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Nelson Mandela.

Nelson Mandela, http://levenementprecis.com/?p=23309 

 

Joyeuses fêtes à tous et  tous mes vœux de bonheur pour la nouvelle année.

 

   Puisqu’on vient de rendre un hommage planétaire à Nelson Mandela, qu’il me soit permis d’inviter à lire ses textes.

   Il regrettait qu’on ait fait de lui un mythe, lui qui n’était qu’un homme. Un homme modeste de surcroît, si l’on s’en tient à ses écrits. Leur lecture révèle une grande simplicité de ton, une confiance absolue dans la justice de son combat et dans sa victoire ultime, une réticence à parler de ses sentiments personnels pour autant que ceux-ci concernent son intimité et non le combattant de la liberté avec les désirs, les révoltes, les espérances qui sont ceux de l’homme universel. Admirable pudeur en ces temps si peu pudiques, où tant de personnes se complaisent dans la contemplation d’un ego dont elles ne parviennent pas à se libérer. Nelson Mandela a su élargir son « moi » à la dimension d’un « nous ». Il a incarné sous une forme exemplaire le prix qu’un être humain doit payer pour conquérir sa propre humanité et la faire triompher en soi et hors de soi.

   Je suis frappée par l’importance qu’il confère à la prison dans l’éclosion de ce qu’il a de meilleur. Il ne fait pas mystère d’une certaine nostalgie de cette époque tragique de son existence. L’expérience de la fraternité ; l’épreuve au quotidien de l’adversité comme école de la connaissance de soi et apprentissage du contrôle de soi ; le retrait forcé de l’agitation mondaine comme distance propice à  un regard lucide sur toute chose ; la solitude et le temps libre pour lire et pour penser.  

  Au fond, bien qu’il n’en fasse jamais l’apologie, Mandela confesse que la prison a été pour lui l’occasion d’une ascèse sans laquelle il n’aurait peut-être pas pu déployer une authentique vie spirituelle. Et on a l’impression que « la vie normale » lui semble, par bien des aspects, une menace d’aliénation. L’urgence de l’action, le travail, la vie affective, le militantisme détournent l’homme de méditer sa condition, l’enchaînent à ses passions, le privent du loisir propice à la lecture et à la réflexion.

   Pascal avait déjà dit cela avec sa dénonciation du divertissement [1].

   Chacun peut d’ailleurs vérifier que la profondeur spirituelle n’est pas l’apanage de ceux qui ne cessent de s’agiter et les grands philosophes nous ont appris que sans effort ascétique, la rectitude de la pensée et les vertus morales n’ont guère de chance de se conquérir.

   Mais il faut déplorer deux choses :

-d’une part que les hommes aient souvent besoin des situations d’adversité (maladie, deuil, prison. Ce que Karl Jaspers appelait des situations-limites) pour cultiver les ressources de leur âme. L’éveil philosophique rendu possible par une école digne de ce nom ne devrait-il pas y suffire? 

-d’autre part  que cet éveil expose souvent à la tragédie. Socrate est condamné à boire la ciguë, le Christ au supplice de la croix, Mandela à 27 ans de prison…

   Comme il l’écrit : « Le chemin de ceux qui prêchent l’amour au lieu de la haine n’est pas facile. Ils doivent souvent porter une couronne d’épines » Message à la Convention mondiale sur la paix et la non-violence, New Delhi, inde, 31 janvier 2004. Pensées pour moi-même, Points, 2930, p. 64.

 

Lettre à Winnie Mandela, détenue à la prison de Kroonstad, datée du 1er février 1975.

 

   « Tu t’apercevras sans doute que la cellule est un lieu parfait pour apprendre à se connaître et pour étudier en permanence et dans le détail le fonctionnement de son esprit et de ses émotions. Les individus que nous sommes ont tendance à juger leur réussite à l’aune de critères extérieurs, tels que la position sociale, l’influence, la popularité, la richesse ou le niveau d’éducation. Ce sont bien sûr des notions importantes pour mesurer sa réussite – et on comprend que beaucoup tentent d’obtenir le meilleur d’eux-mêmes sur ces points. Mais d’autres critères intérieurs sont peut-être plus importants pour juger de l’accomplissement d’un homme ou d’une femme. L’honnêteté, la sincérité, la simplicité, l’humilité, la générosité, l’absence de vanité, la capacité à servir les autres – qualités à la portée de toutes les âmes – sont les véritables fondations de notre vie spirituelle. Mais cette réussite-là n’est pas accessible sans un travail d’introspection véritable et une connaissance de ses forces et de ses faiblesses. La détention a au moins le mérite d’offrir une bonne occasion pour travailler sur sa propre conduite, corriger 1e mauvais et développer le bon que l’on porte tous en soi. La pratique régulière de la méditation, disons un quart d’heure chaque jour avant de se coucher, peut y être très utile. Il est possible que dans un premier temps tu aies du mal à identifier les éléments négatifs de ta vie, mais tu en seras récompensée si tu en fais 1’effort régulier. N’oublie pas qu’un saint est un pécheur qui cherche à s’améliorer. » Conversations avec moi-même, Points, 2730, p. 225.226.