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Libéral.

Cf. Textes  [1]

 

  Etymologiquement : Qui convient à un homme libre, qui est digne d’un homme libre.

 

  Traditionnellement on distingue les activités utilitaires et les activités libérales.

 

1)           Les activités utilitaires.

 

   Utile : ce qui sert à ; ce qui est un moyen pour atteindre une fin.

 

  Les activités utilitaires traduisent le tribut que l’homme doit payer à la nécessité biologique et sociale. Comme tout animal, l’homme a des besoins à satisfaire. L’impératif de la survie le condamne à toutes les tâches nécessaires à l’entretien de la vie. Celles-ci sont donc forcées, contraintes. Par définition la contrainte s’oppose à la liberté.

  On appelle travail, l’ensemble des activités auxquelles on s’adonne comme moyen de satisfaire des besoins. Le travail est, en son sens le plus originaire, une contrainte vitale.

  Ainsi, si les besoins étaient miraculeusement satisfaits (mythe de l’Eden), on se dispenserait d’occuper son temps aux activités en question.

  Ex : La première déclaration souvent, d’un gagnant du loto : « J’arrête de travailler ». Ce qu’il faisait jusqu’alors, il ne le faisait pas pour le plaisir de le faire ; il le faisait parce que c’était nécessaire pour assurer ses conditions d’existence.

Ex : Le boulanger ne fait pas du pain pour le plaisir de faire du pain (même s’il peut trouver du plaisir dans son métier) ; il se lève à deux heures du matin pour gagner sa vie et pour que  les hommes aient à manger.

  Les Anciens nous proposent de comprendre que dans l’activité utilitaire, l’homme est comme un esclave. Celui-ci n’existe pas pour lui, il existe pour un autre. Son temps ne lui appartient pas, il appartient à un autre. De même (= par analogie) dans le travail, l’homme n’existe pas dans l’expression des préoccupations le spécifiant comme homme. Il est au service de la satisfaction de besoins le définissant comme être biologique. Il poursuit une fin qui n’est pas sa fin propre en tant qu’il est autre chose qu’un animal, il poursuit une fin qui lui est imposée par la dimension qu’il partage avec les animaux.  Le travail n’est donc pas un but pour lui, c’est un simple moyen. S’il n’était pas soumis à cette nécessité, son temps serait disponible et il aurait le loisir ou la liberté de s’adonner à des activités typiques de  son humanité. (Voyez les expressions des auteurs pointant cette nécessité comme ce qui pèse douloureusement et aliène : « le carcan de l’utile » ; « l’empire de la nécessité » ; « le fardeau du travail » ; « l’asservissement à la nécessité »).

  Les Grecs lient donc le travail à l’idée de servitude. C’est la raison pour laquelle ils considèrent que seuls des êtres privés de liberté doivent prendre en charge la contrainte du travail.

  Il faut bien comprendre (comme le souligne avec force Hannah Arendt dans son oeuvre) que les Grecs n’ont pas méprisé le travail parce qu’ils avaient des esclaves. Ils ont eu des esclaves parce que le travail leur paraissait une activité indigne d’un être libre. C’est là la souillure du monde grec car il est injuste de penser qu’il y a des hommes nés pour la liberté et d’autres pour la servitude. Cela étant, les Grecs voient juste lorsqu’ils soulignent le lien du travail à la servitude et bien que nous, les Modernes, nous ayons profondément remanié le concept de travail, nous continuons à considérer que la tâche morale de l’humanité est de libérer les hommes de la contrainte du travail. (La loi sur les 35h obéit à cette logique).

  La question qui se pose alors est la suivante : libérer les hommes oui. Mais pour quoi ? Les Grecs répondent : pour qu’ils aient le loisir ou la liberté de s’adonner à des activités libérales.

 

2)      Les activités libérales.

 

  Ce sont toutes les activités qui affirment l’existence humaine en tant que celle-ci advient dans sa liberté. On les pratique, non comme des moyens mais comme des fins en soi. Cela signifie qu’en s’y adonnant, l’homme ne poursuit pas une fin extérieure (une fin étrangère dit Aristote) à sa nature d’homme, il accomplit son humanité dans son excellence.

  Ainsi en est-il de l’activité intellectuelle. Les animaux ne cherchent pas à savoir. L’homme au contraire est porteur d’un esprit et avoir le loisir d’exister comme un esprit, c’est aspirer à la connaissance. En pratiquant les sciences et la philosophie, on satisfait une exigence inhérente à sa nature spirituelle. Ce que souligne Aristote lorsqu’il élucide la question : quelle est l’origine de la connaissance ? Pourquoi les hommes s’efforcent-ils de connaître ? Il fonde la recherche de la vérité dans la capacité d’étonnement et non dans des besoins à satisfaire, comme le font tous ceux qui font de la connaissance, une activité intéressée (Ex : Epicure. Marx). « Ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire » écrit-il. La science n’est pas pour lui, au service d’intérêts autre que les intérêts spirituels et moraux.

  Qu’il faille pour cela ne pas crier famine, ne pas vivre dans la violence de tous contre tous, on le comprend aisément. L’esprit ne peut se poser dans sa liberté que dans certaines conditions concrètes. Aristote le précise clairement : «  Presque toutes les nécessités de la vie, et toutes les choses qui intéressent son bien-être et son agrément avaient reçu satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre ». Hegel note dans le même sens : « l’histoire de la philosophie commence là où la pensée en sa liberté parvient à l’existence ».

  De fait,  tant que les hommes vivent dans des conditions de misère matérielle (les damnés de la terre) ou bien tant que les ressources de leur esprit sont engagées exclusivement dans la résolution des problèmes matériels ou pratiques (ce qui est le cas du monde de l’entreprise), ils sont aliénés, ils n’existent pas dans les exigences qui sont celles d’un être libéré de ce genre de servitude.

  Ainsi en est-il aussi de l’activité politique. Les animaux n’ont pas de souci politique. C’est évident pour les animaux solitaires, mais c’est aussi le cas pour les animaux grégaires. L’homme au contraire est, en tant qu’esprit, habité par une exigence de justice. En faisant de la politique, autrement dit en participant activement à la délibération collective sur la manière dont on doit organiser la vie commune, on accomplit sa nature d’homme. Périclès disait que le citoyen se dispensant de venir à l’Assemblée pour discuter de la loi ne mérite pas le nom d’homme, tout juste de « pourceau ».

 

  Les activités libérales sont donc toutes les activités dans lesquelles l’homme a la liberté de s’affirmer dans son excellence humaine et de la cultiver.

 

  NB : Cette division de l’existence en deux sphères hiérarchiquement distinguées a cessé pour beaucoup de nos contemporains d’avoir du sens. L’idée que la définition de l’homme comme être de besoins biologiques et sociaux n’épuise pas la définition de l’homme a cessé d’être vivante. L’idée que nous avons peut-être une finalité proprement spirituelle, que notre vocation est d’accomplir notre humanité dans son excellence est tombée dans l’oubli. Puisque nous nous pensons essentiellement comme des êtres de besoins, tout ce que nous faisons est conçu comme ayant une utilité. Si la science ou la politique ont du crédit pour nos contemporains c’est donc dans la mesure où elles apparaissent utiles. Tout est rabattu au rang d’activités utilitaires.

  Ex : Oui, pense-t-on, il faut conquérir la science parce que le savoir permet d’être militairement, économiquement, médicalement puissant. On ne poursuit pas le savoir pour le savoir mais pour le pouvoir.

   Oui il faut faire de la politique parce que c’est utile à la défense de ses intérêts.     Que je fasse mon métier d’homme en me préoccupant de la chose publique dépasse l’entendement de la plupart des hommes de notre époque. Au fond le savant et le politique ne sont rien d’autre que des travailleurs comme les autres.

« Animal laborans » (animal travailleur) : Voilà l’essence humaine pour les Modernes, écrit Alain Finkielkraut.

 « Nous sommes devenus « une société de travailleurs », écrit Hannah Arendt.

  L’idée que l’on n’est pas dispensé de se préoccuper d’être un homme, sous prétexte que l’on est destiné à être un marchand (comme le précise le testament de Simone Di Ser Giovanni Valentini en 1420); l’idée que l’on puisse poursuivre le savoir ou la responsabilité citoyenne comme l’accomplissement de son humanité a cessé d’être intelligible. Il s’ensuit que le temps non occupé à travailler n’est plus pensé comme le temps enfin disponible pour les activités spécifiquement humaines, à savoir les activités libérales. Le temps de loisir, le temps libre est conçu comme le temps de l’inactivité, du divertissement souvent stérile, de la consommation (il faut bien occuper les hommes à entretenir les activités utilitaires).

  Les conséquences de cette perte de sens sont immenses pour l’école. Le projet d’une éducation libérale offerte à tous et non plus privilège d’une élite sociale est dévitalisé. La demande est pressante d’une éducation purement utilitaire et pire, les formations que l’école a instituées dans un esprit libéral sont détournées de leur sens. L’école doit servir les besoins et les intérêts de la société. Réciproquement les formations que dispense l’école doivent déboucher sur des activités rémunérées. Certes, c’est aussi la mission de l’école de se préoccuper de la dimension empirique de l’existence humaine. On n’est pas dispensé d’assumer sa part du fardeau de l’humanité et donc d’apprendre un métier pour être utile à la société et à soi-même, sous prétexte qu’on aurait à cultiver l’excellence humaine. Mais la vocation de l’école, c’est aussi et surtout de libéraliser les esprits, de permettre à chacun de devenir beau et bon (comme disaient les Anciens) grâce à l’expérience des belles choses et la fréquentation des grands maîtres.

 

NB : Précisions notionnelles.

 

1)      Les arts libéraux sont opposables aux arts mercenaires.

 

  Est mercenaire une activité recevant salaire. Libérale, une activité pratiquée de manière désintéressée. On retrouve le sens pointé par Aristote. Libérale, l’activité qui est à elle-même sa propre fin, mercenaire l’activité qui est le moyen d’une fin extérieure telle que gagner de l’argent.

 

2)      Les arts libéraux sont opposables aux arts mécaniques.

 

  Traditionnellement cette distinction est celle des activités intellectuelles et des activités manuelles.

   Procéder de manière mécanique consiste à suivre servilement des procédés ou des recettes préalablement définies. Il n’y a pas d’initiative ou d’activité proprement créatrice de l’esprit. On peut distinguer en ce sens une activité mécanique, telle que celle du technicien tirant sa compétence du respect scrupuleux d’une règle transmise, d’une activité tirant sa réussite d’une capacité créatrice.

  Ex : Le grand artiste, le grand savant, le grand penseur.

  On retrouve toujours l’opposition servile – libre.