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Méthodologie de la dissertation philosophique.

 

  

   

     Dissertation signifie discussion, dispute. Elle est le moment où un élève est convoqué à un authentique effort de la pensée. Elle est la philosophie en acte.  

  

   Or qu’est-ce que penser ? Ce n’est jamais opiner c’est-à-dire affirmer sans examen. « Penser, disait Alain, consiste essentiellement à savoir ce que l’on dit et si ce que l’on dit est vrai ».  

   C’est toujours réfléchir, faire retour sur des énoncés afin d’en interroger le sens, la valeur de vérité s’il s’agit d’un énoncé théorique (doxique ou scientifique), la valeur morale s’il s’agit d’une affirmation morale et le fondement. Cette démarche consiste donc à  s’arrêter sur des idées (« Penser c’est s’arrêter ») pour expliciter leur substance, saisir leurs présupposés et leurs enjeux, leurs limites et par suite procéder à leur dépassement par des idées plus pertinentes. Penser consiste à découvrir que rien ne va de soi et que tant que l’on n’a pas fait subir à une idée l’épreuve du feu, elle demeure un impensé. L’épreuve du feu c’est le débat contradictoire. La dissertation suppose donc le sens dialectique.  

   La philosophie est, en effet, le champ du problématique. S’il était possible qu’il y ait, dans les réponses possibles à une question, d’un côté la pure intelligence et de l’autre la pure sottise, l’examen serait vite fait. Mais voilà, les choses ne se passent pas ainsi. Le réel est ambigu, parfois proprement énigmatique. Penser c’est  avoir le sens des problèmes, la conscience des complexités et des ambiguïtés.  

   

La dissertation requiert :

   

  • Une méthode.

    Une méthode est un ensemble de règles auxquelles il convient de conformer la conduite de sa réflexion. Quel que soit le sujet à traiter, ces règles doivent être respectées. Ce respect ne préjuge pas de la qualité de votre réflexion car celle-ci est aussi tributaire de la richesse des contenus,  mais il lui confère sa validité formelle. Ce n’est pas suffisant mais c’est nécessaire.  

   

  • Une culture.

    On ne réfléchit pas dans le vide. La culture est ce qui a été acquis soit par l’expérience soit par l’école, les lectures etc. Plus elle est riche, plus l’horizon s’élargit. Il est vain de croire que l’on peut faire la lumière sur une question sans connaissances. D’où la nécessité des cours. La plupart du temps, on ne peut pas traiter philosophiquement un sujet sans culture philosophique. On entend par là, la compréhension des concepts dans leur précision et leur rigueur ; une sensibilisation aux problématiques que les grands maîtres ont élucidées chacun à leur manière. Mais si elle nourrit la réflexion, la culture ne saurait se substituer à elle. Une dissertation ne consiste jamais à énumérer des thèses d’auteurs, à réciter un cours, à juxtaposer des propos généraux, même fort savants. Elle consiste à affronter un problème dans une démarche progressive afin d’arriver par un cheminement cohérent à une conclusion. Ce qui importe ce n’est pas seulement le contenu de la conclusion, c’est la manière dont vous y arrivez.  (Souvenez-vous que ce n’est pas le contenu d’un énoncé qui fait son caractère doxique, c’est que celui qui l’énonce ne peut pas le fonder sur un ordre de raisons. Inutile donc de masquer l’indigence d’un acte de pensée derrière l’autorité d’une référence).  

   

  • Une puissance de réflexion.

    Il faut bien avouer que cette puissance n’est pas également répartie. Par exemple, les professeurs qui ne sont que des élèves plus expérimentés que ceux qui leur sont confiés n’ont pas la puissance de réflexion des maîtres qui ne sont pas à leur tour des élèves (les grands esprits. Cf. texte de Léo Strauss [1]).  

   Chacun doit faire du mieux qu’il peut. A ce niveau il n’y a pas de recettes, sinon nous serions tous de grands penseurs.  

   

   

Les règles de la méthode.

   

   

1)      Comprendre l’énoncé : la règle de l’introduction. 

   

   En classe terminale, un énoncé de dissertation est formulé sous forme interrogative. C’est donc une question.  

   Ex : A-t-on le choix d’être libre ?  

   Il ne suffit pas de lire la question pour saisir le ou les problèmes qu’elle pose. C’est la différence avec les mathématiques. En mathématiques on formule les données du problème dont vous avez à trouver la solution. Pas en philosophie. C’est à vous de dégager ce que l’on appelle la problématique, en analysant avec précision l’énoncé.  

   Une problématique n’est pas un problème, c’est un ensemble de problèmes s’articulant d’une certaine manière et précisant la question.  

   Il n’y pas trente six manières d’expliciter la problématique d’un sujet. Seule l’analyse rigoureuse des termes de l’énoncé le permet.  

   Ex : Avoir le choix : capacité de se déterminer à une possibilité ou à une autre. L’homme se sent libre lorsqu’il peut choisir. A l’inverse s’il ne disposait d’aucune capacité de choix et si sa conduite était l’effet nécessaire de certaines conditions,  on dirait qu’il est déterminé.  

      Cette analyse conceptuelle permet de formuler les problèmes que le développement devra affronter et d’énoncer  les termes de véritables alternatives.  

   PB : Est-on libre (= avoir le choix) d’être libre ou bien est-on déterminé à être libre ?  

   PB : Mais, les notions de déterminisme et de liberté étant antinomiques, si l’on est déterminé à être libre, il est absurde de parler de liberté.  Pourquoi est-il contradictoire de dire que l’on est déterminé à être libre ? (Questions annonçant la thèse : Soit on est libre, et donc libre d’être libre, soit on est déterminé et il est absurde de parler de liberté).  

   PB : Pour autant (renversement dialectique) qu’il faille renoncer à une telle absurdité revient-il à affirmer qu’on est libre d’être libre ? Car si on est libre d’être libre cela signifie qu’on a la possibilité de choisir de ne pas l’être. Or choisir de ne pas être libre n’est-ce pas encore être libre ? Il s’ensuit que l’on n’est pas libre d’être libre, on est condamné à l’être soit que l’on consente à la servitude soit que l’on décide de se libérer. (Question annonçant l’antithèse : « l’homme est condamné à être libre » : thèse sartrienne).  

   Nul ne pouvant échapper sans mauvaise foi à sa condition, on est  responsable d’actualiser sa liberté foncière ou de la fuir. Mais (Dépassement) pour absolue qu’elle soit, la liberté est une liberté en situation, en butte à de multiples obstacles qui, certes, ne sont que par elle mais qui la limitent et lui donnent parfois des doutes sur elle-même. N’est-ce pas parce que la liberté est le propre de l’existant qu’elle est angoissante et que l’homme peut être enclin à fuir ses responsabilités? N’est-ce pas parce qu’elle prend sens essentiellement comme projet de libération que certains préfèrent croire qu’ils n’ont pas le choix et qu’ils sont déterminés ?  

      Vous voyez sur cet exemple que les problèmes ne sont pas posés arbitrairement. Ils procèdent des analyses conceptuelles, ils s’enchaînent avec ordre.  

    Vous voyez aussi que le caractère dialectique de la démarche exige la capacité de vous faire à vous-même les objections qu’un autre sujet pensant pourrait vous faire. C’est pourquoi Hannah Arendt disait que dans l’activité pensante on est deux ou plusieurs en un. La pensée a une essence dialogique. Platon disait que « la pensée est le dialogue de l’âme avec elle-même ».  

  Ainsi, les difficultés de la thèse (réponse à la première question) suscitent la formulation de nouveaux problèmes et débouchent sur l’énoncé de l’antithèse. Celle-ci n’est donc pas la négation de la thèse, elle est son dépassement par une idée plus pertinente. La troisième partie n’est pas une synthèse du type : dans I et II il y a du bon et du mauvais. La réflexion philosophique est incompatible avec le relativisme du type : toutes les opinions se valent, on peut soutenir une chose et son contraire. La troisième partie articule dans une cohérence ultime les deux premières parties. Elle réalise un dernier dépassement.  

   Danger : Ce qu’il faut absolument éviter à ce niveau c’est de mal engager la réflexion. Mal problématiser le sujet revient à poser des faux problèmes, ou des questions hors sujet.  

  Ex : Une question hors sujet serait ici : L’homme est-il libre ou non ? Car le sujet présuppose la liberté et la question est de savoir si l’on est libre d’être libre ou non.  

   Toute la problématique s’articule autour de l’expression : « choisit-on ». Ceux qui n’ont pas la prudence de s’arrêter sur le concept de choix passent à côté de ce qui est en jeu dans cet énoncé.  

    Le respect de cette première règle permet de rédiger l’introduction. Comme le mot l’indique, elle introduit le développement. Sa fonction est d’expliciter la problématique de l’énoncé afin d’engager la réflexion dans la bonne voie. Il n’est pas difficile de comprendre que des problèmes non identifiés ne peuvent pas être traités. Introduire est donc l’opération déterminante de la dissertation. Elle demande de la prudence. Il faut éviter la précipitation (= aller trop vite) et la prévention (= préjugé. Nécessité d’une ascèse des  idées toutes faites).  

   

    

2)      Construire une argumentation cohérente, approfondie et éclairante : les règles du développement.

  

    Il implique une idée directrice. Une dissertation est un drame où quelque chose se joue. Dans l’exemple proposé, l’idée directrice est l’idée que l’homme peut tout choisir sauf le fait qu’il dispose de cette capacité. Il peut choisir d’accepter son sexe ou de le refuser, de consentir à sa situation sociale ou de vouloir la changer, de donner un sens à son existence ou de ne pas lui en donner etc. Bref, il y aurait mauvaise foi à se prétendre déterminé. L’énoncé invite à méditer le sens de la liberté et vous devez faire la lumière sur la question. Celle-ci doit être obsessionnellement présente du début à la fin de votre réflexion. Il fait donc éviter les digressions inutiles, les propos non centrés sur la question. L’idée directrice est la colonne vertébrale d’un devoir.  

   

   Il implique l’exploitation de références. Des références philosophiques mais pas seulement. La littérature, l’histoire, des données informatives précises tirées de l’observation de l’expérience peuvent avec intérêt être mobilisées. Le cours de philosophie est essentiel. Dans l’exemple proposé, le sujet est intraitable par un candidat ne disposant pas d’un solide cours sur la notion de liberté. Qui n’a aucune idée de l’antinomie :déterminisme-liberté ; de la thèse sartrienne est voué à l’échec. Le premier travail consiste donc avec l’inventaire conceptuel à trouver les références pertinentes pour le traitement du sujet. (Attention : Souvenez-vous de ce qui a été dit précédemment. Mobiliser une culture ne signifie pas se dispenser de penser, en récitant ce que l’on sait. Une dissertation est comparable à un banquet. Des convives sont invités mais c’est le maître de la cérémonie qui leur confère leur place. Une référence n’arrive donc pas comme un cheveu sur la soupe. Elle a sa raison d’être dans le cheminement d’une réflexion personnelle qui s’approprie un auteur pour faire la lumière sur une question).  

   

   Il implique un souci d’exemplification. Il ne faut pas confondre illustration et argumentation. Un fait ne peut jamais établir la validité d’une affirmation, le raisonnement seul est habilité à cette tâche. Néanmoins si l’exemple ne doit jamais se substituer à l’argument, il est nécessaire, d’une part pour ôter à la réflexion son caractère abstrait, d’autre part pour lui éviter de se perdre dans des spéculations oiseuses. Philosopher consiste à penser le réel et non, à la manière du rêveur ou de l’idéologue à se complaire dans des chimères.  

   

   Il implique un plan en trois parties. Thèse-antithèse-dépassement. L’introduction a formulé les problèmes que va affronter chacune des parties. Dans l’exemple proposé, la première partie examine l’antinomie liberté-déterminisme afin d’établir que si la liberté a un sens, on ne peut pas dire que l’on est déterminé à être libre. La deuxième partie reprend la question en examinant si dire que l’on est libre signifie que l’on peut choisir de ne pas l’être. L’analyse conduit à comprendre la thèse sartrienne : l’homme est condamné à être libre. La troisième opère le dépassement : dire que l’homme est libre ce n’est pas nier les multiples déterminations dans lesquelles la liberté peut être tentée de s’engluer. Thème sartrien ou existentialiste de l’être-en-situation.  

   

   Il implique une rédaction soignée des transitions. Le passage d’une partie à l’autre exige de ramasser en quelques lignes les résultats d’analyse du premier développement et d’introduire de manière cohérente le nouveau développement de la réflexion. D’où la nécessité d’avoir toujours présente à l’esprit l’idée directrice. Au fond, à la fin de chaque partie on fait le bilan. Le propos est du type : nous avons compris que… Il s’ensuit que… En dégageant les conséquences on voit apparaître de nouvelles difficultés. La réflexion est conduite à rebondir avec un propos du type : mais, ne peut-on pas dire que… ?  

   Au terme de chacune des parties il faut recommencer l’opération.  

   Comme la réflexion progresse dans l’élucidation de la question, il est bon de pointer les progrès. Un candidat qui maîtrise le mouvement de sa pensée devient capable de dire : « nous ne savions pas alors que… nous voyons à présent que… »  

   La plus grande difficulté est, à mes yeux, de trouver l’angle permettant d’opérer le dépassement final. L’exercice requiert une hauteur de vue auquel il n’est pas toujours possible à un élève de s’élever. (Cf. : toujours cette idée d’ascension que Platon décrit dans l’allégorie de la caverne.   Régression vers le principe rendant intelligibles et cohérentes les deux premières analyses).  

   NB : On peut pardonner à un élève de ne pas réussir cette opération, on ne lui pardonnera jamais de ne pas traiter dialectiquement la question, c’est-à-dire de ne pas bâtir une solide première partie et une solide deuxième partie.  

   

   

3)      Expliciter les résultats de la réflexion : la règle de la conclusion.

   

La conclusion doit être concise, claire et précise. L’élève doit se dire : « on nous avait posé telle question ; au terme de la réflexion je suis en mesure de répondre de cette manière ». Il faut donc formuler la réponse avec fermeté. Sont exclus les propos vagues du type : « ça dépend de… ».