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   J'adresse tous mes remerciements à Monsieur Joseph Yvon Thériault pour l'autorisation qu'il m'a accordée de diffuser ce remarquable article,  extrait de l'ouvrage Démocratie et modernité. L'auteur est professeur de sociologie politique au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal et titulaire de la chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie. Il est un spécialiste reconnu de l'étude du rapport à la mémoire dans les sociétés québécoise et acadienne. Il a dirigé récemment les ouvrages (avec F.G Dufour) Sociologie du Cosmopolitisme, Sociologie et sociétés, 2012, et, Les Formes contemporaines du populisme, Montréal, Athéna, 2013.

  Sa contribution au recueil d'articles, publié sous le titre Démocratie et modernité, restitue clairement les termes du débat français sur la question de la démocratie. Celui-ci est travaillé par la tension entre une conception agonistique, anti-institutionnaliste de la démocratie, défendue par les thuriféraires de la démocratie radicale, et une conception républicaine de la démocratie, assumant sa dimension institutionnelle et l'idée d'un bien commun, dépassant les oppositions partisanes. Les analyses de Claude Lefort irriguent les unes et les autres, le mérite de Joseph Yvon Thériault étant de souligner la complexité de cette pensée inaugurale.

   On  ne saurait la réduire au seul thème de la démocratie sauvage, c'est-à-dire à son insistance sur l'idée de la démocratie comme conflictualité, « potentiel de revendications». « Il est vrai, [reconnaît Lefort], que la démocratie en quelque sorte personne n'en détient la formule et qu'elle est plus profondément elle-même en étant démocratie sauvage. C'est peut-être là  ce qui fait son essence; dès lors il n'y a pas une référence dernière  à partir de laquelle l'ordre social peut être conçu et fixé, cet ordre social est constamment en quête de ses fondements, de sa légitimité et c'est dans la contestation ou dans la revendication de ceux qui sont exclus des bénéfices de la démocratie que celle-ci trouve son ressort le plus efficace»  (Entretien avec Paul Thibaud, « La communication démocratique », Esprit, n° 9.10, sept. oct. 1979). Mais Lefort ne fait pas l'impasse sur la nécessaire dimension institutionnelle de la démocratie, celle qui instaure le pouvoir comme « lieu vide », inappropriable par un individu ou un parti, autrement dit celle qui institue la liberté politique. « Le fait est que celle-ci se maintient tant que le pouvoir est reconnu comme interdit à l'appropriation des dépositaires de l'autorité publique, tant que son lieu est jugé inoccupable. Démocratique, le pouvoir le devient, le demeure, lorsqu'il s'avère n'être le pouvoir de personne. [...] Tant que les institutions  sont réglées de manière à rendre impossible une appropriation du pouvoir par le ou les gouvernants, nous ne saurions dire qu'elles sont de pure forme. Ce que j'appelais l'opération de négativité n'est pas moins constitutive de l'espace démocratique que le processus qui érige l'Etat  en puissance tutélaire. Le système vit de cette contradiction sans qu'aucun des deux termes, tant qu'il se perpétue, puisse perdre son efficacité».  (Essais sur le politique, Le Seuil, 1986, p. 42)

 

    Pour ceux qui souhaitent approfondir la question de la démocratie dans le débat français contemporain, je recommande la lecture de l'ensemble des articles de Démocratie et Modernité. Tous sont d'une très grande qualité.

 

 

« L’Institution de la démocratie et la démocratie radicale.

La leçon de Lefort

Joseph Yvon Thériault

   Bien que la démocratie radicale se réclame d'une longue tradition, remontant pour certains jusqu’à « l'innommable gouvernement de la multitude » en Grèce (Jacques Rancière, La haine de la démocratie, La fabrique, Paris, 2005) ou à la révolte de la plèbe à Rome (Martin Breaugh, L’Expérience plébéienne. Une histoire discontinue de la liberté politique, Payot, Paris, 2007), on dira de la version que nous voulons traiter ici qu’elle est une idée récente. Idée récente, parce qu’elle nécessite l'articulation de deux choses difficilement conciliables avant la chute de l'imaginaire communiste au tournant des années 1980: soit une adhésion radicale à la démocratie, et une adhésion, tout aussi radicale, à la révolte. Pendant un siècle, depuis les célèbres critiques du jeune Karl Marx contre la démocratie moderne, dite formelle et bourgeoise, s'étaient dissociées en effet la route de la démocratie et la route de la gauche radicale... celle de la révolte populaire. Il aura fallu la critique du totalitarisme communiste pour que démocratie et radicalité se croisent à nouveau. C'est pourquoi la démocratie radicale est postmarxiste, postcommuniste et, fort probablement, postmoderne.

 

Lefort et la notion du conflit en démocratie

   Je commencerai la description du cheminement de la démocratie radicale en rappelant la démarche de Claude Lefort, bien que j'aurai à revenir en conclusion sur son travail, pour cette fois le dissocier d’une filiation avec une telle conception radicale. Pour le moment, toutefois, nous pouvons tenir son œuvre comme le pivot qui permit le basculement de la démocratie dans le camp de la gauche. Je pense particulièrement à ce texte Droit de l'homme et politique, publié dans la revue Libre en 1980 et reproduit en 1981 comme premier chapitre de son livre L'invention démocratique, Les limites de la domination totalitaire, Fayard, Paris, p. 45 à 83). Lefort rappelle dans ce texte comment le marxisme, le communisme et, par-delà la gauche, ont historiquement erré dans leur appréciation de la démocratie. Ils ont été « aveugles », dira-t-il, à cette formidable invention que fut la démocratie moderne. Une société qui sous l'effet du pouvoir comme « lieu vide » permet « d'exploiter les ressources de la liberté », ouvre la société à un « interminable questionnement » sur elle-même et « accueille les effets de la division ».

  La démocratie poursuivra ailleurs Lefort « en contraste remarquable, avec le  totalitarisme, qui voulait recréer « l'UN », sous le signe de « l'Homme nouveau », est la société par excellence du conflit, le seul régime qui reconnaît que le politique est constitutif du conflit, ou encore que « le politique » – la forme institutionnelle de la démocratie – est  engendré par « la politique » – le conflit. Le conflit est au cœur de la démocratie, quoique, nous y reviendrons, elle ne saurait s'y réduire. Si la démocratie est processus et indétermination, c'est qu'elle est continuellement alimentée par les multiples foyers de la division qui émanent de la société civile. Mettre fin à cette division par la victoire définitive d'un camp, sur l'autre abolirait la démocratie.

   Ces notions de la démocratie comme « conflit », comme « processus », comme « questionnement interminable », seront au centre de ce que nous appelons ici « démocratie radicale ». J'ai dit que Lefort en était le pivot parce qu'il fut le théoricien le plus magistral de l'idée de la démocratie comme conflit et qu’il fut l'un des premiers à vouloir réhabiliter la démocratie avec le camp de la gauche. Je  n'essaie pas dans les pages qui suivent d'établir une filiation directe entre l'œuvre  de Lefort et celles de certains théoriciens de la démocratie radicale. Je voudrais plutôt éclairer leur démarche, suivre leur trace, à la lumière de la conception lefortienne de la démocratie pour mieux, en conclusion, situer les limites de cette démocratie radicale.

 

La démocratie comme conflit

   Je m'intéresse ici à la « pensée »  de la démocratie radicale. La « chose », elle, existe par ailleurs. Certains ont vu son déploiement concret dans la mouvance de  mai 1968, ce grand mouvement de conflictualité anti-institutionnelle, d'autres associeront sa pratique au déploiement des nouveaux mouvements sociaux, leur pluralisme agonistique, leur défiance par rapport aux partis institués de la  démocratie. Je situerai pour ma part l'affirmation du phénomène, de manière  exemplaire, dans la mouvance altermondialiste des années 1990. Là se trouve  la subjectivation la plus achevée de la démocratie radicale, une connexion mieux  assumée de la conflictualité démocratique et de la politique comme révolte.

   Mais, revenons à l'idée de la démocratie radicale. C'est la notion du conflit, avons-nous rappelé, qui fonde la démocratie radicale. « Le geste fondamental de celle-ci [rappelle Audric Vitiello] est la réhabilitation analytique et normative de la dimension conflictuelle: il s'agit de penser « un modèle agonistique de démocratie. » (La démocratie radicale, Dictionnaire de théorie politique, 2008 ; La démocratie agonistique. Entre ordre symbolique et désordre politique, Revue du MAUSS, vol. 2, n° 38, 2011, p. 213, 234).Vitiello se réfère principalement ici à Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, les auteurs d'une des références premières et centrales de la démocratie radicale, Hegemony and Socialist Strategie. Towards a Radical Democratic Politics, publiée en 1985. Ce sont des idées apparentées que l'on retrouvera dans les notions de « dissensus », ou de « mésentente » chez Jacques Rancière (La Mésentente, Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995), dans l'inexorable affrontement entre la « multitude » et l'« Empire » chez Michael Hardt et Antonio Negri (Empire, Paris, Exils, 2000), ou encore dans « la procédure de vérité » chez Alain Badiou (« Raisonnement hautement spéculatif sur le concept de démocratie », Abrégé de métapolitique, Paris, le Seuil, 1998, p. 5.26).

  La démocratie radicale est de filiation machiavélienne. Elle s'inspire de cette affirmation tirée du Discours sur la Première Décade de Tite-Live: « dans tout État, il y a deux orientations différentes: celle du peuple et celle des grands, et toutes les lois favorables à la liberté procèdent de leur opposition » (Robert Laffont, Paris, 1996, p. 196), elle est marxienne aussi en croyant que la marche de l'émancipation passe par l'affrontement des contraires. Elle n’embrasse toutefois pas les idéaux républicains ou communistes de Machiavel et de Marx. Le conflit n'engendre ni institution de la liberté, ni institution de l'émancipation, il est en lui-même libérateur. Cette  centralité du confit, cette autopoïèse de la conflictualité a plusieurs conséquences qui distinguent notamment la démocratie radicale de ses ancêtres révolutionnaires de gauche.

   En plus du conflit, je regrouperai sous quatre grandes thématiques additionnelles les traits constitutifs, de la démocratie radicale : le pluralisme, le refus d’une téléologie, l'anti-institution, la subjectivation radicale. D'une manière ou  d'une autre, on trouvera  ces thèmes développés chez les auteurs auxquels nous  venons de faire référence, Laclau, Mouffe, Rancière, Negri et Badiou, mais aussi chez Miguel Abensour et Étienne Balibar, et chez Martin Breaugh et Francis  Dupuis-Déri.

Le pluralisme. Dès l’ouvrage pionnier de Laclau et Mouffe, le « pluralisme » ou la « transversalité » –la médiation réticulaire – vise à remplacer l’idée d’un sujet unique, tel que la gauche marxiste et même la social-démocratie le concevaient – on pense comme dernier effort dans cette direction aux travaux d'Alain Touraine de la fin des années 1970, cherchant dans la pluralité des mouvements sociaux le lieu d'un nouveau sujet émancipateur, d’« un » nouveau mouvement social devant remplacer le prolétariat moribond. Pour la démocratie radicale, il n'y a plus de quête d' « un » sujet émancipateur, la société est le lieu d'un pluralisme agonistique indépassable, même si chez Laclau et Mouffe persiste encore l'idée  de la recherche d'une hégémonie de la gauche ou du peuple contre la droite ou  les élites. Mais le pouvoir, dorénavant, comme le dirait Michel Foucault, étant partout, la lutte contre ce dernier devient difficilement déchiffrable. « Ces conflits ne communiquent pas » (op. cit., p. 87) diront Hardt et Negri. L‘image des luttes reptiliennes qu’ils utiliseront pour souligner le caractère éclaté des attaques de la multitude  contre l'Empire – les  reptiles picossent le pouvoir de partout, sans liens entre les différentes attaques, parfois au nom de l'inégalité, parfois au nom de l’identité, parfois au nom de l'intérêt particulier, parfois simplement des attaques mafieuses – est une très belle représentation de l’ idée du pluralisme du conflit dans la démocratie radicale (Ibid., p.87.89).

Le refus d’une téléologie. C'est que le conflit n’est plus inscrit dans un projet d'avenir, dans une proposition utopique ou même plus simplement dans une forme quelconque de gouvernement des hommes. Le pouvoir est corruption, la  lutte de la gauche ne s'inscrit plus dans la prise de la Bastille ou celle du Palais d'hiver. Elle refuse toute conception téléologique du pouvoir. Comme le dit Badiou, « l'effondrement des États-socialistes enseigne que les voies de la politique égalitaire ne passent pas par le pouvoir d'État. Qu’il s'agit d'une détermination subjective immanente, d'un axiome collectif » (op. cit., p. 117). Ou encore, pour reprendre Rancière, la démocratie doit être dissociée de tout projet, nécessairement unificateur, de mise en sens de la société, mise en sens qu’il identifie à la « police ».

  « La politique n'est pas l'art de diriger les communautés, elle est une forme  dissensuelle de l'agir humain, une exception aux règles selon lesquelles s'opèrent le rassemblement et le commandement des groupes humains. La démocratie n’est ni une forme de gouvernement ni un style de vie sociale, elle est le mode de subjectivation par lequel existent des sujets politiques. Cette double contre-affirmation suppose ... de dissocier la pensée de la politique de la pensée du pouvoir » (Aux bords du politique, Paris, La fabrique, 1998, p. 16)

L'anti-institution. La fin de l'utopie unificatrice n'est donc pas pour autant une réconciliation avec l'institution de la démocratie moderne. Chez Abensour, comme chez Rancière, toute institutionnalisation de la démocratie, ce qui est le   propre de la démocratie moderne, est associée à une forme de police. La démocratie est toujours « contre l'État », (La Démocratie contre l’Etat, Marx et le moment machiavélien, Paris, PUF, 1997), affirmera Abensour. « Il y a démocratie dans une société pour autant que le démos  y existe comme pouvoir de division de l'okhlos », précisera Rancière, (op. cit., p. 66).

   C'est ainsi que Balibar pourra nous inviter à penser la citoyenneté non seulement sans institutionnalisation, mais sans démos. Car, tout démos est quelque  part construction d'un Nous qui s'oppose à un Eux et qui empêche la véritable communauté universelle de s’affirmer. Toute idée républicaine de l'État, toute tentative de circonscrire un bien commun est ainsi une « métaphysique de la politique ». Balibar s'oppose ici aux conceptions du bien commun défendues par des républicains tels Jürgen Habermas ou Dominique Schnapper. La valorisation d’une communauté politique «perpétue des conceptions hiérarchiques ou traditionalistes du gouvernement des hommes, et l'on sait que toute une partie de la philosophie contemporaine a cherché à promouvoir des catégories alternatives: multiplicité, conflit, différence (ou différance), rassemblement paradoxal, etc. » (Balibar, « Une citoyenneté sans communauté ? » Nous, Citoyens d’Europe ? Les frontières, l’Etat, le Peuple, Paris, La découverte, 2001, p. 113)  

  Badiou, le plus radical des démocrates radicaux, récusera même l'expression : « démocratie »: « En fait, [dit-il,] le mot démocratie relève de ce j'appelle l'opinion autoritaire » (« Raisonnement hautement spéculatif sur le concept de démocratie », op. cit., p. 15). C'est une même inspiration qui permet à Francis Dupuis-Déri, dans un livre récent, de réduire toute l'expérience démocratique moderne, celle qui a mis fin à l'esclavage, comme celle qui a créé l'État-providence, à un simulacre, une peur du peuple, une agoraphobie, un coup de force permanent des groupes dominants visant à  empêcher la réelle prise du pouvoir par le peuple.

« Aujourd’hui l'agoraphobie originelle et fondatrice des démocraties modernes est camouflée par le mot « démocratie » qui en est venu à désigner le régime électoral libéral et à donner l'apparence que le peuple y détient le pouvoir souverain » (Démocratie, histoire politique d’un mot, Montréal, Lux Editeur, 2013, p.37). ,

La subjectivation radicale. La dimension « radicale » de la démocratie radicale apparaît de manière spectaculaire dans l’idée de la « subjectivation radicale ». On l’a dit, la démocratie radicale rejette l'idée de la Révolution. Elle radicalise le  principe d'indétermination tel que l'avait formulé Lefort. Le «  [....] politique  tel qu’il se donne à son état spontané, démocratique: [c'est, dira Rancière,] l'autorégulation anarchique du multiple par la décision arbitraire » (op. cit., p. 35). La démocratie c’est la  «magistrature illimitée » de la souveraineté populaire (Balibar).

  La démocratie radicale n’est jamais très loin de l'anarchie. En rejetant tout  principe d'institution elle exalte le caractère spontané de la révolte plébéienne, ces moments sublimes « de forçage de la participation politique » (Rancière). La  plèbe romaine, les jacqueries paysannes, la révolte des égaux au moment de la Révolution française, la  Commune  de Paris, l'expérience des soviets, la révolte hongroise, Mai 68, des moments de préférence brefs et fugitifs, qui n’eurent pas le temps de s'institutionnaliser ou de se corrompre, ce qui est la même chose – institutionnalisation et corruption – chez  les penseurs de la démocratie radicale. Il est impossible de ne pas faire le lien entre l'idée d'une conflictualité sans guide, en réseau, autopoïèse, et celle du projet néo-libéral d'une gouvernance mondiale, elle aussi en réseau. Chez Hardt et Negri le lien entre la nouvelle conflictualité et la gouvernance néo-libérale est explicite (Voir, par exemple, Hardt et Negri, op. cit., Partie II, chapitre 5 et partie III , chapitre 6)

   En fait, même l'idée d'une détermination sociologique ou d'une dimension collective de la révolte paraît suspecte. Une telle idée nous éloignerait du caractère essentiellement politique, je dirai même décisionniste dans le sens schmittien de la politique, que l'on veut ainsi donner à la démocratie. C'est le conflit qui crée la démocratie. La démocratie « est le mode de subjectivation par lequel existent des sujets politiques » (Rancière, op. cit. p. 12). Le sujet politique naît du conflit, il ne le précède pas. Et la subjectivation est toujours, quelque part, quelque chose d'individuel, le forçage des sans-parts, qui ne sont pas des êtres ayant une  identité lisible, à entrer dans la police. Il y a là quelque chose d'ontologiquement libéral. De nouveau, c'est Badiou qui en tire les conclusions individualistes les plus évidentes: « De façon plus générale, une subjectivation est toujours le mouvement par lequel un individu fixe la place d'une vérité au regard de sa propre existence vitale et du monde où cette existence se déploie » (« L’idée du communisme » op. cit., p. 7) .

 

Les limites de la démocratie comme conflit

  La démocratie radicale réduit donc l'expérience démocratique à sa dimension conflictuelle. En élimant l'idée d'un sujet unique, d'un projet émancipateur, d'une prise du pouvoir, elle évacue toute dimension symbolique ou hétéronome à l'action humaine; elle ramène l'expérience d'autogouvernement des modernes à une subjectivation contestatrice. Elle dépouille l'expérience démocratique de toute autre forme de légitimité, que ce soit la légitimité du suffrage, celle du  droit, celle de la procédure bureaucratique. Seule légitimité qui persiste à cette  contestation, la « contre-démocratie », celle de la défiance, de la méfiance par rapport à l'institution, du rejet. Il y a dans cela une simplication extraordinaire de la démocratie effective (Sur les multiples formes de la légitimité démocratique voir Rosanvallon, La légitimité démocratique, Paris, Le Seuil, 2008, sur la contre-démocratie, voir Rosanvallon, La contre-démocratie, la politique à l’âge de la défiance, Paris, Le Seuil, 2006) .

Je dirais tout particulièrement qu'est ainsi amputée de l'expérience démocratique la moitié de son histoire, le pôle de la généralité, celui qui vise à former la pluralité en monde-commun, celui qui vise à créer un démos à partir de l'infinie pluralité des existences et des protestations. Bref, disparaît ainsi l'expérience du politique. Dans ce pôle de la généralité, il y avait l'idée que la démocratie n’était pas que la reconnaissance de la pluralité et de la division – elle serait alors une autre manière d'affirmer le règne absolu de la liberté – ; mais qu’elle fut aussi l'affirmation du « gouvernement de soi-même », c'est-à-dire la possibilité qu'un démos particulier, qu'une communauté politique singulière, imprègne d'une manière explicite, comme résultat d'une délibération publique, le gouvernement de soi-même (P. Manent, Cours familier de philosophie politique, Paris, Fayard, 2001, p. 71.116).

  Il n’y a pas de démocratie sans pouvoir raisonné, médiatisé sur soi-même. Il n’y a pas de démocratie sans que le conflit trouve des mécanismes afin d'aboutir à des compromis – certes toujours temporaires –, sur  le bien commun. Il n'y a pas de démocratie sans gouvernement démocratique. Comme le dit Vitiello: « En effet, renoncer à l'harmonie parfaite ne signifie pas tomber dans la pure discordance: si le politique démocratique doit, pour être démocratique, assumer la conflictualité, il doit aussi, pour rester politique, assumer la fonction de fondation et de régulation » (La démocratie agonistique, op. cit., p. 223). La démocratie ne peut être réduite, pour reprendre, tout en s'y opposant, l'expression de Rancière, à « ce sujet imprévisible qui aujourd'hui occupe la rue, ce mouvement qui ne naît de rien sinon de la démocratie elle-même » (op. cit., p. 111).

  Il  n’est pas possible, sans une simplification outrancière, de réduire la démocratie à sa dimension conflictuelle, contre le pouvoir, contre tout pouvoir. Il n'est pas possible de faire de l'opposition entre le politique, le lieu de l'institution, et la politique, le lieu du conflit, la division essentielle de la démocratie. La démocratie ne saurait se passer d'une proposition de gouvernement des hommes, ce serait abdiquer l'idée d'une gouvernance de soi. La démocratie ne peut se définir uniquement comme simple mécanisme de contre-démocratie, ou encore que  par la dimension contestatrice, ce serait retomber dans le chaos ou dans l'état de nature hobbesien. II faut quelque part que la démocratie comme conflit s'arrime à la démocratie comme modalité de gouvernement de soi.

   Paradoxalement la réduction de la démocratie à sa dynamique conflictuelle, contestatrice, accouche d'une conception libérale de la société. La rhétorique anti-institutionnelle ne saurait cacher que le monde a changé, que l'univers de la fluidité, du réseau, de la table rase est aujourd'hui le langage du néolibéralisme dominant. Comme le rappelle Pascal Michon « bien que la disciplinarisation ait pratiquement disparu, que les systèmes sociaux soient largement attaqués, que les souverainetés étatiques soient amoindries, que la théorie ait cédé la place à un empirisme de style positiviste et que les affirmations de valeur collective aient été délégitimées, on continue à promouvoir à contre-temps, les prises dc position anti-disciplinaires, anti-systémiques, anti-étatiques, anti-dialectiques des années 1960 et 1970 – au plus grand profit du nouveau monde fluide, de son idéologie et de ses nouvelles manières de produire et de partager les êtres humains » (Les rythmes du politique. Démocratie et capitalisme mondialisé, Paris, Les prairies ordinaires, 2007, p. 20. Voir aussi sur cette question : « Une sociologie sans société est-elle possible ? » de S. Vibert dans La Fin de la société. Débats contemporains autour d’un concept classique, Montréal, Athéna, 2012, p. 251.276).

  On ne peut pas ne pas apercevoir dans l’idée d'une démocratie comme s'autoengendrant sans médiation politique – une ne autopoïèse démocratique –, la vieille figure de la main invisible d’Adam Smith où les intérêts opposés en venaient naturellement à s'harmoniser; et, par prolongement, l'on ne peut pas ne pas apercevoir dans une telle proposition une affinité avec le projet néolibéral d'une gouvernance postdémocratique. La société démocratique ne serait ici que ce qui reste après l'affrontement spontané des multiples dynamiques oppositionnelles de la société. La démocratie radicale est une radicalisation de l'idée libérale d'affrontement des intérêts. Mais, à la différence de la régulation par le marché qui harmonise les intérêts divergents, la régulation démocratique n’annonce aucune harmonisation, la société se renouvelle sans fin et, sans pause, par l'interminable conflictualité.

   On l'aura compris, je tiens la démocratie radicale incapable de comprendre la nature « politique » de la démocratie moderne et je considère qu'elle flirte dangereusement avec des pratiques qui conduisent à sa déliquescence. Lefort, déjà, rappelait la faiblesse des convictions démocratiques des intellectuels de notre époque. Ils refusent de voir, pensait-il, ce que l'expérience démocratique moderne a de fragile et d'original, tout en étant en même temps  la matrice de leur propre exploration» (« La question de la démocratie », Essais sur le politique, op. cit., p. 30) . « Qu’est-ce que le royaume imaginaire de l'autonomie, sinon un royaume gouverné par une pensée despotique? », avait-il déjà rappelé, (« Droits de l’homme et politique » op. cit., p. 81. On peut penser que cet avertissement s’adresse à Cornelius Castoriadis. C’est sur cette question du pouvoir en effet que les pensées de Lefort et de Castoriadis se sont dissociées).

 

Retour à Claude Lefort

   J'ai ouvert cette discussion sur le conflit en démocratie en faisant référence à l'œuvre de Lefort. Je voudrais revenir à celui-ci pour conclure mes propos. Non pas pour attester par autorité que les tenants de la démocratie radicale n’ont pas suivi ses traces, ce qui est vrai, mais bien plutôt pour démontrer qu'il y avait dans sa pensée des éléments nous permettant d'éviter la dérive antipolitique et libérale de la démocratie radicale. Je pense notamment à ce texte « Permanence du théologico-politique?, publié en 1981 et reproduit en 1986 dans les Essais sur le politique. Lefort, le penseur de la démocratie comme conflit, de la « démocratie sauvage », diront même certains, nous rappelle qu'il n'y a pas de société sans communauté, sans politique, sans « une certaine "mise en forme" de la coexistence humaine. En fait, dira-t-il, « une société se distingue d'une autre par son régime » (op. cit., p. 256), même si le mot lui apparaît quelque peu usé.

   C’est bien l'idée du « régime » que la démocratie radicale oublie. Elle fait comme si la démocratie n’avait pas besoin de société démocratique pour s'exprimer. Ainsi que le disait Lefort de Marx et de la question des droits de l'Homme: « Loin de se borner à rejeter une interprétation bourgeoise de la loi, il efface la dimension de la loi comme telle » (« Droits de l’homme et politique » op. cit., p. 61) ; ainsi, pourrait-on dire de la démocratie radicale: « loin de se borner à rejeter une interprétation policière de la communauté,  elle efface la dimension de la communauté comme telle ».  Plus de recherche du bien commun, plus de gouvernement de soi. Si la subjectivation démocratique n'est plus déterminée par un régime, il est possible alors de voir en celle-ci une subjectivation pure, libérale.

   La division, disait Lefort, est consubstantielle à la société. Ce qui distingue un régime démocratique d'un régime qui ne l'est pas c'est justement que cette division est rendue visible dans la société démocratique, elle est rendue visible par un rapport singulier au pouvoir qui renvoie celui-ci à « un lieu vide ». « La division sociale n’est définissable – sinon à se voir poser absurdement comme une division entre sociétés étrangères – que pour autant qu’elle figure une division interne, quelle est prise dans un même milieu, une même "chair". » (« Permanence du théologico-politique » op. cit., p. 257). Pas d'expression de la  division sociale sans  « la référence à un lieu », à un « espace social » à partir duquel la société  « se fait voir, lire, nommer ». La démocratie requiert « une institutionnalisation du conflit ». Un régime c'est toujours un mode de constitution de la pluralité en société. La démocratie moderne est le seul régime qui reconnaît le conflit comme son mode d'engendrement.

  C’est justement cette cécité en regard de la nécessité de « l'institutionnalisation du conflit », nécessaire pour que la démocratie devienne gouvernement de soi, qui est l'erreur de la démocratie radicale. La démocratie est conflit et institution. Ce sont deux pôles de l'expérience démocratique dont l'écart est irréductible. Le conflit a besoin d'une scène sur laquelle apparaît la division sociale. Si la démocratie est conflit « n’entendons pas pour autant qu'elle est sans unité, sans identité définie; tout au contraire: la disparition de la détermination naturelle, autrefois attachée à  la personne du prince, et à l'existence de la noblesse, fait émerger la société comme purement sociale, de sorte que le peuple, la nation, l'État s'érigent en entités universelles et que tout individu, tout groupe s'y trouve également reporté », (« La question de la démocratie », op. cit., p. 28).

   Conflit et institutions sont dans le régime démocratique deux réalités inextricables.

   Tout se passe, disait-il à l'époque en pensant aux intellectuels de gauche, comme si « le politique était noble et la politique triviale ». Pour la démocratie radicale aujourd'hui c'est l'inverse qui semble vrai, la politique est érigée en vérité absolue et le politique associé à la police. Le politique est devenu trivial, la politique noble. Hier comme aujourd'hui, plusieurs, à gauche, affirment avoir adhéré à l'idée de démocratie, mais en sous-main, ils rejettent l'un de ses pôles: hier la politique, aujourd'hui le politique.

   Il faut se rappeler que les analyses de Lefort sur la démocratie portent la marque de ses travaux sur le totalitarisme (Eléments d’une critique de la bureaucratie, Paris, Gallimard, 1969). Si le totalitarisme s'était déployé, c'était en grande partie parce que l'on n’avait pas pris la bonne mesure de l’extraordinaire mutation qu’avait été la société démocratique. Le régime totalitaire s'était affirmé comme une inversion de la démocratie, inversion de la liberté des modernes, inversion de la conflictualité. Il s'agissait de réaliser l'homme nouveau réconcilié avec la société et la société réconciliée avec elle-même. À l’incertitude démocratique, quant à l'avenir, quant à la bonne société, la pensée totalitaire répondait en affirmant détenir les clés de l'histoire, elle détenait la vérité sur le  social. Lefort voyait dans la démocratie l'opposé de ces certitudes; dans la reconnaissance du conflit, l'opposé de la société réconciliée avec elle-même.

   Pour ce faire, pensait Lefort, il fallait se détacher de l'utopie qui renvoie toujours quelque part à la position de surplomb, à une position de vérité, comme il fallait se détacher d'une vérité normative que l'on emprunterait à la tradition, celle de la démocratie grecque par exemple – que Lefort discute peu – qui renvoie à une position anhistorique sur la démocratie. Il préconisait, sur les traces de Machiavel, un certain réalisme politique. Comprendre la démocratie par son « histoire effective » et non dans son intentionnalité utopique – l'utopie communiste ou l'utopie conflictuelle de la démocratie radicale. Cela ne le conduisait pas à un plat réalisme. L’histoire effective de la démocratie est pleine d'intentionnalité, elle converge vers l'égalité, elle renouvelle continuellement la question du vivre-ensemble à partir des humeurs changeantes des relations agonistiques; elle continue à chercher des moyens, tout en sachant ne jamais l'atteindre définitivement, du gouvernement de soi-même. C'est en assumant la réalité effective du monde que le programme de la démocratie, quoique plus modeste que celui de la démocratie radicale, provoque, comme disait Alexis dc Tocqueville, des merveilles.

  La démocratie radicale, en rejetant l'institution moderne de la démocratie et en renouant avec son utopie, n'a pas pris bonne mesure de la dérive totalitaire de la première critique radicale de la démocratie moderne,  (Je parle évidemment de la critique marxienne dont les tenants de la démocratie radicale réitèrent les erreurs).»

 Démocratie et Modernité, La pensée politique française contemporaine. Sous la direction de Marc Chevrier, Yves Couture et Stéphane Vibert, PUF de Rennes, 2015, p. 229 à 238.

 

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4 Réponses à “L’Institution de la démocratie et la Démocratie radicale. J. Y. Thériault.”

  1. patrick dit :

    Bonjour,

    Vous dites que la démocratie radical serait agonistique, et anti-institutionaliste.

    Pouvez-vous expliciter ce que vous voulez dire par anti-institutionaliste. J’ai compris de la pensée de Mme Mouffe, « que la pensée de gauche aurait, au fond, renoncé à penser une transformation de l’État, aurait abandonné le terrain institutionnel à l’hégémonie d’une pensée de droite, et se serait privée des moyens institutionnels, de la renverser. »

    Ce que je comprend est que l’appareil institutionnel mis en place épouserait la vision politique du monde qui voit l’autre en tant que partenaire ou adversaires et n’aurait pas la capacité d’accueillir le conflit et de l’exprimer.

    Je trouve cette idée interressante dans la mesure où c’est justement cette impossibilité d’exprimer le conflit qui amène à la rancoeur (contre les élites, l’étranger, …) qui pour le coup deviennent les ennemis.
    Bien à vous,

    PS : J’ai posté il y a quelques jours 2 commentaires et questions. Je suis pas certain que l’envoie ait fonctionné pourriez vous me dire si vous les avez reçu, svp ? Il concernait l’article sur le populisme. Merci.

  2. patrick dit :

    Et pour préciser ma pensée je dirais qu’il y a dans la relation « partenaire/ adversaire » un rapport utilitariste sur l’autre, qu’il n’y a pas dans le conflit.
    Qu’en pensez-vous ?

  3. Simone MANON dit :

    Bonjour
    Je précise que le caractère agonistique, anti-institutionnel de la démocratie radicale est la revendication même de ses théoriciens, non le jugement arbitraire de l’auteur de cet article.
    En ce qui me concerne, je n’ai pas l’intention d’entrer dans un débat sur ces thèmes tant les positions des adeptes de la démocratie radicale, avec leur façon de décliner avec des mots différents les vertus de la lutte des classes, du désordre créateur, de l’exception révolutionnaire comme essence même de la politique me semblent contrevenir aux exigences de la raison et à la nécessité d’une institution capable de faire de l’ordre avec du mouvement. Qu’il y ait une exaltation romantique du moment constituant dans la vie d’un peuple, soit, cela ne signifie pas que celle-ci ne se déploie pas pour l’essentiel dans le constitué. Mais pour en admettre la nécessité, il faut un peu de maturité, forcément « ringarde », « réac » pour ceux qui refusent de l’admettre, tant que le constitué dans lequel ils rêvent de vivre n’est pas le leur. Quand ils ont le pouvoir de l’imposer aux autres, les choses changent, l’expérience totalitaire ayant montré ce qu’il en est dans ce cas.
    La grandeur mais aussi la fragilité de la démocratie est à la fois d’institutionnaliser le conflit (libre débat, expression du désaccord dans les divers mouvements sociaux, droit de grève, etc.) et de le réguler par diverses règles et en particulier par le sens du compromis. Encore faut-il admettre les règles institutionnelles (par exemple la légitimité du principe majoritaire pour dépasser le conflit des opinions) et non identifier par principe l’institution à une violence, une police (Cf. Rancière), une corruption contre laquelle la « vraie démocratie » consiste à s’insurger.
    Veuillez donc m’excuser de ne pas avoir envie de perdre mon temps avec ces pensées extrémistes qui me semblent davantage l’instrument de combats politiques (au sens politicien) qu’une expression de l’intentionnalité philosophique.
    PS: J’ai bien reçu vos messages précédents mais je n’ai pas souhaité répondre en période électorale. Pour ce qui est du rapport des Français au principe d’égalité, voyez les études de Philippe d’Iribarne. https://www.philolog.fr/reflexions-sur-la-liberte-au-sens-politique/
    Pour ce qui est de la référence au « peuple » dans tous les discours politiques, Jan-Werner Müller souligne bien, ainsi que je le précise, sa nécessité dans un régime où le peuple est dit souverain. Mais il y a usages et usages, le propre des discours populistes d’extrême droite et d’extrême gauche étant de prétendre incarner sa vérité.

    Bien à vous.

  4. Guichoux Arthur dit :

    Bonjour,

    Merci pour la publication de cet article qui figure au milieu d’ un bel ouvrage, au sein duquel, cependant, d’autres interprétations de Lefort prennent place. Sans entrer dans le détails, il y a quand même plusieurs points qui font question dans la présentation de l’article ainsi que dans son approche d’ensemble :

    – Faire rimer la conception agonistique de la démocratie avec une vision anti-institutionnaliste est une lecture parmi d’autres mais que ne revendiquent nullement les auteurs mentionnés. Il est indéniable qu’il y a une exhaltation de la brèche instituante chez Abensour, Rancière ou encore Castoriadis mais n’est ce pas un peu forcer le trait que de faire de Balibar, par exemple, un panégyriste de l’anti-institution, en laissant de côté toute une réflexion sur la dialectique de l’illimitation démocratique ou encore la coexistence d’institutions anti-démocratiques au sein des processus de démocratisation ?

    – Cette mise en perspective tend, par ricochets, à présenter Lefort comme un penseur de l’ordre et du bien commun. Or il me semble que, chez Lefort notamment dans son opus magnum, Le Travail de l’oeuvre, Machiavel – ordre et désordre se fondent l’un dans l’autre et que l’idée de fond qui s’en dégage tient avant tout à ce que la loi repose sur un rapport de forces (tiré de la théorie machiavélienne des umori), de même que la société repose sur une division originaire qui, par définition, rend la dynamique du conflit insurmontable et féconde. Autrement dit, il n’est question d’un éloge libéral de l’ordre, ni d’une conception pré-existante du bien commun. Sur ce point, faire de la démocratie sauvage un élément accessoire ou marginal de l’économie de la pensée de Lefort me paraît négliger la récurrence de l’expression à des moments-clefs où sa conceptualisation de la démocratie se déploie.

    – Je vais beaucoup trop vite et risque aussi de forcer le trait mais une dernière remarque vient quand vous dites que la pensée de Rancière se déploie dans une opposition rigide entre police et politique. Comment, dans ce cas, est-il possible de comprendre qu’il peut y avoir (je n’ai pas les références exactes) de la bonne et de la moins bonne police, mais aussi et surtout que la police peut se transformer au contact des effractions égalitaires de la politique, comprise comme expérimentation de n’importe qui ? N’est-ce pas une piste à explorer pour sortir de l’impasse anti-institutionnaliste dans laquelle ces pensées ne semblent pas s’enfermer tant que ça ?

    Bien cordialement,

    Arthur Guichoux

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