumulent depuis peu: Junger, Evola… ainsi que les « sujets » (!) traites, il a commence a PUER carrement
Réponse à Nevao
Bonjour
Oui, la fonction copier/coller est bloquée car trop d’élèves croient qu’il suffit de l’utiliser pour s’approprier des connaissances et tricher sur le niveau de leurs compétences.
Bien à vous.
Réponse à DocPhil
Bonjour
On se demande ce qui vous pousse à fréquenter un blog nauséabond, apparemment plutôt assidûment puisque même le propos de certains internautes ne vous échappe pas!!! Personne ne vous y oblige. Mais si vous vous permettez d’y intervenir souvenez-vous que c’est un espace consacré à la réflexion philosophique. Les critiques sont bienvenues quand elles sont étayées par des arguments dignes de ce nom or l’injure n’en tient pas lieu. Dans le meilleur des cas, elle exhibe votre indigence philosophique, dans le pire votre servitude passionnelle.
Bien à vous.
Bonjour Madame Manon,
Vous rappelez avec justesse les idées de Rousseau et vous en soulignez la difficulté comme la pertinence et la grandeur (« utopie positive » dites vous). Toutefois j’avoue ne pas comprendre ce qu’est « l’intérêt du TOUT, le bien commun, l’intérêt général », si ce n’est pas l’intérêt bien compris de chaque citoyen.
Par exemple, si je coupe un gâteau en parts égales, c’est pour ne priver personne de la part qui lui revient, pour reprendre les termes d’Aristote. Mais je ne dirai pas que c’est dans l’intérêt du « tout » que nous formons, car le « tout » que nous formons n’a pas d’intérêt, ne pense pas, ne veut rien, indépendamment de ce que chacun d’entre nous voulons, pensons, et estimons être notre intérêt à tous collectivement. Le « tout » n’est motivé par rien du tout, c’est nous qui désirons et voulons quelque chose. Nous ne sommes pas un « tout » mais une communauté de citoyens, selon l’expression de D. Schnapper. Car autrement le « Tout » pourrait tout aussi bien préférer sacrifier ma part, s’il me considère comme une bouche inutile, pour mieux nourrir les quatre autres : pourquoi le « Tout » ne le désirerait-il pas, et comment faites-vous pour savoir ce que « veut » « le Tout » ? Aussi, pourquoi voudrions-nous la justice, si ce n’est parce qu’il est dans notre intérêt à tous que les lois soient justes ? Mais notre intérêt à tous, c’est bel et bien notre intérêt de chacun, l’un après l’autre. Il est dans mon intérêt comme dans le vôtre que les lois soient justes, parce qu’elles peuvent bien tous deux nous juger un jour. En somme, je prétends qu’abstraction faite des intérêts particuliers l’expression « intérêt du tout » ne veut rien dire : ôtez du « tout » les individus qui le composent il ne vous restera rien qui puisse avoir un « intérêt » quelconque.
Si donc, par hypothèse, vous admettez un instant comme je le fais ce point, alors le débat et la manifestation des intérêts « particuliers » ne vous sembleront plus inutiles voire dangereux, mais au contraire les conditions pour pouvoir penser correctement l’intérêt collectif (qui n’est pas une somme mais une intersection, un recoupement), pour qu’il soit possible de chercher de façon informée et plus objective le point d’intersection où nos intérêts se rencontrent ; la contradiction des arguments est donc loin d’être inutile en démocratie. Et il va de soi que la contradiction des arguments n’a, dans mon esprit, rien à voir avec le conflit physique ou la violence passionnelle ; mieux, les seconds rendent impossible la première. En ce sens, je partage votre hostilité aux sophismes sur le « peuple » de M. et Mme Le Pen père et fille comme ceux de M. Mélenchon.
J’espère ne pas être trop confus dans mon arguments et vous assure que mon désaccord ne veut pas dire la plus grande estime pour votre travail et votre réflexion dans ces pages.( J’ai d’ailleurs souvent l’impression, par ailleurs, que de nombreuses querelles philosophiques serait épuisées si l’on pouvait s’entendre plus souplement sur les mots).
Bien à vous et très bonne semaine.
Bonjour
Il y a deux points problématiques dans votre propos qui, par ailleurs pose de vrais problèmes.
– Dire que dans son jugement le citoyen doit prendre en considération l’intérêt du corps politique, du tout ne signifie pas que ce dernier est le sujet du jugement comme s’il était une réalité empirique. Comme le peuple, il est un être moral, un être de raison. C’est dire qu’il suppose pour être sauvegardé l’engagement de chacun à le faire exister. Cet engagement ou cette responsabilité ne passe pas par le sacrifice de l’intérêt de chacun de ses membres mais par la relativisation de l’intérêt particulier afin de sacrifier en lui ce qui est incompatible avec celui des autres. Vous le présupposez lorsque vous parlez « d’intérêt bien compris de chaque citoyen » ou lorsque vous déclinez le tout comme « communauté des citoyens ». Rousseau définit la vertu politique comme « conformité de la volonté particulière à la générale ». Or rien n’est plus difficile que cette capacité de mettre un point d’arrêt à nos prétentions pour reconnaître le droit légitime des autres à faire prévaloir les leurs. Par exemple, j’ai été témoin dans ma carrière du corporatisme de ma profession au mépris d’une idée républicaine du service public. Chaque jour on observe combien nos concitoyens sont attachés à leurs avantages acquis même quand ils sont une injure à l’esprit de justice. Je n’ai jamais pu défendre le calcul de ma retraite (sur les six derniers mois) par rapport à d’autres salariés dont le calcul se fait sur les 25 dernières années. Dans l’Emile, Rousseau écrit: » « Le bon s’ordonne par rapport au tout et le méchant ordonne le tout par rapport à lui. Celui-ci se fait le centre des choses, l’autre mesure son rayon et se tient à la circonférence. Alors, il est ordonné par rapport à ce centre qui est Dieu ». Renoncer à se prendre pour centre, c’est s’efforcer de penser et de se conduire comme un être raisonnable. Je maintiens que rien n’est moins naturel, surtout dans une époque où l’on ne cesse de flatter les « ego » de type narcissique.
– Personne, en tout cas pas moi, ne jette un interdit sur le débat public où chacun exprime et défend ce qu’il croit être son intérêt légitime, tout particulier qu’il soit. La volonté générale est au sens mathématique une intégrale, dit Rousseau. Il la définit comme « la somme de toutes les petites différences » que chacun incarne. Le débat est au contraire ce qui permet aux citoyens de découvrir qu’ils ne sont pas un centre mais un élément d’une totalité qu’ils doivent prendre en considération. Platon disait que ce qui fait défaut au tyran, c’est la possibilité d’être contredit. Dans de nombreux articles, je souligne la nécessité du dialogue pour déployer les ressources de la raison. Le problème est que dans l’espace public, le dialogue est le grand absent, notre époque se distinguant même par le fait que celui qui en appelle à la raison est immédiatement mis hors jeu au prétexte que la raison ne serait que le masque hypocrite de la domination d’une classe sur une autre. Voyez combien de nombreux théoriciens réhabilitent les passions pour donner une (fausse) légitimité aux leurs. Voyez le niveau des arguments des grands tribuns du moment. La campagne du Brexit a vu les mensonges les plus éhontés s’imposer aux esprits crédules. Les envolées de Jean-Luc Mélenchon à Marseille devraient lui faire honte…
https://www.philolog.fr/socrate-ou-lexperience-philosophique-patocka/
-Vous avez raison de penser que de nombreuses querelles philosophiques ne sont que des querelles de mots. D’où la nécessité de toujours bien définir les concepts que l’on emploie afin de déjouer les confusions dues à leur ambiguïté.
Bien à vous.
Bonjour Mme Manon,
Les sujets de votre blog me semblent tout à fait opportuns parce qu’ils incitent à la réflexion de tout un chacun, réflexion qui me semble indispensable en ces temps troublés où le « vivre-ensemble » ne semble plus aller de soi… Et votre blog tombe bien puisqu’il permet à celles et ceux qui n’ont pas fait beaucoup d’études (comme la plupart des gens que je connais et moi qui n’ai au final, qu’une licence d’histoire) de pouvoir réfléchir à la situation de la France et des pays occidentaux donc de prendre part entière à l’enjeu de la citoyenneté que la majorité m’a offert (ainsi que la loi de 1945 qui donne aux femmes le droit de vote en France, il ne faut pas oublier que c’est très récent finalement !).
L’école m’a certes appris beaucoup de choses, notamment l’esprit critique mais comment fait-on pour garder l’esprit critique quand les difficultés de la vie quotidienne, les situations pour le coup réalistes que nous vivons tous, nous issus du « peuple », et qu’on entend parfois (bon d’accord souvent !) des aberrations et une méconnaissance sur la vie des gens venant des hommes et femmes politiques qui se préparent à la présidentielle???
Comment exercer pleinement son jugement et comment faire confiance à ces discours et ces programmes quand on sait qu’ils sont difficilement applicable du fait que l’on fait partie de l’Europe ?
D’autant plus, il faut le dire, que les medias dans l’ensemble, ne nous aident pas à réfléchir…et que beaucoup de gens qui ont, comme vous le dites, des « convictions », nous les assènent à grands coups de marketing… sans susciter les moindres débats, critiques et autres voix allant à l’encontre de cette « pensée unique ». Alors, ben la démocratie, j’essaie de la trouver ailleurs, en fréquentant votre blog, puis d’autres sites, des livres d’histoire qu’il faut commander car dans toutes les bonnes librairies de France et de Navarre, nous trouvons au rayon « histoire » des livres qui ne sont pas des livres d’histoire… Comme vous dites, la réflexion ne tombe pas toute cuite dans la bouche, pour s’en délecter et surtout prendre du recul par rapport à la masse d’informations, il faut faire un réel effort, savoir où chercher l’information et savoir où chercher les critiques, s’il y en a…
Mon message est un peu long, je vous prie de m’en excuser, j’en termine avec des liens qui m’aide à réfléchir:
– sur le peuple, il existe une historienne, Déborah COHEN, qui a écrit (une reprise de sa thèse, je crois) La nature du peuple. Les formes de l’imaginaire social (XVIIIe- XXI e siècle) Seyssel, Champ Vallon, 2010, 442 p., ISBN 978‑2-87673‑526‑2. Je ne l’ai pas encore lu, il paraît que la lecture en est un peu ardue, en ce qui concerne votre article, elle a aussi mené dans ce livre une enquête sur la vision que le peuple a de lui-même et il y a des chapitres sur notre époque.
– sur la vision des hommes politiques du peuple, peut-être les essais des sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot (je n’ai pas encore été creuser de ce côté-là)
-Et enfin, des sites d’histoire tout à fait accessibles au plus grand nombre, celui à visée d’éducation populaire http://www.goliards.fr, et http://www.leshistoriensdegarde.fr
Bien à vous, toujours fidèle à votre blog qui m’aide beaucoup à espérer un avenir social meilleur parce que c’est à nous tous de le construire,
Cécile
Bonjour Cécile
Merci pour votre message. Votre propos m’invite néanmoins à vous mettre en garde contre cette idée que dans les bonnes librairies on ne trouve pas des livres d’histoire sérieux. Pour le coup ce jugement n’est pas sérieux. Le récit historique est aujourd’hui l’objet de manipulation idéologique dont souvent ceux qui prétendent le reconstruire sont les plus habiles agents. La qualité d’un travail historique se reconnaît à la longueur des notes en bas de pages où l’auteur précise ses sources, indique leur degré de fiabilité, pointe leur limite, énonce les hypothèses sur lesquelles il travaille, etc. …
Bien à vous.
Bonsoir Mme Manon,
Oui tout à fait, j’aurai du nuancer mon propos, comme quoi je me laisse aussi vite fait embarquer sur le terrain glissant des émotions… Oui, bien sûr, on trouve de bons livres d’histoire mais il est vrai que de nombreux livres qui se trouvent à portée de main au rayon « histoire » seraient à ranger dans la catégorie « roman national » ou « fantasy » !
Bien à vous,
Cécile
Bonjour Madame,
Merci pour ce bel exemple de pensée philosophique en rapport avec l’actualité.
J’aurais une petite question: dans le populisme, n’y aurait-il pas cette idée de vouloir séduire le peuple? Quand je dis « séduire », on pourrait même parfois dire « draguer » tellement c’est gros comme une maison. J’avoue que dernièrement le régime démocratique tel qu’il est en France me fait peur parce que trop vulnérable à mon sens. On sent qu’on n’est pas à l’abri d’être dirigé par des élus portant en eux des convictions qui m’apparaissent plutôt en contradiction avec nos valeurs républicaines. A part cela, il y a ce terrorisme latent qui crée, il faut bien le dire, une ambiance exécrable. Comment le combattre tout en devant respecter les règles de notre république démocratique? Notre prochain président n’aura pas la tâche facile. En espérant qu’il s’en soucie lui aussi pendant les 5 années qui viennent, sinon je crains le pire.
Bonjour
Il va de soi qu’une Marine le Pen ou un Jean-Luc Mélenchon sont des flatteurs de certaines passions populaires. Tous les populismes impliquent des facilités démagogiques, c’est pourquoi ils fonctionnent si bien. Dire aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre, accabler des boucs émissaires (les puissants, les riches, les élites, les étrangers etc.), promettre la lune etc.); les recettes sont vieilles comme le monde.
Oui, notre prochain président n’aura pas la tâche facile et il faudra,chacun à la place qui est la sienne, se jeter dans la bataille pour qu’il réussisse même si l’on ne cautionne pas tout son programme.
Bien à vous.
Bonjour,
Avant tout merci et bravo pour votre blog tout à fait stimulant.
A propos de votre article sur le populisme, je ne suis pas certain de bien comprendre votre critique des « théoriciens de la démocratie radicale » qui, en subvertissant le formalisme kantien-rousseauiste au profit d’une pensée du « conflit », se rendraient ainsi, si j’ai bien compris, coupables d’anti-républicanisme et même… indignes du nom de philosophes !? Faites-vous référence à Chantal Mouffe, mentionnée un peu plus haut dans votre article ? Ou bien à d’autres auteurs ?
Cette corrélation que vous semblez établir entre « pensée du conflit » et anti-républicanisme voire populisme, m’étonne d’autant plus que vous évoquez un peu plus loin Claude Lefort et sa critique du totalitarisme – lequel est justement pensé comme négation obstinée et pathologique du conflit, de la division originaire et irréductible du social. Lefort (via Machiavel) et Mouffe (via Schmitt) se sont tous deux émancipés d’un marxisme jugé totalisant-totalitaire et aveugle à l’irréductibilité de la conflictualité sociale. Ils n’ont pas pour autant, me semble-t-il, tournés le dos au projet humaniste et démocratique des Lumières mais ont plutôt montré l’urgence de l’actualiser à l’aune des expériences traumatisantes du XXème siècle.
Bien à vous,
Manolo
Bonjour
Voyez cet article pour répondre à votre question. https://www.philolog.fr/linstitution-de-la-democratie-et-la-democratie-radicale-j-y-theriault/
Oui, je pense à Chantal Mouffe, à Badiou, Rancière et consorts et à leur manière de recycler la lutte des classes, de réhabiliter les passions, d’exalter la violence révolutionnaire comme si les règles de la démocratie (légitimité du scrutin majoritaire, sens du compromis) n’étaient pas ce qui nous sauve de la guerre civile,du fascisme ou de l’horreur totalitaire.
Songez à ce qui est arrivé à Joann Sfar pour avoir un avant-goût de ce qui nous arriverait en cas de victoire d’un populisme de gauche…Pour ce qui est de l’autre populisme, heureusement on n’a pas besoin d’en rappeler les dangers.
Bien à vous.
Merci pour ce lien, l’article de Thériault est tout à fait passionnant et je rejoins en partie ses conclusions sur la cécité des penseurs actuels de la « démocratie radicale » face à la question, pourtant cruciale, de « l’institutionnalisation du conflit » (même si il me semble que Lefort ne peut pas être si facilement exonéré, même en bout de parcours, de l’aveuglement anti-institutionnel de ses disciples, dont on trouve chez lui des traces dès ses premiers pas dans Socialisme ou Barbarie et Les Temps Modernes)… Il manque, pour nuancer (et éclaircir) le tableau, la figure de Castoriadis, démocrate radical et/mais penseur par excellence de l’institution comme articulation entre pôles instituants et institués de la société (loin d’une apologie vide de l’instituant, du conflit ou de la subversion en tant que telle)…
Quoi qu’il en soit, les légitimes critiques qu’on peut adresser aux théoriciens contemporains de la démocratie radicale ne suffisent pas, à mes yeux, pour faire de la « définition abstraite du citoyen » l’horizon indépassable de toute pensée démocratique, ni, encore moins, pour faire du « principe majoritaire » et du « sens du compromis » les ultimes remparts de nos démocraties en péril…
La critique marxienne du formalisme libéral, si elle est bien comprise, n’est nullement étrangère au projet émancipateur des Lumières mais vient plutôt le compléter/radicaliser (comme l’ont compris les marxistes les plus intelligents) : il s’agit de donner un contenu effectif, réel, une chair sociale, économique, culturelle, etc, à l’égalité juridique et politique proclamée par les grandes Révolutions démocratiques (sans cette chair sociale, le formalisme républicain risque effectivement de devenir une coquille vide et mystificatrice, le masque de toutes les dominations réelles).
Il en est de même pour la critique du principe représentatif comme intrinsèquement anti-démocratique et générateur d’oligarchie – qui était déjà, je ne vous l’apprends pas, le fait de Rousseau (« Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort : il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien ») et qui fut réactivé positivement au sein du mouvement ouvrier dans ses moments, précisément, les plus démocratiques (Commune de Paris en 1871, Soviets russes en 1917, Conseils hongrois en 1956).
Marx, encore une fois, n’est pas l’ennemi de Rousseau qui, le premier, a cherché à fonder l’ordre politique légitime sur autre chose qu’une propriété usurpée (« les fruits sont à tous, la terre n’est à personne »). Il nous appartient de ré-inventer les modalités contemporaines de leur réconciliation plutôt que de rejouer leur divorce en agitant l’épouvantail totalitaire et le chantage au goulag.
Bien à vous,
Manolo
Bonjour Simone,
J’ai lu cet article avec joie. Il est parfaitement argumenté et cohérent jusqu’au bout. Je me réjouis d’avoir lu un article philosophique bien ancré dans la réalité de notre époque. Toutefois, j’ai l’impression en vous lisant que vous omettez de dire dans votre article que le populisme se nourrit de la misère. Grâce à l’hypermédiatisation qui caractérise notre époque, nous savons par exemple que les lobbies de tout genre influencent les décisions, tant au niveau national qu’européen. Nous savons également qu’une infime minorité de la population mondiale détient 90% de la richesse planétaire. Dans ce sens, le populisme peut-être interprété comme une forme de résistance contre la prédation capitaliste. La mondialisation tant exaltée aujourd’hui n’est intéressante que pour celui qui peut se former, s’informer, voyager, acheter, s’équiper et renouveler son matériel. La logique qui sous-tend l’économie libérale semble contraire au contrat social. Elle alimente indirectement l’exclusion sociale et a tendance à ne reconnaître que la dignité des « petits génies » multi-sectoriels. Cela dit, je reconnais la valeur intrinsèque de ce que vous dites.
Je souhaite toutefois que vous donniez la possibilité de copier/coller à ceux qui le peuvent pour permettre par exemple à moi qui vous lit de Kinshasa (Afrique) de pouvoir méditer vos textes hors connexion.
Amitiés et estime
Jean
Bonjour Jean
N’accablez pas trop l’économie de marché. Non seulement la liberté d’entreprendre est une dimension irréductible de la liberté tout court mais, jusqu’à preuve du contraire, l’expérience a montré qu’elle est plus efficace qu’une économie administrée.
Pour ce qui est de la fonction copier/coller, elle est bloquée car de nombreux élèves croient qu’il suffit de copier pour acquérir des compétences ou témoigner de son niveau intellectuel.
Bien à vous.
Bonjour Simone,
Merci pour la réponse. Mais je souhaite que vous preniez position par rapport à mon hypothèse selon laquelle le populisme serait une forme de résistance plus ou moins légitime à un sentiment de domination généré par les effets de l’économie de marché.
Merci
jean
Bonjour Jean
Je pense que pour l’essentiel l’explication que vous donnez du populisme est erronée.
En Europe, celui-ci a bien davantage à voir avec les questions d’identité, d’insécurité culturelle générées par les phénomènes migratoires et de perte de la souveraineté nationale, du fait des constructions juridiques supranationales.
Bien à vous.
Chère collègue,
Je tombe un peu par hasard sur votre article. Je me permets tout d’abord de saluer la qualité générale des cours donnés ici.
En revanche je m’inscris en faux contre votre présentation du concept de populisme, et ce que je considère comme une forme de sophisme, le trait d’union entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, la première représentante de l’extrême droite traditionnellement antirépublicaine, là où les convictions républicaines, laïques et démocratiques sont constamment rappelées par Jean-Luc Mélenchon. Déjà en 2012 cette identification a été menée. Elle tient à mon avis à une méconnaissance de la catégorie de populisme, qui oscille entre paradigme des sciences politiques, anathème médiatique et fourre tout idéologique. La confusion entre le populisme et la démagogie en fait partie. Il existe un populisme ancien (les partis populistes russes et américains du XIX°), un prix du roman populiste depuis 1931 (où le héros doit être le peuple ou un membre du peuple) qui a récompensé Jules Romains, Sartre, Picouly,…
Lors de la campagne de 2012 j’ai publié un ouvrage sur cette question (https://www.bruno-leprince.fr/politique-a-gauche/12-populisme-le-fantasme-des-elites-9782364880139.html), et quelques tribunes dont celle ci dont je reprends encore les arguments essentiels.
Cordialement, B Schneckenburger
« La guerre froide avait engendré une nouvelle typologie politique, opposant, selon le titre même d’un ouvrage de Raymond Aron, Démocratie et Totalitarisme. Concept vague, l’accusation de totalitarisme servait à elle seule d’argument d’autorité contre toute critique de la démocratie. Depuis l’an dernier, comme un bruit de fond préparant l’arrivée de la tempête électorale d’avril 2012, une rumeur se propage et enfle. Il y aurait un véritable danger populiste.
Si bien que d’anathèmes en buzz Internet, les dossiers et les colloques plus ou moins sérieux se consacrent au populisme : BHL interroge les liaisons dangereuses de la gauche et du populisme, Libération débute l’année 2011 par une série d’entretiens, le Monde se fait l’écho des rencontres estivales de Pétrarque sur le populisme, ouvertes par Pierre Rosanvallon, et enfin le Cevipof et la revue Cités organisent un colloque, les 26 et 27 janvier, intitulé « le Populisme contre les peuples ». Bigre ! Tant d’attention atteste du phénomène. Il ne peut y avoir de fumée sans feu.
Et pourtant, il faut savoir raison garder. Le populisme est un mot qui ne renvoie à aucun phénomène uniforme. Curieuse destinée pour ce qui a d’abord désigné des mouvements d’émancipation dans la Russie prérévolutionnaire ou les plaines des États-Unis, avant d’évoquer quelque forme forcément confuse d’exotisme latino-américain et de s’inviter dans l’Europe post-guerre froide pour désigner des mouvements d’extrême droite que l’on ne voulait plus traiter de fascismes. Si bien que tous finissent par être qualifiés de populistes, le terme se faisant insulte : Tapie et Le Pen, Berlusconi et Chirac, Mélenchon et le Guide Michelin jusqu’au couple Merkozy dans une tribune récente d’Yves Charles Zarka.
Il faut analyser comment ces approximations, qui dénotent de l’absence d’unité conceptuelle déjà dénoncée en 2007 par Pierre-André Taguieff, finit par produire un effet d’amalgame. À l’encontre de ceux qui l’utilisent peut-être avec sincérité démocratique, il réhabilite le Front national qui fait oublier son origine néofasciste pour être aussi populiste que le « non » au traité constitutionnel européen, ou le Chirac de la fracture sociale.
Plus pernicieux, il devient, à droite comme à gauche, un argument pour le vote utile. Pour éviter le populisme, dont l’image d’unité est donnée par Plantu dans une caricature où Mélenchon en uniforme à l’esthétique nazie et Le Pen lisent le même discours, il faudrait voter pour les candidats sérieux et responsables. La ficelle est un peu grosse, mais en ces temps de désarroi politique, elle est plus efficace qu’un débat sur le fond des programmes.
Plus profondément, le recours à la notion de populisme cache une forme ancienne de mépris pour le peuple et ce que Jacques Rancière nomme une haine de la démocratie. Puisque l’on confond populisme et démagogie, on sous-entend que le peuple, et notamment les classes populaires, serait naturellement incompétent et attiré par l’irrationnel ou la xénophobie.
Vieille tradition antidémocratique qui commence en philosophie avec Platon et Aristote. Il faut toute l’audace d’un Rousseau pour penser que le peuple puisse être souverain. Longue opération de dénigrement pour les libéraux, qui affirment l’idéal de liberté, à condition que le peuple ne s’en mêle pas, inventant le suffrage censitaire au XIXe siècle ou, dans les années 1960, promouvant avec Samuel Huntington l’apathie électorale des classes populaires. Nos intellectuels libéraux aujourd’hui continuent le travail de dénigrement, Alain Minc s’arrogeant le cercle de la raison, Alexandre Adler en appelant à une « dictature bienfaisante » en Grèce. Les exemples sont hélas innombrables.
À force d’un tel mépris, l’accusation de populisme risque fort de se muer en prophétie autoréalisatrice. Pour le meilleur, à condition que le peuple se mêle de nouveau de politique et fasse comme une révolution citoyenne. Pour le pire, si l’on continue de désigner le Front national comme un parti aussi populaire que populiste. » L’humanité, 19 Janvier 2012
Bonjour
Permettez que je ne rebondisse pas sur votre message. Mon propos ne ferait que rappeler la teneur de mon article. Nul ne peut légitimement prétendre parler au nom de, ou incarner LE peuple, or votre favori ne s’en prive pas. Je ne sais pas ce qu’est un peuple de gauche hormis le fantasme d’une certaine idéologie que vous avez le droit de défendre mais seulement dans des espaces où l’on affectionne la polémique militante.
Bien à vous.
L’expression « peuple de gauche » semble pourtant assez limpide dans la mesure où elle désigne la frange de l’électorat qui vote toujours à gauche, et se reconnaît dans des analyses intellectuelles et des médias du même courant, quelles que soient les distinctions internes à ce courant. On lui opposera le « peuple de droite », version similaire mais appartenant à l’autre camp. Entre les deux, il reste la partie de l’électorat qui soit change d’avis et de vote au gré des différentes élections, et contribue ainsi à faire pencher la balance plutôt d’un côté que de l’autre; soit ceux (visiblement de plus en plus nombreux si l’on en croit les records d’abstention) qui ne se reconnaissent plus dans ce jeu politique, où les campagnes et les discours politiciens ne servent qu’à gagner des élections, sans que soit vraiment ensuite prises en compte les volontés de chacun, au profit d’un pouvoir horizontal qui décide au nom du peuple, celui-ci ayant ensuite pour obligation de s’exécuter sans protester, le pouvoir en place demeurant sourd aux protestations et critiques.
On ne peut certes prétendre réduire tout le peuple à ses franges partisanes (de gauche ou de droite), mais il n’y a pas d’absurdité à désigner ces franges comme des parties de ce même peuple. L’abus du terme de « populisme », tellement connoté politiquement qu’il finit par devenir un terme hors d’usage philosophique, me semble-t-il, c’est qu’il laisse entendre que toute critique de l’horizontalité du pouvoir, de l’aveuglement des « élites », et du refus de celles-ci d’une démocratie plus proche des volontés de chacun, puisse être assimilable à une forme de démagogie, d’opinion fausse, voire d’ignorance des « réalités » du fonctionnement démocratique. Ce n’est pas parce que certains dirigeants politiques abusent du terme de « peuple » à des fins électoralistes que la critique des institutions dites « démocratiques » cesse d’être pertinente. On a un peu le sentiment, à vous lire, que toute apologie d’une forme de démocratie plus directe, voire d’une forme d’auto-organisation politique conduisant la société et les individus à prendre en main eux-mêmes leur destin (comme on le voit dans les doctrines anarchiste et conseilliste) serait assimilable à une forme de « populisme ». A ce titre, ce terme devient alors rien mois qu’un terme stigmatisant servant à dénoncer quiconque ne reconnait pas la grandeur et la légitimité de ceux qui dirigent le pays où il vit, lors même que les institutions sont considérées comme « démocratiques », un peu comme le terme de « facho » servait à désigner dans le années 60 et 70, quiconque (gaulliste, socio-démocrate, etc…) se refusait à reconnaître la grandeur et la supériorité supposées de la doctrine marxiste. Mais cet abus n’est finalement là qu’une illustration supplémentaire du caractère « hors d’usage » et philosophiquement illégitime de ce terme que je mentionnais plus haut.
Bonjour
Tout est limpide quand on ne voit pas les problèmes…
Si l’expression « peuple de gauche » pour une Chantal Mouffe renvoyait à la frange de l’électorat votant à gauche, on aurait affaire à une donnée non à une réalité à construire, ou à inventer. Conséquemment le recours à la notion de peuple ne ferait illusion à personne et le problème affronté dans cet article n’aurait pas à être posé.
Bien à vous.
Cher DocPhil,
Vous conspuez l’auteur de ce blog qui me donne pourtant l’occasion de nourrir mon esprit, qui plus est gratuitement. J’ai 62 ans. Je n’ai guère eu l’occasion de fréquenter l’Université comme vous probablement, et encore moins de compter dans mon entourage, des savants à bonnet carré. J’aurais aimé avoir un diplôme, et connaître toutes ces choses qu’écrit ,avec talent, notre hôte Simone. je devine le travail , le talent et la générosité nécessaires pour faire vivre un tel site. J’en serais incapable. Alors le mot qui me vient au bord des lèvres et que j’adresse, le coeur plein de reconnaissance , à Simone est celui que Jean d’Ormesson considérait comme le plus beau de la langue française : « Merci ».
Jean-Luc Sévilly
Chère Simone,
Vous expliquez à Nevao que la fonction copie/collé est bloquée pour ne pas encourager de mauvaises habitudes parmi vos élèves.
Le mot qui me frappe dans le message de Neveo , c’est « relire ». Ce mot , à lui seul , justifierait de répondre favorablement à sa demande. Relire, c’est comme renaître , reconnaître, revivre. La seule chose que j’ai relue , dans ma vie, ce sont les lettres que m’adressait mon amie , il y 45 ans. Le copié/coller est un pillage. Mais c’est aussi la reconnaissance de votre talent, et une excellente occasion de lui donner de l’audience. Je n’ai pas internet à la maison , et le moyen dont je dispose pour vous relire , c’est de photocopier vos articles.
Jean-Luc Sévilly
Merci Monsieur pour ce sympathique message.
S’il s’agissait seulement de permettre de relire les articles il n’y aurait pas besoin de bloquer la fonction copier-coller (aisément d’ailleurs contournable par les petits malins); mais il y a tant de malhonnêteté chez certains élèves, lycéens ou universitaires, qu’il faut éviter de leur ouvrir un boulevard.
C’est toujours le même problème: les honnêtes gens subissent les conséquences des conduites de ceux qui ne le sont pas.
Bien à vous.
Mme Manon,
Bonjour,
Je voulais vous remercier pour cet article enrichissant.
J’ai encore des interrogations, dont je souhaiterais vous faire part.
Il est donc prouvé et admis que le citoyen peu importe son opinion, et peut être pouvons nous dire dans certains cas, son cheminement politique, sont équivalents en droit à ceux de l’autre. Chacun peut et doit donc débattre librement, dans le respect de la tolérance.
Comme vous nous le rappeler fort bien en citant Ricoeur, chacun peut professer sa conviction, et cela nous irrite, parce que dans la contradiction, il y a une part de vérité et une part d’erreur qui co-existent.
Cela n’empêche pas de désigner la vérité, vérité et l’erreur (ou dans certains cas le mensonge) comme fausseté. Je pense ici par exemple à Mr Farage qui a promis 350 millions de Livre Sterling par semaines pour le système de santé Britannique à partir du Brexit. Cet exemple nous apporte peut être un peu de distance, (mais j’admets que je ne connais pas parfaitement comment les Britanniques perçoivent leur politique de santé ou leur politique tout court, ce qui limite peut être sa portée). Nous pouvons affirmer que certains citoyens, savaient, que cet homme politique mentait sur ce point, dont il a fait un argument majeur de sa campagne. D’autres parce qu’ils étaient particulièrement sensibles sur ce sujet ( Mr Farage s’est peut être montré très savant concernant la lecture des émotions de ses électeurs), lui ont accordé 17 M de voix contribuant à la victoire du ‘Leave’.
Ce qui me pose problème c’est la possibilité de dégager les conditions d’existence d’un savoir politique. J ai l’intuition et je n’admets pas que la politique en démocratie ne se résume qu’à une simple somme d’opinions. Mais je ne parviens pas non plus à prouver que nous avons les moyens de fonder un savoir ou une conduite politique qui soit tout à fait démontré.
Pourriez vous s’il vous plaît m’éclairer sur ce qui me semble être un mauvais dilemme.
Merci et bonne journée à vous.
Jérôme.
Bonjour
Il n’y a pas de science politique contrairement à ce que laisse entendre une école dont le niveau d’ignorance de certains élèves s’exhibe bruyamment aujourd’hui.
La réflexion politique doit s’étayer sur certains savoirs, par exemple en matière historique, ou sociologique ou économique, lesquelles sciences sont dites « molles » pour de bonnes raisons.
Mais la politique n’est pas une science, même molle. Elle implique une certaine conception du bien commun qu’on peut s’efforcer de définir raisonnablement par la délibération publique. Mais l’expérience montre que la délibération publique et la manière dont les membres d’une société se représentent le bien commun sont l’otage des passions, des propagandes plus qu’elles ne mettent en jeu la raison.
Mais pour promouvoir le développement de la raison chez chacun de multiples conditions sont requises dont une école digne de ce nom. À défaut il est vain d’attendre des hommes qu’ils raisonnent dans le silence des passions. Tel est l’enjeu de la philosophie or Platon disait qu’elle suppose un long détour.
https://www.philolog.fr/pourquoi-philosopher/
Bien à vous