Le cogito fait partie des monuments de la philosophie. Mais le correcteur du baccalauréat que je suis depuis de nombreuses années ne peut que constater un fait : en tombant dans l'opinion, la puissante analyse de Descartes s'est vidée de sa substance. Elle devient une formule passe-partout, sans doute destinée à laisser croire aux ignorants qu'ils ont un vernis culturel. Laissons tomber cette vanité et essayons de suivre la méditation cartésienne.
D'abord, il s'agit bien d'une méditation. On entend par là un exercice spirituel, pratiqué dans la solitude, par un esprit faisant retour sur lui-même pour se pénétrer d'une vérité. Il s'agit donc d'une expérience philosophique qu'il faut sans doute faire, au moins une fois dans sa vie.
Quel est l'objet de sa méditation ? Le projet de trouver une certitude susceptible de résister aux plus extravagantes objections des sceptiques. Au fond, Descartes veut savoir si le doute généralisé est notre destin ou s'il est possible de fonder certains énoncés dogmatiques. « Qu'est-ce que je peux tenir pour absolument certain ? » se demande-t-il.
Certes, j'ai été instruit dans le plus grand collège d'Europe, j'ai appris tout ce qu'un honnête homme peut savoir. Comme tout le monde je fais confiance aux informations que me donnent mes sens. Ainsi je suis certain qu'il y a un monde et que j'ai une tête, des mains, des pieds. J'ai même une vénération toute particulière pour les mathématiques et je ne doute pas que la somme des angles du triangle vaut deux droits. Pourtant en toute rigueur, suis-je bien avisé d'être certain ?
La méditation cartésienne commence par là. Il ne s'agit pas de nier que mes certitudes immédiates sont bien suffisantes pour la conduite de la vie mais puis-je considérer qu'il s'agit de certitudes absolues ? Rappelons qu'on appelle certitude, l'état d'un esprit qui adhère à un contenu de pensée qu'il croit ou qu'il sait être vrai.
Comme il va de soi que je ne peux pas passer en revue tous les contenus de mon esprit, je vais procéder méthodiquement.
A bien y regarder, la plus grande partie de mes certitudes sont des certitudes sensibles. Elles portent sur des objets dont j'ai l'idée par le véhicule de mes sens. Or puis-je me fier absolument aux informations données par les sens ? Non, répond Descartes car « j'ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs, et il est de la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés ».
L'argument cartésien n'a ici aucune originalité. On n'a pas attendu Descartes pour douter de la fiabilité des impressions sensibles. Cependant il tire de cette observation une règle de prudence ou de sagesse. Puisque nos sens nous trompent parfois, il est sage de ne jamais leur faire totalement confiance.
La certitude sensible est ainsi révoquée en doute. Je ne peux pas être absolument certain qu'il y a un monde, que j'ai un corps. Au fond je suis peut-être abusé par mes sens comme je le suis lorsque je rêve. Souvent pendant mon sommeil, alors que je suis tout nu dans mon lit, je m'imagine assis auprès de ma cheminée, en robe de chambre. Comment puis-je être certain que la réalité n'est pas un songe ? Certes les images diurnes semblent plus claires et plus distinctes, plus cohérentes que les images oniriques, mais au niveau sensible, il n'y a pas de critères absolument solides pour distinguer le rêve de la réalité.
Il y a là un thème baroque dont Pascal se fera l'écho : « Si un artisan était sûr de rêver toutes les nuits, douze heures durant, qu'il est roi, je crois qu'il serait presque aussi heureux qu'un roi qui rêverait toutes les nuits, douze heures durant qu'il serait artisan » Pensée B 386.
Avec l'argument du rêve, Descartes établit avec force que si l'on devait s'en tenir aux seules données sensibles, nous n'aurions aucune possibilité décisive de tracer la frontière entre l'imaginaire et le réel. Il s'ensuit qu'il faut rejeter comme douteux, tout ce que nous savons par le canal de nos sens.
Reste un autre type de certitudes. Par exemple la certitude mathématique. Ici, l'objet n'est pas donné extérieurement à l'esprit et « que je veille ou que je dorme, deux et trois joints ensemble formeront toujours le nombre cinq ». Il s'agit d'une certitude purement rationnelle. Ne dois-je pas avouer que celle-ci résiste au doute méthodiquement conduit ?
Descartes va aussi révoquer en doute les certitudes rationnelles à l'aide d'un argument pouvant paraître fantaisiste. Et si, se dit-il, un mauvais génie se plaisait à me tromper lorsque je raisonne ? Le doute cartésien devient, à cet instant, hyperbolique. En réalité, Descartes pose un vrai problème. Qu'est-ce qui peut nous assurer que la raison soit une faculté plus fiable que les sens pour fonder la certitude ? Il se peut qu'elle nous abuse tout autant qu'eux.
Les certitudes rationnelles ne semblent donc pas plus solides que les certitudes sensibles. Elles aussi sont laminées par le doute. Il faut faire le vide et admettre que tout ce que je sens et ce que je conçois rationnellement est douteux.
Or, c'est précisément au moment où Descartes a fait le vide le plus intégral qu'il découvre qu'il peut douter de tout sauf de lui-même en tant qu'il doute. Pour que le mauvais génie me trompe, il faut que je pense. Je peux douter de tout mais je ne peux pas douter du fait que moi qui doute je suis. « Je suis, j'existe » dit la Seconde Méditation Métaphysique ; « je pense, donc je suis » dit le Discours de la méthode.
Etienne Gilson commente : « Je voulais penser que tout était faux et il se pouvait en effet que tout fût faux (monde, Dieu, corps). Mais il ne se pouvait pas que moi, du moins, qui pensais cela ne fusse pas quelque chose. Donc, moi qui pense, j'existe ».
Telle est la première certitude, modèle de toutes les autres, fondement de l'édifice du savoir que Descartes par la seule force de sa pensée a su établir.
On ne rendra jamais assez hommage à cette clarification. Car que fait-on, quand la frontière entre le réel et le rêve se brouillant, on dit que l'on se pince ? En fait on s'assure de sa propre existence, on revient à soi comme point fixe sans lequel aucune expérience ne serait possible, pas même celle du vertige, du brouillage des ordres ou des illusions.
I) Le sens du cogito.
Réponse à la question : « Qu'est-ce que je peux tenir pour certain ? » le cogito est à la fois l'affirmation d'une existence et d'une essence.
L'existence c'est le fait d'être. L'existence s'éprouve, se constate, se rencontre, elle ne se prouve ni ne se déduit. Il y a bien une dimension existentielle du cogito. Au moment où je pense, je me sens exister. « Je suis, j'existe : cela est certain, mais combien de temps ? A savoir autant de temps que je pense ; car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que je cesserais d'être ou d'exister ». Méditation seconde.
L'essence d'un être c'est sa nature, ce qui fait qu'il est ce qu'il est. C'est ce quelque chose que Descartes va nous demander d'examiner avec attention. Car dans l'état actuel de la méditation, je ne peux pas me définir par ce que je sais de moi-même par l'intermédiaire de mes sens, la certitude sensible ayant été suspendue. Je ne puis donc point prétendre être « cet assemblage de membres que l'on appelle le corps humain (...) puisque j'ai supposé que tout cela n'était rien, et que, sans changer cette supposition, je trouve que je ne laisse pas d'être quelque chose ». Méditation seconde.
Que suis-je donc ? « Je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui, pour être, n'a besoin d'aucun lieu, ni ne dépend d'aucune chose matérielle. En sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à connaître que lui, et qu'encore qu'il ne fût point, elle ne laisserait pas d'être tout ce qu'elle est ». Discours de la méthode IV.
Je me découvre un être, une réalité ontologique. C'est ce que connote la notion de substance. Une substance c'est ce qui existe en soi, ce qui sert de substrat à des qualités accidentelles, ce qui ne dépend pas d'autre chose que de soi pour exister.
Cette substance est une chose qui pense. Voilà l'attribut essentiel du sujet. « Je trouve que la pensée est un attribut qui m'appartient. Elle seule ne peut être détachée de moi ». Je peux me mettre à distance de mon corps, des contenus de ma pensée, je ne peux pas me séparer de ce qui rend possible cette opération. Ce qui m'appartient en propre réside dans ce pouvoir. Ce qui est absolument mien reflue avec Descartes dans la seule opération d'une chose pensante. Le philosophe donne ici au mot pensée une extension bien plus grande que ce que nous entendons d'ordinaire par là. « Une chose pensante est une chose qui doute, qui conçoit, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent ». Méditation seconde. La pensée, dans le vocabulaire cartésien est ce que nous appelons le psychisme. Les émotions, les sentiments, les désirs aussi bien que le jugement ou la méditation sont des opérations psychiques, c'est-à-dire ce qu'il faut rapporter à la substance pensante comme à leur condition de possibilité.
Avec la substance pensante, Descartes établit le dualisme de l'âme et du corps, de l'esprit et de la matière. Il affirme l'existence de deux réalités ontologiquement différenciées, la séparation anthropologique, l'amputation du sujet de sa dimension corporelle n'étant qu'une manière pour lui de tirer les conséquences de ce que signifie se réfléchir comme un sujet. Néanmoins, les malentendus peuvent être tels sur ce point qu'il convient de bien préciser le sens de cette séparation anthropologique, de ce dualisme des substances ; la substance pensante et la substance étendue.
On peut affirmer sans ambiguïté que son sens est purement spéculatif. Le dualisme de l'âme et du corps n'a aucune pertinence sur le plan existentiel car l'homme n'est pas la juxtaposition d'une intériorité spirituelle et d'une extériorité matérielle. Il est l'union d'une âme et d'un corps, union si inextricable que concevoir l'homme concret, « le vrai homme » dit Descartes, c'est concevoir les deux substances comme une seule. Mais cette unité est confuse, opaque à l'entendement, on ne peut que la vivre. A la princesse Elisabeth, lui demandant de s'expliquer sur la nature de cette union, Descartes répond que si elle veut quelque lumière sur cette question « il faut s'abstenir de méditer, il faut vivre ».
« La nature m'enseigne aussi par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis pas seulement logé en mon corps ainsi qu'un pilote en son navire, mais outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement et tellement confondu et mêlé, que je compose comme un seul tout avec lui. Car, si cela n'était, lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu'une chose qui pense, mais j'apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose rompt dans son vaisseau ; et lorsque mon corps a besoin de boire ou de manger, je connaîtrais simplement cela même, sans en être averti par des sentiments confus de faim et de soif. Car en effet tous ces sentiments de faim, de soif, de douleur etc., ne sont autre chose que de certaines façons confuses de penser, qui proviennent et dépendent de l'union et comme du mélange de l'esprit avec le corps ». Méditation sixième.
Toute la vie affective (plaisir, douleur, désir, aversion etc.) témoigne de l'unité psychosomatique. Cependant cette donne existentielle ne nous dispense pas de faire l'effort de séparer théoriquement ce qu'il faut rapporter à l'une ou à l'autre des dimensions nous constituant. Le dualisme cartésien est donc une distinction de méthode dont les enjeux sont à la fois épistémologiques et moraux.
II) Les enjeux du cogito.
A) Enjeux épistémologiques.
1) Premier enjeu.
Il s'agit pour Descartes de fonder les sciences de la matière et la connaissance de l'esprit, à partir des deux idées claires et distinctes de pensée et d'étendue dont notre entendement a l'intuition dès qu'il pense. Ainsi pourront être évitées les confusions qui, par le passé, ont fonctionné comme de véritables « obstacles épistémologiques ». Bachelard appelle ainsi ce qui empêche la science de se constituer ou de progresser. De fait, avant la clarification cartésienne, on a eu tendance à projeter sur la matière des opérations n'ayant de sens que pour une réalité psychique et à bâtir sous le nom de physique une psychologie de la matière. Pensons au finalisme aristotélicien, à l'idée d'une âme nutritive et d'une âme sensitive pour rendre compte des fonctions du vivant. La confusion symétrique consiste à penser le psychisme sur le modèle de la matière et à bâtir sous le nom de psychologie une physique de l'âme. Le dualisme méthodologique nous détourne de ces inconséquences. Par là, Descartes est le vrai fondateur de la science moderne. Il expurge la matière de toute profondeur psychique et impose le modèle mécanique comme modèle d'intelligibilité des phénomènes matériels.
2) Deuxième enjeu.
Il s'agit aussi de comprendre que « l'âme est plus aisée à connaître que le corps ». Véritable paradoxe, tant il nous semble que ce qui est étalé dans l'espace, ce qui a une visibilité (les corps) est plus facilement connaissable que ce qui n'en a pas (l'âme ou l'intériorité psychique). Or Descartes énonce ici une idée d'une grande profondeur. Que veut-il dire ? Que ce qu'il appelle l'âme ou le sujet pensant a l'intuition de lui-même. Je ne peux pas sentir sans savoir que je sens, vouloir sans savoir que je veux. La conscience est claire à elle-même par définition. « Par le nom de pensée, j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes » Principes de la philosophie I, 9.
On rencontre ici le thème de la transparence de la conscience à elle-même. Ce thème ne signifie pas que la conscience comprend toujours ce qui se passe en elle, comme s'il n'y avait pas d'obscurité psychique. Il signifie simplement que même lorsqu'elle est traversée par quelque chose qui l'étonne, qu'elle ne peut pas reconnaître comme procédant de sa spontanéité, elle en a conscience. Ma pensée et l'idée de ma pensée sont une seule et même chose. La conscience a l'intuition de ses états et de ses actes. Une telle intuition du corps est impossible. Ce qui a lieu dans le corps n'est pas forcément connu de la conscience. Il y a un rapport d'extériorité entre le corps et l'idée du corps. L'esprit ne saisit le corps que par la médiation d'images, de concepts dont on peut toujours se demander s'ils sont adéquats à l'objet auquel il renvoie. Voilà pourquoi la connaissance de la matière est paradoxalement moins aisée que la connaissance de l'âme.
B) Enjeu moral.
Avec le dualisme de l'âme et du corps, Descartes délie ce qui en nous doit être rapporté à l'âme et ce qui doit l'être au corps. Il identifie le sujet à ce qui le rend possible, à savoir au sujet pensant. Par là, Descartes le purifie de son épaisseur charnelle et le convoque à une tâche éthique.
De fait, dès lors que je suis une chose qui pense, j'ai le savoir de tout ce qui se passe en moi. Souvenons-nous que cela ne signifie pas que je peux toujours me l'expliquer. Mais je ne peux pas éprouver un désir, fùt-il obscène ou être traversé par un fantasme sans m'en apercevoir. Simplement je ne peux pas considérer que ces vécus s'originent dans l'activité de ma conscience. Alors comment les rendre intelligibles ?
Là où Freud invitera à lire la manifestation d'un inconscient psychique, Descartes propose de lire l'effet dans l'âme d'un mécanisme qui est celui de la matière. « On doit attribuer au corps tout ce qui peut être remarqué en nous qui répugne à notre raison » Passions de l'âme. Art. 47.
C'est que, ce sujet pensant que je suis est lié à un corps et à travers lui à l'extériorité. Tout ce qui est confus dans mon expérience psychique s'explique dans le cadre du dualisme comme l'expression de la passivité de l'âme subissant les effets des mécanismes corporels. Ceux-ci excitent en l'âme des pensées (Descartes les appellent des pensées confuses ou des pensées d'imagination) ou des mouvements (des volitions, des désirs) se produisant indépendamment de la spontanéité ou de l'activité du sujet pensant. Il distingue ainsi : les passions de l'âme et les actions de l'âme. Si une pensée d'imagination est une passion de l'âme, une pensée d'entendement est une action. De même si la volonté est une action, désirer n'est souvent qu'une passion.
Là où Freud discernera une intentionnalité psychique inconsciente, un autre moi qui pense, parle, désire (ça parle, ça pense dit Freud), Descartes demande héroïquement de pointer la passivité de notre âme. (Passions, affections de l'âme dit Descartes).
Il faut bien comprendre que toute anthropologie a des enjeux pratiques, que toute psychologie engage une morale.
Si le dévoilement freudien de notre réalité psychique fait le fonds de commerce des psychanalystes et transforme en tâche thérapeutique ce que la philosophie a traditionnellement défini comme une tâche spirituelle et morale; le dévoilement cartésien s'inscrit dans le droit fil de cette tradition. Car il est clair qu'une analyse pointant une passivité de l'âme contient par là même une exhortation à rompre avec cette passivité et à nous réapproprier par l'action de penser, de juger et de vouloir la maîtrise de notre être.
Descartes fonde ainsi une morale de la liberté et de la responsabilité s'accomplissant dans la vertu de générosité.
A méditer : « Descartes est dans les faits le vrai fondateur de la philosophie moderne en tant qu'elle prend la pensée pour principe. L'action de cet homme sur son siècle et sur les temps nouveaux ne sera jamais exagérée. C'est un héros. Il a repris les choses par le commencement et il a retrouvé le vrai sol de la philosophie auquel elle est revenue après un égarement de mille ans » Hegel. Leçons sur l'histoire de la philosophie.
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Bonjour
D’abord j’attire votre attention sur la nécessité de respecter quelques règles élémentaires de politesse lorsqu’on s’adresse à quelqu’un. Par exemple quand on sollicite un service on ne se dispense pas d’un « s’il vous plaît » et d’un « merci d’avance »
Pour ce qui est de Descartes, votre propos témoigne d’une grande confusion. Si vous aviez opposé au « je pense,donc je suis », un « je me lave donc je suis », on pourrait encore comprendre le sens de la question, mais dire « je pense donc je me lave »relève d’une totale absurdité.
Je vous renvoie donc au texte et au cours pour vous approprier la signification. Vous comprendrez que la conscience étant l’intuition que l’esprit a de ses états et de ses actes, je ne peux pas exercer cette faculté sans avoir la certitude de ma propre existence comme sujet pensant aussi longtemps que je pense.
Quant à votre choix universitaire, il n’y a que vous qui pouvez décider de l’orientation de votre existence. Il ne faut pas avoir son centre de gravité dans le jugement des autres (cela s’appelle l’aliénation) mais dans son propre jugement (cela s’appelle l’autonomie).
Bien à vous.
Bonjour Madame
Je découvre votre site avec bonheur.
Depuis longtemps, je m’interroge sur des questions « philosophiques ».
Mais je suis un peu comme un peintre qui aurait en tête de nombreux tableaux, mais qui ne saurait pas manier les pinceaux ou mélanger les couleurs.
Cela finalement ne sert à rien, il me manque la méthode.
Car philosopher, bien sûr, ce n’est pas penser n’importe quoi n’importe comment.
Vous pourrez sans doute m’aider.
Quand Descartes dit que la seule certitude que l’on peut douter de tout sauf que l’on doute( je résume), est ce vraiment vrai?
Puis je douter du fait que mes pensées ne peuvent être véritablement quelconques, même completement farfelues? qu’elles semblent obéir à une sorte de necessité extérieure à moi , incontournable , et que au final, je ne peux penser véritablement n’importe quoi, il y aura, au bout du compte toujours une cause extérieure à moi, absolument inconnaissable, qui déclenchera ma pensée?
Et une question directe: quelle est votre définition de la conscience?
J’espère que vous ne trouverez pas mes questions stupides, et meme si c’est le cas, que vous me donnerez votre aide pour y voir plus clair.
Cordialement
Bonjour
Vos questions ne sont pas stupides, elles sont simplement confuses.
Avec le cogito, Descartes établit que je peux douter de tous les contenus de ma pensée, mais je ne peux pas douter que je doute ou que je pense, (le doute est en effet une opération de la pensée). Peu importe que mes pensées soient produites en moi par autre chose que l’activité de ma pensée, cela ne m’empêche pas de savoir que je les pense, et au moment où je les pense je suis certain d’être cet être qui les pense. La distinction que Descartes va faire entre les pensées d’imagination et les pensées d’entendement, ou entre les actions de l’âme et les passions de l’âme n’entre pas en considération ici.
Comme il s’agit d’une méditation, efforcez-vous de recommencer la démarche de Descartes par votre propre effort, vous en découvrirez la puissance par vous-même.
Par exemple, que faîtes-vous au sortir d’un cauchemar pour tracer la frontière entre le réel et l’imaginaire? Vous essayez de vous assurer de votre propre existence pour distinguer les ordres.
Pour ce qui est de la définition de la conscience, voyez https://www.philolog.fr/la-conscience/
Tout chapitre est précédé d’une présentation de chapitre où les définitions sont précisées.
Bien à vous.
Vous pourriez préciser que le développement sceptique un peu pompeusement nommé « le Cogito » n’est sans doute qu’une réminiscence de Plaute avec lequel on enseignait le latin. C’est dans Amphytrion :
« Sed quom cogito, equidem certo idem sum qui semper fui.
Gnovi herum, gnovi aedeis nostras; sane sapio et sentio. »
Lisez-le en contexte si vous n’êtes jamais tombée dessus, c’est assez frappant, et cela a changé ma perception de cette démonstration et de cette formule qui m’avait toujours parue oiseuse : en fait, ce fut d’abord une bouffonnerie qui moquait les philosophes de la nouvelle académie (sceptique) en vogue à l’époque de Plaute.
Merci par ailleurs pour cette synthèse intéressante sur laquelle je suis tombé en cherchant les 4 règles du bon Descartes.
Bonjour
Le cogito est une expérience fondatrice de la philosophie moderne. Ne voir en lui qu’une formule oiseuse ou une réminiscence d’une bouffonnerie revient à manquer la signification fondamentale de ce monument de la philosophie.
Merci pour la référence.
Bien à vous.
Bonjour,
Je crois que je comprends sans comprendre. Je veux dire, abstraitement, il me semble que je saisis sa démarche mais il suffit que je m’interroge pour ne plus en voir que les étrangetés. Par exemple, pourquoi Descartes ne dit-il pas : « Je pense, je vis? » Cette affirmation en tant qu’elle englobe la certitude de l’existence du corps, et du monde puisque le corps est immédiatement inscrit dans le monde, rend impossible le doute hyperbolique. Je veux dire je ne peux pas douter de l’existence du monde et de mon corps quand j’affirme que j’existe ou que je vis, ce qui revient au même, non?
Merci MDoche
Bonjour
Non, cela ne revient pas du tout au même. Vos remarques témoignent que vous ne comprenez pas le propos de Descartes. Par exemple, voyez bien que la certitude du cogito procède du doute hyperbolique, elle ne lui est pas antérieure comme le suggère votre formule: « cette certitude rend impossible le doute hyperbolique ».
Le cogito est le résultat d’une démarche par laquelle Descartes a remis en cause tous les contenus de son esprit. Et il découvre qu’il peut douter de tout, par exemple de ce qu’il sait de lui-même par l’intermédiaire de ses sens (comme être un corps, respirer, marcher) sauf du fait qu’il doute, ou qu’il pense. La certitude de sa propre existence est coextensive à un acte de penser. D’où la suite de la méditation consistant à interroger la nature de cet être qui est certain d’exister. Voyez la partie consacrée à l’explicitation du sens du cogito.
Bien à vous.
Bonsoir
Je suis vraiment surpris de votre réponse. Ce que j’ai voulu vous dire c’est qu’il ne me semble pas possible d’isoler la pensée du sentiment immédiat de son propre corps, quelque effort spéculatif que l’on fasse. Une pensée désincarnée n’a pas de sens selon moi. Dire que « la certitude de sa propre existence est coextensive à un acte de penser » c’est faire de ce sentiment immédiat de soi-même une certitude seconde. Or, c’est cette coupure, cette vue de l’esprit qui me paraît immédiatement faussée par la présence du corps (Le corps-sujet). En lisant les objections des phénoménologues dans vos cours, il m’a semblé que je n’avais pas tort… enfin il m’a semblé…
MD
Bonjour
On ne comprend rien à la méditation cartésienne si on ne voit pas que l’enjeu est la découverte d’une certitude susceptible de résister aux plus extravagantes objections des sceptiques. Or la certitude sensible de mon corps n’y résiste pas. Descartes ne nie pas la réalité d’une telle certitude pragmatique bien suffisante pour l’usage de la vie. Il ne nie pas que la séparation anthropologique entre l’âme et le corps n’a de sens que spéculativement. Mais ce moment spéculatif est essentiel à l’expérience philosophique pour autant que celle-ci fait de la pensée le point fixe, le principe sans lequel il n’y a pas de mesure du vrai et du faux pouvant prétendre à l’universalité.
Vous pouvez vous mettre à distance de votre corps, même si on n’échappe pas absolument à la corporéité, vous pouvez vous mettre à distance des contenus de votre pensée, vous ne le pouvez pas de l’instance permettant ces opérations. « La pensée est un attribut qui m’appartient, elle seule ne peut être détachée de moi » dit l’auteur. Il y a là une vérité à expérimenter, quelles que soient les objections que l’on puisse ensuite faire à la construction théorique du sujet que Descartes fonde sur cette expérience.
Cf. L’ambiguïté de l’expérience humaine du corps. Ni pure extériorité, ni pure objectivité certes, mais pas davantage pure subjectivité. https://www.philolog.fr/ai-je-un-corps-ou-suis-je-mon-corps/
Bien à vous.
Ah oui d’accord, merci beaucoup! C’est vraiment on ne peut plus clair maintenant.
Bonjour Simone,
je vous remercie de m’avoir redirigé vers cet article, que j’ai lu puis relu et enfin re-relu. Il me semble que le passage qui m’est le plus intéressant est le suivant:
« Il découvre qu’il peut douter de tout sauf de lui même en tant qu’il doute. Pour que le mauvais génie me trompe, il faut que je pense. Je peux douter de tout mais je ne peux pas douter du fait que moi qui doute, je suis. »
Corrigez moi si je me trompe, cependant j’ai l’impression que le libre-arbitre est le postulat de départ de la pensée cartésienne. Car sans ce libre-arbitre, JE ne pense pas.
La doute méthodique cartésien n’est pas sans rappeler la philosophie bouddhiste, qui, dans sa pratique de la méditation de pleine conscience, essaie de nous rendre compte que nos sentiments, sensations ne nous sont pas propres à nous mêmes. Et qu’il nous faut les observer si l’on veut se rapprocher de la vérité/raison. Cette dernière va même encore plus loin en postulant que nos pensées ne sont pas notre.
En vous remerciant encore une fois pour vos explications et à la mise à disposition de tout ce savoir.
Bien cordialement.
Bonjour
Quelle que soit la nature du sujet en jeu dans l’expérience cartésienne, il n’en demeure pas moins qu’il s’assure de sa propre existence dans l’intuition qu’il a de son acte de pensée.
La question du libre arbitre, de la nature du sujet vient après.
Pour l’une voyez la critique nietzschéenne ici:https://www.philolog.fr/la-critique-de-lanalyse-cartesienne/
Pour l’autre:https://www.philolog.fr/libertedeterminisme-la-question-epineuse/
Bien à vous.
Bonjour Simone,
je vous remercie encore d’entretenir le dialogue qui me permet, et à tous les autres lecteurs et commentateurs de votre blog, d’approfondir leurs pensées.
J’ai du mal à saisir pourquoi la question du libre-arbitre viendrait après l’acte de pensée.
« Je peux douter de tout mais je ne peux pas douter du fait que moi qui doute, je suis »
Mais si mes pensées ou mon doute peuvent être déterminés par une quelconque loi physique, sont-elles encore « miens » ?
N’a-t-on pas besoin de ce libre arbitre pour pouvoir apposer ce sujet « Je » devant « pense » ?
J’ai lu à plusieurs reprises les articles que vous m’avez conseillé et j’ai l’impression que mon doute rejoint la notion d’illusion substantialiste que vous développez dans votre article sur la critique de l’analyse cartésienne.
Bien cordialement.
Bonjour,
à ma surprise il semblerait que mon commentaire ait été supprimé (ce qui m’est par ailleurs arrivé lors d’un précédent message). Je recommencerais donc en espérant que celui-ci passe les mailles de votre modération, puissiez vous d’ailleurs m’expliquer les raisons de votre censure ?
Je vous remerciais donc du partage de votre savoir et des réponses que vous apportiez à tous de par les commentaires de ce blog. Egalement d’avoir apporté d’autres lectures à ma connaissance.
Je ne saisis pas pourquoi la notion de libre-arbitre intervient après l’intuition de l’acte de pensée.
« Je peux douter de tout mais je ne peux pas douter du fait que moi qui doute, je suis »
Or si mes pensées et mon doute sont déterminés par une quelconque loi physique, ces pensées sont-elles encore « miennes » ?
N’a-t-on pas besoin du libre-arbitre pour apposer ce « Je » devant « pense » ?
Si les raisons de votre modération proviennent d’une mauvaise compréhension de vos explications, croyez moi que je me donne bien du mal et du temps pour les analyser et que je suis ouvert à toute critique concernant mes interprétations.
Bien cordialement.
Bonjour
Un commentaire en attente de modération n’est pas un commentaire supprimé. Simplement, je ne suis pas tenue de répondre sur le champ.
Que la pensée soit l’activité d’une substance pensante ou non, que la chose pensante dispose ou non du libre arbitre, il n’en demeure pas moins que tout un chacun peut se poser la question: qu’est-ce que je peux tenir pour certain dans les représentations de mon esprit? à la manière de Descartes. Faisant l’expérience qu’au moment où l’on pense ou doute, on a la certitude existentielle de son être, on est conduit logiquement à se demander: quelle est donc la nature de ce quelque chose qui pense?
C’est à partir de là que les véritables problèmes commencent car il n’y a aucune nécessité à que ce quelque chose soit une substance (la substance pensante) distinguable ontologiquement d’une autre substance (la substance étendue), avec tout ce qui découle de cette séparation anthropologique.
Bien à vous.
C’est extrêmement clair, merci pour vos explications et mes excuses pour avoir cru m’être fait modéré.
Bien cordialement.
Bonjour,
C’est sur l’introduction et en particulier sur l’argument du rêve que je vous demanderais des précisions.
En quoi le rêve ne remet-il pas en cause les mathématiques ? Peut-on être absolument sûr que nous ne rêvons pas ?
Si nous ne n’avons pas l’illusion de vivre, et que l’on vivait vraiment; il arrive bien des fois où je me lève, où la journée se passe et que je me demande si j’ai rêvé certains moments de la veille ou si je les ai réellement vécu. Les questions sont alors : il y-a-t-il un moyen de distinguer les rêves de la réalité ? Et dans ce cas, peut-on préférer de vivre dans ses rêves ?
En vous remerciant d’avance.
Bonjour
-Le rêve ne remet pas en cause les mathématiques par ce que les objets mathématiques (le nombre, la figure) ne sont pas des objets sensibles. Ce sont des idéalités. C’est l’esprit que les fait exister en les définissant et en précisant la loi de leur construction. Ex: le cercle est la ligne formée par l’ensemble des points équidistants d’un point appelé centre.
-On ne peut s’assurer que l’on ne rêve pas qu’en s’assurant de sa propre existence par un acte de la conscience qui ne peut être que celui d’une conscience éveillée. Le rêveur ne se demande pas s’il rêve ou non. Seule une conscience qui se réfléchit elle-même dans la prise de conscience le peut.
-Oui au sortir d’un rêve, la frontière entre le rêve et la réalité peut être brouillée. C’est pourquoi on s’assure par un acte de conscience de sa présence à soi-même pour la tracer.
-La question de savoir si l’on peut préférer vivre dans ses rêves relève d’une autre problématique. Certains ne s’en privent pas mais ce n’est un gage ni de lucidité, ni de courage.
Bien à vous.
Bonjour madame
J’avais oublié que je vous avais posé ces questions, et , par hasard, en revenant sur le site, je découvre votre réponse, dont je vous remercie.
J’ai également lu les autres interventions et les autres réponses.
Je cherchais dans la philosophie des outils pour comprendre, entre autres, le prodigieux miracle qu’est la conscience, et le fait que je sois conscient qu’elle soit là.
Mais je me suis rendu compte que ma démarche était vouée à l’échec.
Je comprends , bien sûr, tout ce qui se dit, mais au bout du compte , si tout est analysé, raisonné et bien décortiqué avec logique et honneteté, tout passe toujours par moi.
Le solipsisme, bien que pouvant être considéré comme une attitude tres probablement déraisonnable reste cependant inattaquable, en toute rigueur.
L’intersubjectivité pré- suppose l’existence d’un monde exterieur, des autres, et alors le problème est résolu.
Ma recherche de la nature de la conscience passera toujours par ma conscience.
Et je me retrouve dans la situation d’un bonhomme qui voudrait se soulever de terre en tirant sur le col de sa chemise.
S’il se soulève de terre , c’est que quelqu’un d’autre tire sur le col,c’est incontestable.
Je préfère donc retourner à mes chères mathématiques et à ma chère physique, et admettre que la vérité ultime m’est inconnaissable.
Je dois me contenter d’un monde peut etre illusoire , mais cohérent.
Kant, Nietzche, Descartes, etc…ont passé une vie à élaborer des idéologies cohérentes, mais pas convergentes, et qui le demeurent, ce qui me trouble beaucoup.
La science physique a aussi ses penseurs avec des divergences, mais au fil du temps, les divergences se normalisent, voyez Newton avec Einstein, par exemple.
Je ne dis pas du tout que la philosophie est une discipline inutile, mais seulement que pour une personne comme moi, elle n’apporte pas de solution satisfaisante à mes problèmes.
Je tiens à vous remercier en tous cas pour votre rigueur et votre compétence,réellement impressionnantes.
Très cordialement.
Bonjour Madame
Je vois que vous ne m’avez pas répondu.
J’espère que je ne vous ai pas offensé avec mon message.
Il n’est absolument pas méprisant vis à vis de la Philosophie en général.
C’est juste mon point de vue et seulement celà.
Bien cordialement
Bonjour Monsieur
J’ai reçu votre message comme un témoignage et non comme une question qui m’était adressé. Voilà pourquoi, je me suis contentée de l’approuver.
En revanche il est à l’origine du dernier article que j’ai mis en ligne. En vous lisant, j’ai immédiatement pensé à la distinction kantienne reprise par Hannah Arendt entre « penser » et « connaître ». https://www.philolog.fr/hannah-arendt-le-besoin-de-penser-nest-pas-lappetit-de-savoir/#more-4861
Il va de soi que je n’ai lu ni mépris, ni offense dans votre propos.
Je profite au contraire de cette réponse pour vous remercier chaleureusement d’avoir revivifié en moi la mémoire de ce texte de Hannah Arendt.
Bien à vous.
Bonjour madame Manon
Je vous remercie beaucoup pour votre lien.
Je ne connaissais pas Hannah Arendt.
Je vous avoue que faire des distinctions entre faculté de penser, faculter de juger, besoin de savoir, etc… me semble louable, parce que cela fait travailler notre intellect, mais reste ma question toujours la même: pour quoi faire?
Cela va -t-il me faire progresser, évoluer, devenir plus « intelligent » (au sens de plus profondément comprenant) dans mes interrogations sur le « réel », la conscience?
Je ne le crois pas. Ces jongleries intellectuelles , même si elles sont d’une extrême habileté et parfaitement cohérentes restent des jongleries intellectuelles.
Peu m’importe d’étiquetter avec soin les bocaux de ma pharmacie, si je suis incapable de les ouvrir.
Je suis aussi gêné par le fait que , en philosophie, j’ai remarqué que l’on passe beaucoup de temps à étudier les opinions et les théories de quelques personnes connues.
Certes ces personnes ont une réelle et incontestable autorité dans le domaine, mais au bout du compte, elles ne font qu’exprimer leurs opinions; contestables, donc, comme toute opinion.
Mais il est vrai que certains contestent même des théories établies comme le relativité restreinte(j’ai vu un cas récemment).
J’aimerais bien un jour discuter avec vous de vive voix; car ces échanges sur clavier sont trop limités.
La voix, le regard, l’expression corporelle,( je veux dire le body language, excusez moi), tout ceci fait partie de la communication et c’est très important pour bien exprimer sa pensée.
J’espère que vous comprennez ce que je veux vous dire, avec mon langage de tous les jours.
Amicalement.
Bonjour Monsieur
Réduire les analyses des philosophes à un exposé d’opinions revient à les manquer dans leur dimension philosophique. Car penser n’est pas opiner et toute la difficulté est sans doute de comprendre la différence. Les grands penseurs permettent à notre propre pensée de prendre conscience d’elle-même. Ce qui implique d’acquérir le sens du problème, d’explorer diverses possibilités de réponses avec leur cohérence mais aussi leurs limites, d’affronter l’ambiguïté des choses et des êtres, bref, d’exister comme un être vivant, non comme un somnambule, disait Hannah Arendt.
Elle comparait la pensée à un grand vent ou une tempête nous empêchant de nous reposer dans une quelconque certitude, sans que cet éveil rime avec nihilisme ou scepticisme. C’est là une expérience que nul ne peut faire à la place d’un autre. Votre témoignage montre qu’on ne peut pas en parler correctement en lui étant extérieur.
Pour ce qui est de l’échange verbal, il ne faut pas méconnaître que ce que vous appelez « le body language » peut faire écran à l’essentiel, c’est-à-dire au sens en ce que ce dernier est un invisible.
Bien à vous.
Bonjour Madame Manon
Merci pour votre réponse.
Je ne pense pas que nous pourrons trouver un accord sur ce sujet.
Pour moi, une affirmation ou une négation qui ne recueille pas systematiquement l’adhésion de tous, reste une opinion, plus ou moins discutable, mais discutable.
Bonne ou mauvaise, bizarre ou pas, effroyable ou agréable, etc… on peut lui adjoindre tous les qualificatifs et leurs contraires, cela reste un point de vue, une théorie, si on veut rester plus « enseignement ».
Le danger est que tout le monde peut exprimer une opinion ou developper des idées, mais très peu peuvent créer une théorie universellement admissible.
Je n’ai besoin de personne pour que ma pensée prenne conscience d’elle même, mais j’ai besoin de savoir ce qui a été pensé avant moi, soit pour gagner du temps en ne re-découvrant pas un chemin déja mille fois parcouru, soit pour réaliser que tel ou tel chemin est possible.
Comparer la pensée à un grand vent ou une tempête qui nous empêchent de nous assoupir dans la certitude, sans tomber dans le nihilisme ou le scepticisme, c’est donner une juste image, certes;mais qu’est que cela signifie, en définitive? Qu’il faut essayer d’utiliser notre faculté de penser le plus efficacement et honnêtement possible ?d’être le moins stupide et aveugle possible? sans accepter ni préjugés ni renoncer à accroître notre savoir?
Vous ne m’avez pas cité , mais j’ai déjà dit ça à mes enfants.
Pour l’échange verbal, si vous supprimez la présence directe des interlocuteurs, vous supprimez toute les possibilités de nuancer finement la pensée, le ressenti, les doutes éventuels, les réserves.
Quand vous écrivez « A est vrai » il n’y a pas de nuance, pas de choix pour le lecteur.
Si vous dites à quelqu’un « A est vrai », la façon dont vous le dites renferme bien plus d’information sur ce que vous pensez vraiment et peut ouvrir la porte à d’infinis échanges.
Ce système de communication sans paroles convient bien aux mathématiques, mais là, on ne plus d’échange d’idées mais de confrontations de résultats.
Cela peut se faire à distance sans problème, beaucoup le font d’ailleurs, même en langage SMS.
Il est vrai que ce que je nomme ironiquement le « body language » quand il est non contrôlé et excessivement envahissant va perturber la communication, cela arrive souvent.
Et d’ailleurs dans ce cas , il faut partir et arrêter de communiquer.
J’espère que malgré nos opinions différents sur le sujet, nous pourrons continuer à dialoguer avec ou sans « body language ».
Car la discussion avec une personne intelligente et documentée permet toujours d’ouvrir une petite porte à la réflexion.
Pour copier un peu sur Hannah Arendt, je dirais que c’est comme un petit zéphyr très doux qui soulève légèrement le rideau qui en masquait la poignée.
A plus tard , j’espère.
Bonjour Monsieur
Pas de problèmes pour un échange ultérieur si j’ai la compétence pour vous répondre.
Bien à vous.
Bonjour madame Manon
Je n’ai aucun doute sur le fait que vous ayez la compétence requise, et même certainement au delà.
Ni sur le fait que vous sachiez parfaitement dire « je ne sais pas », quand vous ne savez pas.
J’espère que cette restriction de votre part ne vient pas du fait que je vous aurais offensée dans mes commentaires, ce serait en tous cas bien involontaire.
Un peu d’humour n’est jamais mauvais dans les échanges, avec ou sans « body language »..
J’ai pas de mal de sujets qui m’interessent, mais n’oubliez pas que je n’ai pratiquement pas de culture philosophique; je veux dire par là que je n’ai pas lu de A à Z tous les grands penseurs.
Mais je possède une solide culture scientifique.
Je me mets simplement dans la peau d’un de vos élèves pour poser mes questions.
J’espère que vous accepterrez de m’aider dans ma quête de vérité.
Cordialement.
Bonjour Monsieur
Décidément vous avez tendance à me supposer une susceptibilité qui m’est totalement étrangère.
Vous avez vous-même conclu en précisant qu’il ne peut pas y avoir accord sur notre différend. C’est exact. Vous demandez à la pensée ce que seule la connaissance peut apporter or pour les questions ultimes qu’affronte l’acte de penser, il n’y a pas de connaissance au sens scientifique possible. Ce qui ne signifie pas que penser consiste à opiner. Mais à quoi bon répéter des significations qui sont amplement développées sur ce blog?
Bien à vous.
Bonjour madame Manon
Il peut exister des désaccords , ce qui n’empêche pas la discussion.
Mais en fait, je dois faire le constat honnête et sans aigreur que je ne suis pas capable de disserter à l’infini sur les significations developpées sur ce blog.
Pire, que cela ne m’interesse pas tellement, finalement, vous excuserez ma franchise, j’espère.
Je sens bien que nous pourrions avoir des échanges interessants.
Mais il faudrait que je vous pose 1000 questions, que je vous parle de mes interrogations profondes; nos échanges ici sont bien trop informels et formatés pour me faire progresser.
Et puis, tout n’est pas résoluble par la simple raison rationnelle,en philosophie comme en Sciences; de celà seulement, je suis certain.
Si philosopher c’est ce que j’ai pu lire ici et sur d’autres sites, il me faut en conclure que la philosophie, ce n’est pas un outil pour moi; car cela ne m’apporte pas de réponse véritablement éclairante sur les questions fondamentales (nature de la Conscience, origine de l’Univers , et autres).
Je suis néanmoins content d’avoir essayé de dialoguer avec une personne professionnelle de la discipline.
Je vous remercie sincèrement de m’avoir à chaque fois répondu et je vous souhaite bonne route ainsi qu’à vos élèves.
Bien à vous.
Je profite de ce court message pour vous remercier de votre contribution monsieur Boudic et madame Manon. Votre échange est intéressant et pourrait parfaitement illustrer un dialogue transposé à la littérature – une sorte d’échange épistolaire moderne-
…et que cela vous ait inspiré la rédaction du texte sur Arendt est tout à fait remarquable.
Je n’ai pas immédiatement le temps de revenir sur chaque point qui m’est apparu pertinent dans cet échange et ne peut dès lors pas préciser ma pensée.
Je souhaiterais néanmoins vous suggérer, monsieur Boudic, l’écoute et la lecture de Michel Bitbol, philosophe phénoménologue qui traite de la question de la conscience avec une rigueur scientifique qui pourra éveiller en vous sinon pas la certitude, possiblement un doute d’un ordre nouveau.
Je fini en vous remerciant, madame Manon, pour votre généreuse contribution. Répondre avec tant d’implication requiert du temps… une denrée qui se fait rare de nos jours.
Cordialement
Merci pour ce sympathique message.
Bien à vous.
Bonjour Madame Manon,
En complément de ce cours, je me permets de suggérer l’exemple d’un parachèvement de la philosophie cartésienne dans le travail et l’action. Il s’agit de l’élève d’Alain, dont la mort prématurée nous a privé des développement d’une pensée originale, qui s’est efforcée de marier sagesse hellénique (Platon) et rationalisme moderne (Descartes, Kant). Nous avons là une ré-édition contemporaine intéressante de la pensée cartésienne, avec un attachement à la la sagesse des Anciens. En philosophe du travail, Simone Weil est cartésienne jusqu’à la rencontre avec le monde extérieur, où la sortie de l’idéalisme est nécessaire pour embrasser une sagesse du travail. Elle voit une affinité spirituelle entre Platon et Descartes (ses deux grands maîtres) dont elle dit qu’ils sont les incarnations d’un même être, même si elle considérera, en helléniste aussi bien passionnée qu’intransigeante, que seul le premier peut prétendre à la qualité de philosophe, puisque « depuis la disparition de la Grèce il n’y a point eu de philosophe véritable », comme l’a cru Nietzsche aussi.
Je recommande particulièrement la lecture de l’article de Robert Chenavier, « les méditations cartésiennes de Simone Weil », facilement accessible sur Internet. Il explique bien, avec Anissa Castel-Bouchouchi dans « le platonisme achevé de Simone Weil », les liens de parenté de la pensée weilienne avec l’héritage idéaliste antique (Platon) et moderne (Descartes).
Vous avez aussi les articles de votre consoeur Monique Broc-Lapeyre (qui tient un blog philosophique aussi merveilleux que le vôtre: « Chemins de traverse de la philosophie ») et d’Emmanuel Gabellieri.
Meilleures salutations,
Y.M.
Merci pour ces suggestions.
Bien à vous
Un grand merci à vous, tout simplement. Je vous lis 40 ans après mes cours de philo en terminale et c’est un plaisir de pouvoir comprendre, en vous lisant, des pensées complexes. J’espère pouvoir prendre le temps de continuer ainsi à cheminer grâce à votre blog.
Merci pour ce don de votre travail.
Bonjour
Merci pour ce sympathique message.
Bien à vous.
Bonjour madame Manon
En parcourant le net pour élargir et affiner mes connaissances, je me suis surpris a revenir vers la philosophie .
J’avais complétement oublié nos échanges des années passées et je les ai re-decouverts avec joie.
Je suis arrivé au bout de ce que je pouvais espérer attendre de la physique et de la mécanique quantique en particulier.
Une compréhension satisfaisante ndu monde grâce à cette science est hors de ma portée intellectuellement.
Il me manque quelques neurones…
Et de plus je que je pense que j’ai besoin d’un autre outil moins formel,bien que cette discipline jette des ponts entre physique »dure » et philosophie.
Alors je fais amende honorable et tempère mes propos passés.
Et je vous remercie de la courtoisie dont vous avez fait preuve à mon égard.
Je profite de cet heureuse circonstance pour vous poser une question qui me tracasse un peu.
Lorsque je pense a un objet ou une chose quelconque disons que je pense à l’entité que je nomme A
Est il insensé de douter du fait que je pense ,A et non pas autre chose?
Un malin génie tel que PASCAL l’a inventé pourrait il arriver à me tromper jusque là ?
cette question me semble complètement aberrante mais pourtant je me la pose.
J’espère que vous me donnerez votre sentiment là dessus
Très cordialement
Bonjour
En termes cartésiens, je peux douter de ce que je pense sur A (par exemple que je confonds A et Non A) mais je ne peux pas douter que je le pense.
PS: On doit à Descartes l’idée d’un malin Génie qui se plairait à me tromper lorsque je raisonne.
Bien à vous.
Bonjour madame
Merci d’avoir pris le temps de me répondre.
Vous précisez « en termes cartésiens ».
Y aurait il d’autres « termes » dans lesquels
cette question aurait sens?
Ou bien n’est ce qu’une elucubration sans intérêt?
et bien sûr,vous avez raison, c’est bien Descartes le père du malin génie…
Pourquoi ai je écrit Pascal?
Bien cordialement
Bonjour
Parce que l’analyse de Descartes correspond à mon expérience, j’ai fait cette précision. Il me semble que celle-ci peut être universalisée mais n’étant pas omnisciente, j’évite toute forme de dogmatisme.
Bien à vous.
Bonsoir
Merci de m’avoir donné à méditer avec votre prudente et sage réponse.
Elle me rassure car elle est celle que me ferait probablement un physicien.
Bonne soirée
Bonsoir
C’est parce que j’ai pensé à la physique quantique que j’ai eu cette prudence.
Il y a eu un doublon sur votre message précédent mais pas sur celui-ci.
Bien à vous.
Bonsoir
Merci de m’avoir ôté le doute sur le doublon.
Ca fait toujours un doute de moins!
Je n’arrive pas à associer votre prudence à la mécanique quantique.
Cette dernière est une magnifique construction mathématique créée pour expliquer des faits physiques observables et reproductibles , inexplicables par la mécanique classique.
Mais les mathématiques nécessaires à cette construction sont,sauf pour des spécialistes éminents, inaccessibles tant elles exigent de connaissances sur des domaines étranges (espaces vectoriels complexes de dimensions infinies entre-autres ‘,)
Et aujourd’hui encore personne ne peut comprendre pourquoi le résultat d’une mesure est choisi parmi un nombre infini d’autres résultats,valeurs propres d’un opérateur associé a l’objet observé.
Cela se passe ainsi,on ne sait pas pourquoi.
Finalement c’est très proche de ce que nous faisons quand nous disons : » je vois une fleur »
On peut élaborer des théories sur la rétine,le nerf optique,etc.. mais au final on ne sait pas pourquoi c’est ainsi.mais on voit une fleur on en a conscience.
Conscience,le mot est lâché..
Peut être est ce cela qui a motivé votre prudence.
En tous cas, merci encore et très bonne soirée
.
Bonjour
Ce qui a motivé ma prudence c’est le caractère contre intuitif de cette théorie or le cogito n’a pas d’autre fondement que l’intuition que la conscience a d’elle-même.
Bien à vous.
Bonsoir madame MANON
J’ai réfléchi longuement sur votre réponse.
Pouvez vous m’expliquer un peu plus profondément ce que vous voulez dire par » l’intuition que la conscience a d’elle même » ?
Je bute sur ces mots parce qu’ils me confrontent a une sorte de circularité.
La conscience ne contient elle pas déjà l’intuition ?
Peut on dire alors que la conscience a conscience d’elle même ?
Je vous avoue que je suis un peu perdu.
J’espère que vous comprendrez mon embarras et que vous saurez m’aider à le dissiper.
PS: juste pour mieux me situer dans nos échanges , comment avez vous pris contact avec la mécanique quantique ?
Seule en lisant des articles ou des livres sur le sujet?
Ou bien en discutant avec des personnes familières avec ce domaine.?
Si ma question vous paraît indiscrète,ignorez là et veuillez ne pas m’en tenir rigueur.
Bien cordialement
Bonjour
Intuition = connaissance immédiate. Voyez sur ce cours le second enjeu du cogito.
L’épistémologie est une partie importante de la philosophie. On ne peut pas réfléchir sur les sciences si on en ignore radicalement les méthodes et les constructions théoriques même si, n’étant pas des spécialistes, c’est une connaissance de seconde main.
Bien à vous.
Bonjour
J’ai revu attentivement votre passage sur le second enjeu du cogito.
J’en retiens une phrase: »ma pensée et l’idée de ma pensée sont une seule et même chose ».
Cette phrase est suffisante pour mes capacités de compréhension.
Descartes ,au bout du compte, si je ne fais pas d’erreur doit admettre en définitive l’existence d’un Dieu infiniment bon pour ne pas être victimes du « malin génie ».
C’est une hypothese que certains partagent,d’autres non.
Je me méfie par ailleurs des connaissances de seconde main…la vulgarisation d’en nourrit bien souvent.
D’ailleurs y a t-il des connaissances de première main?
Mais je comprends que vous designez ainsi des connaissances moins approfondies que d’autres.
En vous remerciant (encore une fois !) pour ce s échanges enrichissants(pour moi) et en vous présentant mes excuses pour mon PS indiscret.
Très cordialement.
bonjour madame Manon,
je consulte régulièrement votre site, que je trouve très bien organisé et qui m’aide dans l’analyse de certaines notions.
Un grand merci à vous!
je souhaiterais solliciter votre aide pour la compréhension d’un texte d’eric Weil que voici. En vous remerciant par avance
« En vérité le problème qui se pose à celui qui cherche la nature du dialogue n’est nul autre que celui de la violence et de la négation de celle-ci. Car que faut-il pour qu’il puisse y avoir dialogue ? La logique ne permet qu’une chose, à savoir, que le dialogue, une fois engagé aboutisse, que l’on puisse dire lequel des interlocuteurs a raison, plus exactement, lequel des deux a tort : car s’il est certain que celui qui se contredit a tort, il n’est nullement prouvé que celui qui l’a convaincu de ce seul crime contre la loi du discours ne soit pas également fautif, avec ce seul avantage, tout temporaire, qu’il n’en a pas encore été convaincu. La logique, dans le dialogue, émonde le discours. Mais pourquoi l’homme accepte-t-il une situation dans laquelle il peut être confondu ?
Il l’accepte, parce que la seule autre issue est la violence, si l’on exclut, le silence et l’abstention de toute communication avec les autres hommes : quand on n’est pas du même avis, il faut se mettre d’accord ou se battre, jusqu’à ce que l’une des thèses disparaisse avec celui qui l’a défendue. Si l’on ne veut pas de cette seconde solution, il faut choisir la première, chaque fois que le dialogue porte sur des problèmes sérieux et qui ont de l’importance, qui doivent mener à une modification de la vie ou en confirmer la forme traditionnelle contre les attaques des novateurs. Concrètement parlant, quand il n’est pas un jeu (qui ne se comprend que comme image du sérieux), le dialogue porte, en dernier ressort, toujours sur la façon selon laquelle on doit vivre.
On ? C’est-à-dire, les hommes qui vivent déjà en communauté, qui possèdent déjà ces données qui sont nécessaires pour qu’il puisse y avoir dialogue – les hommes qui sont déjà d’accord sur l’essentiel et auxquels il suffit d’élaborer en commun les conséquences des thèses qu’ils ont déjà acceptées, tous ensemble. Ils sont en désaccord sur la façon de vivre, parce qu’ils sont en accord sur cette même façon : il ne s’agit que de compléter et de préciser. Ils acceptent le dialogue, parce qu’ils ont déjà exclu la violence.
Ils ne l’ont pas cependant exclue absolument. Au contraire, elle leur paraît nécessaire pour régler les différends qui peuvent s’élever entre eux et ceux qui n’ont pas l’avantage de vivre en communauté avec eux, ces êtres qui, tout en ayant l’extérieur d’êtres humains, ne sont pas des hommes de plein droit parce qu’ils ne reconnaissent pas ce qui fait l’homme. Ceux-là ne se sont pas encore élevés au-dessus de la nature ; ils ont beau posséder un faciès humain, on ne les comprend pas, ni ce qu’ils font, ni ce qu’ils disent ; ils font comme les barbares, ils pépient comme les oiseaux, ils ignorent le sacré, ils vivent sans honte ni honneur – tout juste bons à servir de machines intelligentes aux vrais hommes, si ceux-ci les domestiquent et leur donnent le statut qui, de par le droit de la nature, est le leur, celui d’esclave, d’être qui ne sait pas penser, mais qui sait agir comme un être vraiment humain dès qu’un maître pense à sa place et lui donne des ordres à exécuter. La violence est la seule manière d’établir un contact avec eux – et c’est pourquoi ils ne sont pas des hommes.
C’est entre les vrais hommes que la violence est interdite. Certes, elle n’est pas exclue de fait, elle n’est pas impossible, mais celui qui l’emploie se sépare par là-même des hommes et se met en dehors de ce qui les unit, en dehors de la loi. Il n’a plus part à l’héritage commun, car la violence est ce qui détruirait la communauté concrète des hommes, cette communauté dont le sens est de défendre tous ses membres contre la violence extérieure, celle de la nature, qu’elle se présente sous l’aspect du besoin ou qu’elle vienne des animaux à face humaine, des barbares. La communauté sait comment il faut se défendre contre le besoin : elle possède une science et une organisation du travail ; elle sait aussi comment résister aux barbares : elle s’est donnée une constitution politique et militaire. Or, celui qui, employant la violence à l’intérieur de la communauté, contre ses frères, détruit l’organisation et rend futile cette science qui ne sert qu’à condition que le travailleur puisse travailler en paix, celui-là est l’ennemi le plus dangereux de tous et de chacun. Si donc il surgit une divergence d’opinion entre les membres de la communauté, qu’on ne soit pas d’accord sur l’interprétation d’une règle de droit, sur l’application d’un procédé technique, sur le choix d’une ligne de conduite politique, la communauté toute entière a un intérêt vital à ce qu’on n’en vienne pas aux mains, mais qu’on s’entende, qu’on se limite à l’échange d’arguments. La communauté ne subsiste qu’aussi longtemps que le dialogue suffit à tout régler de ce qui peut diviser les membres.
Éric WEIL, Logique de la Philosophie, éd. Vrin, p. 24-25, 1950.
Bonjour
Voyez cet article pour éclairer votre lanterne. https://www.philolog.fr/quelle-pratique-de-la-parole-implique-lesprit-philosophique/
et les textes https://www.philolog.fr/parole-commune-parole-philosophique/
Bien à vous.
merci à vous pour vos articles!!
j’aurais aimé une précision quant à ce passage du texte de Weil, qui me pose véritablement problème. Comment l’entendez-vous?
« Ils acceptent le dialogue, parce qu’ils ont déjà exclu la violence.
Ils ne l’ont pas cependant exclue absolument. Au contraire, elle leur paraît nécessaire pour régler les différends qui peuvent s’élever entre eux et ceux qui n’ont pas l’avantage de vivre en communauté avec eux, ces êtres qui, tout en ayant l’extérieur d’êtres humains, ne sont pas des hommes de plein droit parce qu’ils ne reconnaissent pas ce qui fait l’homme. Ceux-là ne se sont pas encore élevés au-dessus de la nature ; ils ont beau posséder un faciès humain, on ne les comprend pas, ni ce qu’ils font, ni ce qu’ils disent ; ils font comme les barbares, ils pépient comme les oiseaux, ils ignorent le sacré, ils vivent sans honte ni honneur – tout juste bons à servir de machines intelligentes aux vrais hommes, si ceux-ci les domestiquent et leur donnent le statut qui, de par le droit de la nature, est le leur, celui d’esclave, d’être qui ne sait pas penser, mais qui sait agir comme un être vraiment humain dès qu’un maître pense à sa place et lui donne des ordres à exécuter. La violence est la seule manière d’établir un contact avec eux – et c’est pourquoi ils ne sont pas des hommes. »
Cordialement
Bonjour
Il faut se rappeler que les trois grands maîtres d’Eric Weil furent Aristote, Kant et Hegel. Le « vrai homme » (remarquez que l’expression est mise entre guillemets dans le texte d’où est extrait ce passage), est « celui qui se prescrit à lui-même d’être raisonnable ». Cela signifie que sa volonté est d’éradiquer la violence de son rapport au monde et de promouvoir une communauté d’êtres libres et égaux capables de résoudre les différends qui peuvent les opposer par le dialogue.
Mais la philosophie dont l’enjeu est d’éclairer le sens de notre condition ne doit jamais perdre de vue les enseignements de l’histoire « qui est la réalité humaine elle-même dans la violence de sa nécessité dialectique »
Le philosophe qui a exclu la violence est néanmoins toujours inscrit dans des situations l’exposant à faire usage de la violence, ce que Eric Weil montre en rappelant les conditions culturelles (politiques, sociales et économiques) de l’avènement de la philosophie dans la cité grecque. Cf les conditions d’émergence de la philosophie dans https://www.philolog.fr/pourquoi-philosopher/
Cf. l’opposition du grec et du barbare, la conception aristotélicienne de l’esclave.
A partir de cette réminiscence vous pouvez méditer, comme le fait Weil, la difficulté d’une attitude philosophique dans les situations historiques concrètes. Weil le fait dans une époque où la violence nazie se déchaîne.
Que faire en présence de celui qui refuse de faire le choix de la raison? Pour les Ukrainiens la question ne reste pas théorique.
Que faire lorsqu’à l’intérieur d’une communauté de statut juridique des individus refusent de se soumettre à la loi pour imposer par la force verbale ou autre leur point de vue?
D’où ce propos « le résultat paradoxal est donc que la violence n’a de sens que pour la philosophie, laquelle est refus de la violence. Ce n’est pas que la philosophie refuse la violence absolument, loin de là; on soutiendrait facilement qu’une philosophie qui se comprend comme voie de contentement recommande l’emploi de la violence, parce qu’elle est amenée à constater qu’elle doit se dresser contre la violence. Mais cette violence n’est alors que le moyen nécessaire (techniquement nécessaire dans un monde qui est encore sous la loi de la violence) pour créer un état de non-violence, et ce n’est pas la violence première qui est le contenu de la vie humaine, au contraire, la vie humaine n’aura de contenu humain qu’à partir du moment où cette violence seconde, dirigée contre la violence première par la raison et l’idée de cohérence, aura éliminé celle-ci du monde et de l’existence de l’homme: la non-violence est le point de départ comme le but final de la philosophie » « logique de la philosophie, p.59
Bien à vous.