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Peut-on fonder le mariage sur l'exaltation passionnelle?

Marc Chagall. Les mariés de la tour Eiffel. 1938.1939. Musée d'art moderne. Centre Pompidou.

 

       Comme le remarque Michel Feher dans un article sur l’amour conjugal chez Denis de Rougemont, Revue Esprit n°8-9, août, septembre 1997 : « Les joies du mariage ne captivent guère les Occidentaux qui ne cessent de rêver des amours fatales de Tristan et Iseut ou des glorieux méfaits de Don Juan. Trop confortable pour répondre aux aspirations romantiques mais trop rigoureux pour satisfaire le goût libertin, le lien matrimonial souffrirait avant tout d’être conçu pour durer : il mettrait fin à l’excitation des aventures passagères sans pour autant répondre aux promesses d’éternité contenues dans les aspirations inassouvies ».

 
 Pure institution sociale hier, ordonnée à d’autres fins que les aspirations individuelles, le mariage est aujourd’hui investi par l’idéologie individualiste. Nos contemporains ont conquis le droit de contracter librement le lien matrimonial. Ils en attendent leur bonheur personnel et ils le fondent sur leur sentiment passionnel. On se marie parce qu’on s’aime et pour être heureux. La question est de savoir si par cette attente et par ce fondement les candidats au mariage n’exposent pas cette institution à la crise qu’elle connaît aujourd’hui, crise patente dans la multiplication des divorces.
 

 PB : Pourquoi n’est-il pas  raisonnable de fonder le mariage sur l’exaltation passionnelle ?

 
   Pour s’en convaincre il suffit d’analyser les caractéristiques de l’une et de l’autre. Leur antinomie ne peut manquer d’apparaître clairement.
 

   L’exaltation amoureuse est un affect vécu dans un présent donné. Comme tout affect, elle est un état qu’éprouve l’âme indépendamment de sa volonté. Elle suppose l’action sur la personne de quelque chose suscitant l’état amoureux. Sous forme brusque, comme dans « le coup de foudre » ou de manière plus lente par l’effet d’une habitude, le sentiment amoureux transit celui dont on dit qu’il « tombe amoureux ». Eloquence de la formule! Pas plus qu’on ne se retrouve par terre par sa propre initiative, on ne décide de s’enflammer pour quelqu’un.  Cela vous arrive sans crier gare et si le vécu peut être délicieux, il n’en est pas moins subi. Dès lors comment  être sûr que cet état perdurera et que j’éprouverai encore demain les mêmes émotions ? Tout le monde ne sait-il pas que « l’amour est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser », qu’il est « un enfant de bohème » n’ayant « jamais connu de loi » comme le chante Carmen dans la habanera?

  Or comme toute institution le mariage a ses lois. Il repose sur un engagement réciproque par lequel chacun fait le serment d’aimer l’autre pour la vie entière et de lui être fidèle. Il met en jeu une promesse liant l’avenir à une décision présente. Comment donc sans inconséquence fonder cet engagement sur un état affectif dont nul ne peut  répondre de la durée?

   Gabriel Marcel a bien décrit le dilemme : «  Au moment où je m’engage ou bien je pose arbitrairement une invariabilité de mon sentir qu’il n’est pas réellement en mon pouvoir d’instituer, ou bien j’accepte par avance d’avoir à accomplir, à un moment donné, un acte qui ne reflètera nullement mes dispositions intérieures lorsque je l’accomplirai. Dans le premier cas je me mens à moi-même, dans le second c’est à autrui que par avance je consens à mentir ».

   Dans la mesure où il n’appartient pas à l’homme sur le plan passionnel de pouvoir enchaîner le temps, on peut donc dire que c’est folie de prétendre instituer la durée d’une relation sur ce dont on ne peut présumer la durée. Les candidats au mariage ne sont pas exonérés d’être conscients des lois de l’affectivité et de la temporalité. Ils doivent savoir que l’exaltation amoureuse qu’ils éprouvent actuellement est destinée à se transformer voire à se dissiper. Pourquoi ?

    Parce que la passion au quotidien est une contradiction dans les termes. La brûlure d’amour requiert certaines conditions pour être suscitée et pour perdurer. Ainsi ce qui porte le désir à son point d’incandescence n’est jamais un être réel, frappé par la finitude, la relativité, l’imperfection de tout ce qui existe. Ce qui fait flamber le désir sous forme infinie et exclusive est toujours un être transfiguré par l’imaginaire. La puissance d’envoûtement de celui-ci procède de ce qu’il cristallise pour le passionné : la magie de l’ailleurs, la perfection rêvée, la divinité dont toute âme a secrètement la nostalgie.

    Proust, comme tout grand écrivain, a su décrire cette alchimie des élans passionnels. L’amour dit-il naît « de tout qu’une imagination humaine peut mettre derrière un petit morceau de visage ». « En étant amoureux d’une femme nous projetons simplement en elle un état de notre âme… par conséquent l’important n’est pas la valeur de la femme mais la profondeur de l’état ». « Albertine n’était comme une pierre autour de laquelle il a neigé, que le centre générateur d’une immense construction qui passait par le plan de mon cœur ».

   Tous les personnages  de la Recherche du temps perdu aiment autre chose qu’autrui dans sa réalité concrète, dans leur objet d’amour. Swann n’est pas épris d’Odette telle qu’elle est ; ce qu’il aime en elle c’est le monde qu’elle ouvre pour lui, le monde de Botticelli par l’effet fugitif d’une position, qui, un jour, figure pour son âme seule, Séphora la fille de Jethro dans le chef d’œuvre de la Chapelle Sixtine. Le narrateur n’est pas dans sa jeunesse séduit par Gilberte, la jeune fille réelle. Il l’aime pour autre chose, le monde inconnu qui le fait rêver, celui de Bergotte, l’écrivain admiré que Gilberte a la chance de fréquenter parce qu’il est un ami de sa famille. A l’origine du désir amoureux et de sa torture, il y a toujours chez Proust la fascination d’un monde inconnu dont le mystère et les promesses tissent la séduction de l’être aimé.
 
   Or la cristallisation de l’idéal ne résiste pas à l’épreuve de la réalité. Vient toujours un moment où l’écart entre l’être concret et l’être rêvé se creuse. On « tombe des nues », comme on dit. L’expression est significative. L’idéal est au ciel mais c’est sur la terre que nous avons à vivre et le mariage met en rapport des être réels dans un temps et un espace réels. Il s’ensuit qu’à vouloir fonder ce qui s’inscrit dans le réel sur ce qui se vit dans l’imaginaire on s’expose nécessairement à la désillusion.
 
   D’où le secret de l’amour passion. L’obstacle lui est consubstantiel. Il y a en lui comme une ruse du désir, tout se passant comme si celui-ci n’ignorait pas que sa condition réside dans son ascèse, dans la distance l’éloignant de son objet. Albertine n’est passionnément aimée qu’insaisissable, fugitive, Albertine possédée, prisonnière, ne suscite plus que l’ennui. « Réduite à elle-même, elle était devenue la grise prisonnière » écrit Proust, ou encore : « on n’aime que ce qu’on ne possède pas ». L’expérience de la possession est expérience de la déception. La trivialité se substitue au mystère, l’inévitable quotidienneté aux sortilèges de l’ailleurs. Cet ailleurs dont parle Iseut : « Ami, ferme tes bras et accole-moi si étroitement que dans cet embrassement, nos cœurs se rompent et nos âmes s’en aillent ! Emmène moi au pays fortuné dont tu parlais jadis : au pays dont nul ne retourne, où des musiciens insignes chantent des chants sans fin. Emmène moi ! Et Tristan lui fait écho : « Ma dame m’envoie au loin préparer la maison claire que je lui ai promise, la maison de cristal, fleurie de roses, lumineuse au matin quand reluit le soleil ». Joseph Bédier. Tristan et Iseut.
 
    Est-il besoin de préciser que cette maison n’est de nulle part ? Les amants fous le savent confusément et ils agissent comme s’ils savaient que tout ce qui s’oppose à leur amour le fortifie dans leur cœur. L’amour passion n’est donc possible que dans la séparation, ce qui est aux antipodes du mariage. Car dans le mariage il n’est plus question de brûler d’être séparés, il s’agit au contraire de s’aimer d’être unis.
 
   Alors sur quoi fonder l’aventure conjugale s’il est vrai qu’on fait fausse route à demander au mariage ce qu’il ne peut pas donner ?
 
   En parlant d‘aventure, on veut signifier qu’il peut y avoir dans le mariage quelque chose d’aussi exaltant que dans l’aventure passionnelle car il ne s’agit de célébrer ni l’ennuyeux mariage bourgeois fondé sur des motifs raisonnables (désir de fonder une famille, protection des patrimoines, rempart contre la solitude, stabilité sociale) ni le mariage institué au XII° siècle par l’Eglise comme moyen de contenir la concupiscence de la chair (Cf. St Paul : « Il vaut mieux se marier que brûler » Cor, V, 8). Il s’agit de célébrer le mariage comme une œuvre que deux êtres patiemment et avec enthousiasme édifient chaque jour. Ce qui suppose d’enchaîner le temps à son projet mais sur quelle base ce pari est-il possible ?
 
   D’abord sur la conviction que le réel est plus riche que l’imaginaire et qu’il y a plus de bonheur à attendre d’une attitude bienveillante à son endroit qu’il n’y en a à le refuser. Il faut s’interdire de croire avec Rousseau que « le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité » La Nouvelle Héloïse. Le seul pays digne d’être habité est celui qui existe, un pays sanctifié par le visage de l’homme et la parole qui l’appelle à sa vocation. Pour qui sait regarder, il y a plus à aimer qu’à mépriser ou à haïr. Nos capacités d’amour sont en général inemployées parce que nous dédaignons l’offrande du jour au profit de fantasmes stériles. Ce qui signifie concrètement que les personnes réelles sont plus consistantes que les princes ou les princesses rêvés. Ceux-ci ne nous font jamais sortir de nous-mêmes et à trop s’aimer soi-même on n’embrasse que le vide. L’autre, dans son irréductible altérité, ouvre au contraire de nouveaux horizons. Il incarne une manière d’être au monde différente, un continent à explorer avec ses surprises, une virtualité à accomplir. Il enrichit le monde d’un possible et le sauve de la monotonie du régime de l’identité.
 

   Mais cette réhabilitation du réel ne suffit pas. Notre malheur d’ordinaire vient de ce que nous ne savons aimer que d’un amour de concupiscence. Tel est l’éros grec. Elan d’un sujet vers un objet dont il attend la satisfaction, l’amour-désir est égocentrique. Autrui n’est qu’un moyen de combler le moi non une fin en soi. Le vecteur de l’amour n’est pas toi, c’est moi,  un moi cupide qui sera vite lassé dès qu’il cessera d’être exalté et comblé. Ce qui est inévitable pour les raisons énoncées précédemment. Le mariage ne peut donc pas se fonder sur l’amour de concupiscence. Il n’a d’avenir qu’autant qu’il existe une autre sorte d’amour, celui dans lequel doit se dépasser l’affect originaire pour fonder durablement la relation matrimoniale.

  Quelle est donc cette autre forme? Il se trouve que le christianisme l’a enseignée sous le nom  de charité, d’amour du prochain ou d’amour-don, son modèle étant l’amour de Dieu pour l’humanité pécheresse, un amour si grand qu’il lui a sacrifié son fils. Ce rappel  n’a évidemment pas  bonne presse dans un monde se targuant d’avoir rompu avec la religion. Aussi importe-t-il de préciser que le christianisme a constitué en noyau dur de sa morale une manière de se projeter vers l’autre qu’il est possible d’affranchir de toute croyance religieuse. L’amour du prochain n’a pas besoin d’être fondé en Dieu pour trouver dans le coeur de l’homme un écho et l’on peut en universaliser le principe dans un monde entièrement  sécularisé. Son éminente valeur tient au fait qu’il n’est pas comme l’éros grec un amour égocentré s’enflammant pour un objet idéalisé et requérant de lui la satisfaction de son élan mystique. Il s’agit d’ un amour orienté vers une personne singulière que l’époux ou l’épouse s’engage à chérir quotidiennement par une sollicitude constamment renouvelée. L’amour du prochain ou l’agapè est altruiste par vocation, attentif à la personne réelle, apte par cette disposition à découvrir ou à faire croître en elle des qualités insoupçonnées, soucieux avant tout de son bien. Ce n’est plus une exaltation de soi par la médiation de l’autre, l’appel du divin arrachant à la terre pour le mirage d’une communion mystique avec le ciel. C’est un mouvement de déposition de soi dans son aspiration à être Dieu pour consentir aux limites et à la richesse de l’humain. Il s’effectue comme acceptation de notre commune solitude qu’il est possible de partager mais certainement pas de supprimer. Il commence vraiment avec l’affirmation de la priorité de l’autre sur soi et la résolution de travailler à son bonheur. Autant dire qu’il  faut être libéré des impatiences et de l’égoïsme de la jeunesse pour savoir aimer ainsi car  l’ascèse de soi, comme tout ce qui est grand et beau, doit être conquise. Ainsi devient effectif cet amour décrit par St Paul  : «  La charité est patiente, la charité est dévouée. La charité n’est pas envieuse, elle n’est pas infatuée, ni hautaine. Elle ne fait rien de malséant, elle ne recherche pas son intérêt, elle ne s’emporte pas, elle ne tient pas compte du mal […] » l’Epître aux Corinthiens 

   L’agapè ne convoite pas, elle donne, elle répand sur le monde et sur l’autre sa bienveillance. Elle n’est pas un sentiment où l’on est passivement amoureux, elle est un amour-action s’affermissant d’être actualisé au jour le jour. Au fond, il en est de la relation à l’autre ce qu’il peut en être de la vie en général. Celle-ci est un projet, une oeuvre. Certes ce projet est aux prises avec les résistances du réel mais pour autant qu’une oeuvre se construit au jour le jour et dépend de soi, elle sera ce que l’on a décidé qu’elle soit.

   C’est donc sur un authentique amour centré sur l’autre et non sur soi que l’on peut fonder la relation matrimoniale. Des personnes engagées réciproquement dans une telle relation ne peuvent qu’être aimables l’une à l’autre et ce qui est aimable suscite l’estime et entretient l’amitié. Cependant le mariage ne vit pas que d’amitié. La question est donc de savoir, en dernière analyse, s’il est possible de suivre la leçon de Denis de Rougemont, lorsqu’il pointe la supériorité de l’amour conjugal sur ses concurrents érotiques (Tristan et Don Juan). Il affirme en effet que cette supériorité n’est pas seulement d’ordre éthique. L’amour conjugal est aussi plus riche en jouissances et en bonheur, prétend-il.  

   Sur ce point, il faut être prudent. Il n’y a sans doute pas de vérité universalisable. La relation matrimoniale, comme tous les vécus est marquée par la singularité des situations, des personnes concernées et des événements affectant l’histoire d’un couple. On peut simplement, sans prendre trop de risques, affirmer qu’une grande part de chance doit être convoquée.

   En effet, il ne suffit pas de remarquer qu’on reçoit sans doute plus à donner qu’à demander. Car le bonheur amoureux passe par une entente des corps, par une complicité des âmes et l’amour du prochain n’y suffit pas. Cela ne peut être donné que de surcroît comme une grâce. Il se peut que cette grâce soit au rendez-vous de l’amour conjugal. Denis de Rougemont est porteur de cette « bonne nouvelle » mais il ne la clame pas haut et fort car selon la conception protestante de la grâce, celle-ci est refusée à ceux qui se donnent pour but de l’obtenir.
 

   A méditer cette belle analyse comparant l’amour donjuanesque, l’amour passionnel et l’amour conjugal.

   « Le mari authentiquement chrétien et ses deux rivaux se distinguent dans leurs rapports à la durée, que les sectateurs d’éros refusent d’assumer. Don Juan s’applique à réduire le temps au renouvellement permanent d’un instant d’excitation aussitôt assouvie, soit encore à conjurer la durée en demeurant toujours en deçà d’elle. Tristan s’ingénie à nier le temps qui le sépare d’une fusion éternelle avec l’âme d’Iseut, c’est-à-dire à récuser la durée en se situant déjà au-delà d’elle. Quant à l’époux dont Denis de Rougemont réclame l’avènement, il est le seul à accueillir le temps dans sa plénitude, en s’engageant à aimer son épouse pour le reste de son existence. Il s’impose donc comme l’homme pour qui la durée n’est plus une cause d’ennui ou un motif d’impatience, mais bien la substance où l’amour accomplit son oeuvre, Opposés dans leurs manières d’habiter le temps, les trois artistes de l’amour occidental se séparent également dans leur traitement de la femme. Pour Don Juan, celle-ci ne constitue que l’objet de son désir ponctuel, de sorte qu’elle n’existe à ses yeux que pour être séduite et abandonnée. Au contraire, Tristan et ses émules élèvent leur Iseut au rang d’un idéal inaccessible et radieux, auquel ils affectent de rendre un culte éternel. Corps concret mais négligeable d’un côté, idole inaltérable mais abstraite de l’autre: le séducteur insatiable et l’amant passionné ont pourtant en commun d’occulter l’humanité de la femme. En revanche, l’époux animé par l’amour du prochain reconnaît son épouse comme une personne tout à la fois charnelle et spirituelle, absolument singulière et nécessairement imparfaite. Bien plus, un tel mari manifeste l’égalité complète des membres du couple, puisqu’il ne demande rien d’autre à sa femme que de le reconnaître à son tour comme la personne qui lui a promis de l’aimer fidèlement.
   Enfin, la supériorité de l’amour conjugal sur ses concurrents « érotiques » ne se manifeste pas seulement du point de vue de l’éthique- c’est-à-dire des rapports au temps et à l’aimée – mais également sur le plan de la jouissance. A l’appui de cette dernière proposition, Denis de Rougemont rappelle d’abord que Don Juan ne préserve la disponibilité permanente de son désir qu’en se privant des délices de la passion, tandis que Tristan doit impérativement sacrifier les plaisirs des sens à l’entretien de sa flamme. En revanche, le couple qui entre inconditionnellement dans le mariage ne doit renoncer à rien, même s’il n’est pas censé se soucier des bénéfices érotiques que peut lui rapporter son acte. Plus précisément, si un mari parvient à aimer à la hauteur de son engagement, c’est-à-dire à aimer sa femme comme une autre personne – et non comme un objet inanimé ou un reflet de son âme -, alors la communion qu’ils vont former va nécessairement préserver la distinction, et même une distance infranchissable entre les deux membres du couple; tout comme la communion du Christ et de son Eglise ne comble pas le gouffre qui les sépare. Or, que veut la passion pour brûler, sinon une distance toujours maintenue entre l’amant et l’aimée? Et que veut la séduction pour poursuivre sa course, sinon un désir-phénix qui n’est jamais ni frustré ni repu? Tout se passe donc comme si l’être apparemment chimérique, qui répondrait à la fois aux fantasmes de Tristan et aux appétits de Don Juan, n’était tout simplement qu’une femme mariée, aimée « personnellement » par son époux. Une telle épouse jouit en effet de l’ « étrangeté fascinante» dont est parée toute personne autonome, alors même qu’elle ne se refuse pas aux caresses de son mari. Autrement dit, éros et agapè pourraient enfin nouer une alliance tenable, où le premier ne serait certes pas le motif d’un mariage se réclamant du second, mais plutôt sa récompense inattendue ». Michel Feher, Ibid.