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Descartes(5) 

«  Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort lentement, peuvent avancer beaucoup davantage, s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s'en éloignent.

   Pour moi, je n'ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun; même j'ai souvent souhaité d'avoir la pensée aussi prompte, ou l'imagination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample, ou aussi présente, que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci, qui servent à la perfection de l'esprit : car pour la raison, ou le sens, d'autant qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes, et nous distingue des bêtes je veux croire qu'elle est tout entière en un chacun, et suivre en ceci l'opinion commune des philosophes, qui disent qu'il n'y a du plus et du moins qu'entre les accidents, et non point entre les formes ou natures des individus d'une même espèce.

   Mais je ne craindrai pas de dire que je pense avoir eu beaucoup d'heur de m'être rencontré dès ma jeunesse en certains chemins, qui m'ont conduit à des considérations et des maximes, dont j'ai formé une méthode, par laquelle il me semble que j'ai moyen d'augmenter par degrés ma connaissance, et de l'élever peu à peu au plus haut point auquel la médiocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie lui pourront permettre d'atteindre. Car j'en ai déjà recueilli de tels fruits qu'encore qu'aux jugements que je fais de moi-même, je tâche toujours de pencher vers le côté de la défiance, plutôt que vers celui de la présomption ; et que, regardant d'un oeil de philosophe les diverses actions et entreprises de tous les hommes, il n'y en ait quasi aucune qui ne me semble vaine et inutile, je ne laisse pas de recevoir une extrême satisfaction du progrès que je pense avoir déjà fait en la recherche de la vérité, et de concevoir de telles espérances pour l'avenir que si, entre les occupations des hommes purement hommes, il y en a quelqu'une qui soit solidement bonne et importante, j'ose croire que c'est celle que j'ai choisie ».

                       Descartes. Discours de la méthode. Première partie.1637.

   Bon sens est synonyme de raison. C'est la faculté de juger c'est-à-dire de distinguer le vrai d'avec le faux sur le plan théorique ou le bien d'avec le mal sur le plan pratique.

   La justification que Descartes donne de son propos (Cf. car...) mêle subtilement ironie et générosité. « Chacun pense en être si bien pourvu que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils n'en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et de distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ».

  Descartes note ironiquement un fait : les hommes ne manquent pas de  motifs de plainte mais ils ne se plaignent jamais de leur jugement. Si difficile à se satisfaire en toutes choses, ils sont d'ordinaire contents de leur jugement.

  Est-ce à dire que tous jugent correctement ? Ce n'est certes pas ce que veut laisser entendre le philosophe du doute. Mais avant de pointer les faiblesses de ce contentement, il explicite ce qu'il signifie de positif. A savoir que les hommes n'ont pas tort de savoir qu'il y a en eux une dignité, une faculté les distinguant des animaux et les constituant comme des hommes à part entière. Descartes s'inscrit explicitement dans la tradition grecque. Aristote définissait l'homme comme un animal raisonnable. « Pour la raison ou le sens, d'autant qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes, et nous distingue des bêtes, je veux croire qu'elle est tout entière en un chacun, et suivre en ceci l'opinion commune des philosophes, qui disent qu'il n'y a du plus ou du moins qu'entre les accidents, et non point entre les formes ou natures des individus d'une même espèce ».

  Descartes rappelle ici, conformément au langage scolastique, qu'il faut distinguer ce qui appartient essentiellement à un être et ce qui le caractérise accidentellement. Ce qui appartient à son essence ou à sa forme est ce qui le définit dans son être, ce qui appartient à sa définition. Ainsi la raison définit l'humanité dans son essence. Retirez à l'homme sa forme raisonnable, il a cessé d'être un homme. Peu importe qu'il raisonne bien ou mal, ce n'est là qu'un trait accidentel, en revanche un être privé de raison n'est pas un homme.

  Dans la Cinquième partie, il soulignera que l'hébétude des sourds et muets ou le discours délirant des fous ne les exclut pas de l'humanité. Eux aussi participent de l'humaine condition même si accidentellement ils sont privés des moyens d'exercer correctement leur raison. ( « Car c'est une chose bien remarquable qu'il n'y a point d'hommes si hébétés et si stupides, sans en exceptés même les insensés, qu'ils ne soient capables d'arranger ensemble diverses paroles, et d'en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées et qu'au contraire il n'y a point d'autre animal tant parfait et tant heureusement né qu'il puisse être qui fasse le semblable [...] Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu'elles n'en ont point du tout [...] »).

  Les hommes ont donc bien raison de se sentir égaux par cette faculté qui les définit dans leur humanité et dignité. On sait que pour Descartes, cette faculté est la marque du créateur sur la créature, le principe de la supériorité ontologique de l'homme et ce par quoi il n'est pas, comme le simple corps ou matière dont il relève aussi, régi par le principe du déterminisme car en tant que substance pensante il dispose du libre-arbitre.

  Mais la justification s'arrête là car il ne suffit pas de disposer de la raison, encore faut-il en faire un bon usage. Ainsi si tous les hommes sont égaux par le fait de disposer d'une raison, ils ne le sont pas par la manière dont ils l'exercent.

  L'égalité des raisons n'empêche pas l'inégalité des esprits :

D'abord parce qu'il n'y a pas que la seule raison qui concourt à la perfection de l'esprit. Toujours avec le même souci de modestie, Descartes souligne qu'il lui est souvent arrivé d'envier la vivacité de tel esprit ou la capacité inventive, la puissance de l'imagination ou encore la prodigieuse mémoire de tel autre. Toutes ces dimensions de l'esprit contribuent à distinguer les uns des autres et à faire que certains sont plus puissants que d'autres.

 Ensuite parce que « ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien ». Le philosophe introduit ici l'idée de la nécessité de la méthode. La raison est nécessaire, elle n'est pas suffisante. A défaut de la conduire méthodiquement elle est inefficace. Or, ce qu'il y a sans doute de plus difficile est de procéder avec méthode.

    C'est si difficile que Descartes ne considère pas que cela soit à la portée de tous les esprits. Il le signifie lorsqu'il dit que la remise en cause de toutes les croyances à laquelle invite la première règle, c'est-à-dire la pratique du doute n'est pas un instrument à mettre dans toutes les mains. Il s'explique sur ce point dans la deuxième partie.

   Il commence par remarquer que les édifices les plus réussis sont ceux qui révèlent l'unité d'un projet méthodique comme en témoignent les monuments construits par un seul architecte, les villes conçues par un seul urbaniste, les constitutions élaborées par un seul législateur, un domaine de savoir construit par l'effort méthodique d'un seul esprit, ou la reconstruction du champ des sciences telle que Descartes l'envisage par le doute méthodique.

   Mais pas plus dans le domaine des sciences que dans celui de la religion ou dans celui de la politique, il n'est prudent d'inviter tous les esprits à la remise en cause radicale.

  « Jamais mon dessein ne s'est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées, et de bâtir dans un fonds qui est tout à moi. Que si mon ouvrage m'ayant assez plu, je vous en fais voir le modèle, ce n'est pas, pour cela, que je veuille conseiller à personne de l'imiter. Ceux que Dieu a mieux partagés de ses grâces auront peut-être des desseins plus relevés ; mais je crains bien que celui-ci ne soit déjà trop hardi pour plusieurs. La seule résolution de se défaire de toutes les opinions qu'on a reçues en sa créance, n'est pas un exemple que chacun doive suivre. Et le monde n'est quasi composé que de deux sortes d'esprit auxquels il ne convient aucunement : à savoir de ceux qui, se croyant plus habiles qu'ils ne sont, ne se peuvent empêcher de précipiter leurs jugements, ni avoir assez de patience pour conduire par ordre toutes leurs pensées ; d'où vient que, s'ils avaient une fois pris la liberté de douter des principes qu'ils ont reçus, et de s'écarter du chemin commun, jamais ils ne pourraient tenir le sentier qu'il faut prendre pour aller plus droit et demeureraient égarés toute leur vie ; puis de ceux qui, ayant assez de raison ou de modestie pour juger qu'ils sont moins capables de distinguer le vrai d'avec le faux que quelques autres par lesquels ils peuvent être instruits doivent bien plutôt se contenter de suivre les opinions de ces autres qu'en chercher eux-mêmes de meilleures ».

  Au fond la plus grande partie des esprits se répartit en deux catégories. D'une part les esprits présomptueux qui prétendent plus qu'ils ne peuvent et se condamnent à l'égarement chronique tant en matière politique, religieuse que scientifique. A bien observer le monde cette catégorie est certainement la plus répandue. D'autre part les esprits modestes qui, ayant connaissance de leur limite s'en remettent pour être éclairés à plus compétents qu'eux. Car Descartes l'avoue « sans avoir plus d'esprit que le commun, on ne doit pas espérer de rien faire d'extraordinaire touchant les sciences humaines ».

  Descartes ne réserve donc l'exercice du doute, la méthode du libre-examen qu'à un petit nombre d'esprits supérieurs. Est-ce à dire qu'il se compte au nombre de ceux-ci ? La réponse est embarrassante. Nul doute que comme tous les grands génies, Descartes devait avoir conscience de sa supériorité. Mais ce qui frappe dans le propos cartésien, c'est toujours la modestie. Ainsi lit-on, qu'il se serait plutôt senti participer de la seconde catégorie d'esprit si les circonstances de sa vie ne l'avaient pas mis en situation d'être insatisfait du savoir reçu, insatisfaction l'ayant conduit à définir une méthode dont il a expérimenté par lui-même la fécondité.

   Sa contribution à l'édifice du savoir ne vient donc pas d'une espèce de supériorité native, il insiste beaucoup sur le sentiment qu'il a de la médiocrité de son esprit (médiocre= moyen) ; elle découle de la méthode qu'il a eu la chance de mettre au point. Mais afin d'éviter l'écueil qui est celui des esprits présomptueux, et qui font qu'ils demeurent toute leur vie égarés, il s'efforce de retarder le plus possible le moment de la remise en cause radicale de toutes ses croyances pour se rapprocher du moment où grâce à sa méthode il sera capable de les remplacer par des connaissances véritables. « Je ne voulus point commencer à rejeter tout à fait aucune des opinions, qui s'étaient pu glisser autrefois en ma créance sans y avoir été introduites par la raison, que je n'eusse auparavant employé assez de temps à faire le projet de l'ouvrage que j'entreprenais, et à chercher la vraie méthode pour parvenir à la connaissance de toutes les choses dont mon esprit serait capable ».

  Idée-force : Le principe de la réforme cartésienne est dans une suspicion à l'égard d'une confiance exclusive dans les dons de l'esprit. Cette confiance n'est pas fondée. La référence aux grandes âmes a pour fonction de l'établir. L'expression renvoie surtout au domaine moral. Mais les choses sont analogues dans l'ordre théorique. Ceux qui peuvent aller le plus haut (qu'il s'agisse des grandes vertus en matière morale ou des grandes lumières en matière intellectuelle) sont sans doute les mêmes que ceux qui peuvent aller le plus bas. Les vices ou les vertus des âmes moyennes sont également moyens. Par analogie, la différence entre ceux qui font progresser la connaissance et ceux qui ne le font pas tient à ce que les uns procèdent méthodiquement alors que les autres non. Par précipitation, ceux-ci s'éloignent davantage de la vraie science qu'ils croient la posséder. Ainsi en est-il de ces faux savants de l'âge scolastique. Ils ont beaucoup étudié Aristote, les Pères de l'Eglise, mais en ce qui concerne la science de la nature, ils en sont d'autant plus éloignés qu'ils ont reçu sans examen tout ce qu'on leur a appris.

  

 

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50 Réponses à “"Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée" Descartes.”

  1. Euclad dit :

    Bonjour
    Merci pour votre explication de texte. Je la trouve riche et claire. La valeur reside dans le fait que vous mettez l’accent sur ce qui comptait le plus pour Descartes (L’insuffisance du bon sens). Je remarque que la thèse de l’égalite en bon sens tend a faire oublier que le souci de Descartes est de montrer la nécessite d’une méthode. Je résume votre explication Comme suit: Il est vrai que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée. Mais cela ne suffit pas. Pour notre progrès dans la recherche de la verite, il nous faut une méthode.
    Je pense que Descartes n’entend même pas montrer la nécessité du bon sens. C’est un fait: tout le monde en a. L’enjeu du texte est que l’on risque de l’employer à tort et à travers et se perdre sur le chemin de la verite.

  2. Simone MANON dit :

    Oui, c’est bien compris.
    Cet exemple montre que l’opinion ne retient que ce qui la flatte dans ses illusions. Les hommes aiment mieux s’entendre dire qu’ils sont égaux par le fait qu’ils sont dotés d’une raison qu’inégaux par l’usage qu’ils en font.
    Cordialement.

  3. Maeva Planche dit :

    Merci pour l’explication. J’en avais gravement besoin pour une étude de texte, j’ai toujours pas compris (enfin si, mais un peu juste) mais je dirai que c’est grâce à ce lien. C’est toujours mieux que rien ! Merci beaucoup

  4. z.k Peter dit :

    Merci pour votre commentaire.Bien que ma compréhension soit superficelle ,votre commentaire a été décisif pour moi dans un devoir portant sur ce sujet. Merci

  5. Marc dit :

    Le bon sens est le moins bon sens de tous les sens

  6. Simone MANON dit :

    Peut-être, mais tant que l’on ne se donne pas la peine d’expliciter le sens de ce que l’on affirme, le propos est creux. Cf. https://www.philolog.fr/le-sens-commun/
    Bien à vous.

  7. Marc dit :

    Comme peut être l’avez vous remarqué c’était très tard et je ne voulais pas me lancer dans de grandes explications.
    De toutes façons, le propos est creux pour ceux qui ne ce donnent pas la peine de réfléchir sur ce qui est écrit. Regardez autour de vous et vous vous rendrez compte que le bon sens, pour une grande majorité, ne fait plus partie des qualités humaines.
    Pour vous aidez à découvrir qui a perdu le bon sens je citerai à titres d’exemple, les politiciens, les banquiers, les économistes, les corporations en tout genres, les organismes publiques comme BCE, FMI … et un long et cetera.
    A vous d’allonger la liste.
    Peut être suis-je un peu hors sujet car le contexte dans le quel vivait Descarte n’est évidemment pas le même que l’actuel.

    Cordialement

    PS: Je reconnais que la tournure de la phrase n’est pas très heureuse.
    J’aimerais dire:
    De tout les sens le bon sens est le moins bon (pour ne pas dire le pire).

  8. Simone MANON dit :

    Décidément il semble que vous ayez de la peine à comprendre la différence entre un propos creux et un propos fondé. Vous n’énoncez aucun argument digne de ce nom et il y a fort à parier que ceux auxquels vous refusez le bon sens vous retourneraient le compliment. N’oubliez pas qu’on est toujours l’imbécile de quelqu’un.
    Vous êtes donc toujours dans un discours n’ayant aucune valeur théorique, partant aucune valeur philosophique.
    La lecture de l’article que j’indique vous permettrait peut-être de saisir la différence entre une vulgaire opinion et une affirmation rationnellement justifiée.
    Je vous conseille donc de prendre la peine de réfléchir.
    Bien à vous.

  9. Gauthier dit :

    Bonjour
    Merci pour vos articles.
    Je m’intéresse en ce moment à la distinction entre l’intelligence et la raison. Le texte de Descartes que vous commentez me semble être décisif sur cet aspect. L’intelligence par définition est toujours susceptible de variation quantitative. Même si on distingue plusieurs formes d’intelligence, on pourra toujours dire que pour telle forme d’intelligence, l’un est supérieur à l’autre. D’où aussi les mesures du type « Q.I. ». On pourra aussi dire que beaucoup d’animaux disposent à l’évidence de certaines formes d’intelligence, car ils peuvent résoudre des problèmes complètement nouveaux (cf. entre mille autres ouvrages « l’intelligence animale » de Vauclair, ou encore un bon documentaire qu’on trouve sur Youtube: « les animaux pensent-ils? »). La raison au contraire ne tolère aucune variation quantitative, et implicitement elle renferme l’idée d’une connaissance possible de l’ensemble de la réalité (au moins dans les limites de l’expérience possible) ; ce serait là le propre de l’homme.
    Dans un autre document de votre site, vous distinguez « instinct et intelligence », à la manière de Bergson, mais dans ce cas on ne voit plus la distinction de nature entre intelligence animale et intelligence humaine. Ne serait-il pas plus opportun de distinguer instinct (éventuellement intelligent) et raison ? On a en effet de bonne raison de penser que si Bergson n’utilise par le terme de « raison », et lui préfère celui d’intelligence, c’est pour des motifs anti-rationalistes (l’intelligence est simplement faculté de fabriquer des outils…).

    bien à vous

  10. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Les distinctions de concepts ne valent que ce que vaut la définition que l’on donne de chacun d’eux.
    Traditionnellement on n’établit pas une différence de nature entre l’intelligence et la raison mais entre l’instinct et l’intelligence. Cette dernière distinction n’est d’ailleurs pas de paternité bergsonienne. On la trouve chez la plupart des grands auteurs. Dans mon article, je cite Pascal, Kant, Marx tout autant que Bergson. Et je précise que, si intelligence animale il y a, elle se distingue de l’intelligence humaine.
    Si l’on approfondit le sens de cette distinction, il me semble que l’on est conduit à souligner le lien de l’intelligence humaine et de la raison au sens où cette faculté est au principe de l’aptitude à l’abstraction et de l’activité combinatoire régie par des principes, qu’il s’agisse des principes logiques ou des principes rationnels au sens large. Comme telle, elle est le propre de l’homme et elle confère aux opérations de l’intelligence leur spécificité humaine.
    Bien à vous.

  11. jean narcisse dit :

    bonsoir madame je suis élève en classe de terminale et je voudrais connaitre le rapport entre la foi et la raison

  12. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Vous avez un chapitre sur la religion sur ce blog, il vous suffit de l’ouvrir (dans la colonne de droite) pour trouver des articles en rapport avec votre question.
    N’oubliez pas les règles élémentaires de politesse quand on demande quelque chose à quelqu’un.
    Bon travail.

  13. violetta dit :

    Bonjour Madame,
    Merci d’abord pour vos explications et réponses aux multiples questions qui vous sont posées.
    Pourriez-vous m’éclairer sur le cas de l’hydropique traité en Méditation 6?
    Il s’agit d’une « erreur de la nature » et Descartes explicite ensuite que l’union de l’âme et du corps peut engendrer de tels égarements mais je ne parviens pas à saisir ce qui en dédouane Dieu puisque Descartes reconnait qu’il aurait pu faire autrement…
    Cordialement,
    Violetta

  14. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il vous suffit de suivre pas à pas l’argumentation de Descartes pour comprendre.
    L’existence de certaines erreurs dans les informations que donnent les excitations issues de l’intérieur du corps n’est pas incompatible avec la véracité divine.
    1) L’erreur procède de ma nécessaire finitude comme dans l’exemple de la viande, dont je ne peux pas nécessairement savoir qu’on lui a adjoint du poison.
    2) L’erreur n’est jamais imputable au corps qui, même dans le cas du corps malade, suit les lois universelles de la nature. L’idée d’une nature fautive ne prend sens qu’au niveau du composé âme-corps.
    3) L’erreur de l’hydropique ressentant le besoin de boire alors que cela lui est nuisible s’explique :
    -si l’on voit bien le hiatus qu’il y a entre un corps divisible et une âme indivisible. L’âme est unie à un corps dont les lois ne sont pas les siennes.
    – or les excitations venues du corps ne parviennent pas à l’esprit directement. Elles suivent un circuit complexe permettant de comprendre qu’une douleur dont le siège est vécu comme se situant dans le pied puisse provenir non de l’extrémité du nerf conducteur (le pied) mais d’une zone intermédiaire (la cuisse). La spatialité du corps rend indiscernable le point d’excitation le long des « petits filets » qui transmettent les impressions sensibles au cerveau.
    -la liaison du mouvement et du sentiment est instituée par la nature pour la conservation de notre corps quand il est sain. Certes on pourrait imaginer que cette liaison ne soit pas trompeuse dans le cas du corps malade mais la nature est organisée selon une économie de moyens qui fait que la liaison ordinaire l’emporte sur le cas exceptionnel. etc.
    Bien à vous.

  15. violetta dit :

    Merci Madame de cette réponse et…de tous les efforts que vous déployez pour répondre à toutes les questions ici posées !
    Bien cordialement,
    Violetta

  16. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il y a tellement de personnes (parmi lesquelles de nombreux professeurs) trouvant normal d’obtenir des réponses sans jamais se sentir tenues de remercier qu’il me faut rendre hommage à votre politesse.
    Tous mes vœux de réussite dans vos projets.

  17. Fabien dit :

    Bonjour,

    Tout ceci est fort compliqué, en ce qui me concerne. Pourquoi ? Parce que j’ai eu du mal à tout comprendre tout de suite. Pourquoi ai-je eu du mal à tout comprendre tout de suite ? Parce que je ne semble pas à niveau. Pourquoi ne semblé-je pas à niveau ? Parce que j’ai été déscolarisé à 15 ans. Pourquoi n’ai-je pas rattrapé mon retard ? Parce que je n’en ai eu ni la force ni le courage. Pourquoi discours-je comme si le manque des vertus sus-nommées pouvaient entièrement et simplement répondre à la question ? Parce que je n’ai pas très bien appris à structurer ma pensée. Pourquoi ne l’ai-je pas appris ? Parce que je ne l’ai pas appris.

    Pourquoi, en philosophie, l’acte de penser est-il sous-entendu supérieur à l’acte de ressentir ?

    Et enfin pourquoi se sert-on si souvent du « bon sens » pour décrire un élan majoritaire ? Les minorités, les marginaux sont très souvent opposés à ce bon sens.
    Je m’explique : L’autre jour, je gardais des enfants à leur domicile, tout nus, à table, parce qu’il ne m’avait pas semblé nécessaire de les habiller après la douche. Ils avaient l’air très à l’aise, tout nus. La mère des enfants, de retour à la maison, me faisait remarquer qu’il était évident de devoir les habiller pour passer à table. Il est de coutume… j’en conviens. Pour justifier son choix elle a dit : « c’est du bon sens ». Cela m’a paru si présomptueux…

    Voulez-vous m’éclairer ? Ne serait-ce que par quelques mots…

  18. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Cet usage problématique de la notion de « bon sens » s’explique dans la mesure où notre existence se déploie au sein d’une société ayant ses us et coutumes. Avoir du bon sens, c’est aussi savoir distinguer ce qui se fait et ce qui ne se fait pas dans un milieu social donné. Cette exigence ne signifie pas que la raison puisse toujours justifier en droit une coutume mais elle n’en sous-estime pas l’importance de fait.
    Voyez par exemple la morale provisoire de Descartes. Il en formule ainsi le premier principe: « Obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant, en toute autre chose, suivant les opinions les plus modérées, et les plus éloignées de l’excès, qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j’aurais à vivre. Car, commençant dès lors à ne compter pour rien les miennes propres, à cause que je les voulais remettre toutes à l’examen, j’étais assuré de ne pouvoir mieux que de suivre celles des mieux sensés. Et encore qu’il y ait peut-être d’aussi bien sensés, parmi les Perses ou les Chinois que parmi nous, il me semblait que le plus utile était de me régler selon ceux avec lesquels j’aurais à vivre… »
    Remarquez que le critère du jugement est ici celui de l’utilité.
    Il est utile d’apprendre à un enfant les manières usuelles de se conduire qui lui permettront de vivre harmonieusement avec les autres. La marginalité n’est plus absolument condamnée dans une société fondée sur des présupposés individualistes, mais reconnaissez qu’elle n’est pas toujours confortable et qu’il est difficile d’en faire l’apologie. Nous avons à vivre avec les autres. C’est dans la relation sociale que l’homme s’accomplit même si celle-ci n’épuise pas la substance de sa vie. La sagesse invite à en avoir bien conscience et à se conduire en conséquence.
    Cf. https://www.philolog.fr/descartes-la-morale-provisoire-discours-de-la-methode-iii/
    Bien à vous.

  19. Fabien dit :

    Je vous remercie.

  20. Eva dit :

    Bonsoir Madame,
    J’ai un exercice portant sur le sujet « Tous les hommes sont doués de raison pourtant beaucoup se trompent » Comment Descartes répond-il à ce paradoxe ?
    Mais, malgré votre brillante explication, je ne parvient pas a répondre au problème posé par mon professeur.
    J’ai fortement besoin de votre aide.
    Totalement vôtre,
    Eva.

  21. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Permettez-moi de m’étonner de votre incompréhension. De toute évidence vous n’avez pas dû lire le texte et les explications avec attention car le propos de l’auteur et mon explication ne présentent pas de difficultés majeures. « Ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon » dit Descartes, « LE PRINCIPAL EST DE L’APPLIQUER BIEN ».
    Je commente: « Le philosophe introduit ici l’idée de la nécessité de la méthode. La raison est nécessaire, elle n’est pas suffisante. A défaut de la conduire méthodiquement elle est inefficace. Or, ce qu’il y a sans doute de plus difficile est de procéder avec méthode. »
    Vous avez un lien vers l’article consacré aux règles de la méthode. https://www.philolog.fr/les-regles-de-la-methode-descartes/
    Il vous suffit d’exploiter les idées, en particulier de pointer les pièges de la prévention et de la précipitation, pour expliciter les causes de l’erreur.

    PS; Attention à la correction de l’expression: je ne parvienS pas.
    On répond à une question, on résout un problème dont il faut préalablement formuler les données.

    Bien à vous.

  22. Eva dit :

    Madame,
    Je vous remercie pour votre explication, je suis désormais sûre d’avoir compris le texte de Descartes.
    Bien cordialement,
    Eva.

  23. Raphaël dit :

    Bonjour,

    Je vous remercie pour le travail admirable que vous effectuez.
    Je vous sollicite pour la question suivante qui pourrait être un complément à votre réponse du premier commentaire de 2011:
    Peut on dire que chaque homme est raisonnable (la raison est universelle d’où l’égalité des hommes) cependant il existe autant de bon sens que d’individu (d’où l’inégalité quant à l’usage qu’ils en font)?
    Le bon sens serait alors plutôt une « expérience de vie » pour la majorité et une méthode pour cette minorité de personnes supérieures. Il n’y a donc pas de « supériorité native » mais des chemins de vie et des ambitions caractérisant chaque personne.
    Le bon sens serait donc une donnée plus sociologique que philosophique…

    Bien cordialement,

    Raphaël

  24. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Non, votre lecture n’est pas recevable. Rien dans la philosophie cartésienne n’autorise un relativisme en matière de raison. Cette faculté est la faculté des principes (logiques et rationnels).
    https://www.philolog.fr/presentation-du-chapitre-la-raison/
    Elle n’est pas une donnée sociologique mais le propre de la nature humaine envisagée dans son universalité. Cependant « ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien ». Pour cela il faut une formation intellectuelle, des vertus, (ne pas être présomptueux par exemple), qui ne sont pas la chose du monde la mieux partagée. Tous les hommes ne sont pas dotés également en ce qui concerne la mémoire, la capacité inventive, la vivacité d’esprit.
    Là est le principe de l’inégalité des esprits.
    Bien à vous.

  25. Ulysse dit :

    Bonjour,
    Dans le cadre de l’oral de bac en première dans les épreuves anticipées de français, sur une question du type « quelle est l’importance du mot raison chez Descartes? » ou « comment l’argumentation de Descartes est-elle organisée? » quel plan me conseillerez cous d’utiliser ? J’ai pensé à faire paragraphe par paragraphe, mais ma professeur me l’a déconseillé.

    Merci d’avance,

  26. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Je suppose que votre professeur vous a formé l’année durant à la méthode exigible à ce type d’épreuve. C’est ce que vous avez appris que vous devez mettre en application.
    Je suppose aussi que la question porte sur un texte et que l’exigence du français est la même que celle de la philosophie: dégager l’idée générale; expliciter les arguments qui l’étayent en ayant le souci d’apprécier la force des uns et des autres et la cohérence de l’ensemble.
    Bien à vous.

  27. […] Mag Philo : Citoyenneté antique et citoyenneté moderne : la question de l'esclavage. Pour l'historien des idées politiques, la citoyenneté est un thème perturbant. Rien ne déroute tant son éthique professionnelle qu'une notion dont il est inévitable de rappeler qu'elle tire ses origines de l'Antiquité et se maintient avec des caractères à peu près semblables jusqu'à nos jours. À la différence du philosophe – du philosophe heideggerien en particulier – le politiste est mal à son aise lorsqu'il fait face à des phénomènes qui le contraignent à des sauts intellectuels sur plusieurs millénaires. » "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée" Descartes. […]

  28. zenera dit :

    Je remercie ce site malgré ma compréhension peu active

  29. […] » "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée" Descartes. « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. […]

  30. pomme dit :

    Merci beaucoup Madame pour cet article, qui m’a été grandement utile dans la compréhension de ce Discours De La Méthode.
    Bonne continuation à vous.

  31. jonathan dit :

    j’aimerai savoir qu’est ce qui cultive en nous le bon sens inné

    si quelqu’un peut me donner un peu d’explication

  32. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Ce qui cultive la raison, c’est son exercice méthodique, par exemple dans les mathématiques, car, comme le précise Descartes, « Ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien ».
    Bien à vous.

  33. Matthieu Riviere dit :

    Bonjour,

    J’essaie une grossière vulgarisation : le bon sens ou la raison serait la capacité de réfléchir de l’être humain; chacun en est pourvu mais ne s’en sert pas forcément. La différence se situe dans la manière de réfléchir et pour se rapprocher de la vérité mieux vaut suivre une méthode.
    (Est-ce à peu près recevable pour un novice en philo ou à côté des pompes ?)

    QUID de l’intelligence ? L’intelligence serait ce qui permet à l’homme d’adopter/créer par lui-même une méthode propre, ou d’appliquer une méthode avec plus d’efficacité (vivacité d’esprit, etc.) ?

    PS : Je ne connais ni Descartes ni les autres, excusez-moi si je donne un sens erroné à mes mots…

  34. Simone MANON dit :

    Bonjour
    La raison ou le bon sens est la capacité du juger, par exemple de distinguer le vrai du faux. Cette capacité appartient à tout homme mais tous les hommes ne l’exercent pas correctement parce qu’il faut pour cela procéder méthodiquement. Ce point est compris.
    L’intelligence peut être définie comme la capacité de résoudre des problèmes. Mais pour cela, il faut être capable de les identifier, ce qui ne va déjà pas de soi, pas plus que la capacité de les résoudre. Il y faut de la vivacité d’esprit, de la perspicacité. Sur ce plan tous les esprits ne sont pas égaux, remarque Descartes, pas plus qu’ils ne le sont du point de vue des capacités de mémoire, d’inventivité, etc., aptitudes contribuant à la perfection de l’esprit.
    Bien à vous.

  35. Matthieu Riviere dit :

    Merci pour votre réponse,

    Selon vos mots « esprits supérieurs » : Descartes réserve-t-il l’utilisation de sa méthode et du doute aux esprits supérieurement intelligents ou bien aux esprits naturellement humbles ?

    J’ai du mal à cerner si pour Descartes il y a :
    1 – les présomptueux qui s’égarent
    2 – les humbles qui croient les experts
    3 – les supérieurs qui doutent

    ou bien :
    1 – les présomptueux qui s’égarent
    2 – les humbles qui doutent et croient les experts (tant qu’ils n’ont pas trouvé par eux-même)

    Merci de votre patience !

  36. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il me semble que le propos de Descartes et mon commentaire sont clairs sur ce point: La plus grande partie des esprits se répartit en deux catégories. D’une part les esprits présomptueux qui prétendent plus qu’ils ne peuvent et se condamnent à l’égarement chronique tant en matière politique, religieuse que scientifique. A bien observer le monde cette catégorie est certainement la plus répandue. D’autre part les esprits modestes qui, ayant connaissance de leur limite s’en remettent pour être éclairés à plus compétents qu’eux. Car Descartes l’avoue « sans avoir plus d’esprit que le commun, on ne doit pas espérer de rien faire d’extraordinaire touchant les sciences humaines ».
    Ni les esprits modestes, ni les présomptueux ne peuvent être des créateurs féconds. Les uns ont l’intelligence de leurs limites et c’est une grande vertu, les autres ont des prétentions dont ils n’ont pas les moyens mais ils n’en ont pas conscience.
    Bien à vous.

  37. Matthieu Riviere dit :

    Bonjour,

    « Se défaire de toutes les opinions qu’on a reçues en sa créance n’est pas un exemple que chacun doive suivre. Et le monde n’est quasi composé que de deux sortes d’esprits auxquels il ne convient aucunement :à savoir de ceux qui, se croyant plus habiles qu’ils ne sont, ne peuvent empêcher de précipiter leur jugement […] puis de ceux qui, ayant assez de raison ou de modestie pour juger qu’ils sont moins capables[…] doivent bien plutôt se contenter de suivre les opinions de ces autres. »
    Deux choses me sautent aux yeux :
    1. « le monde n’est quasi-composé que de deux sortes » : Descartes laisse une place pour une troisième population, ni modeste ni présomptueuse.
    2. « auxquels il ne convient aucunement » : Les deux grandes populations ne peuvent pas se défaire de « toutes les opinions »
    Les extraits sur cette page s’arrêtent finalement sur ces deux hypothèses.

    Finalement le texte est très clair sur la quasi totalité du monde, sur les modestes et les présomptueux. Dans cet extrait, il n’est pas désigné clairement (pour moi) qui peut réellement douter ou de ce qui compose la non-quasi totalité du monde. J’en déduis que le cette poignée oubliée est celle qui peut résonner ?

    En vous remerciant.

  38. Simone MANON dit :

    Bonjour
    D’abord voyez bien que le doute dont il est question ici est le doute radical, celui qui rend possible l’élaboration du savoir sur de nouveaux fondements.
    La capacité de fonder une science,(ou une institution), ou de la refonder n’est pas en effet une capacité ouverte aux esprits modestes ou aux esprits présomptueux. Elle est une possibilité des esprits supérieurs, et il n’y en a pas beaucoup par siècles. Les Socrate, les Platon, Aristote, Descartes, Spinoza, Einstein etc. sont des esprits supérieurs, ils augmentent (auteur vient de augere en latin qui signifie augmenter) l’œuvre de l’humanité, fécondent les esprits plus modestes, ceux-ci s’honorant d’avoir conscience de leurs limites.
    Mais l’époque est peu encline à reconnaître une quelconque forme de hiérarchie. Elle revendique l’égalité dans tous les domaines et c’est pourquoi, circulent désormais sur la toile les opinions les plus aberrantes, leurs auteurs croyant avoir autant d’autorité à les formuler qu’un savant ou un grand penseur.
    PS: Raisonner, raisonnement.
    Bien à vous.

  39. Matthieu Riviere dit :

    Bonjour,
    Ce dernière commentaire comble très bien les doutes qui me restaient de cet extrait. Je pense avoir maintenant assez bien compris cette pensée de Descartes et je vous en remercie.

    Pour réagir à votre dernier paragraphe, si la majorité de la population est constituée de présomptueux, cette égalitarisme revendiqué n’est finalement qu’une évolution logique de la société :
    Comment les humbles peuvent-ils faire la différence entre un présomptueux relativement intelligent (voire manipulateur?) et un véritable esprit supérieur ? Les esprits supérieurs pouvant être parfois eux aussi présomptueux !
    Certaines personnes se trouvent ainsi idolâtrées par leurs proches ou des esprits plus faibles ce qui rend les « esprits supérieurs » finalement bien plus nombreux…

  40. Hippias dit :

    Bonjour,

    Il est sans doute présomptueux de ma part de déposer mon grain de sel dans ce dialogue, mais je ressens dans le questionnement de Mr Rivière celui de toute l’humanité de bonne volonté, à savoir comment faire le meilleur choix possible, à partir du moment où on prend conscience d’une alternative dont les options engagent (souvent de façon irréversible) les degrés de liberté dont on dispose.
    Prendre conscience du choix signifie que, déjà, on n’est plus dans l’opinion qui nous suggérait une réponse quasi automatique, mais alors sur quoi fonder notre décision?
    Bien sûr notre réflexion et notre raison vont analyser les différentes possibilités, mais nous savons bien que, quoi qu’en dise la « pédagogie active », nous n’avons pas les moyens de refaire par nous-mêmes toute l’évolution de la pensée humaine depuis qu’on en garde la trace et que, selon le superbe aphorisme attribué à Eleonor Roosevelt (à ma connaissance), « Apprends des erreurs des autres, tu n’auras jamais le temps de les faire toutes toi-même », il est utile de s’inspirer de l’expérience d’autrui. S’inspirer, tout en gardant l’entière responsabilité de son choix « existentiel ».
    Et, dans ce cas, pourquoi pas s’inspirer des plus grands penseurs connus?
    Bien sûr, il y a parfois plus que des nuances entre eux, mais les comparer enrichit singulièrement les données du problème concret qui se pose, en élargit le cadre et donc ouvre la possibilité de solutions plus originales et surtout plus adéquates.
    C’est là que, au delà de leurs différences, penser et savoir agissent en synergie.
    Et qu’un site comme celui-ci, pour lequel on ne remerciera jamais assez Mme Manon, offre la possibilité de cultiver l’un et l’autre.
    Mais, pour revenir à la question, comment faire la part des choses entre les esprits supérieurs et les présomptueux qui s’offrent à combler notre soif d’apprendre? C’est probablement un cercle vertueux: plus on progresse, plus on sépare le bon grain de l’ivraie, avec une subjectivité qu’on ne pourra s’empêcher de choisir malgré (et « anoblie » par) notre quête d’objectivité.
    Le seul critère simple (avec donc ses limites…) qui m’a jamais paru utile, est que le chemin qui monte, et qui demande donc un effort, est souvent celui qui a le plus de chances, toutes choses étant égales d’ailleurs, d’être le bon.
    Bien à vous

  41. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Merci pour votre contribution.
    Sur cette question, il faut distinguer les domaines où l’on peut élaborer un savoir objectif (Max Weber dirait: le plan des faits) et les domaines où cela n’est pas possible ( le plan des valeurs).
    En matière politique, religieuse, morale, il n’y a pas de science possible. Le savant est hors jeu et tout un chacun a la responsabilité de bien juger afin de bien se conduire en cette vie.
    Descartes donne un principe, celui de se tenir éloigné des extrêmes, conseil on ne peut plus d’actualité. Voyez la première maxime de la morale provisoire. https://www.philolog.fr/descartes-la-morale-provisoire-discours-de-la-methode-iii/
    PS: en relisant le propos de Matthieu Rivière, je me dis que j’ai manqué de présence d’esprit. J’aurais dû préciser que, par définition, un esprit supérieur ne peut pas être présomptueux. La grande intelligence et la grande sagesse se remarquent toujours à leur modestie, au sens moral.
    Bien à vous.

  42. Anne Murat dit :

    Bonjour,

    Je me permets d’intervenir car la lecture de ce texte me laisse, derrière toute la réflexion et les enseignements sages, comme un goût acre au fond de la gorge. Vous parlez, sans doute à juste titre, de l’humilité de Descartes.
    Pourtant il me donne l’impression de séparer le monde en deux, d’un côté les incapables du doute et de l’autre les rares aptes.

    Cette méthode du doute dont il parle peut-elle se rapprocher de ce que l’on appelle aujourd’hui « philosopher », penser, réfléchir ? Ou est-ce quelque chose de plus grand ?

    Descartes nous dit-il dans son discours que la majorité de la population devrait se contenter de croyances, à l’heure où journalistes et « intellectuels » dénoncent sans cesse le manque d’esprit critique des adeptes des thèses complotistes ou autres sympathisants FN ?

    Comment un esprit non-supérieur doit-il réagir face à ce texte ?

    En vous remerciant pour votre travail et votre disponibilité,
    Anne

  43. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il faut éviter les propos caricaturaux.
    Dans ma réponse du 26 avril 2017, je précise bien que dans les limites qu’il assigne à la pratique du doute, Descartes parle du doute radical, celui qu’il a conduit lui-même afin de fonder sur de nouveaux principes les savoirs.
    Dans l’exercice commun de l’esprit, les enjeux sont plus modestes. Il ne s’agit pas pour nous tous qui ne sommes pas des esprits supérieurs d’êtres des fondateurs, seulement d’éviter la « prévention » et la « précipitation » dans nos jugements, ainsi que Descartes le préconise dans le premier principe de »la méthode pour bien conduire son esprit et chercher la vérité dans les sciences ».
    Le respect de cette règle implique la pratique du doute, le sens des problèmes, la conscience de nos limites afin de nous prémunir contre le dogmatisme et les aveuglements passionnels. Cette prudence (cette sagesse) ne signifie donc pas que l’on doive perdre sa modestie et le sens des hiérarchies.
    J’ai passé ma vie à transmettre la pensée des grands auteurs, je ne suis jamais sentie offensée par leur supériorité intellectuelle. Camus, disait au contraire que l’on se sent grandi au contact de ce qui est plus grand que soi.
    Bien à vous.

  44. Anne Murat dit :

    Je n’avais pas saisi qu’il existait pour Descartes deux « façons » de douter. Je vais poursuivre ma réflexion dans ce sens à commencer par votre article « les règles de la méthode ».
    Si vous avez connaissance d’un article, texte ou une autre de vos pages qui puisse être pertinent dans ce sens, je vous serais reconnaissante de tous conseil.

    Anne

  45. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Non, il n’y a pas « deux façons de douter », il n’y en a qu’une. Douter consiste à suspendre son jugement sur une question donnée, à interroger la validité d’un énoncé qui ne va plus de soi. Ce qui varie, c’est l’amplitude de ce doute. Il peut avoir la radicalité de celui de Descartes, celui qui le conduit à remettre en cause les certitudes sensibles et les certitudes rationnelles et à fonder la certitude du cogito par cette démarche. Ou il peut être un doute plus modeste où la remise en question de certains énoncés s’opère sur fond de savoirs constitués et de sagesse commune. Bref ce doute là n’a pas la prétention de refonder les savoirs ou la morale, ce qui n’est évidemment pas à la portée de la plupart des esprits, ce que méconnaissent les esprits présomptueux.
    https://www.philolog.fr/eloge-de-la-philosophie/
    https://www.philolog.fr/le-cogito-ou-la-certitude-de-soi-comme-chose-pensante/
    Bien à vous.

  46. […] qu’il y ait une unité dans le temps, un lien, une unité entre les représentations. Citations : » "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée" Descartes. « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien […]

  47. […] Representation and Reality – Hilary Putnam. Is Justified True Belief Knowledge? Edmund L. Logique du sens. La langue des calculs: ouvrage posthume et élémentaire – Etienne Bonnot de Condillac. L’espace et le temps dans le problème du fondement des mathématiques. Informatique et sciences cognitives : Influences ou confluence ? – Catherine Garbay, Daniel Kayser, Collectif. Functional programming with bananas. Mille Plateaux. L'Anti-Œdipe. Lesson 1: Getting Started – Graphical Haskell for Beginners. La Méthode scientifique en philosophie. Ce langage qui fascine mais dont le fonctionnement nous échappe – Simon Levesque. Introduction – Neurophilosophie. L'Inconscient cérébral, Marcel Gauchet, Sciences humaines. The Conscious Mind. » "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée" Descartes. […]

  48. Jean-Pierre Pinson dit :

    Le bon sens, la raison, et peut-être l’intelligence, n’est-elle pas, de s’interroger sur nos doutes et sur nos certitudes ? comment distinguer le vrai du faux ? C’est peut-être un peu léger, mais pour moi, La méditation est d’un grand secours, Je ne parle pas d’une méditation superficielle, qui aurait pour but de rechercher le bien-être, mais plutôt d’une méditation, au sens philosophique.

  49. Henri Fraisse dit :

    Merci beaucoup pour cette explication limpide.

    Je me méprenais sur le sens de cette phrase que j’ai souvent donc entendu cité à tort. Il faut avoir lu l’ensemble du texte pour vraiment la comprendre.

    Elle me rappelle donc davantage ce mot de Russel « Le problème avec le monde, c’est que les gens intelligents sont pleins de doutes tandis que les plus stupides sont pleins de confiance… »

  50. Norbert dit :

    Merci beaucoup pour votre explication

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