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Joyeux Noël !

 

 

   Voici venu le temps de la fête. 

  

  Fête chrétienne d’abord. « Il est né le divin enfant, chantons tous son avènement ». 

  Certes, on n’est pas obligé de croire à ce beau récit ; mais est-il possible de refuser sa signification allégorique ? 

  Un enfant nous est né… Evénement banal, et pourtant toute naissance  ne  figure-t-elle pas, dans le secret du coeur humain, la promesse du renouveau, l’espérance d’avoir mis au monde l’exception capable de porter à maturité une virtualité humaine inédite et d’orienter le cours de l’histoire sous une forme supérieure? Il ne s’agit pas d’entretenir ici, la croyance au Messie, tant il va de soi que le salut ne peut venir que de la communauté humaine rassemblée. Mais il faut des paroles, des exemples, des énergies propres à cristalliser en un mouvement collectif ce que chaque homme a de meilleur. Il y faut « les héros de la moralité » selon la formule de Bergson ou « les grands serviteurs de l’humanité » selon celle d’Auguste Comte. 

  Tout enfant incarne cette espérance. Pour ses parents, bien sûr, puisqu’il est pour eux l’accomplissement du miracle de l’amour, la consolation de leur finitude et ce qui les arrache aux ombres du passé pour ouvrir, comme un défi, un rêve d’avenir. Pour tous les autres aussi, car un avenir ne peut pas être meilleur, au sens fort du terme,  pour un fragment seulement de la famille humaine au mépris de tous ceux qui foulent cette terre et auxquels nous nous sentons liés par une fraternité charnelle et une obligation spirituelle et morale. 

  Poésie de la nativité. Nouveau-né obscur ou nouveau-né glorieux, tu es fragile comme le plus faible et le plus pauvre d’entre nous, divin comme l’espérance de l’humanité en puissance, mélancolique aussi, comme l’inquiétude d’un trop beau rêve.   

  Noël ou la gloire de l’être dans sa victoire toujours recommencée sur les forces du non-être. Réjouissons-nous, il est né le divin enfant. Quelque part sur la planète bleue, poussent leurs premiers cris ceux qui, demain, nous feront grandir en intelligence de l’esprit et du cœur. Pourquoi ne pourrions-nous pas, transcender les clivages religieux si destructeurs, pour nous réunir par delà la crèche de Bethléem, autour de cette valeur universelle ? 

  Noël, rêve encore d’un œcuménisme, en dehors duquel je ne parviens pas à concevoir un avenir de paix. 

  Bienheureuse fête,  même si je n’ignore pas que la grâce de la joie sans mélange n’existe que pour quelques heureux élus. 

  Car il faut éviter de mentir et avouer que le temps des lumières est dur à vivre pour les cœurs solitaires, les âmes en souffrance et même pour tout un chacun, tant la conscience porte en elle ses orages et ses angoisses. C’est pour cela, paradoxalement, qu’il faut faire l’éloge de la fête. Tout sourire  conquis sur la détresse signe la défaite des puissances nocturnes. 

  Voilà pourquoi, en pensant à tous ceux qui me sont chers et dont le coeur pleure, je veux dire : vive la fête! Elle a le mérite de rompre la quotidienneté, de suspendre le temps du travail, de rassembler les familles ou les amis et d’exhiber ce par quoi l’existence humaine s’accomplit comme désir et non comme besoin. 

  Il me plaît d’insister sur ce point car, ayant terminé le trimestre par une réflexion sur le désir, j’ai entendu dire de manière récurrente qu’il serait inessentiel, fondamentalement « superficiel » et « frivole ». 

  Méditant cette réponse à mes questions, je suis frappée par l’indécence de ce jugement, heureusement relativisée par la jeunesse de mon auditoire.  Car, seuls les membres d’une société de nantis peuvent ainsi occulter la vérité de leur propre existence. Ils disposent presque tous d’Internet, de téléphones portables, vont au spectacle, habitent des logis confortables, partent en vacances, mangent, santé oblige! cinq fruits par jour etc. Mais, soit culpabilité souterraine, soit inconscience, ils semblent méconnaître les conditions d’une existence proprement humaine. Les damnés de la terre n’ont pas cette légèreté car ils savent par expérience  qu’une vie réduite à la tyrannie du besoin est « une vie de chien ». 

  

  Alors oui, pendant ces temps de fête nous allons un peu plus encore que d’habitude exister comme une créature du désir et non une créature du besoin. La musique accompagnera nos libations et  nous excellerons dans l’art de détourner les fonctions vitales de leur trivialité, en leur donnant une forme dans laquelle l’esprit se sent chez lui. 

  Nous allons manger, moins pour nous nourrir que pour réjouir les yeux et les papilles, pour nous émerveiller d’habiter un monde guetté par la barbarie, dès lors qu’on oublie de lui donner une justification esthétique et éthique. 

  Car chacun sait bien qu’il y a une parenté du bien et du beau, même si la modernité a rompu la belle totalité. Il s’agit toujours de donner forme et il suffit de feuilleter le livre d’Umberto Eco : Histoire de la laideur, pour se dire que ce qui sauve le laid, c’est toujours une manière d’être relevé dans une forme rayonnante d’esprit. 

  Alors, jeunes gens, il ne faut pas oublier que les nourritures spirituelles ne disqualifient pas les nourritures terrestres. Elles les subliment. Pour célébrer l’amour des vôtres et comme une prière à ce qui fait la supériorité de l’humaine condition, à vos fourneaux ! Libérez les ressources de votre imagination pour concocter un bon petit plat, pour décorer la table avec originalité et pour chanter par vos talents multiples et divers le bonheur d’exister. 

  En ce qui me concerne, je veux rendre ici hommage à mon amie Mercotte, grâce à qui j’ai conquis quelque modeste talent culinaire. Vous pouvez tous vous mettre à son école grâce à son blog (www.mercotte.fr [1]) et à ses livres. 

  Et ne venez pas me dire qu’il faut être riches pour rendre un culte au beau. La belle forme va presque toujours de pair avec la simplicité. 

  

         

 

  
 
 

Bonnes fêtes et bonnes vacances.