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La tolérance

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  Vous venez de comprendre ce que disserter veut dire. Maintenant il faut vous mettre à l'ouvrage. Pour le premier devoir, et en particulier pour ceux qui se seraient dispensés de faire les lectures conseillées, je vous fournis un cours. Il faut vous l'approprier. Ensuite seulement vous serez capables d'affronter la question que vous avez à élucider : La tolérance est-elle un vice ou une vertu?

 

 

 LA TOLERANCE.

 

  A l'initiative de la conférence générale de l'UNESCO, 1995 fut proclamée Année des Nations Unies pour la tolérance.
  Notre époque parle beaucoup de tolérance et l'on peut s'interroger sur le sens de ce fait. Sommes-nous en présence d'une valeur vivante, garantie par une autorité et solidement enracinée dans les mœurs ou bien, les discours incantatoires, les exhortations dont elle est l'objet sont-ils le symptôme qu'il s'agit d'une valeur menacée ou du moins d'une vertu si difficile à honorer qu'elle est chose rare ?
  L'observation de notre monde, fût-ce dans ses espaces privilégiés n'incite guère à l'optimisme. Songeons à la folie meurtrière du fanatisme si récurrente dans l'histoire de l'humanité : récemment le drame yougoslave ; la tragédie algérienne, afghane par exemple, ne faisant que dramatiser sous forme paroxystique ce qui est souvent latent dans les sociétés apparemment les plus pacifiées. Songeons à ce qu'a de potentiellement dangereux le repli de pans entiers de notre jeunesse sur des identités communautaires, le retour de l'intégrisme religieux, la difficulté de la société française à relever le défi du pluralisme culturel.
  D'où le problème que je voudrais élucider : qu'est-ce qui caractérise la tolérance comme attitude spécifique, comme attitude difficile, exigeante et sur quels principes peut-on la fonder ? Mais d'abord qu'est-ce que la tolérance n'est pas ? L'opinion a sur ces questions ses réponses toutes faites. Elle a tôt fait de brouiller l'intelligence d'une notion qui échappe à une approche grossière et superficielle. Commençons donc par dissiper les confusions.
 

 

I)                   Les faux semblants de la tolérance.
 
  Disons qu'aujourd'hui la tolérance est une notion molle et confuse.
 
 Molle, car on pense sous le nom de tolérance ce qui n'est souvent que vide de la conviction intellectuelle ou anémie spirituelle et morale.
 
 
A)    Tolérance et indifférence.
 
  De fait, si l'on excepte les poches de fanatisme, la société occidentale est une société où règne l'indifférence idéologique. Pour rendre compte de ce fait, on a inventé l'expression de postmodernité. Nous vivons dans une société postmoderne. Il s'agit d'une société décrispée où domine l'individu « cool », allergique à tout engouement hystérique pour quelque cause que ce soit, replié sur la sphère privée et ses valeurs hédonistes. L'indifférence idéologique y est la loi. En témoigne l'absence de débats enflammés dans les cours de philosophie. Il arrive qu'on puisse y affirmer une chose et son contraire sans susciter de réactions.
  Qu'est-ce que l'indifférence idéologique ? C'est la désaffection pour le débat d'idées, la dévitalisation du souci du sens et de la valeur et conséquemment la tendance à croire que toutes les idées sont interchangeables, que toutes les opinions se valent. Il est donc inutile d'apprendre à discerner le vrai du faux, ce qui est proprement penser. L'indifférence idéologique confond dans une même équivalence la vérité et l'erreur, la valeur et la négation de la valeur. On se demande même si ces qualifications n'ont pas cessé pour beaucoup d'être signifiantes.
  Or il importe de comprendre que là où règne cette attitude paresseuse et lâche, la prétention à la tolérance est dénuée de sens. Si tout est indifférent, il n'y a rien à tolérer.
  -D'une part, parce qu'il ne peut y avoir du tolérable que sur fond d'intolérable. La tolérance suppose le sens des différences et la capacité de les évaluer. Elle n'est pas cette passivité et cette démission de l'esprit à la faveur desquelles le pire peut avoir droit de cité. En tant qu'elle indique à la fois l'idée d'une acceptation et celle d'une réprobation, la tolérance est au contraire sens aigu de la frontière séparant le tolérable de l'intolérable. Pour des raisons morales d'abord. Aucune attitude s'accommodant du mal fait à autrui ne peut être légitimée moralement. La tolérance au racisme, à la violence, au crime, à l'injustice criante, n'est pas tolérance mais absence du sens des responsabilités ou absence de sens moral. Pour des raisons politiques ensuite car une tolérance illimitée se menacerait dans ses conditions de possibilité. Nul ne peut sans contradiction consentir à sa propre destruction. Ne pas combattre fermement les ennemis radicaux de la tolérance, surtout s'ils sont en mesure de conquérir le pouvoir politique, ce n'est plus de la tolérance c'est de l'inconséquence.
  -D'autre part parce que seul se sent tenu de faire l'effort d'admettre des conduites ou des convictions différentes des siennes, celui qui en a de fermes. Si l'indifférence est indolore, la tolérance implique toujours quelque effort. Tolérer c'est supporter, endurer ce à quoi on ne consent pas de bonne grâce. On tolère un médicament. On tolère la prostitution, on tolère l'infidélité d'un conjoint. Il y a toujours l'idée d'une attitude n'allant pas de soi, d'une attitude difficile, requérant un travail de soi sur soi, une résistance à surmonter.
 
 Confuse, car la tolérance est immédiatement interprétée comme du respect.
 
 
B)    Tolérance et respect.
 
  Le Petit Larousse par exemple écrit : « Respect de la liberté d'autrui, de ses manières de penser, d'agir, de ses opinions politiques et religieuses ». Ce qui ne l'empêche pas de noter à propos du verbe tolérer : « admettre à contre cœur la présence de quelqu'un, le supporter ». Il y a donc une équivoque qu'il convient de dissiper.
  Si le respect est un sentiment heureux, la tolérance n'est pas exempte de mélancolie. Respecter c'est avoir des égards pour un être ou pour quelque chose que nous identifions immédiatement comme une valeur. Le respect implique l'estime voire l'admiration. Il est la réponse affective et intellectuelle d'un sujet à la présence de la valeur. Or, on ne tolère pas la valeur, on lui rend hommage.
  En toute rigueur, la question de la tolérance surgit donc là où le respect ne va pas de soi, là où à l'inverse, la tendance naturelle est de s'indigner, de condamner, là où la tentation est d'interdire. Car si toutes les convictions, toutes les conduites avaient une valeur reconnaissable universellement, il n'y aurait rien à tolérer, le respect s'imposerait de lui-même.
  Mais voilà, si les valeurs universelles sont, en droit, ce qui nous permettrait de communier dans un paisible « nous », en fait, cet universel est le grand absent. L'humanité est une humanité éclatée en cultures différentes et à l'intérieur d'un même ensemble culturel en sous-groupes, en individualités, de telle sorte que, comme le dit Hannah Arendt, « la pluralité est la loi de la terre ».
  La tolérance prend sens dans le registre du relatif, là où s'affrontent dans leur multiplicité et leur diversité les croyances. Or les croyances ne sont pas des savoirs. Un savoir est un discours fondé sur des raisons. A ce titre il peut faire l'accord des esprits rationnels. Les croyances, en revanche, ne peuvent pas se fonder absolument en raison. Voilà pourquoi elles sont le lieu du différend entre les hommes avec le cortège de violences dont le petit écran nous donne chaque jour la mesure. On tue ou on meurt pour des croyances et cela est proprement intolérable. D'où la nécessité de la tolérance. Elle s'impose comme le moyen de dépasser la violence consubstantielle à la sphère des croyances. A défaut de pouvoir toujours se respecter, les croyances sont invitées à se tolérer. La tolérance c'est d'abord cela : une solution aux drames humains générés par le conflit des opinions, un rempart contre les tragédies de la guerre des uns contre les autres.
  Il s'ensuit que dans la cité scientifique ou dans ce que Pierre Bayle appelait « la République des Lettres » la tolérance n'a pas de place. Ce qui doit régner ici, c'est l'engagement pour la vérité, l'examen sans complaisance des opinions, la lutte contre les idées fausses, la vigilance critique des esprits les uns par rapport aux autres afin d'avancer dans la constitution des savoirs. Dans la cité scientifique, dans la république des penseurs nul droit ne peut être reconnu à ce que Bayle appelait « la conscience errante ». Le tribunal commun est celui de la raison et dans ce temple de la méthode personne n'est épargné. La dispute y est la loi. (Dispute est synonyme de discussion. « La vérité disait Bachelard, est fille de dispute non de sympathie).
  Mais la guerre dans la cité intellectuelle est une guerre innocente. « Cette république, écrit Bayle, est un état extrêmement libre. On n'y reconnaît que l'empire de la vérité et de la raison et sous leurs auspices on fait la guerre innocemment à qui que ce soit. Les amis s'y doivent tenir en garde contre leurs amis, les pères contre les enfants, les beaux-pères contre leurs gendres ».
  Guerre rude donc, mais innocente car on n'atteint pas la dignité de l'homme et du citoyen dans le penseur ou le savant, on met simplement en question son degré de lumière.
  Cependant la cité scientifique est une cité artificielle d'hommes élevant leur rapport au vrai à la dimension d'un rapport théorique, rationnel, critique. Elle est d'ailleurs plus un idéal qu'une réalité. Pierre Bayle ou Bachelard pensent sous ce nom davantage une utopie qu'un fait car même dans la cité scientifique, la visée théorique de ses membres n'est pas totalement expurgée de la chair des affects et de certaines formes d'aveuglements passionnels. En témoignent les invectives qu'on trouve parfois dans la bouche de savants à l'encontre de certains de leurs confrères ; la rivalité haineuse qui peut les opposer, comme ce fut le cas avec les découvreurs français et américains du virus du sida. En témoigne aussi, cas beaucoup plus grave, l'exemple d'un homme comme Lyssenko, n'hésitant pas à instrumentaliser la biologie soviétique à des fins de promotion de la vulgate marxiste. Cette manière de corrompre l'esprit scientifique ou l'esprit philosophique par des intérêts idéologiques n'est pas rare. Il s'ensuit que si les professionnels de la science et de la philosophie ont déjà de si grandes difficultés à honorer l'éthique de la connaissance, on ne peut guère espérer du plus grand nombre qu'il se hisse à de telles exigences.
  Car il faut bien comprendre que les membres associés dans un espace public ne sont pas de purs êtres de raison. La cité réelle n'est pas la cité intellectuelle, même dans ce que celle-ci a d'imparfait. La particularité des intérêts, les conditionnements ethniques, la puissance des affects y sont souverains et aveuglent l'exercice de l'esprit. D'où les attachements des uns et des autres à des croyances multiples, diverses, qui, en vertu de leurs origines affectives sont une source potentielle de violence sociale.
  Il s'ensuit que la place de l'universel étant vide, la pluralité des valeurs, la guerre des dieux étant la loi du réel, la tolérance est ce qui doit permettre à des individus que leurs convictions séparent de coexister les uns avec les autres pacifiquement.
  On peut donc dire que la tolérance « se manifeste comme l'ultime recours au moment où l'humanité cesse de se percevoir elle-même comme valeur universelle. Autrement dit la tolérance tient lieu du sentiment raisonnable du respect de l'autre, au moment où nous refusons en l'autre ce qui lui est le plus propre et le plus intime, au moment où par ce qu'il affirme ou croit il cesse pour nous d'être notre semblable. Autrement dit encore, la tolérance m'impose de respecter l'autre, non pas en tant que je le reconnais comme une fin raisonnable mais en dépit de ce qu'il affirme être ou croire et qui le sépare radicalement de moi-même » (Jean -Michel Gros)
  On comprend ainsi ce qu'a de mélancolique et de difficile la tolérance. Elle est mélancolique car elle implique de faire le deuil de l'universel. Elle est difficile parce qu'elle requiert une relativisation de sa propre conviction afin que la conviction de l'autre puisse être reconnue dans son droit à être professée.
  Prenons l'exemple du débat sur l'avortement.
  Si tous les hommes étaient des chrétiens, ils penseraient que la vie est un don sacré que l'on reçoit et dont on ne dispose pas. La possibilité pour un être humain de décider si oui ou non il porte à maturité un embryon serait par principe exclue.
  Mais tous les hommes ne partagent pas la foi chrétienne. Pour la personne athée, la matière vivante peut être considérée comme du matériel biologique tant qu'un projet d'amour, un engagement parental ne vient pas conférer à ce matériel, la dimension sacrée d'une vie humaine.
  Ce qui sépare ces deux convictions, ce sont des choix de valeurs différents. Les uns font de la vie, quelle qu'elle soit, une valeur absolue, les autres considèrent que la vie n'est pas une valeur en soi, que pour être vie humaine, certaines conditions sont nécessaires.
  Remarquons qu'il n'y a pas de possibilité de conciliation entre ces deux positions. Elles s'excluent radicalement. On ne peut donc pas respecter la position opposée à la sienne mais on peut se disposer à la tolérer au nom de principes qu'il faudra élucider.
Qu'une éducation et des institutions soient requises pour rendre effective cette attitude à l'égard de ce qui heurte ses convictions, cela va de soi. Dès lors que la citoyenneté n'est plus fondée sur des critères religieux ou ethniques, dés lors que des hommes de religions ou d'origines ethniques différentes doivent cohabiter sur un même territoire il faut éduquer à la tolérance. Cela requiert d'arracher les individus à la clôture de leurs enracinements culturels, de leurs adhésions passionnelles, bref, de cela même qui en fait des ennemis des uns et des autres. Seule une école laïque peut être à la hauteur de cette tâche. Non pas que la laïcité soit la négation des convictions particulières et spécifiquement des convictions religieuses mais elle est le souci que ces convictions ne soient pas des prisons et des poignards dans les mains de ceux qui s'en réclament. C'est donc l'institution d'un espace autonome, ébauche de la cité intellectuelle précédemment définie, où chacun est invité à se mettre à distance de soi-même, à nouer un rapport critique aux significations et aux valeurs afin de promouvoir la liberté intellectuelle et morale. Sans éducation à cette liberté, une communauté qui se veut de pur statut juridique et politique n'a pas d'assises morales.
Or promouvoir la liberté intellectuelle et morale c'est laisser ouverte la question du sens, offrir les conditions permettant à chacun de questionner les principes d'autorité (dispensés par les diverses Eglises, les partis politiques, les familles etc.). Ce n'est pas une position de neutralité. La laïcité est un choix de valeur, celui d'un espace public où l'on n'attend pas des hommes qu'ils soient d'accord les uns avec les autres mais où l'on attend, qu'à défaut de cet accord ils se reconnaissent mutuellement le droit d'exister. La tolérance est ainsi le minimum que l'on peut attendre des hommes quand il leur est manifestement impossible de s'entendre et de se respecter positivement.
 
  Ni indifférence, ni respect pur et simple, la tolérance doit encore être distinguée d'un autre faux semblant.
Si l'on prend l'exemple des Edits de tolérance qui se multiplient au cours du 16° siècle et dont l'Edit de Nantes est en 1598 l'apothéose, on peut dire que la tolérance est une forme paradoxale d'intolérance.
 
 
C)    Tolérance ; masque de l'intolérance.
 
  De fait, l'Edit de Nantes n'est pas l'inscription juridique de la tolérance dans sa positivité. Les protestants ne sont pas reconnus comme des sujets de pleins droits. E. Labrousse montre comment le préambule de l'Edit de Nantes rappelle que l'idéal poursuivi reste l'unité religieuse. Il s'agit en fait d'un armistice entre le Roi et ses sujets, instaurant de facto un modus vivendi pensé comme provisoire. « Il faut bien comprendre, écrit-elle, que l'Edit de Nantes n'avait pas établi une liberté de conscience au sens actuel, qui présuppose un individualisme impensable au 17° siècle dont les conséquences sont de cantonner les options religieuses dans la sphère personnelle et privée. L'Edit accordait des privilèges, minutieusement circonscrits aux églises réformées de France, il définissait des lieux d'implantation licites et reconnaissait aux Français le droit de choisir l'une ou l'autre des deux confessions chrétiennes reconnues dans le Royaume ». Sont licites le catholicisme et le protestantisme sous sa forme calviniste, les luthériens et les anabaptistes sont exclus. Chaque confession revendique d'ailleurs une vocation hégémonique. Les protestants, également aux catholiques veulent fonder l'Etat sur l'unité religieuse. Pour chacun, il y va du salut de la communauté, du salut des hérétiques et même de son salut personnel car on considère de part et d'autre que c'est offenser Dieu que de ne pas honorer sa vérité. Dans l'esprit des uns et des autres, il y a une orthodoxie (une façon droite de penser) par rapport à laquelle on définit une hérésie (opinion condamnée comme dissidente). Pour le catholicisme, le protestantisme est hérétique mais comme on ne peut l'éradiquer sans menacer la paix civile, on se décide à le tolérer.
  On voit clairement ici que la tolérance est ce à quoi on condescend parce que l'on ne peut pas faire autrement. La définition qu'en donne l'Académie française en 1694 est à cet égard éloquente : « condescendance, indulgence pour ce qu'on ne peut empêcher ».
Il s'ensuit que l'autorité qui tolère pourrait très bien ne plus tolérer. Louis XIV en administrera la preuve en 1685, en révoquant l'Edit de Nantes.
  On voit ainsi ce qu'a d'intolérant cette tolérance. Elle consiste du côté catholique à revendiquer pour soi la rectitude en matière de croyance religieuse et à exclure la croyance de l'autre au seul prétexte qu'elle n'est pas conforme à la sienne. On ne reconnaît pas à l'autre un droit égal à adhérer à d'autres contenus de pensée et on prétend lui accorder comme une faveur, une grâce, un privilège ce qu'il ne peut donc revendiquer comme un droit. Il y a ainsi dans cette tolérance une dissymétrie des positions entre celui qui concède et celui qui bénéficie de cette concession qui peut, comme le disait Jean Rostand, « confiner à l'injure ». Il n'y a pas égalité de droits entre les deux parties. L'une est dans une position de supériorité, l'autre dans une position d'infériorité. Voilà pourquoi, ce sont toujours les groupes dominants, majoritaires qui tolèrent en ce sens. La question ne se pose pas pour les minorités.
  On peut dire que ce qui se passait hier entre les protestants et les catholiques se passent aujourd'hui entre groupes hétérosexuels et homosexuels. Le groupe dominant ne fait que tolérer une autre manière de vivre la relation amoureuse. Il ne lui reconnaît pas pleinement un droit à la différence sexuelle. Il se croit généreux là où il est souvent intolérant.
  La tolérance peut ainsi cacher sous un masque de bienveillance une intolérance foncière consistant à refuser à l'autre un droit égal à la liberté de pensée et à la détermination autonome de sa conduite. Sa faute est ici de prétendre souffrir par charité, ce qu'elle devrait respecter par justice.
  Mirabeau dénonce cette redoutable équivoque à l'Assemblée en 1789 : « Je ne viens pas, s'écrie-t-il, prêcher la tolérance. La liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré que le mot de tolérance qui voudrait l'exprimer me paraît en quelque sorte tyrannique de lui-même puisque l'autorité qui tolère pourrait ne pas tolérer ».
  Rabaut St-Etienne intervient dans le même sens lors de la discussion des articles de la Déclaration des droits de l'homme concernant la liberté d'opinion. (Cf. Texte joint dans la bibliographie).
 
  Alors ? Ni indifférence, ni respect pur et simple, ni forme inavouée de l'intolérance ; qu'est-ce donc que la tolérance ? Qu'est-ce qui fait d'elle une attitude d'une grande qualité morale et quels sont les principes qui en fondent la légitimité ?
 
 
II)                La vertu de tolérance.
 
  On peut avec Paul Ricoeur examiner la question à plusieurs niveaux et discerner à chaque plan les principes fondateurs.
 
 
 
1)      Au plan institutionnel la tolérance est la vertu de l'état de droit.
 
  L'état de droit est une conquête tardive de l'histoire. Il procède d'une mutation culturelle ayant permis de faire sortir le politique de l'âge théologique. Historiquement, en effet, le politique et le religieux ont été intimement liés ; le politique tirant du religieux la force spirituelle du sacré ; le religieux tirant du politique la force matérielle lui permettant de sauvegarder son magistère. L'Etat traditionnel repose sur des présupposés doctrinaux d'essence religieuse (Ex ; Dans la monarchie française, le Roi gouverne par souveraineté de droit divin). Il n'est pas neutre et personne ne croit qu'un ordre politique puisse s'instituer en faisant l'économie d'un fond sacré, d'une foi commune en une puissance supérieure nécessaire pour garantir l'unité nationale et l'obéissance aux lois. « La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse » dit la Bible (Les Proverbes). On pourrait interpréter ainsi : la communion en un même Dieu, Père d'une loi commune, vengeur du mépris de sa Loi est  l'institutrice d'un monde commun pacifié et cohéré.
  Il allait si peu de soi que le politique pût se passer d'un principe de légitimation religieuse que même un Locke ou un Rousseau en maintiennent l'exigence.
  Dans sa Lettre sur la tolérance (1686) Locke fait reposer la tolérance civile sur la distinction des compétences des Eglises et de l'Etat. Les unes se préoccupent du salut spirituel des hommes, l'autre de ses intérêts temporels. La fonction de l'Etat est de préserver la vie, la liberté et les biens de tous les membres associés dans un corps politique. Il est incompétent, de droit, en matière de croyance religieuse et il est impuissant car nulle force ne peut contraindre une conscience à croire quoi que ce soit. Dans son for intérieur chacun jouit d'une liberté inaliénable. L'Etat n'est donc pas habilité à imposer telle ou telle croyance religieuse et s'il lui arrive d'intervenir sur ce terrain c'est uniquement dans le cas où une croyance menace les intérêts civils dont il est le garant (C'est par exemple, pour Locke, le cas du catholicisme dans l'Angleterre de son époque. La faute des catholiques n'est pas de croire ce qu'ils croient. Leur faute est de faire de l'autorité papale une autorité supérieure à celle de l'Etat. Ils sont donc facteurs de division sociale et à ce titre il est légitime de ne pas leur reconnaître droit de cité).
  Et pourtant bien qu'il affirme l'incompétence de l'Etat en matière religieuse, Locke n'élargit pas le principe de tolérance aux athées car il pense, comme c'est courant à l'époque, qu'il faut reconnaître un maître suprême pour être capable d'honorer un serment ou un contrat. (Cf. Voltaire disait de même en plein siècle des Lumières, qu'il souhaitait que son boulanger ou son boucher crût en Dieu afin d'avoir des chances d'en être moins volé).
  Idem pour Rousseau avec le thème de la religion civile.
  En ce sens on comprend ce qu'avait de moderne l'Edit de Nantes. Qu'un Etat puisse être viable avec des individus relevant de confessions différentes allait si peu de soi ! Une révolution culturelle était nécessaire pour admettre qu'une cité puisse être organisée sur autre chose que le principe d'une foi commune. Décrire l'émergence de la tolérance revient ainsi à décrire la dissolution de la mentalité politique traditionnelle s'exprimant dans la formule : « Une foi, une loi, un roi ».
  Cette mutation est à porter au crédit du mouvement de sécularisation (ou laïcisation) reposant sur l'idée que tous les hommes sont des êtres libres et égaux en droit et qu'il leur appartient de décider ensemble des règles de leur vie commune.
  L'Etat de droit correspond donc à l'ouverture d'un espace de liberté ; liberté d'opinion, d'expression, d'association, de culte, de mouvement etc. L'Etat de droit postule que la liberté est un droit naturel des hommes et que sa vocation est d'en garantir et d'en protéger l'exercice. L'Etat de droit est par nature, un Etat libéral. Il s'abstient d'interdire.
  « Mais quelle justification positive peut-on donner de cette abstention et des libertés qui en résultent ? » se demande Paul Ricoeur ?
  Il répond : «  l'idée de justice ». La justice se définit d'abord comme égalité des hommes devant la loi. Chacun a droit à une liberté égale à celle de tout autre individu ou groupe. La tolérance repose sur le principe de citoyenneté égale. Dans ces conditions, il n'y a qu'une chose qui soit intolérable, c'est qu'une liberté empiète sur une autre liberté. La fonction de l'Etat de droit consiste à garantir l'exercice des libertés qui, par leur rivalité, sont exposées à être le tombeau les unes des autres. Il doit réguler la coexistence des libertés, il n'a pas à intervenir sur un autre terrain. « Il est l'arbitre de prétentions rivales, non le tribunal de la vérité » (Paul Ricoeur).
  Ainsi alors qu'à l'âge théologico-politique, l'Etat s'articulait sur des contenus doctrinaux, l'Etat de droit doit être agnostique. (L'agnosticisme est l'attitude consistant à admettre son ignorance dans certains domaines, en particulier dans le domaine religieux. L'agnostique n'affirme ni ne nie l'existence de Dieu. Il avoue son impuissance à se prononcer).
  L'intolérable au plan institutionnel est donc que l'Etat confonde le plan de la justice et celui de la vérité et qu'il s'octroie le droit d'intervenir sur les questions doctrinales.
  NB : C'est cette exigence qui rend difficile, par exemple, la résolution du problème posé par certaines sectes. En droit, toute position sectaire, en tant qu'elle témoigne de l'exercice d'une liberté est légitime. Cette liberté est un droit fondamental, ayant valeur constitutionnelle. Si l'Etat se permet d'intervenir ce ne peut pas être au nom de la vérité et de l'erreur ; ce ne peut être qu'au nom de la défense des libertés. Il faut par exemple établir que telle secte a porté atteinte à l'intégrité morale, à la liberté de ceux qu'elle a endoctrinés ou bien qu'elle menace les enfants dans leur droit à la liberté. Il y a là des difficultés dont savent très bien jouer les mouvements sectaires.
 
 
2)      Au plan des mœurs la tolérance est la vertu du sujet moral.
 
  Elle se fonde sur un principe éthique : le respect de la personne humaine
  Là encore, il s'agit d'une attitude ne pouvant qu'être une conquête difficile car le respect de l'altérité demande des sacrifices qu'il n'est pas naturel à chaque camp en présence de consentir. La tendance naturelle conduit plutôt à nier l'altérité, à universaliser indûment sa conviction et au nom de la vérité dont on se croit le détenteur, à vouloir imposer à autrui ses propres convictions.
  « Il y a potentiellement quelque chose d'intolérant dans la conviction, écrit Paul Ricoeur. Nous n'admettons pas facilement que ceux qui ne pensent pas comme nous aient le même droit que nous à professer leurs convictions, parce que, pensons-nous ce serait donner un droit égal à la vérité et à l'erreur ».
  PB : Qu'est-ce donc qui peut limiter la sorte de violence qui s'insinue au cœur de la conviction ? Qu'est-ce qui peut nous faire admettre un droit de l'autre à exprimer sa conviction, même lorsqu'il est patent que cette conviction est erronée voire ignoble ? Pierre Bayle parlait en ce sens de « conscience errante » et il s'est efforcé de fonder un droit de la « conscience errante ». Voltaire dans le même esprit disait : « Je ne suis pas d'accord avec vous Monsieur, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire ». Cf. La tolérance est-elle un vice ou une vertu. NB
 La question admet deux réponses :
  -L'une est d'ordre exclusivement moral. Nous vivons dans un monde civilisé et son caractère civilisé s'atteste dans le fait qu'on a conféré à chaque membre de l'espèce humaine le statut de personne. Par convention morale et juridique, une personne est une dignité à respecter. Ainsi, si nous devons admettre le droit des autres à exprimer ce qui, dans les termes de notre conviction, est une erreur, c'est d'abord pour des raisons étrangères à la question de la vérité et de l'erreur. C'est pour une raison morale. Nul n'est par principe exclu du champ des personnes. Et même lorsque la conviction d'un homme n'est pas un modèle d'intelligence ou de noblesse, il est une personne. Nous avons obligation, non de respecter ses croyances mais la personne qui les porte. Pour dire cela, Bayle nous demande de distinguer « la foi qui fait croire » et « ce qui est cru ». Dans « ce qui est cru » se manifeste « la foi qui fait croire » c'est-à-dire la dignité et la liberté d'une personne. C'est cela que nous avons le devoir de respecter. Ce qui n'est pas une invitation à s'incliner devant la bêtise ou la bassesse, mais à mettre en œuvre une éthique de la parole où l'autre est immédiatement jugé digne d'être écouté.
 Ecouté et discuté  s'il met en œuvre la même éthique de la parole, écouté mais combattu, voire mis hors d'état de nuire par la force, si son discours fonde des actions attentatoires aux droits fondamentaux de la personne humaine. Car évidemment, la tolérance trouve sa limite dans ce qui est la négation de ses conditions de possibilité. On ne négocie pas avec le racisme, l'antisémitisme, le fascisme. Ils sont intolérables parce qu'intolérants, ils sont intolérants parce qu'ils ne reconnaissent pas le principe du respect de la personne humaine en chaque homme. Il s'ensuit que toute croyance consacrant, dans la différence de couleur, dans la femme, dans le membre d'une ethnie différente de la sienne, cet irrespect est à combattre sans état d'âme. Par le dialogue, la persuasion quand il est encore temps, par la force lorsque l'intolérance est en situation de conquérir le pouvoir d'Etat.
  -L'autre est d'ordre intellectuel. La tolérance est la vertu du penseur c'est-à-dire de l'homme qui fonde sa vie sur des principes rationnels. Pourquoi ? Parce qu'il y a une impuissance de la raison humaine à démontrer la vérité théorique ou à établir de manière absolue la légitimité des positions rationnelles. Si ce n'était pas le cas, la tolérance serait condamnable. S'il y avait une vérité absolue, s'il y avait un bien absolu, le seul impératif raisonnable ne serait pas d'accepter l'erreur et le mal, ce serait de soumettre les hommes par l'éducation ou la contrainte si celle-ci échoue, à l'autorité incontestable du vrai et du bien.
  Mais voilà seuls des fanatiques peuvent avoir un tel rapport imaginaire au vrai et au bien.
  Le savant et le penseur se reconnaissent d'ordinaire à leur modestie. Socrate revendique son inscience et la science rappelle avec la formule consacrée : « Dans l'état actuel de nos connaissances nous pensons que... » que la vérité en science est provisoire, approchée, jamais définitive.
  Nul ne peut se prévaloir d'un rapport de transparence au vrai ou au bien. Nous ne sommes pas des dieux et la lucidité exige de reconnaître que si nous désirons la vérité c'est que nous ne la possédons pas. Nous sommes condamnés à la chercher et dans cette perspective, l'ouverture à l'altérité, la capacité de frotter sa cervelle à la cervelle d'autrui s'impose comme une condition du progrès des Lumières non comme une concession faite à l'erreur ou au vice.
  En ce sens l'intolérance est toujours l'aveu de l'ignorance et ce qui l'alimente. Car refuser de se mettre à la place de l'autre, en censurant son point de vue c'est perdre la possibilité d'être rectifié ou conforté dans le sien. Rectifié, si l'autre fait les objections que je devrais me faire, si j'étais capable d'élever mon rapport aux significations et aux valeurs à la hauteur d'un rapport rationnel. Conforté, si ma position est universalisable, car la vérité se reconnaît à ce qu'elle est capable de faire l'accord d'un autre sujet pensant.
  Ainsi seuls les Etats où l'on peut penser et exprimer librement sa pensée offrent des conditions permettant aux hommes d'accéder aux Lumières. Les débats contradictoires ont pour chacun une fonction d'éveil, la discussion des idées sottes et ignobles les empêche de faire de nombreux adeptes, les lumières des uns s'augmentent de celles des autres. Il s'ensuit que l'esprit de tolérance témoigne de la force de l'esprit n'ayant pas peur de l'autre parce qu'il sait qu'il a besoin de lui pour accéder à l'universel. A contrario, les esprits faibles ne supportent pas de s'exposer à la critique. Leur recours à la violence pour triompher de leurs détracteurs dénonce leur impuissance à établir par les ressources de la raison la légitimité de ce qu'ils défendent. Il est ce qui les condamne sans appel.
 
 Conclusion : La tolérance est notre devoir parce que nul ne peut se sentir détenteur de la vérité et de l'universalité humaine. C'est pourtant notre tendance naturelle. En chacun de nous sommeillent un policier de l'esprit et un policier tout court. La tolérance est donc une ascèse de ce qu'il y a de pire en nous : la prétention d'être dans le secret des dieux, le refus ou la peur de l'altérité, la surestimation de notre moi. Elle inaugure un autre rapport avec l'autre supposant respect de sa personne sans pour autant qu'il y ait nécessaire consentement à ce qu'il dit ou fait. Elle n'est pas illimitée. Elle met le monde en paix en nous apprenant que le pire ennemi de l'esprit, ce n'est pas l'erreur, c'est le dogme.
 

 Bibliograhie

Locke : Lettre sur la tolérance.
Voltaire : Article : tolérance dans le Dictionnaire philosophique.
Ricoeur Paul : Article : Tolérance ; intolérance ; intolérable dans Lectures 1.
 
Gros Jean-Michel : Introduction à De la Tolérance de Pierre Bayle.
Comte-Sponville André : La tolérance dans Petit traité des grandes vertus.

Rabaut Saint-Etienne (pasteur) : Discours du 22 août 1789 devant l'Assemblée nationale lors de la discussion des articles 10 et11 de la Déclaration française des droits de l'homme.

 

 

 

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30 Réponses à “La tolérance”

  1. Angèle Rouillaux dit :

    Vous ne me connaissez pas puisque vous ne m’avez pas en cours… mais vous avez lu mon article dans le journal du lycée (la fameuse rubrique philo… c’est moi !) je profite d’être de passage sur ce blog philosophie, tres bonne initiative d’ailleurs, cela va nous aider, nous élèves. j’en profite donc pour vous remercier, j’ai recu par l’intermédiaire de mes amis vos « félicitations » et tout ce que vous avez dis sur moi et mon aritcle m’ont beaucoup touché. je ne m’y attendais pas du tout, et bien qu’un peu genée cela m’a fais tres plaisir ! vous ne savez pas ce que cela represente pour moi… bref! merci donc pour vos encouragements, j’espere que les prochains articles vous plairont tout autant. en tout cas je travaille pour !
    si vous souhaitez me contacter, vous avez mon e mail ou par l’intermédiaire de mes professeurs. merci encore!!

  2. Ne sachant où vous mettre cette question et n’ayant aucun moyen autre de vous contacté, je pose cette question ici, car c’est l’endroit pour moi le mieux adapté:

    Pourquoi les philosophes autres que classiques et surtout européens ne sont-ils pas traités en cours de philosophie ?

    Je pense que nous pouvons en apprendre plus des philosophes asiatiques par exemple qui, selon moi, entre autres, sont les vrais fondateur de cet art; et je trouve vraiment domage que la société dans laquelle nous sommes, qui s’extériorise d’avantage de jour en jour, oblige inconsciemment aux pays asiatiques à perdre leurs origines et coutumes pour mieux s’occidentaliser.

    Benjamin Maître, Term S

    http://www.philotolepect.skyrock.com

  3. Simone MANON dit :

    Il y a une grande spiritualité orientale, de grandes sagesses mais y a-t-il une philosophie au sens de ce qui naît en Occident avec l’Ecole de Milet et un siècle plus tard avec Socrate? Je n’en suis pas sûre. Nous enseignons les grands philosophes, ceux que la tradition reconnaît comme tels. Je ne comprends donc pas ce qui justifie votre affirmation: « les philosophes asiatiques sont les vrais fondateurs de cet art ».
    Notre enseignement est limité aussi par la langue. Comment entrer dans une pensée dont nous ne maîtrisons pas la langue? Une pensée s’enracine dans une culture, dans une histoire même si elle ne s’y limite pas puisque c’est sa dimension d’universalité qui la constitue comme proprement philosophique. Peut-on maîtriser toutes les langues et avoir une familiarité avec toutes les cultures?
    Votre dernier propos me semble relever du pur préjugé. Il y a un rayonnement certain de la culture occidentale mais peut-on ramener ce fait à un vulgaire impérialisme?

  4. josette dautriche dit :

    Bonjour Madame,
    Comme je vous l’avais écrit précédemment j’ai commencé à étudier vos textes et j’y trouve une immense satisfaction et un enrichissement personnel indéniable. J’en suis encore au chapitre 1, et je découvre, en vous écrivant, les textes complémentaires que vous conseillez de lire, et qui complètent, je pense, celui concernant la tolérance. En cliquant sur un texte, deux autres apparaissent à nouveau en haut de page. Auriez-vous la gentillesse de m’expliquer la méthodologie à appliquer ? Tous ces textes sont-ils liés au chapitre I ? Lorsque je clique sur ‘les mots clés » je constate que certains sont liés à d’autres chapitres…et j’avoue avoir un peu de mal à organiser mes lectures.
    Je vous livre ma réflexion après la lecture de votre texte sur la tolérance. Grâce à vous, ce mot est devenu pour moi un sujet d’interrogation. Je disais l’être et j’avais la certitude d’être dans le vrai, la tolérance étant pour moi synonyme d’ouverture d’esprit, de générosité (j’avais la prétention de m’attribuer ces qualités). Aujourd’hui, j’ai l’impression que ce mot peut aussi vouloir dire condescendance, sentiment de supériorité, jugement de valeur à l’égard de l’autre, dont on tolérerait les pratiques religieuses, sexuelles ou autres….., tout en considérant qu’il s’agit d’une brebis égarée qu’il faut remettre dans le droit chemin….En cela la question trouve tout son fondement et vaut la peine d’être posée. Je suis encore bien incapable à ce jour de développer ce sujet mais j’espère bien avancer dans mon parcours philosophique pour pouvoir le faire.
    Je vous adresse encore mes plus sincères remerciements pour votre travail désintéressé et pour ce que vous apportez à vos lecteurs.
    Bien cordialement.
    Josette DAUTRICHE

  5. Simone MANON dit :

    Bonsoir Madame
    Pour répondre à votre question concernant la manière de s’orienter dans le cours:
    Chaque chapitre comporte de nombreux approfondissements. Chacun fait l’objet d’un cours, d’une dissertation ou de l’explication d’un texte d’auteur.
    Par exemple le cours sur la tolérance se prolonge d’un dissertation rédigée: La tolérance est-elle un vice ou une vertu?. Il semble que vous vous posiez cette question, puisque vous exprimez votre étonnement à ce sujet. Si vous avez le désir d’éclaircir la question, lisez la dissertation. Si ce n’est pas le cas dispensez-vous en. C’est votre curiosité qui doit faire loi.
    Il me semble qu’on ne profite jamais autant de la lecture d’un livre ou d’un cours que lorsqu’on va chercher en eux la réponse à des questions que l’on se pose. Utilisez ce blog de cette manière. Par exemple: êtes-vous intéressée par la question de savoir si l’on peut rire de tout? Si oui, prenez la peine de suivre le développement que je propose sur cette question, si non laissez tomber, passez à autre chose.
    Il vaut mieux savoir peu mais bien que tout vouloir parcourir mais superficiellement.
    Les liens indiqués n’ont pas d’autre fonction que d’aiguiser votre curiosité. Mais votre parcours doit rester un cheminement personnel et heureux.
    Bien à vous.

  6. Amélie dit :

    Merci pour ce cours sur la notion de tolérance, qui a contribué à ma réflexion pour ma dissertation « que puis-je tolérer ? » que j’ai dernièrement publiée sur mon blog,

    bien à vous

  7. Jean-Pierre Castel dit :

    Bonjour,
    pourriez-vous me recommander des textes sur l’histoire de la responsabilité individuelle, au sens de de la primauté de l’individu sur le groupe. J’iamgine que les grandes figures de ce développement sont Buddha, Socrate, Jésus, Gandhi? et qu’il y a une très forte relation entre responsabilité humaine et non-violence?
    Merci

  8. Simone MANON dit :

    La notion de responsabilité a dû être élaborée par le droit, c’est-à-dire par l’institution sociale en charge d’endiguer la menace de violence que chacun incarne pour chacun. En ce sens le thème de la responsabilité humaine est plus liée à la violence qu’à l’idéal de la non violence. « L’introduction historique au droit pénal » de Jean-Marie Carbasse est très utile. La collection « Autrement » a aussi consacré, dans sa série Morales, un numéro à la responsabilité. n°14, janvier 1994.

  9. Jean-Pierre Castel dit :

    Merci, mais je me suis mal exprimé. Suite notamment à la lecture du Christ philosophe de f Lenoir, je me suis rendu compte que la figure de Jésus n’était pas seulement axée sur l’amour, mais aussi sur la responsabilité individuelle: autant le judaïsme biblique est d’abord un code de cohésion du peuple hébreu, autant le message de Jésus s’adresse à l’individu, et demande à chacun de décider non par rapport à une loi externe ou une isntitution sociale, mais par rapport à son jugement intérieur (en relation avec Lui dans une perspective croyante). L’une des scènes lesplus éclairantes à cet égard est sans doute celle de la femme adultère. C’est en ce sens que je parle de primauté de l’individu et de responsabilité individuelle. Et il me semble qu’il y a un lien entre cette notion et celle de non-violence: l’attitude non-violente suppose une forme de responsabilité individuelle, comme le montre encore cette scène de la femme adultère, ou comme le montre Gandhi. Ma question sur ce lien entre responsabilité individuelle et non-violence ne se situait donc pas du tout dans le fil du droit. Merci si vous pouvez m’éclairer
    Bien cordialement

  10. Simone MANON dit :

    N’ayant jamais approfondi la thématique de la non violence, je ne me sens pas compétente pour vous répondre de manière autorisée.
    En revanche je peux vous conseiller les livres de Louis Dumont pour comprendre comment le christianisme a contribué au développement de l’individualisme. J’aborde cette question dans ma réflexion sur les deux matrices de l’Europe. § Réflexions sur l’Europe.
    Bien à vous.

  11. jean-pierre castel dit :

    Bonjour,
    Bonjour chère Madame,
    Je m’intéresse à la violence monothéiste, et donc à la tolérance religieuse. Le monothéisme me semble avoir introduit une nouvelle catégorie de vérité que ne connaissait pas le polythéisme, la vérité révélée, donc absolue, par rapport aux vérités d’expérience, mathématiques, historiques (j’emploie le vocabulaire proposé par Jan Assmann), qui sont démontrables ou révisables. La question de la tolérance ne se posait pas chez les polythéistes dont la vérité religieuse était semble-t-il une vérité d’expérience et non une vérité absolue. Dès lors que la monothéisme a inventé cette catégorie de vérité absolue, il semble inévitablement intolérant.

    Je n’ai trouvé comme échappatoire que la position qui consiste à considérer toute religion comme un chemin vers »l’ineffable », et à considérer tous les chemins comme respectables. Mais ceci s’apparente probablement plus à du mysticisme qu’à une foi « ordinaire ».

    Que pensez-vous de cette notion de catégorie de vérité, de catégorie de vérité absolue introduite par le monothéisme, de l’incompatibilité entre monothéisme et tolérance? une vérité absolue est-elle nécessairement unique? Faut-il distinguer foi ordinaire et mysticisme comme je le fais ? autres solutions? Ya t-il d’autres religions que le monothéisme biblique ou coranique qui rentre dans la catégorie des religions révélées et donc de la vérité absolue?
    Merci d’avance

    PS: connaîtriez-vous un linguiste capable de m’éclaire sur la question suivante: l’hébreu biblique est-il une langue intrinsèquement ambiguë compte tenu de sa grammaire, de sa syntaxe, de son vocabulaire, bref une langue « mieux faite pour croire que pour philosopher, plus apte au mystère qu’à la connaissance rationnelle »?

  12. Simone MANON dit :

    Je ne suis pas une spécialiste d’histoire des religions aussi ne puis-je pas vous répondre de manière autorisée.
    Je me permets toutefois une mise en garde contre des jugements hâtifs.
    Le polythéisme n’exclut pas la guerre des dieux. La tolérance n’est pas la vertu des cités antiques; c’est le moins que l’on puisse dire. Souvenez-vous qu’un des chefs d’accusation de Socrate est l’impiété. On l’accuse de ne pas croire aux dieux de la cité. Aristote, Anaxagore n’ont pas non plus été épargnés.
    Toutes les religions sont intolérantes lorsqu’elles fondent l’ordre social. Ce n’est pas le privilège du monothéisme, la question étant de savoir si en tant que Parole révélée celui-ci est plus intolérant qu’un autre type de parole. Dans son article « tolérance, intolérance, intolérable » (Dans Lectures I) Paul Ricoeur soutient au contraire qu’on peut justifier théologiquement la tolérance.
    Je ne connais pas de linguiste capable de vous éclairer sur votre dernière question.

  13. jean-pierre castel dit :

    Merci infiniment. Par hasard, vous ne sauriez pas comment je pourrais me procurer l’article de P Ricoeur?

  14. Simone MANON dit :

    Lectures I est publié aux Editions du Seuil.

  15. jean-pierre castel dit :

    Chère Madame,
    merci infiniment pour ce superbe texte, dans lequel certaines formules sont de véritables bijoux, comme « la pulsion toujours renaissante du pouvoir politique à dire la vérité au lieu de se borner à exercer la justice », « passer de la violence de la conviction à la non-violence du témoignage », avec la boutade finale « l’intolérable c’est l’intolérance ».

  16. bonjour,

    dans le texte ci-dessus trois paragraphes avant la conclusion vous dîtes: « nous ne sommes pas de dieux » le x de dieu m’interpelle et m’amène à me demander si vous voulez dire:

    nous ne sommes pas de dieux

    ou suite à une faute de frappe:

    nous ne sommes pas des dieux

    ce qui change un peu le texte

    merci de votre future réponse
    Philippe

  17. Simone MANON dit :

    Bonjour Philippe
    Vous attirez mon attention sur une faute de frappe et je vous remercie de me permettre de la corriger.
    C’est évidemment: nous ne sommes pas des dieux qu’il faut lire.
    Bien à vous.

  18. Lara dit :

    Cette article peut-il m’aider à faire ma disserte sur « Sur quoi repose le principe de la tolérance? » Auriez vous des livres à me conseiller s’il-vous-plait ? Merci

  19. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il y a une bibliographie qui est indiquée au bas de l’article.
    Bon travail.

  20. Guillaume dit :

    Bonjour Madame,

    Bravo pour votre esprit de finesse et votre travail qui vous ont permis d’élaborer ce blog au contenu d’une richesse remarquable et où l’on apprend beaucoup de choses.
    Sur ce sujet de la tolérance, pensez vous que l’on puisse dire que la vanité soit l’ennemie de la tolérance? La vanité ce sentiment qui pousse l’individu à réaliser ses actions dans l’unique but d’avoir des admirateurs et d’en retirer un bénéfice d’égo. Ainsi ne le
    pousserait-elle pas à l’intolérance lors d’une prise de conscience de la pensée d’autrui? Le vaniteux ne pouvant séduire celui aux croyances différentes des siennes, le rejetterait pour ne pas avoir à affronter l’échec par l’indifférence voire l’opposition ce qui le priverait de son existence illusoire par le vide ou la destruction.

    Bien à vous

  21. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Que la présence des autres dans la pluralité qui la caractérise soit source de blessure narcissique pour ceux qui voudraient exister favorablement dans le regard des autres est une chose. Qu’on ne puisse accepter cette pluralité dans l’attitude intolérante en est une autre. L’intolérance procède plus d’un rapport perverti à la vérité que d’un trait psychologique.
    Bien à vous.

  22. Guillaume dit :

    Madame,

    Qu’entendez-vous par « rapport perverti à la vérité » ? Il me semblait que c’est ce que je voulais dire en parlant « d’existence illusoire » basée sur une représentation particulière de l’être et du non être et donc sur une vérité en l’occurrence fausse.
    C’est cette illusion de la vérité que Socrate tentait, pour le bien et à l’aide de la dialectique, de briser dans ses dialogues avec des interlocuteurs qui bien souvent – et je parle en particulier des sophistes – ne le recevaient pas de bonne augure car se sentaient remis en cause dans le logos qu’ils s’étaient construit et qui leur permettait de briller en société. C’est ce comportement, guidé par un rapport perverti à la vérité, que caractérise la vanité, fumier de l’intolérance avec un grand « I ».
    Plutôt que de porter en respect ce pauvre Socrate; qui eut le courage de réclamer cet honneur en connaissance des conséquences dramatiques que cela allait induire sur les votes des jurés, la société athénienne, dans toute son intolérance, jugea de lui faire boire la ciguë en lui reprochant la faute ultime de faire défaillir les vérités universelles (ne pas reconnaitre les Dieux de la cité, introduire des divinités nouvelles) et de pervertir la jeunesse. Ne pouvons-nous pas y voir, dans cette société, une illustration de l’intolérance qui a pris ses racines dans l’individu ?

    Merci de faire progresser mes lumières.

    Bien à vous

  23. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Il ne faut pas tout confondre et il faut faire l’effort de clarifier votre expression.
    Par définition un homme qui existe, fût-il un vaniteux, n’a pas une existence illusoire mais une existence bien réelle.
    La vanité est le défaut d’une personne étalant une haute idée d’elle-même. Cette complaisance peut être tout à fait étrangère au souci de la vérité. On a un rapport perverti à la vérité lorsqu’on prétend la posséder plutôt que la chercher. Car la vérité est une valeur qui doit pouvoir être reconnue par tout être raisonnable, ce qui suppose de la part de chacun doute, réflexion, dialogue en étant ouvert à l’altérité et modestie car « nous avons une impuissance à prouver invincible à tout le dogmatisme » Pascal.
    Bien à vous.

  24. Guillaume dit :

    Bonjour,

    Je prends note et vous remercie pour vos explications et conseils.

    Bien à vous

  25. GI dit :

    Bonjour madame,
    Merci pour votre article. Cependant, il ne semble pas que la citation soit de Voltaire : http://www.projet-voltaire.fr/blog/actualite/voltaire-citation-apocryphe-je-ne-suis-pas-daccord-avec-vous

    Très intéressant également : le paradoxe de la tolérance de Popper.
    Bien à vous,
    GI

  26. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Le caractère apocryphe de cette formule attribuée à Voltaire est indiqué dans le NB de cette dissertation. https://www.philolog.fr/la-tolerance-est-elle-un-vice-ou-une-vertu/
    Bien à vous.

  27. Fabien Latour dit :

    Bonjour Madame,
    J’ai lu récemment la « Lettre sur la tolérance » de John Locke dans le cadre d’un cours, et on a fait de cette lettre l’ancêtre de la laïcité.
    Mais Locke condamne sévèrement les athées, et pour lui il semble que l’homme doive être croyant.
    Je n’ai pas l’impression qu’il cherche à émanciper les individus de leur foi. Ça ne me semble pas très laïque.
    Quand j’entends les débats ou que je lis des articles, j’ai plutôt l’impression qu’il est tolérant pour les confessions comme dans le multiculturalisme. Est-ce que je me trompe ? Je ne suis plus sûr…
    Merci d’avance pour votre réponse.

  28. Simone MANON dit :

    Bonjour
    John Locle est considéré comme l’ancêtre de la laïcité parce qu’il préconise la séparation des Églises et de l’Etat. La puissance publique n’a pas à intervenir dans le domaine des croyances religieuses et réciproquement. Néanmoins le principe de tolérance exclut les papistes parce qu’ils reconnaissent une autre souveraineté que celle de l’Etat national, et les athées. N’oubliez pas que nous sommes au XVIIème siècle. Les corps politiques ont toujours eu jusque là une assise religieuse. D’où le problème : le lien politique est-il viable sans un lien à une transcendance garante de l’obéissance civile? Bref peut-on concevoir une autorité politique respectée si les membres d’une société ne se sentent pas tenus d’honorer leurs engagements par autre chose que la puissance publique?
    Il ne s’agit pas pour Locke d’émanciper les consciences de la foi (laïcité mal comprise), seulement d’émanciper le politique de la prétention de toutes les religions à le régir. La tolérance inclut toutes les croyances dès lors qu’elles ne sont pas une menace pour l’ordre politique.
    Bien à vous.

  29. Fabien Latour dit :

    Bonjour Madame,
    Merci beaucoup pour votre réponse. Je ne sais pas pourquoi j’ai écrit que la laïcité était d’émanciper les individus de leur foi, je voulais dire émanciper la société civile de l’emprise de la religion. J’avais l’impression que la laïcité, ce n’était pas seulement la séparation de l’Église et de l’État, mais aussi de « libérer » la société civile de l’emprise religieuse, en tout cas plus que dans les sociétés comme l’anglaise ou l’américaine où, justement, on tolère beaucoup plus de choses qu’en France, et cela me semblait être issu de Locke.
    Je me demande si un philosophe comme Rousseau a réfléchi à ça. Les révolutionnaires se sont-ils inspirés de Locke ?
    Bien à vous.

  30. Simone MANON dit :

    Bonjour
    La conquête de la laïcité n’a pas été une mince affaire dans un pays comme la France où l’église catholique exerçait un pouvoir hégémonique sur toutes les sphères de la société.
    Voyez sur ce blog les articles consacrés à la laïcité. Utilisez l’index pour qu’ils s’affichent.
    https://www.philolog.fr/quest-ce-que-la-laicite/
    https://www.philolog.fr/laicite-une-conquete-historique-difficile/
    Dans le Contrat social tel que le théorise Rousseau, la religion, quelle qu’elle soit, est exclue de toute fonction fondatrice. Néanmoins Rousseau définit le principe, fort problématique, d’une religion civile qui lui paraît nécessaire pour rendre possible la tolérance.
    Bien à vous.

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